Nettoyeurs de tranchées au destin funeste

Raiders 2
Le régiment s’est entrainé en Écosse avec l’armée britannique pendant l’été de 1915.
The Rooms/VA 37-17.2


Il y a un siècle, au début de la bataille de la Somme,
en France, le Newfoundland Regiment a subi des
pertes énormes à Beaumont-Hamel.


Le Royal Newfoundland Regiment a fait l’objet de nombreuses histoires, mais la plus captivante et tragique, c’est celle de son avancée à la bataille de la Somme, le 1er juillet 1916. Le 1st Newfoundland Regiment (auquel le statut « royal » a été conféré en 1917) arriva près de la ligne de tir de la Somme en avril 1916. Il allait y passer deux mois et demi.

Le régiment avait été affecté au service actif à la Grande Guerre quand il avait rejoint la 29e Division britannique dans les landes arides entourant la baie de Suvla de la péninsule de Gallipoli, dans l’Empire ottoman (la Turquie d’aujourd’hui). Exception faite d’une petite escarmouche sur un lopin de terre pierreux, le temps que le régiment avait passé à Gallipoli était surtout notable pour les mouches, la soif et les maladies qui réduisaient des coloniaux, jusque-là robustes, à l’état de fantômes livides.

Ils espéraient que la Somme leur ferait oublier les privations qu’ils avaient endurées dans les tranchées de la baie de Suvla, et, pendant les deux premiers mois, la routine y était en effet bien plus agréable.

Comme premières opérations, ils eurent deux raids de tranchées à mener avant l’attaque à grande échelle prévue le 1er juillet. Ces raids étaient des opérations éclair bien planifiées et répétées servant à obtenir des renseignements sur la capacité de l’ennemi à réagir. Cinquante-sept hommes triés sur le volet furent formés pendant quelques semaines au combat rapproché en utilisant diverses armes artisanales d’aspect médiéval : couteaux, coups-de-poing américains, masses d’armes, massues. Les défenseurs répliquaient à ces armes rétrogrades en faisant porter des cottes de mailles et autres pièces d’armure à leurs sentinelles. La mission des Terre-Neuviens avait pour but d’évaluer l’efficacité de la défense allemande au ravin en Y (une dépression naturelle dans le paysage) et de ramener un prisonnier si possible.

Au début, il ne devait y avoir qu’un seul raid, la nuit du 26 au 27 juin, mais il échoua parce que les positions des attaquants avaient été exposées lorsqu’ils s’approchaient des lignes allemandes devant le ravin en Y. Le commandant du raid, le capitaine Bert Butler, leur commanda de se replier. Il reçut l’ordre de faire une nouvelle tentative la nuit suivante.

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Après les combats Les soldats alliés dans les ruines du village de Beaumont-Hamel après sa capture, en novembre 1916.
The Rooms/VA 36-38.2

Cette fois-là, ils atteignirent le parapet allemand après avoir découvert une brèche de 14 mètres dans les barbelés.

Une fusée-parachute éclaira le groupe principal au moment où il s’approchait de la ligne allemande. L’ennemi fit feu et une grande partie de l’escouade fut blessée. Quelques-uns réussirent à descendre dans la tranchée où suivit une mêlée.

Le soldat George Phillips entra dans une sape et, à en croire les cris et les gémissements, il y abattit bon nombre d’Allemands. Le capi-taine donna l’ordre à ses hommes de se replier à nouveau parce qu’il y avait trop de risques, et il les rassembla près de ce qu’on appelle aujourd’hui l’Arbre du danger, puis il envoya des équipes de secours chercher les blessés. Toutefois, Phillips ne réussit pas à se replier, alors il descendit dans un cratère d’obus d’où il tira des coups de fusil toute la nuit. Il rejoignit le régiment le lendemain matin, uniforme en lambeaux et couvert de sang.

Bien qu’elle n’eut pas réussi à faire de prisonnier, la formation du raid rapporta que le bombardement des lignes allemandes qui avait duré une semaine dans le secteur n’avait pas eu grand effet sur les effectifs des Allemands ni sur leur capacité à réagir. À ce moment-là, l’immense machine de guerre britannique battait son plein, et dans l’arrogance caractérisant la charge du 1er juillet, il n’était venu à l’esprit de personne de prévoir un moyen d’abandonner l’attaque.

Pratiquement aucune des familles
du dominion nord-atlantique
sauvage n’a été épargnée par
la tragédie ce jour-là.


