Questions au ministre O’Toole

Ministre des Anciens combattants et député de Durham, Erin O’Toole [ADAM DAY]

Ministre des Anciens combattants et député de Durham, Erin O’Toole
ADAM DAY

Le 23 avril, le personnel de rédaction de la Revue Légion a rencontré Erin O’Toole, ministre des Anciens combattants et député de Durham, pour lui poser des questions sur Anciens combattants Canada. Ce qui suit est une version condensée de l’entrevue.

 

Revue Légion Il y a des anciens combattants qui se plaignent qu’ACC a une mentalité de compagnie d’assurance, ou qu’il est axé sur la bureaucratie. Pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont vous avez l’intention de changer cela de façon systémique?

O’Toole Nous avons rappelé à tout le monde à Anciens combattants Canada (ACC) — plus de 3 000 employés, pas seulement les gestionnaires de cas qui sont au service des anciens combattants, mais tous ceux qui travaillent dans mon ministère — qu’ils ont pour mandat de penser à l’ancien combattant et à sa famille dans tout ce qu’ils font, qu’ils élaborent une politique, qu’ils se penchent sur un programme, comme le programme d’autonomie des anciens combattants (PAAC), pour s’assurer qu’ils fonctionnent ou pour s’assurer que ces programmes sont faciles et axés sur le bienêtre de l’ancien combattant. Vous servez les hommes et les femmes qui nous ont servi, et leur famille.

Nous avons mis en place un groupe de travail en communication pour s’assurer que les départements des directives et ceux des services sont conscients du fait que certaines de ces lettres orientées vers l’extérieur ne sont pas seulement des outils de communication. J’ai parlé à des familles. Elles sont stressées lorsqu’une enveloppe en papier kraft d’ACC arrive chez elles. Rien que cela, ça leur cause du stress. Être axé sur l’ancien combattant, cela signifie que nous devons écrire d’une manière qui est facile à comprendre et qui montre que nous nous préoccupons réellement de son bienêtre.

Cela ne doit pas être un labyrinthe administratif qu’on doit parcourir pour obtenir des avantages. Nous avons vu cela en ce qui concerne des anciens combattants […] qui ont dit que les formulaires les bouleversent. Les formulaires sont indispensables, mais nous pouvons en éliminer quelques-uns, ou allonger le délai du renouvellement; et nous demander si le langage est bien orienté vers leur bienêtre?

Je vais régulièrement à Charlottetown. J’y emmène également des anciens combattants. J’ai emmené Chris Linford [auteur de Warrior Rising: A Soldier’s Journey to PTSD and Back (Élévation d’un soldat : parcours d’un soldat vers le TSPT et son retour, NDT)] et son épouse Kathryn pour qu’ils parlent à des centaines d’employés de la lutte avec le Trouble de stress posttraumatique et sur le stress ressenti par la famille. Je veux que nos gens à Charlottetown se rappellent au service de qui nous sommes tous. Cela a été bien accueilli. Les gens qui travaillent à ACC se passionnent pour le service. Ils ne veulent pas que ce soit une bureaucratie.

L’exemple de la compagnie d’assurance est bon. Je voudrais voir un peu de la discipline du secteur privé dans notre rendement, parce que les retards sont cause de stress. Il s’agit de faire les choses d’une manière que les anciens combattants comprennent, qui soit axée sur leur bienêtre, ce qui réduit le stress, réduit la charge administrative. Nous avons collaboré avec la Légion pour réduire nos formulaires de demande. Nous voulons le faire encore plus.

Nous nous sommes aperçus que l’incidence de personnes présen-tant des blessures de santé mentale est énormément plus élevée parmi les anciens combattants modernes que parmi les vétérans de guerre traditionnels. Il est bon qu’ils se présentent, mais ces cas ont tendance à être plus complexes. On s’attend aussi, surtout dans le cas des vétérans de l’Afghanistan, que lorsqu’ils envoient quelque chose par téléphone, une réponse doit leur arriver en trois secondes, n’est-ce pas? Alors que je rencontre des vétérans de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre de Corée dont la réaction, c’est « eh bien, ça viendra », parce que cette génération est comme ça, du temps où tout se faisait par la poste. Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes gens s’inscrivent à un compte Mon dossier ACC et ils veulent le gérer, leur dossier. Ils veulent voir cette entrée instantanée en ligne […]. Alors, ce que nous devons faire, c’est nous moderniser, nous simplifier et rendre les choses plus faciles pour l’ancien combattant.

RL L’ombudsman des vétérans et le vérificateur général ont tous deux critiqué ACC de son manque de mesure du rendement et d’analyse visant à améliorer le taux d’approbation et à réduire les appels. Comment améliorerez-vous la mesure du rendement des fonctionnaires à ACC?

