Face-À-Face sur La victoire de la Crête de Vimy, est-elle la plus grande qu’ait eue le corps canadien?

L’histoire de la manière dont les soldats canadiens ont capturé la crête de Vimy en avril 1917 est devenue presque mythologique dans la conscience publique du Canada. Fait-on bien de donner à cette victoire la place qu’elle a dans les annales du Corps canadien?

L’auteur John Boileau says OUI. L’auteur Andrew Iarocci dit que NON.

Boileau, ancien colonel de l’armée de terre, a écrit plusieurs livres et de nombreux articles sur l’histoire militaire pour des journaux et des revues. Il est fréquemment aussi commentateur sur les questions militaires à la radio et à la télévision. Iarocci est professeur adjoint d’histoire à l’Université Western de London, en Ontario et auteur de Shoestring Soldiers: The First Canadian Division, 1914-15. Il s’intéresse à la recherche sur le transport militaire et l’approvisionnement.

Un camion plein de soldats canadiens revenant du combat après la victoire à la crête de Vimy,  en avril 1917. [MDN/BAC/PA-001270]

Un camion plein de soldats canadiens revenant du combat après la victoire à la crête de Vimy, en avril 1917.
MDN/BAC/PA-001270

ANDREW IAROCCI

NON

La prise de la crête de Vimy par le Corps canadien en 1917 a pris des proportions mythiques dans la culture populaire. Dans une émission en avril 2012 du « Coach’s Corner » à la télévision de la CBC, Don Cherry, idole du hockey, a dit que Vimy « a fait de nous une nation, comme on dit […] ». Il a expliqué que « les Français et les Anglais avaient tenté de prendre la crête de Vimy pendant trois ans » sans succès et qu’en avril 1917, les quatre divisions canadiennes, sous le major-général Arthur Currie, s’en sont enfin emparées alors qu’elles se battaient séparées des « Français et des Anglais » pour la première fois.

Beaucoup de Canadiens ont hoché la tête avec approbation en entendant l’appréciation de Cherry. Certains pourraient ajouter que Vimy a été un tournant stratégique de la guerre. Mais si ce sont là les raisons pour lesquelles nous croyons en l’importance de Vimy, mieux vaudrait y réfléchir à nouveau.

Vimy n’était pas uniquement canadienne. La capture de la crête était une composante des offensives britanniques (non pas « anglaises ») et françaises du printemps de 1917. Au flanc droit du Canada, la Troisième armée britannique a lancé une attaque de grande envergure à l’est d’Arras. Le Corps canadien, sous le commandement de la Première armée britannique, était renforcé par l’infanterie britannique, appuyée par l’artillerie lourde britannique et approvisionnée en grande partie grâce à l’infrastructure britannique. Les Canadiens n’ont jamais combattu indépendamment du corps expéditionnaire britannique; certainement pas à Vimy.

Nous devons arrêter d’insister sur le fait que les Canadiens ont réussi là où les Britanniques (ou les Français) avaient précédemment échoué. Les forces britanniques n’avaient pas essayé de capturer la crête avant 1917. Les Français avaient défendu la crête en 1915-16, avec moins de ressources que n’étaient disponibles aux Canadiens et aux Britanniques en 1917, mais ils n’avaient pas pu tenir. En fait, les Français ont triomphé d’imposantes défenses allemandes au bas de la crête, côté ouest, ainsi que dans les hauteurs avoisinantes de Notre-Dame de Lorette, au nord. Sans ces gains chèrement obtenus, l’offensive de 1917 n’aurait peut-être pas été possible.

Currie, né près de Strathroy, en Ontario, ne menait pas le Corps canadien en avril 1917. Il a pris le commandement plus tard cette année-là, remplaçant le lieutenant-général sir Julian Byng, le général britannique qui a vraiment mené les Canadiens à la victoire à Vimy. (Currie commandait une des quatre divisions canadiennes à Vimy.) Des recherches récentes démontrent que de nombreux postes clés du Corps canadien étaient détenus par des officiers britanniques en avril 1917.

Vimy n’était pas un tournant stratégique. Bien que la capture de la crête ait été impressionnante sur le plan opérationnel, les offensives alliées du printemps ont été des échecs stratégiques couteux. Elles n’ont pas fait grand-chose pour rapprocher la victoire : la guerre a duré 20 mois de plus.

L’impact de la Grande Guerre sur le statut de nation du Canada est discutable. Les victoires comme celle de Vimy ont peut-être inspiré la fierté nationale, mais les lourdes pertes ont convaincu Ottawa d’imposer la conscription par le biais de la Loi du Service Militaire (aout 1917). Cet acte législatif, sans doute un des plus controversés de notre histoire, a failli diviser la nation.

À propos de Vimy, Currie doutait que c’était la plus importante bataille du Canada. « D’après moi, écrivait-il en avril 1922, c’est très loin d’être de l’ordre du fait. Nous avons eu d’autres batailles où les résultats moraux et matériels ont été supé-rieurs et d’une portée plus considérable que ceux de la victoire de Vimy. Il y a eu d’autres victoires aussi qui reflètent davantage la formation et l’efficacité du Corps […] ». Currie a poursuivi en expliquant que Vimy n’a pas exigé l’initiative et la débrouillardise qui ont marqué les derniers combats du Canada entre aout et novembre 1918.