Ce matin-là
, les officiers du Newfoundland Regiment se trouvaient au quartier général de la 88e Brigade quand l’attaque fut lancée, à 7 h 30. Ils furent témoins du carnage du début, quand les soldats qui venaient de sortir des tranchées y retombaient en nombre incalculable. Le régiment, cette journée-là, avait le village de Beaumont-Hamel pour objectif, mais au bout d’une heure quarante-cinq minutes, la situation était loin d’être claire et de nouveaux objectifs lui furent fixés. Ces derniers ne signifiaient pas grand-chose pour les hommes qui donnaient l’assaut, et ils se concentrèrent sur le ravin en Y.

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Les premiers 500 Les volontaires portant des bandes molletières bleues et des casquettes civiles à l’exercice à la baïonnette (sans baïonnette) au bord du lac Quidi Vidi, à St. John’s, en 1914.
VA 37-15.2; The Rooms

À 8 h 45, le lieutenant-colonel Arthur Hadow reçut l’ordre de se lancer à l’attaque des Allemands. Il avait été prévu que le Newfoundland Regiment et le 1er Bataillon de l’Essex Regiment attaqueraient en même temps, mais à la suite de l’ordre du brigadier-général D.E. Cahley de la 88e Brigade d’attaquer indépendamment, Hadow décida d’envoyer ses hommes à l’assaut à partir de 200 mètres derrière les premières lignes.

Hadow avait envisagé d’assurer une coordination avec l’Essex, mais il décida que les tranchées de communication pleines de cadavres ralentiraient ses hommes, alors il leur donna l’ordre de s’avancer en surface à partir des tranchées de réserve. Cet ordre est encore mis en question et débattu aujourd’hui (voir « Face à face », page 14). À 9 h 15, l’Essex s’avançait encore vers le front quand Hadow leva sa badine de frêne pour donner le signal de s’avancer. Quelque 780 hommes grimpèrent hors des tranchées et se dirigèrent lentement vers le front. Hadow trouva son propre passage jusqu’aux premières lignes.

Quand les Allemands virent les Terre-Neuviens pour la première fois, leurs silhouettes se découpaient à l’horizon; c’était le seul bataillon qui s’avançait dans le secteur. Au moment où les Terre-Neuviens montèrent sur la crête, les mitrailleuses allemandes les fauchèrent comme du bois de corde. Beaucoup d’entre eux tombèrent avant d’atteindre leur propre première ligne. La plupart furent mis en pièces par le feu croisé des mitrailleuses et les obus de l’artillerie qui brassaient les pentes du terrain neutre. Rares furent les Terre-Neuviens, s’il y en eut, qui tirèrent un
coup de feu ou qui réussirent à lancer une bombe à l’ennemi pendant l’avancée.

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Le commandant, le lieutenant-colonel Arthur Hadow, prend la décision fatidique d’attaquer à partir des tranchées de réserve derrière la première ligne des Britanniques.
Royal Newfoundland Regiment Museum

L’assaut ne dura que quelques minutes. À 9 h 45, Hadow rapporta à Cahley que l’avancée avait échoué. Cahley répondit en lui ordonnant de rassembler ses hommes en terrain neutre pour renforcer le 4e Bataillon du Worcestershire Regiment et le 1er Bataillon du Hampshire Regiment
qui devaient attaquer sous peu. Hadow, en quittant le quartier général, rencontra un officier d’état-major de la 29e Division et lui fit part de son inquiétude concernant l’ordre de Cahley. Cet officier convainquit Cahley de révoquer son ordre. Il avait vu les Terre-Neuviens abattus presque jusqu’au dernier.

Cent ans après, l’avancée du Newfoundland Regiment vers Beaumont-Hamel a encore des résonances profondes chez les Terre-Neuviens. Tous les 1ers juillet, tandis que le reste du Canada célèbre la naissance d’un pays, les Terre-Neuviens pleurent les pertes qu’ils ont subies à la Première Guerre mondiale et surtout à Beaumont-Hamel. L’innocence d’une nation était perdue : pratiquement aucune des familles du dominion nord-atlantique sauvage n’a été épargnée par la tragédie ce jour-là, tragédie d’autant plus amère qu’il semble qu’elle ait pu être évitée. Sur les 780 hommes qui prirent part à l’attaque, le nombre des victimes s’éleva à 710, dont presque 300 morts : des pertes si graves aux yeux des Terre-Neuviens que même après 100 ans, la douleur est presque aussi forte qu’alors.

Raiders
Prêts au départ Des officiers du Newfoundland Regiment en route pour l’Angleterre à bord du SS Florize, en octobre 1914.
The Rooms/VA 36-37.3
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