Des changements majeurs s’opèrent ces temps-ci dans le domaine militaire canadien, et ce point a été clairement souligné à l’occasion de la Conférence des Associations de la défense sur la défense et la sécurité, organisée cette année à l’hôtel Château Laurier, à Ottawa.
Non seulement nous avons un nouveau gouvernement, mais de nouvelles missions militaires surgissent aux quatre coins du monde, et on s’apprête à réviser la politique sur la défense, ce qui aura une forte incidence sur tout ce qui va de la politique étrangère à l’acquisition de matériel.
À ce sujet, M. Kim Nossal, professeur au Centre for International and Defence Policy de l’Université Queen’s à Kingston, a prononcé l’un des discours les plus enflammés et intéressants pendant la première matinée de la conférence.
Son discours portait sur divers sujets, mais c’est surtout sur les manèges politiques auxquels se livrent tous les partis du Canada en ce qui concerne la défense qu’il s’est exprimé. « Notre situation ne nous contraint pas d’agir avec sérieux par rapport à la politique de défense, alors nous ne le faisons pas, dit M. Nossal. Les politiciens canadiens peuvent se créer un capital politique sur le dos de la défense sans trop s’inquiéter des conséquences. Les Forces armées canadiennes, leur approvisionnement et même la guerre en soi, sont traités avant tout comme des enjeux politiques. »
La partisanerie a miné nos acquisitions et nos politiques, pense M. Nossal, et à cause de cela, la politique de défense au Canada se trouve dans un état lamentable.
Pourquoi les principaux partis devraient-ils abandonner leurs stratagèmes? Tout simplement parce que leurs pratiques actuelles causent un énorme gaspillage : les contrats d’approvisionnement sont signés, annulés puis relancés à nouveau, ce qui coute des centaines de millions de dollars, toujours selon M. Nossal. « Le Canadien moyen serait probablement scandalisé par ces stratagèmes s’il en était conscient, » dit-il.
Non seulement profiter de la politique de défense pour obtenir un avantage politique est immoral, cela pourrait finir par nous coûter cher, et pas seulement au plan financier. « Les Canadiens ne sont pas tant des profiteurs que des adeptes du laisser-faire, » ajoute M. Nossal. Nous dépensons aussi peu que possible, et nous faisons aussi peu que possible sans provoquer la colère de nos alliés. Cela montre que le seul impératif en matière de politique de défense canadienne, ce sont nos relations avec nos alliés, surtout avec les États-Unis.
Cet après-midi-là, le brigadier-général Mike Rouleau, commandant des Forces d’opérations spéciales du Canada, a fait quelques remarques très intéressantes pendant une discussion intitulée « Comprehensive Security: Towards Integrated National Security Strategies » [sécurité complète : intégration des stratégies nationales de sécurité, NDT].
Les conférenciers précédents avaient parlé de diverses attaques terroristes où des personnes armées s’en étaient prises à des populations civiles (comme cela s’est passé à Paris), à propos de quoi le brigadier-général a mentionné que : « notre succès face à ces attaques se définirait probablement mieux par ce que nous faisons pour les prévenir plutôt que pour y réagir ».
Il a ensuite cerné un problème majeur dans l’infrastructure de la sécurité canadienne, du point de vue de la réponse à donner à de telles attaques : « Nous avons un très bon jeu de fond au niveau tactique, a-t-il déclaré. Il n’est pas parfait, mais dans l’ensemble, notre coopération fonctionne bien. »
Au niveau des politiques, une structure de comités convient bien pour définir des objectifs généraux, mais dans le cas d’une menace urgente pour la sécurité publique, les procédures par comité sont trop lentes pour réagir à des événements en évolution constante et rapide. L’absence d’une démarche stratégique véritablement intégrée entre les divers éléments de la sécurité nationale pourrait engendrer des problèmes.
Il existe un exemple flagrant des risques posés par le manque de clarté dans le commandement et le contrôle : Michael Zehaf-Bibeau a été tué par balles pendant l’attaque de la Colline du Parlement en 2014, quelques minutes à peine après qu’une sentinelle ait été abattue au cénotaphe, mais la confusion créée par cet incident a duré des heures.
La conférence avait commencé, le vendredi matin, par un discours marquant prononcé par le général et chef d’état-major de la défense, Jonathan Vance. Il a commencé par expliquer en détail pourquoi la mission de formation, de conseil et d’assistance du Canada en Iraq n’était pas une mission de combat, puis il a décrit les principes et objectifs qui sous-tendent cette nouvelle mission.
« Mieux vaut que ce soient les forces locales qui atteignent les objectifs fixés par leur État, et non pas les forces étrangères », a-t-il dit. De plus en plus, la meilleure contribution que puissent offrir les forces militaires sophistiquées, comme celles du Canada, est ce rôle d’appoint, pour former et appuyer les forces locales afin de les aider à l’emporter.
Cependant, ce n’est pas non plus ce genre de missions de formation, de conseil et d’assistance qui assurera la sécurité. L’important, a noté le général Vance, c’est de prévenir les conflits. Mais il n’est pas facile d’intervenir à temps, et nous n’arrivons plus à des victoires nettement tranchées. Nous avons affaire à des conflits dont les racines sont millénaires, où le déploiement de forces militaires est un dernier recours, et pourrait même ne pas être une solution du tout.
L’utilisation de forces militaires mène de moins en moins souvent à une victoire décisive, précise-t-il. « Ce n’est pas concluant. Le public pourrait donc se demander à quoi servent ces missions. Est-ce que nous atteignons les objectifs que nous nous fixons? Je m’inquiète pour la profession militaire si, où que nous allions, les choses empirent. Si les civils en pâtissent, si les soldats en pâtissent, si l’infrastructure en pâtit, ces opérations sont encore plus difficiles à justifier. » La sécurité à la pointe des fusils, ce n’est pas du tout la sécurité. Nous n’avons pas toutes les réponses avant de commencer, nous apprenons avec le temps, mais il faut bien commencer quelque part.
La présentation de M. Paul Mitchell, directeur d’études au Collège des Forces canadiennes était l’une des plus intéressantes lors du dernier après-midi de la conférence, au cours de laquelle il a parlé longuement de la convergence entre technologie et sécurité.
En ce qui concerne les technologies de l’information, il existe actuellement une tension entre liberté et contrôle, entre le chaos de l’Internet libre et non surveillé et les tentatives de règlementation et de surveillance de cette nouvelle sphère par les gouvernements.
Les forces militaires modernes, dit M. Mitchell, sont maintenant fermement tournées vers l’avenir, et elles se concentrent sur la technologie de l’information depuis des décennies. Nous sommes à l’ère de l’information, et cette orientation est plus importante que jamais.
M. Mitchell a ensuite expliqué dans les grandes lignes comment l’avenir des flux d’information, y compris le concept de « cyberguerre » qui existe depuis longtemps, pourrait bien dominer un jour nos efforts en matière de sécurité nationale. « Le protocole Internet donne une connectivité planétaire à ceux qui s’organisent pour tuer, » conclut-il.
La manière dont le monde de la cybersécurité et de la surveillance s’intègrera à la nouvelle politique de défense du Canada, par contre, reste à déterminer.
Comments are closed.