Face à face: La nouvelle politique canadienne de maintien de la paix est-elle sensée?

UN

Stephen J. Thorne dit que OUI

Ce qui est intéressant en ce qui concerne le maintien de la paix, c’est que bien que sept Canadiens sur dix considèrent que c’est une des caractéristiques propres au pays, en réalité, ce n’est pas du tout le cas.

Bien sûr, le Canada a pris part à la révolution du rôle de tiers dans la résolution de conflits… il y a des dizaines d’années. Cette époque est révolue. Les temps ont changé, et avec eux la nature de la guerre et les budgets de la défense.

Le maintien de la paix tel qu’il était coutait cher. C’était une tâche ingrate et parfois inefficace. Les soldats canadiens qui, en 1991, formaient plus de 10 % des effectifs de l’ONU étaient victimes de l’idée reçue selon laquelle le maintien de la paix était un exercice essentiellement paisible.

La perception du Canada en tant qu’« un des gentils » était quelque peu embarrassante pour l’armée après la guerre de Corée, dont les effectifs étaient de plus en plus insuffisants et dont l’équipement laissait de plus en plus à désirer. Pour beaucoup de Canadiens, la désignation de « gentil » servait à justifier ce manque de ressources, comme s’il n’était pas nécessaire d’avoir un grand nombre (pour ne pas dire un nombre adéquat) de soldats, de véhicules, de navires et d’avions pour « simplement » maintenir la paix, à une époque où planait pourtant la menace d’un anéantissement nucléaire.

Pendant longtemps, les Canadiens n’étaient pas au courant des réalités du maintien de la paix : règles d’enga-gement restrictives, manque de lea-dership et de détermination parmi les pays membres et même à l’ONU.

Les expériences du Canada en Croatie, en Somalie et au Rwanda illustrent combien ces difficultés ont étouffé notre engouement pour le maintien de la paix : la contribution du Canada à l’ONU représente aujourd’hui moins de 0,1 % des effectifs militaires.

Les conflits militaires sont entrés dans une nouvelle ère. Les insurrections et les attaques de type terroriste (guerre non linéaire) sont la norme, les besoins de l’OTAN sont en cours de redéfinition en Europe et ailleurs, et les capacités défensives de ses pays membres sont toujours circonscrites par les contraintes fiscales et politiques. La guerre d’Afghanistan fut une expérience déterminante pour le militaire canadien : non seulement elle a confirmé sa valeur au combat, elle a aussi motivé la modernisation partielle du matériel. Elle a malheureusement aussi couté la vie à 158 personnes et causé beaucoup de souffrance aux soldats canadiens.

À en croire le gouvernement fédé-ral, les Forces armées canadiennes devraient s’attendre au cours des prochaines décennies à une transformation comme on n’en a pas vue depuis 1939-1945. De nouveaux navires. De nouveaux avions. De nouveaux véhicules. De nouvelles politiques en matière de santé et de ressources humaines. L’objectif en est d’affirmer la place du Canada dans un monde en flux et sa souveraineté dans ses frontières.

Ottawa a donc raison d’émettre des directives claires concernant la participation militaire aux missions de l’ONU. Le pays doit respecter ses propres priorités et agir selon ses capacités.

C’est en consultant les dirigeants de l’ONU et en définissant clairement les besoins de l’organisation que le Canada pourra optimiser ses ressources et sa contribution pour servir au mieux l’ONU, la paix mondiale et ses propres intérêts.

Le maintien de la paix est aujourd’hui bien plus exigeant et plus complexe qu’il ne l’était autrefois. Il exige davantage que les interventions militaires et, de bien des façons, le Canada est particulièrement bien outillé pour y contribuer.

La nouvelle politique sur le maintien de la paix semble un bon point de départ pour optimiser les ressources et le savoir-faire du Canada au service du maintien de la paix.


Ernie Regehr dit que NON

Après une longue absence des missions de maintien de la paix, le Canada dresse un plan ambitieux, et bien fondé en majeure partie, pour s’y réengager. Comme les conflits d’aujourd’hui sont ardus, dangereux et com-plexes, de « nouvelles solutions » et des « approches novatrices » sont à venir, a déclaré le premier ministre, Justin Trudeau.

Le Canada est ainsi prêt à relever le défi des enfants-soldats, à confier un rôle plus important aux femmes dans le maintien de la paix, à employer des capacités militaires spécialisées, à mener des formations novatrices, tout cela pour combler des lacunes et apporter aux opérations de soutien de la paix des Nations Unies la contribution la plus utile possible. Jusque-là, tout va bien.

Mais ensuite, il y a les détails. On n’y trouve rien de choquant, mais c’est dans ces détails que l’ambition flétrit. Les « capacités spécialisées »
sont en fait une force de réaction rapide de 200 personnes avec avions et hélicoptères, mise « pour 12 mois au plus » à disposition de missions qui n’ont pas encore été précisées.

Les formations offertes s’an-noncent en effet novatrices, mais comme le fait remarquer Walter Dorn, expert en maintien de la paix du Collège militaire Royal, vu l’expérience limitée du Canada au sein d’opérations contemporaines de maintien de la paix et l’abandon en 2013 des programmes de formation du Centre Pearson pour le maintien de la paix, leur bonne exécution ne sera pas chose facile.

Il est bon de veiller à accroître la proportion de femmes dans les opérations de soutien de la paix, mais d’après Beth Woroniuk, coordinatrice du réseau canadien Les femmes, la paix et la sécurité, cela ne suffit pas dans le contexte des « paradigmes existants de la réponse militaire ». Il faut aussi « insister sur la résolution des conflits par voie diplomatique et sur les approches de consolidation de la paix pour mettre fin aux conflits armés et construire une paix durable ».

Et c’est là que le bât du retour du Canada au maintien de la paix blesse le plus. Une importante leçon en maintien de la paix a été apprise après la guerre froide : les nouveaux conflits armés plus ardus nécessitent de nouvelles solutions, associant efforts de stabilisation militaires et maintien de l’ordre discipliné pour permettre le rétablissement de la règle du droit. Il ne faut pas non plus négliger l’aide humanitaire aux victimes de la violence, les mesures d’aide à la reprise économique, ni les initiatives de diplomatie et de réconciliation indispensables pour gérer les situations complexes qui requièrent les interventions de maintien de la paix de l’ONU en premier lieu.

Le maintien de la paix est toujours multidimensionnel. Au Mali, par exemple, le mandat de l’ONU comprend la mise en œuvre de l’accord de paix, le soutien de la réconciliation, la mise en œuvre de réformes institutionnelles, la préparation d’élections, la promotion de réformes en matière de sécurité, la démobilisation et le désarmement des combattants et leur réinsertion dans la société. Dans les conflits complexes, de telles mesures fléchissent, mais pas à cause de l’insuffisance des efforts de stabilisation militaires. Ce sont plutôt ces derniers qui fléchissent à cause du manque d’attention portée aux autres aspects du maintien de la paix.

Le réengagement du pays dans le maintien de la paix s’est déjà trop fait attendre. Cependant, la promesse de nouvelles solutions et d’approches novatrices ne sera pas tenue tant que l’on ne reconnaitra pas que même un accroissement notable de la capacité militaire ne suffit pas à maintenir la paix si l’on ne fournit pas d’efforts au moins aussi importants pour résoudre les conflits et restaurer l’harmonie sociale et politique.

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