O’Toole Nous avons déjà accompli des progrès. Je pense que c’est le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA) qui vous concerne le plus. Nous y faisons des progrès et nous allons continuer à en faire. S’il y a des problèmes qui se répètent quand on fait appel, nous devons l’apprendre. J’en ai parlé avec l’ombudsman. Nous ajoutons de l’expertise sur la santé mentale et sur le soutien médical à ACC. Il y a maintenant quelqu’un du domaine médical qui est notre médecin général. Nous utilisons ce terme pour montrer une similitude avec
les Forces.

Nous travaillons également en collaboration avec les Forces armées canadiennes pour réellement démarrer le processus d’ACC quand la personne porte encore l’uniforme. Avant que quelqu’un qui est malade soit libéré 3(b) [pour raison médicale], il a tendance à rester en uniforme pendant trois à cinq ans. C’est une bonne chose, parce qu’il obtient 100 % de son salaire. Il se trouve à l’affectation et à l’endroit qui tranquillisent sa famille. Il se peut qu’il soit à l’Unité Interarmées de Soutien au Personnel des Forces canadiennes, mais il est toujours au sein de la famille militaire qu’il connait depuis qu’il a 18 ou 19 ans, donc tout va bien par rapport au mieux-être.

Peut-on commencer la procédure d’ACC plus vite? Peut-on commencer la réadaptation professionnelle plus vite? On étudie tout cela avec beaucoup de minutie. Le chef du personnel militaire est à mes côtés. Le ministre de la Défense nationale, Jason Kenney et moi — le MDN et ACC — nous travaillons ensemble, plus que depuis des générations, pour nous occuper de ce que nous appelons la couture entre les deux ministères.

En ce qui concerne les examens de réclamation, il faut aussi faire face à certains mythes : on entend dire qu’il y en a qui sont extrêmement frustrés par un refus. Mais plus de 70 pour cent des réclamations à ACC sont acceptées en premier ressort. On s’en étonnerait en voyant le dialogue sur Facebook. Mais nous avons la responsabilité envers l’ancien combattant et la société de veiller à ce que notre système soit juste, rapide et moins stressant, mais qu’il soit toujours fondé sur des preuves. Parce que, par exemple, les personnes qui sont dans les Forces armées canadiennes et en fin de compte, les anciens combattants, sont un échantillon représentatif des Canadiens, alors il y a les gens qui ont déjà des problèmes de santé mentale au moment où ils s’engagent. Il y a des gens qui ont un cancer ou quelque autre maladie plus tard dans la vie, qui n’est pas liée au service militaire de quelque manière que ce soit. Mais vu que les Canadiens ont un cancer, la sclérose en plaques, ce genre de choses, il faut que nos anciens combattants et leur famille sachent que notre système est équitable et rapide, et qu’il sert à ce qu’ils obtiennent facilement un oui. Mais il faut quand même qu’on ait un processus scientifique fondé sur des preuves. Nous essayons donc de nous assurer qu’il y a de l’expertise dans ce domaine, de plus en plus, au niveau du tribunal d’appel.

Je fais face aussi à un certain mythe comme quoi il s’agit d’un système très injuste. Nous devons l’améliorer, mais plus de 70 % des demandes sont acceptées en première instance. Quand je dis ça à des anciens combattants, ils sont sidérés parce qu’on n’entend parler que des cas frustrants, mais la grande majorité est acceptée. Il faut que les anciens combattants sachent que, probablement comme celui des États-Unis, notre système est un des plus généreux du monde par rapport à la révision. Nous allons l’améliorer et le simplifier, mais il y a déjà une série d’appels au TAC(RA) où nous leur fournissons également des avocats du Bureau de services juridiques des pensions. Donc, en fait, nous payons un avocat pour contester une décision qui selon l’ancien combattant n’a pas été résolue au ministère. J’ai assisté à une audience de révision, et c’était très bien fait. L’ancien combattant a toujours le dernier mot après l’examen du dossier, après la discussion, alors il ne s’en va pas sans avoir signalé les derniers points.

Nous avons quelques améliorations à faire, mais le système est structuré de manière à donner aux anciens combattants la possibilité de faire avancer leur revendication simplement auprès d’ACC et, dans les cas où c’est très complexe ou lorsqu’il faut une deuxième révision, auprès d’un comité quasi judiciaire où une aide juridique leur est fournie. Ou bien, ils peuvent se faire aider par un officier d’entraide chevronné ou par un ami. En fait, je crois que nous devons faire quelque chose pour que ça fonctionne un petit peu mieux, mais je dois dire aussi que le bénéfice du doute est au cœur de ce que nous faisons.

