Quatre réservistes d’Halifax trouvent
que cela vaut le déplacement
Pour Darrel MacDonald, le 11 novembre 2016 tardait beaucoup à venir.
Cet ancien caporal du Nova Scotia’s Princess Louise Fusiliers prévoyait son pèlerinage au Monument commémoratif de guerre d’Ottawa depuis qu’un des siens fut tué en Afghanistan, il y a neuf ans. Le caporal-chef Christopher Paul Stannix perdit la vie en même temps que cinq autres soldats quand son véhicule blindé fut détruit par une bombe au bord d’une route, à l’ouest de Kandahar, le 8 avril 2007.
Il s’agissait des premiers morts au combat de l’Unité de milice, toujours basée au Manège militaire d’Halifax, depuis des dizaines d’années, et du plus grand nombre de soldats canadiens tués au combat en une seule journée depuis la guerre de Corée.
M. MacDonald, qui se déplace en fauteuil roulant depuis un accident survenu à l’entrainement en 1998, avait résolu d’aller au Monument commémoratif de guerre rendre hommage à son compagnon d’armes et à tous les Canadiens morts au champ d’honneur : plus de 117 000 en tout.
« C’est un voyage que je voulais faire depuis longtemps », dit M. MacDonald qui, en 2014, proposa avec succès le nom de Stannix pour un nouveau traversier faisant la navette entre Halifax et Dartmouth. « Le voyage valait la peine. »
Il faisait partie des dizaines de milliers de personnes qui ont assisté à la cérémonie du 11 novembre au cénotaphe de granite dont les soldats, marins et aviateurs en bronze, qui se trainent avec une détermination macabre vers le sommet éternel, semblent plus émouvants encore après une restauration récente.
Les Canadiens sont de plus en plus nombreux à assister aux cérémonies du Souvenir depuis que la participation du Canada à la guerre contre le terrorisme attire de nouveau l’attention sur les mili-taires et leurs sacrifices.
« C’est une recrudescence de la fierté et de la reconnaissance des Canadiens », a déclaré M. Jean-Pierre Riendeau, ainé métis âgé de 68 ans et ancien membre du Royal 22e Régiment.
Il a servi en Europe pendant la guerre froide et au Moyen-Orient après la guerre du Kippour de 1973. Pendant les six derniers mois de 1974, une bonne dizaine de Canadiens ont été tués et encore plus ont été blessés en devoir de maintien de la paix à Chypre et au Moyen-Orient, dont neuf lorsqu’un aéronef canadien fut abattu. M. Riendeau connaissait.
« Les gens pensaient qu’il n’y a que des vieux qu’on voit le jour du Souvenir, dit-il. Mais maintenant, je pense que la foule sait de quoi avaient l’air ces vieux gars lorsqu’ils revenaient des combats. Ils avaient tous l’air jeune, et ils ont tous passé leur jeunesse à combattre. Et je pense que les gens s’aperçoivent que les jeunes gens sont tout aussi engagés que l’étaient les vieux. C’est une bonne chose. »
Le nombre de ces « vieux gars », comme les appelle Riendeau, diminue avec le temps qui passe. Et en les voyant défiler en ce jour du Souvenir, béret sur la tête et médailles à la poitrine, les applaudissements respectueux de la foule n’en étaient que plus émouvants.
John Newell, qui a aujourd’hui plus de 90 ans, faisait partie de ces anciens combattants. Il a été instructeur dans le cadre du British Commonwealth Air Training Plan pendant la Seconde Guerre mondiale, et il attend toujours une forme de remerciement officiel de la part du pays qu’il a servi.
Le programme a servi à former plus de 131 000 pilotes et membres d’équipage entre 1940 et 1945.
« Nous avons perdu beaucoup de pilotes, instructeurs et élèves, dit M. Newell. Et on trouve encore leurs dépouilles aujourd’hui. Roosevelt nous appelait “l’aérodrome de la démocratie”. » Churchill disait que nous soutenions un des plus grands efforts canadiens de la guerre. Pourtant, le Canada ne nous a jamais donné de marque de reconnaissance. L’instructeur et ses élèves, des centaines d’élèves, sont tout aussi morts en volant pour le Canada qu’un pilote de chasse en Angleterre. Lui, il obtient de la reconnaissance; nous, rien. »
Les cérémonies ont quand même une grande valeur pour lui, comme pour tous les anciens combattants qui étaient présents.
À l’arrivée du cortège vice-royal, la Musique centrale des Forces armées canadiennes, dirigée par le major Dave Shaw et le Chœur d’enfants d’Ottawa, dirigé par Jamie Loback et Allison Prowse, ont donné une interprétation émouvante d’Ô Canada alors que le drapeau à feuille d’érable et l’Union Jack claquaient au vent.
Les anciens combattants saluaient. Le sergent d’aviation Fred Paci a joué la sonnerie aux morts à la trompette. Ensuite a retenti le premier des 21 coups de canon tirés par le 30e Régiment de campagne en l’honneur de la 11e heure du 11e jour du 11e mois, moment où s’est terminée la Première Guerre mondiale, lors de la signature de l’armistice entre l’Allemagne et les pays alliés à Compiègne, France, en 1918.