La crête de Vimy a été une grande victoire pour le Corps canadien. Mais comme Currie l’a fait remarquer en 1922, elle n’était pas plus importante que d’autres. Et elle n’était pas importante pour les raisons que beaucoup de Canadiens tiennent maintenant pour avérées. Notre mythologie relative à Vimy inspire la fierté, mais elle ne reflète guère une mémoire bien informée de la Grande Guerre. Nous devrions faire mieux, tout d’abord en tenant compte des faits réels. Nous devons au moins cela aux soldats du Canada qui se sont tant sacrifiés.

 

JOHN BOILEAU

OUI

Il y a plusieurs victoires de la Première Guerre mondiale obtenues par le Corps canadien qui méritent d’être reconnues pour les efforts extraordinaires des soldats-citoyens du Canada. Les succès majeurs sont distingués par une série de monuments officiels au front occidental en France et en Flandre.

Après la guerre, le Comité des monuments commémoratifs canadiens érigés sur les champs de bataille a reconnu officiellement huit des plus grandes victoires par l’érection de monuments. Six d’entre eux sont des blocs de granite avec des inscriptions qui représentent, par ordre chronologique, les batailles de la côte 62, de la Somme, de Passchendaele, d’Amiens, de la ligne de la jonction ferroviaire Drocourt-Quéant/Hindenburg et du Canal du Nord/Bois de Bourlon.

Le septième mémorial commémore la fermeté héroïque de la Division canadienne lors des attaques au gaz à la deuxième bataille d’Ypres, en avril 1915. C’est la célèbre statue du « Soldat broyant du noir » au Vancouver Corner près de Saint-Julien. Lors du concours pour un monument servant à commémorer la contribution du Canada à la guerre, il a été classé deuxième après la soumission gagnante de Walter Allward.

Le dernier monument est, bien sûr, le grand monument d’Allward à la crête de Vimy, du nom de Monument commémoratif du Canada à Vimy. Selon la composition et le site, c’est incontestablement le plus inspirant et le plus saisissant de tous les monuments commémoratifs de toutes les nations au front occidental.

Bien que le Monument commémoratif de Vimy soit le plus beau de ces huit monuments, la brillante victoire qui y a eu lieu mérite-t-elle la place qu’elle détient dans l’histoire canadienne?

La réponse est un oui retentissant.

Pour être tenue dans la plus haute estime, toute bataille aurait dû impliquer l’ensemble du Corps canadien, composé de quatre divisions, lors d’une victoire dans une opération offensive.

Alors que plusieurs des batailles commémorées (et d’autres qui ne le sont pas, comme à la côte 70) peuvent prétendre à cette distinction, seule Vimy a l’honneur d’être la première. En outre, il n’y a qu’à Vimy que l’ensemble du Corps canadien de quatre divisions a attaqué simultanément contre un objectif unique.

La deuxième bataille d’Ypres et celle de la côte 62 ont été essentiellement défensives et comprenaient moins de quatre divisions. À la Somme, la 4e Division ne s’est jointe à la bataille qu’après que les trois autres avaient quitté la région, tandis qu’à Passchendaele, les quatre divisions n’attaquaient généralement pas ensemble, mais plutôt deux à la fois.

Les trois autres batailles commémorées font partie des « 100 jours du Canada », série d’actions qui, prises ensemble, constitue le plus grand fait d’armes de l’histoire de notre pays, lorsque le Corps canadien a ouvert la voie vers la victoire aux Alliés, du 8 aout au 11 novembre.

Bien que les 100 jours aient produit des résultats incroyables, dans aucune des batailles individuelles le Corps n’a-t-il lancé un assaut en commun contre un objectif unique. L’avancée était habituellement menée par deux ou trois divisions, tandis que le reste, une ou deux divisions, était tenu en réserve et passait devant à son tour.

Ces deux circonstances uniques à Vimy distinguent clairement cette bataille de toutes les autres batailles canadiennes. Cette réalisation magnifique s’impose et nie toute nécessité d’inventer, ou de défendre, des mythes relatifs à l’arrivée du Canada sur les pentes de la crête.

C’est à Vimy aussi que, résultat de la mission d’enquête du major-général Arthur Currie auprès des Français, plusieurs tactiques qu’il avait recommandées ont été utilisées pour la première fois avec succès et perfectionnées pendant le reste de la guerre sous la direction du lieutenant-général sir Julian Byng. Vimy a également marqué un triomphe dans un paysage autrement sombre des Alliés à l’époque, à un endroit où les précédentes attaques des Français et des Britanniques avaient échoué lamentablement.

Enfin, Vimy a été la plus grande victoire britannique de la guerre jusqu’alors, et il n’y a pas eu de grand succès allié jusqu’à Amiens, plus d’un an après. Vimy a marqué un tournant pour les Alliés : un an et demi plus tard, la guerre était finie.

Et le succès légendaire à la crête de Vimy a ouvert la voie.

 

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