RL Selon le préambule de la loi C-58, son objet est « de reconnaître et d’honorer l’obligation du peuple canadien et du gouvernement du Canada de rendre un hommage grandement mérité aux militaires et vétérans pour leur dévouement envers le Canada ». « Grandement mérité », cela peut donner lieu à des interprétations qui peuvent limiter l’accès aux ressources d’ACC. À votre avis, quelle est l’obligation du gouvernement du Canada envers les gens qui sont blessés pendant leur service militaire?

O’Toole À la suite de mon mandat de ministre, j’espère que la citation dont se  souviendront les gens dans 50 ans, c’est que nous avons une ardente obligation de servir les anciens combattants, ainsi que de commémorer et de nous souvenir. Beaucoup de passion et d’énergie ont été consacrées à la question de notre obligation.

Vous avez peut-être remarqué en entrant qu’il y a un portrait de Sir Robert Borden dans mon bureau. C’est le premier ministre que je préfère; il visitait les soldats lorsqu’il allait à Londres […], et il en était profondément ému. Mais Borden n’a jamais utilisé les mots « obligation sacrée ». C’est pourquoi ils sont dans le projet de loi, et pourquoi nous avons dit qu’elle sera interprétée libéralement. Interprétée de façon libérale signifie analysée et appliquée libéralement. Donc, je pense que plus que jamais, l’ardente obligation selon laquelle nous devons servir ceux qui nous servent n’est même pas discutée, même pas dans les discours historiques […]. C’est dans le projet de loi C-58, et nous disons que cela signifie une application libérale à l’avenir.

En politique, divers partis disent : « J’aime les anciens combattants plus que les autres. » Tous les partis le di-sent. C’est pour cela que je dis que les lacunes dans la Nouvelle Charte des anciens combattants (NCAC) étaient involontaires. Quand le Parti libéral a avancé la NCAC après le rapport [Respecter l’engagement du Canada: offrir « possibilités et sécurité » aux anciens combattants des Forces canadiennes et à leurs familles au XXIe siècle] de Peter Neary, président du Conseil consultatif sur les Forces canadiennes d’Anciens Combattants Canada, il ne prévoyait pas le problème concernant l’avant et l’après 65 ans que l’ombudsman a cerné [et que la nouvelle allocation de sécurité du revenu de retraite sert à régler].

Ce sont des lacunes imprévues, corrigeons-les. Essayons d’y enlever une partie de politique. Nous voulons tous bien faire pour nos anciens combattants, c’est pour cela que nous mettons l’obligation dans le préambule. C’est encore en train de faire jaser au pays. Je pense que c’est bien, et je pense que plus que jamais, nous en faisons une partie essentielle des réformes que nous entreprenons à ACC.

Être axé sur l’ancien combattant signifie que nous voulons ne jamais être satisfaits, même si nos programmes fonctionnent bien ou que nous les avons améliorés. Nous devrions toujours y revenir, pour dire, « que pouvons-nous faire de mieux ici? » Par exemple, y a-t-il de nouvelles connaissances concernant les travaux psychosociaux qui puissent appuyer les anciens combattants dans certains domaines? Est-ce que nous devrions créer un programme pilote avec des chiens de service? La Légion et d’autres groupes ont obtenu de bons appuis avec ça. On devrait toujours faire des efforts.

RL Vous avez annoncé récemment l’embauche de plus de 100 nouveaux chargés de cas et de 100 personnes de plus pour le personnel qui traite les demandes de prestations d’invalidité. Certains anciens combattants nous ont dit qu’ils craignaient que certains de ces nouveaux postes disparaissent après les élections. Que répondriez-vous à leurs préoccupations?

O’Toole Cette préoccupation est sans fondement. En ce qui concerne les postes de gestionnaires de cas, ils sont permanents. Que ce soit 160 ou 180, nous nous penchons sur la répartition géographique, parce que les besoins sont différents. Passer du ratio de 40 cas pour un à un autre de 30 cas pour un, c’est important, mais il faut aussi se rendre compte qu’un vétéran de la guerre de Corée inscrit au PAAC ou qui a une dépendance ou un problème parmi un éventail de problèmes, ou quelque chose comme ça, ce n’est pas pareil que quelqu’un qui a un TSPT grave. On ne peut pas considérer ces cas comme étant interchangeables quand il s’agit du ratio. On doit s’assurer que nos gestionnaires de cas ont le temps et qu’ils n’ont pas d’épuisement professionnel ou de fatigue.

Quant au traitement des demandes, nous pourvoirons des postes temporaires; ce sera probablement bien plus de 100, mais certains vont viser la diminution des arriérés. Ces arriérés, ce sont ceux à propos desquels nous avons demandé au vérificateur général de nous aider. Donc, si vous demandez au vérificateur général, vous savez que vous allez avoir un coup de pied dans le derrière. C’est ce que font les vérificateurs généraux.