Les cloches de la Tour de la Paix ont sonné 11 fois au début du silence de deux minutes. Des larmes coulaient. Les cloches se sont arrêtées. Le deuxième canon a tonné. Le sergent Ken MacKenzie a joué la complainte à la cornemuse, puis le sergent Paci qui a joué la sonnerie du Réveil. Deux CF-18 sont passés au-dessus des têtes au moment où il finissait, qui ont été suivis par un vol d’hélicoptères.
Le président de la Direction nationale de la Légion royale canadienne, David Flannigan, a lu l’Acte du Souvenir, strophe du poème For the Fallen de Laurence Binyon : « Ils ne vieilliront pas comme nous, qui leur avons survécu. Ils ne connaîtront jamais l’outrage ni le poids des années. Quand viendra l’heure du crépuscule et celle de l’aurore, nous nous souviendrons d’eux. »
Pendant que le tonnerre des canons continuait, le brigadier-général Guy Chapdelaine a prononcé un mot de réconfort et une prière. « D’un océan à l’autre, nous sommes venus, dit-il, de divers milieux, de croyances et de traditions diverses, mais nous sommes d’abord et avant tout unis par notre devoir de mémoire. »
Sous les regards de plusieurs anciens combattants accompagnés de chiens d’assistance pour TSPT, il a fait un appel poignant au souvenir de ceux qui sont morts au combat et de ceux qui ont été marqués non seulement physiquement, mais mentalement, et il a fait référence aux 70 vétérans d’Afghanistan, au moins, qui se sont suicidé après leur retour chez eux, ainsi qu’à tous ceux qui les ont précédés.
« Nous nous souvenons de tous ceux qui portent en eux les marques de la guerre : sur leur corps, dans leur esprit ou dans leur âme, a-t-il dit.
« Nous sommes peinés que certains aient dû mettre fin à leurs jours pour mettre fin à la lutte contre la douleur atroce qu’ils ressentaient. »
Pendant que le chœur chantait Au champ d’honneur, le cortège vice-royal s’est mis à déposer des couronnes, d’abord le gouverneur général, David Johnson, puis la Mère de la Croix d’argent, Colleen Fitzpatrick (de la part des mères du Canada), suivie du premier ministre, Justin Trudeau et de son épouse Sophie Grégoire-Trudeau (de la part du gouvernement du Canada), du président du Sénat, George Fury (de la part du Parlement du Canada), du ministre des Anciens combattants, Kent Hehr, du général Jonathan Vance, du chef d’état-major de la défense et, enfin, au nom de la jeunesse du Canada, des quatre gagnants des concours littéraire et d’affiches de la Légion royale canadienne : Olivia Zeng de Coquitlam, Colombie-Britannique, Casey O’Neill de Belleisle Creek, Nouveau-Brunswick, Shane Pendergast de Mount Stewart, Île-du-Prince-Édouard et Ethan Harry Edstrom d’Edmonton.
M. Flannigan a déposé une couronne de la part de la Légion avant le corps diplomatique et d’autres parties, suivis par des dizaines d’autres, puis ensuite par une foule de gens qui ont déposé leur coquelicot sur la Tombe du Soldat inconnu.
Pour Colleen Fitzpatrick, dont le fils, le caporal Darren James Fitzpatrick est mort il y a six ans quand il a mis le pied sur une mine en Afghanistan, la cérémonie émouvante était le point culminant du tourbillon d’entrevues et d’activités qui accompa-gnent le titre de Mère de la Croix d’argent.
Elle a cependant pu faire une pause de quelques minutes le jeudi, lorsque, les larmes aux yeux, elle est entrée dans la Chapelle du Souvenir, à l’intérieur de la Tour de la Paix, pour voir et toucher le Livre du Souvenir où est inscrit le nom de son fils.
Son cœur ne guérira jamais, et voir le nom de son fils parmi ceux des disparus ne lui sera jamais facile, a-t-elle dit.
En entrant dans la salle, elle se sent « un peu submergée, a-t-elle ajouté. C’est très émouvant. On se sent plonger dans le calme quand on entre. Et même si je me sentais prête quand je suis entrée, quand j’ai vu le nom de Darren dans le Livre du Souvenir, je me suis sentie accablée. C’est à ce moment-là qu’on doit faire une pause pour penser aux milliers de parents qui ont été touchés. Alors, nous sommes ici pour Darren, oui, mais je pense à tous les êtres chers, les fils et les filles, que nous avons perdus, et à toutes les mères et à tous les pères qui se souviennent chaque jour, pas seulement le jour du Souvenir. Ils ressentent cela tous les jours de leur vie. »
L’aumônier honoraire de la Légion, le rabbin Reuven Bulka, a dit lors de sa bénédiction ponctuée de ses « 10 bravos », que
se souvenir de manière significative, c’est « exprimer notre gratitude non pas humblement, mais plutôt énergiquement; non pas en général, mais de façon spécifique ».
« Comment dire merci sans cesse à nos anciens combattants? En les embrassant […] En enseignant à nos enfants ô combien nous leur sommes redevables. Et en disant à l’unisson, fort et haut pour qu’ils nous entendent : Bravo! »
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