Le Musée canadien des droits de la personne met les témoignages au premier plan

L’architecte Antoine Predock a dressé les plans du Musée canadien des droits de la personne.
Sharon Adams

Les témoignages, selon un sage d’antan, nous permettent de voir à travers les yeux d’autrui; ils nous montrent les conséquences de nos actes, créent des communautés, nous enracinent et nous font traverser le temps. Et ils nous apprennent à être humains.

C’est aussi une assez bonne description de l’effet du Musée canadien des droits de la personne sur ses visiteurs. Certes, son architecture est sensationnelle, et les idéaux qu’il incarne sont des plus nobles, mais ce sont les histoires qu’il raconte, les voix humaines qui narrent leur expérience vécue, qui lui donnent toute sa force.

Le musée est un legs de l’homme d’affaires et philanthrope Israel Asper de Winnipeg. Il s’agit du premier musée national du Canada situé au centre géographique du pays plutôt qu’en son centre politique, la capitale. Son mandat est de promouvoir le respect de l’autre, d’encourager la discussion sur les droits de la personne au Canada et ailleurs dans le monde.

La technologie est mise à contribution de manière très efficace pour permettre aux visiteurs de s’immerger dans les histoires. Les droits et responsabilités des Autochtones sont représentés par quatre générations dans un film projeté sur les murs d’un théâtre circulaire dans la galerie des Perspectives autochtones. Un casque de réalité virtuelle met le visiteur au milieu d’une coopérative de tissage au Guatemala, où les femmes revendiquent leur droit de gagner leur vie.

Le cheminement des droits de la personne au Canada y est aussi présenté honnêtement. Les expositions retracent les torts causés aux enfants autochtones dans les pensionnats, l’internement des Canadiens japonais et la confiscation de leurs biens et de leurs entreprises, le traitement des Canadiens noirs, la lutte des Canadiens chinois et des femmes au Québec pour obtenir le droit de vote, et le refoulement des juifs qui fuyaient le nazisme.

Toutefois, on y célèbre aussi d’importantes réalisations : la lutte pour que les femmes soient légalement considérées comme étant des personnes à part entière, l’adoption de lois protégeant les droits de la personne, dont la Charte canadienne des droits et libertés et la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et de lois anti-discrimination et contre les crimes haineux.

La définition et la précision des droits de la personne est une tâche sans cesse renouvelée, l’équilibre entre droits et libertés sans cesse renégocié. Les expositions reconnaissent que les deux processus peuvent être bruyants et controversés.

Le musée lui-même est sujet à plusieurs controverses, en particulier la galerie réservée à l’exploration de thèmes concernant l’Holocauste. Certains critiques ont plaidé pour que l’on y insiste davantage sur d’autres atrocités, comme l’Holodomor du début des années 1930, au cours duquel entre deux et 12 millions d’Ukrainiens sont morts de faim alors que le chef soviétique, Joseph Staline, exportait des millions de tonnes de céréales pour les punir de leur opposition à la collectivisation agricole.

Avec l’Holocauste est née la notion de génocide : l’extermination intentionnelle d’un groupe ethnique ou d’une nation en particulier. Le mot fut créé par l’avocat juif polonais Raphael Lemkin, qui documenta l’extermination systématique de certains groupes de gens par les nazis, notamment les juifs, mais aussi les invalides, les homosexuels et les intellectuels. Il réussit à faire ajouter le terme aux chefs d’accusation des procès de Nuremberg et plaida pour la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en 1948.

La galerie explique la manière dont la constitution allemande, les élections démocratiques et les freins et contrepoids au pouvoir furent manipulés peu à peu afin de restreindre la démocratie et de répandre l’idéologie nazie.   

« Six millions de morts n’arrivent pas tout d’un coup, dit le chercheur et conservateur Jeremy Mason. Les plans des camps de concentration ont été dessinés par des gens, les listes de transport des prisonniers aux camps ont été rédigées par des gens, les bons de commande de gaz toxique ont été remplis par des gens. »

Mais il y eut aussi quelqu’un qui abrita Carmela Finkel et sa famille après que presque tous les juifs de leur village en Pologne avaient été arrêtés et exécutés. Dans une vidéo, Finkel explique que sa famille passa 20 mois, dans le silence absolu, dans un trou creusé sous la maison de son voisin alors que des soldats allemands se trouvaient dans la pièce au-dessus. Et après la guerre, quelqu’un d’autre, une personne apparentée à la bénévole du musée Joanie Sheps, parraina la famille pour la faire venir au Canada. « La famille de mes grands-parents a fait venir [les Finkel] à Winnipeg », dit Sheps.

« Les actes de barbarie de la Seconde Guerre mondiale ont élevé la conscience de l’humanité », dit Maron, et en conséquence, des gens ont œuvré ensemble pour protéger et promouvoir les droits de la personne. Parmi eux se trouve le Canadien John Peters Humphrey, qui a été directeur de la Division des droits de l’homme des Nations Unies pendant vingt ans.

On peut voir jusqu’au 14 mars le prix Nobel de la paix ainsi que l’uniforme taché de sang de l’écolière pakistanaise Malala Yousafzai, sur qui un taliban a tiré parce qu’elle plaidait en faveur des droits à l’éducation des filles.

« Il est facile de sombrer dans la déprime quand on voit ce qu’il y a encore à faire », dit Maureen Fitzhenry, directrice des relations avec les médias. Mais, un peu partout dans le musée, on trouve des exemples de gens ordinaires qui ont fait ou font progresser les droits de la personne.

Benoît Huot, Canadien médaillé d’or aux Jeux paralympiques, parle d’inclusion et de participation aux sports pour les gens de toutes capacités. La robe de bal rouge portée par l’écolière Maréshia Rucker, qui a récemment organisé le premier bal intégrant élèves blancs et noirs dans une école secondaire de Géorgie, en dit long sur la ségrégation raciale qui existe encore aux États-Unis. Et il y a aussi les robes rouges qui symbolisent les femmes autochtones disparues ou assassinées. 

Tout en haut du mur de la galerie une boucle vidéo des 30 articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme est projetée. Et enfin, il y a les témoignages de gens qui s’efforcent d’incorporer les droits de la personne dans leur propre vie, des gens comme les femmes en Arabie Saoudite qui se battent pour avoir le droit de conduire.

Ce sont des histoires comme celle-là qui montrent comment les idéaux nobles mais abstraits des droits de la personne s’incarnent dans l’expérience humaine.

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