Ce que j’aime en ce qui concerne le premier ministre, c’est qu’il voulait ça parce qu’on dépense plus qu’avant sur la santé mentale, mais est-ce qu’on obtient les résultats qu’on voudrait? Le vérificateur général a dit que ça allait bien par rapport à la réadaptation professionnelle, mais là où on manquait notre coup, c’est sur le traitement des demandes et les retards. C’est en partie en raison de l’augmentation du nombre de demandes liées à la santé mentale, pour être franc, alors c’est une question de temps pour faire baisser ça à un niveau gérable. Quant aux postes permanents, à long terme, ils serviront à s’assurer qu’on atteint les objectifs de service.

Ainsi, pour les gestionnaires de cas : tous à temps plein; tous permanents. Quant à ceux des demandes liées à l’invalidité, il y en a des temporaires pour prendre en charge le grand nombre d’arriérés jusqu’au point où on pourra atteindre nos objectifs, et puis il y a encore beaucoup de personnel permanent à temps plein.

RL Vous avez récemment organisé un sommet d’anciens combattants au Musée canadien de la guerre. Pas moins de 25 organisations d’anciens combattants y étaient représentées. Quel est votre point de vue sur toute cette prolifération d’organisations d’anciens combattants?

O’Toole Je pense que c’est une bonne chose en ce qui a trait au fait qu’il y a des gens qui veulent montrer leur soutien, comme la True Patriot Love Foundation. On pourrait la qualifier d’organisation d’anciens combattants ou d’assistance aux anciens combattants. Je pense que les Canadiens ont renoué avec leurs militaires et anciens combattants à la suite de l’Afghanistan et de l’autoroute des héros. Je représente une collectivité située près de l’autoroute des héros, et j’ai été sur un pont. Il s’agissait d’un effort populaire amorcé par des membres de la Légion à Cobourg, à Port Hope et à Trenton. Pompiers, policiers, enseignants retraités : aucun gouvernement ne l’avait mandaté. Ce ne sont pas les Forces armées canadiennes qui ont dit d’aller sur les ponts. C’était un mouvement organique. C’était exceptionnel. Il y a des gens qui disent que les Canadiens sont devenus patriotes à nouveau lors des Jeux olympiques de Vancouver. Je dis que non : les Canadiens sont redevenus patriotes à l’autoroute des héros, où le reste du monde nous regardait. À bien des égards, la Légion a été au cœur de tout ça, à l’échelon local, au niveau de la filiale locale. Les Canadiens se sont réveillés, et leur passion et leur connexion avec les militaires ont été relancées. Cela également conduit à davantage de gens désireux d’aider.

L’autre clé, ce sont les médias sociaux. À mon sommet d’anciens combattants, il y a eu deux entractes où nous avons organisé des groupes de travail dirigés par des intervenants. Il y avait les organisations traditionnelles dirigées par des membres, la Légion étant à la tête de ce groupe, et puis il y avait un groupe en ligne, que j’appelle le soutien par les pairs en ligne. Ils n’ont pas de membres, ils n’ont pas de statuts, ils n’élisent pas Tom Eagles ni personne. Ils sont beaucoup plus souples. Certains sont en colère et très politisés et pas serviables, mais ils sont très différents de la Légion. Par exemple, si quelqu’un visite votre site Web, ça ne suffit pas pour dire qu’il est membre de votre organisation.

Je renouvelle mon adhésion à la Légion chaque année, le jour du Souvenir. C’est comme ça que je m’en rappelle. Mais il ne faut pas écraser les groupes en ligne, car il y a certains groupes incroyables là-dedans, comme la communauté Send Up the Count sur Facebook. Il y a un groupe Facebook appelé Veterans for a Strong Royal Canadian Legion (anciens combattants pour une Légion royale canadienne puissante, NDT). En fait, le gars qui dirige ce site c’est le premier à qui j’ai décerné une mention élogieuse ministérielle, Craig Hood. Il tente d’augmenter le nombre de jeunes anciens combattants à la Légion. À la fin du sommet, j’ai essayé de mieux faire travailler ces groupes ensemble.

J’aime qu’il y ait des groupes de soutien par les pairs en ligne, où les anciens combattants plus jeunes sont heureux et fous. Ils sont tous là, sur Facebook. Parfois, ils dominent à ma page Facebook. Pouvons-nous tirer parti de cette puissance des réseaux sociaux? De cette portée instantanée?

Cela ne va pas avoir lieu du jour au lendemain, mais le fait que nous avons terminé le sommet des parties intéressées d’une manière très productive — même les gens en colère se serraient la main — selon moi, c’est la première étape de l’itinéraire.

 

Lisez  le reportage spécial « Un système fissuré »

Lisez l’Éditorial du numéro de juillet/aout 2015 

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