
Terry Reardon dit que OUI
Le début de 1942 était une période sombre pour les Alliés. Les États-Unis étaient entrés en guerre, mais la situation était précaire. L’armée soviétique arrivait à peine à repousser les assauts de l’Allemagne qui menaçait Moscou, et le premier ministre soviétique, Joseph Staline, demandait – ou plutôt, il exigeait – l’ouverture d’un second front en Europe de l’Ouest.
Le ministre des Affaires étrangères, Vyacheslav Molotov rencontra le président Franklin D. Roosevelt qui, de peur que la Russie ne fasse la paix avec l’Allemagne, promit un deuxième front en 1942.
C’était une promesse irresponsable, car il ne disposait pas de suffisamment de troupes ni de péniches de débarquement. Malgré tout, il fallait faire quelque chose, et Roosevelt écrivit au premier ministre britannique Winston Churchill pour lui demander d’agir, ce qu’il fit en chargeant son chef des opérations combinées, lord Louis Mountbatten, de planifier une attaque majeure sur la côte nord de la France.
S’ensuivit le raid amphibie le plus important depuis la campagne de Gallipoli de 1915. La cible était Dieppe, port de la Manche, et les objectifs étaient d’encourager Hitler à détourner des troupes de la Russie et d’obtenir des renseignements pour une invasion future de la France.
Churchill arriva à Moscou le 12 aout 1942 pour donner à Staline la désagréable nouvelle : il n’y aurait pas de deuxième front cette année-là. Leur échange se calma quand Churchill annonça que, pour inquiéter les Allemands, un raid de reconnaissance majeur serait organisé.
« Ils resteront une nuit et un jour, tueront autant d’Allemands que possible et feront des prisonniers, promit Churchill. Et puis ils se replieront […]. L’objectif sera d’obtenir des renseignements et de donner l’impression d’une invasion. »
LES ANALYSES DU RAID DE DIEPPE QUI SE CONCENTRENT UNIQUEMENT SUR CETTE OPÉRATION SECRÈTE MASQUENT AVEUGLÉMENT LES OBJECTIFS POURTANT CLAIRS ET ÉVIDENTS DU RAID
Au début de 1942, les Alliés avaient énormément de difficultés à recueillir des renseignements. Jusque-là, ils pouvaient déchiffrer les messages allemands parce qu’ils avaient décrypté le code de l’Enigma à trois rotors, mais une machine à quatre rotors adoptée depuis confondait les experts (voir page 30).
Un peloton de commandos du Special Operations Executive s’était glissé parmi les attaquants du raid de Dieppe. Leur mission était de s’introduire dans le quartier général de la marine allemande, de mettre la main sur (idéalement) une machine de chiffrage de la marine et (au moins) sur des codes et d’autres documents secrets. Pour cela, il avait fallu une planification détaillée et la participation de la British Naval Intelligence Division.
Les analyses du raid de Dieppe qui se concentrent uniquement sur cette opération secrète masquent aveuglément les objectifs pourtant clairs et évidents du raid. Cette théorie révisionniste prétend que 245 navires et péniches de débarquement transportant 6 100 soldats qui débarquèrent sur six plages avec 58 chars d’assaut et l’appui de 74 escadrons aériens comprenant 1 000 avions ne devaient servir qu’à détourner l’attention de l’opération des commandos. Quel formidable excès de zèle!
Bien que cette nouvelle théorie ait fait l’objet de beaucoup de pu-blicité, elle ne résiste même pas à un examen relativement superficiel, et elle a été rejetée par nombre d’historiens canadiens respectés. Certes, il serait réconfortant de justifier le raid désastreux et les tragiques pertes humaines par une motivation plus importante que son objectif réel; hélas, cela serait tout simplement faux.
David O’Keefe dit que NON
Aucun raid n’est un raid « comme les autres ». Cette notion contredite par l’histoire nous vient d’une affirmation délibérément trompeuse du capitaine John Hughes-Hallett – architecte du raid de Dieppe pour le compte du Combined Operations Headquarters (COHQ [quartier général des opérations combinées, NDT]) de lord Louis Mountbatten – selon laquelle le COHQ faisait un raid « parce qu’il faut en faire ». Comme on l’a appris lors de l’ouverture d’archives classées en 2012, ce subterfuge avait pour but de maintenir la couverture d’une opération secrète : la saisie de matériel et de documents qui aideraient les cryptographes de Bletchley Park à déchiffrer les messages allemands.
Les ressources se faisant rares, notamment les contretorpilleurs et péniches de débarquement, seuls des objectifs vitaux et conformes à l’intérêt immédiat pouvaient justifier l’organisation d’un raid de cette envergure. À ce moment-là, la maitrise des voies maritimes qui étayaient l’effort de guerre des Alliés, l’établissement d’un deuxième front et l’approvisionnement des Soviétiques étaient tous considérés comme des objectifs valables.
Les navires alliés étant affligés par les torpilles des sous-marins allemands en 1941, le décryptage était venu à la rescousse à la suite de raids qui avaient permis de comprendre le fonctionnement de la machine Enigma à trois rotors. Cela avait fait basculer la bataille de l’Atlantique en faveur des Alliés. Quand une machine à quatre rotors a été adoptée par les Allemands au début de 1942 – d’abord dans les U-Boots, puis dans les navires de surface –, ces derniers ont repris le dessus et les Britanniques pensaient que l’obtention de renseignements et peut-être une machine était leur seul espoir.
Toutefois, les Alliés étaient alors sur la défensive, et la seule force pouvant effectuer un tel raid était le COHQ de Mountbatten qui, avec l’aide du renseignement naval britannique, avait établi la politique de toujours organiser ce type d’opération sous couvert de grands raids où « les objectifs doivent toujours être d’une envergure suffisante pour laisser penser à des objectifs normaux ».
LE PLAN AVAIT TOUTES LES CARACTÉRISTIQUES DES AUTRES RAIDS DE SAISIE.
L’opération de Dieppe était différente des opérations planifiées en ce temps-là pour détourner les ressources allemandes du front de l’est. Elle était la cinquième opération de son type, après les raids réussis dans les iles de Lofoten et de Vågsøy en Norvège, et deux autres à Saint-Nazaire et à Bayonne, en France, qui avaient échoué.
Le 13 mars 1942, on obtint confirmation que des navires fréquentant Dieppe transportaient les machines Enigma à quatre rotors. La cible appartenait à la catégorie A1 qui, selon la politique du moment, justifiait la conduite d’opérations spéciales et des pertes humaines élevées s’il le fallait.
La planification commença après cette confirmation et elle fut effectuée par le même atelier du COHQ qui avait orchestré les raids précédents. Dans le plan schématique, tracé avec l’aide du renseignement naval, la saisie du matériel de codage était primordial, et le reste de l’opération devait être organisé autour.
Le plan avait toutes les caractéristiques des autres raids de saisie : effet de surprise, rapidité et effet de choc, voie directe vers la cible, puissance de feu répressive plutôt que destructive, plans de secours multiples pour saisir le matériel; voie précise pour l’acheminer à bon port, plan de destruction pour camoufler la mainmise, couverture médiatique orchestrée pour faire diversion. Il semble impossible de prétendre plus longtemps que le raid de Dieppe était un raid « comme les autres ».
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