Face À Face

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Parfois, les dirigeants politiques font quelque chose de bien pour de mauvaises raisons. En 1963, l’indécision du premier ministre John Diefenbaker concernant l’ajout d’ogives nucléaires aux missiles de défense aérienne Bomarc des É.-U. placés sur le territoire canadien était une étude de cas sur la manière de ne pas gouverner. Elle allait clairement à l’encontre de l’accord signé par son gouvernement conformément au pacte de la Défense de l’Amérique du Nord (NORAD). Elle mena à la démission du ministre de la Défense, divisa son cabinet à tel point qu’une section du parti exigea sa démission et provoqua la colère publique de l’allié le plus proche du Canada. Le premier ministre, acculé, fut obligé de déclencher des élections qui aboutirent à la défaite de son gouvernement quatre ans après qu’il eut obtenu la plus grande majorité de l’histoire canadienne. Le nouveau gouvernement de Lester Pearson accepta les ogives nucléaires pour les Bomarc.

Diefenbaker se retira ridiculisé aux yeux des élites canadiennes, mais en 1965, le philosophe George Grant publia son fameux livre intitulé Lament for a Nation (complainte pour une nation, NDT) où il justifiait la défense de la souve-raineté nationale, vouée à l’échec, mais « noble », de Diefenbaker. Grant admettait que Diefenbaker avait créé tout un gâchis, mais il soutenait que « son incapacité à gouverner [était] liée à l’incapacité de ce pays à être souverain ».

Des Bomarc se trouvaient au Canada à la suite de la décision prise en 1959 d’abandonner le chasseur intercepteur à réaction Avro Arrow fabriqué au Canada. À la place, pour contrer une éventuelle attaque des Soviétiques, le Canada accepta de baser des Bomarc sur son territoire, mais Diefenbaker n’a jamais fait le nécessaire pour les rendre pleinement opérationnels.

Diefenbaker a géré la crise maladroitement,
mais l’histoire dit qu’il avait fort probablement raison

Au début des années 1960, une certaine fébrilité régnait à cause de la domination américaine de la politique canadienne relative à la souveraineté et à la défense, surtout après l’élection de l’impétueux Président américain, John F. Kennedy, qui manifestait un certain dédain envers Diefenbaker.

La crise des missiles de Cuba, en 1962, causa un véritable séisme. Kennedy s’attendait simplement à ce que le Canada fasse ce qu’on lui disait. Le cabinet refusa, par un vote majoritaire, d’élever le niveau d’alerte nucléaire pour ses forces. Le ministre de la Défense de Diefenbaker, Douglas Harkness, refusa l’ordre du cabinet et ordonna aux forces canadiennes d’obtempérer à l’exigence américaine. Cela indiquait une division fatale au sein du cabinet de Diefenbaker entre les bellicistes et les pacifistes.

La faction des « colombes » était dirigée par le ministre des Affaires étrangères, Howard Green, ardent défenseur du désarmement nucléaire. Ce que l’on n’a su que par la suite, c’est que Diefenbaker subissait des pressions en faveur du désarmement nucléaire unilatéral de la part d’une source improbable :
le mandarin parmi les mandarins, Norman Robertson, sous-secrétaire d’État des Affaires étrangères. Le Canada ne pouvait pas à lui seul réaliser le désarmement nucléaire, mais il pouvait prendre position contre la prolifération des armes atomiques sur son territoire.

L’interception de bombardiers soviétiques armés de bombes atomiques par des Bomarc armés d’ogives nucléaires aurait entraîné un holocauste dans l’espace aérien du Canada pour protéger des villes américaines. Mais ces bombardiers étaient en voie de disparition, peu à peu remplacés par des missiles.

En 1968, un nouveau premier ministre, Pierre Trudeau, doutait de l’utilité des Bomarc à ogive nucléaire, et en 1972, les ogives furent retirées. Les armes nucléaires n’ont jamais été permises depuis lors sur le territoire canadien.

 

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Examinons cette question en trois parties, la première concernant les relations entre le Canada et les États-Unis. La défense de l’Amérique du Nord était une responsabilité assumée par les deux nations, et le pre-mier ministre Diefenbaker avait impliqué le Canada dans l’Accord sur le Commandement de la défense aérienne de l’Amérique du Nord (NORAD) en 1958. L’année suivante, il accepta les missiles surface-air Bomarc et annonça au Parlement que des ogives nucléaires étaient nécessaires pour rendre ces armes efficaces. Les Bomarc devaient protéger les villes canadiennes et américaines des bombardiers soviétiques.

Au début 1962, le président John Kennedy n’avait pas les relations les plus cordiales avec le premier ministre Diefenbaker, mais l’hésitation de ce dernier au sujet de la mise en état d’alerte des Forces canadiennes lors de la crise des missiles de Cuba en 1962 fit enrager le dirigeant américain. Lorsque Diefenbaker revint sur la promesse d’armer les Bomarc au début de 1963, les relations canado-étasuniennes furent tendues à craquer.

John_Diefenbaker_and_Dwight_Eisenhower_at_signing_of_Columbia_River_Treaty_(January_1961)
John Diefenbaker et Dwight Eisenhower.
Wikimedia commons

Deuxième partie de l’affaire : les aspects militaires de la question nucléaire. Au début des années 1960, l’opposition du public aux armes nucléaires était encore faible, mais elle grandissait. Les chefs militaires au Canada et aux États-Unis n’ont pas pris cette opposition au sérieux parce qu’ils croyaient que des armes nucléaires étaient nécessaires pour contrer l’avantage numéraire de l’URSS. En plus d’accepter le Bomarc à ogive nucléaire, le Canada s’était engagé à installer des armes nucléaires en Europe.

Si le Canada faisait partie de l’alliance, qu’il s’agisse de NORAD ou de l’OTAN, et acceptait des rôles nucléaires pour finalement revenir sur sa promesse, à qui le tour ensuite?

Enfin, il y avait les enjeux de politique intérieure de la question nucléaire. Les progressistes conservateurs de Diefenbaker avaient obtenu une très forte majorité électorale en 1958. En 1962, une mauvaise gestion économique avait réduit les conservateurs à une minorité, et le mécontentement vis-à-vis de leur chef commençait à gronder dans les rangs.

La décision de Diefenbaker – ou plus précisément son incapacité à prendre
une décision – sur les armes nucléaires a détruit son gouvernement.

La faction antinucléaire du cabinet était menée par le ministre des Affaires étrangères, Howard Green, tandis que l’aile pronucléaire était menée par le ministre de la Défense, Douglas Harkness. Au milieu, vacillant, se trouvait le premier ministre. La crise de Cuba aggrava la division, ajoutant une note d’anti-américanisme flagrant à la question.

Le 30 janvier, l’ambassade des États-Unis au Canada publia une déclaration qui disait sans ambages que « le gouvernement canadien n’[avait] pas encore proposé d’arrangement capable de contribuer efficacement à la défense nord-américaine ».

Cela mit encore de l’huile sur le feu. Pendant que le premier ministre fulminait, les ministres commencèrent à démissionner les uns après les autres, Harkness en tête. Diefenbaker perdit un vote de confiance à la Chambre des communes et le Canada se trouva de nouveau en campagne électorale.

Diefenbaker parvint à empêcher les libéraux dirigés par Lester Pearson d’obtenir une majorité. La décision de Diefenbaker – ou plus précisément son incapacité à prendre une décision – sur les armes nucléaires a détruit son gouvernement. Les conservateurs ne reprendraient pas le pouvoir, à l’exception de quelques mois en 1979-1980, pendant 21 ans.

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