Le Royal 22e Régiment célèbre 100 ans de service et de sacrifice

Il y a une chapelle calme et digne dans la Citadelle, le fort aux murs épais qui domine l’horizon de la ville de Québec. La chapelle est un lieu sacré pour le Royal 22e Régiment, qui a son quartier général dans le fort et dont le 100e anniversaire a lieu cette année.

Des membres du 22e Bataillon se détendent dans les tranchées, juillet 1916. [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA000262]

Des membres du 22e Bataillon se détendent dans les tranchées, juillet 1916.
PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA000262

Le major-général Georges Vanier, vaillant soldat canadien-français qui a perdu une jambe à la Première Guerre mondiale et qui a commandé le R22R par la suite en plus d’avoir été le deuxième gouverneur général né au Canada, a été enterré dans la chapelle. À côté de lui gît son épouse, Pauline, dont les bonnes œuvres distinguent sa carrière. L’ancien drapeau consacré du régiment est accroché au plafond, et dans l’enceinte se trouve de la terre de la tombe des deux membres du régiment à qui la Croix de Victoria a été décernée à la Première Guerre mondiale, ainsi que les cendres de Paul Triquet, qui a obtenu la Croix de Victoria en Italie à la Seconde Guerre mondiale.

Le major Georges Vanier, juin 1918. [PHOTO : ERNEST MAUNDER, MINISTÈRE DE LA DEFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA002777]

Le major Georges Vanier, juin 1918.
PHOTO : ERNEST MAUNDER, MINISTÈRE DE LA DEFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA002777

Un Livre du souvenir est exposé au centre de la chapelle, qui donne la liste des membres du régiment qui ont fait le sacrifice suprême. Mais ce livre est inachevé. La calligraphie pour ajouter ceux qui sont morts en Afghanistan n’est pas encore faite.

Le livre sacré sert à rappeler qu’en même temps qu’il célèbre son centenaire, le régiment est toujours une unité de combat qui continue de servir et de se sacrifier.

L’histoire de l’unité prend vie dans le musée régimentaire, lequel a déménagé de l’endroit où il a eu son origine en 1950. Le nouveau musée qui a ouvert ses portes en mai contient un plus grand nombre d’artéfacts et utilise la technologie contemporaine pour interagir avec les visiteurs.

La Citadelle est le quartier général du 2e Bataillon du R22R ainsi que le foyer spirituel du régiment tout entier. Aujourd’hui, il compte cinq bataillons : trois de la force régulière et deux de réserve. Le Premier, infanterie mécanisée, et le Troisième, infanterie légère avec une compagnie de parachutistes, sont stationnés à la Base des Forces canadiennes Valcartier, à 30 kilomètres au nord de Québec, tandis que les bataillons de réserve sont respectivement à Laval et à Saint-Hyacinthe, au Québec.

L’histoire fait également partie d’une cérémonie quotidienne, la Relève de la garde, tous les étés du 24 juin jusqu’à la fête du Travail. Vêtus d’écarlate et coiffés d’immenses bonnets en peau d’ours noir, les membres de l’unité qui ont été de garde pendant 24 heures sont relevés par une unité lors d’une cérémonie déployant l’apparat de défilés de précision, la musique régimentaire et le passage de Baptiste X, un bouc tibétain descendant de l’animal donné à l’unité par son colonel en chef, la Reine Elizabeth.

Le bouc tibétain Baptiste X prend part à la cérémonie de relève de la garde à la Citadelle de Québec. [PHOTO : TOM MacGROR]

Le bouc tibétain Baptiste X prend part à la cérémonie de relève de la garde à la Citadelle de Québec.
PHOTO : TOM MacGROR

« Le protocole est une importante partie de tout ce qu’il y a à la Citadelle », dit le lieutenant-colonel Éric Laforest, commandant de la base en 2012-2014. La Citadelle est une résidence officielle du gouverneur général. C’est aussi une résidence de Laforest et de sa famille. « Il y a des fois où, dans cette vieille maison, je me sens comme un officier britannique du XVIIIe siècle sirotant du scotch devant un feu de foyer ».

Laforest nous explique le rôle qu’il a joué comme commandant. « En fait, je porte trois chapeaux ici. Tout d’abord, j’ai le commandement de la Citadelle et tout le protocole qui l’accompagne. Je suis responsable du bataillon, et je dois veiller à ce qu’il soit prêt au combat, et troisièmement, je suis président du musée qu’on vient d’achever. »

Le Musée adopte une approche chronologique soignée concernant l’histoire de l’unité, à partir d’aout 1914, quand la guerre a été déclarée. Même si les officiers de la force permanence avaient rédigé les plans de mobilisation avant le déclenchement de la guerre pour profiter du système de milice au Canada, le ministre de la Milice et de la Défense Sam Hughes se méfiait du système régimentaire et favorisait de nouvelles unités numérotées.

Les volontaires de langue française étaient dispersés parmi les unités et les ordres étaient tous donnés en anglais.

Une forte pression politique a été exercée sur le premier ministre, Robert Borden, par les Canadiens francophones au Québec afin de former un bataillon de langue française. Comme le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry qui fête aussi son centenaire en 2014, il a fallu des fonds privés, un don de 50 000 $ du Dr Arthur Mignault qui avait fait fortune dans l’industrie pharmaceutique, pour convaincre le gouvernement de lever une unité francophone avec des aumôniers catholiques romains.

Comme le dit un guide aux touristes venus voir la Citadelle : « C’était déjà assez grave de se faire tuer parce qu’on ne pouvait pas comprendre les ordres, on ne voulait pas en plus se faire administrer les derniers sacrements par un pasteur protestant. »

La nouvelle unité, qui est devenue opérationnelle le 14 octobre 1914, était le 22e Bon (canadien-français) et son commandant était Frédéric Mondelet Gaudet, originaire de Trois-Rivières et diplômé du Collège militaire royal de Kingston, en Ontario. La formation a débuté à Montréal et à Saint-Jean, mais quand les tentations de la grande ville ont causé des problèmes de désertion et de moral, l’unité a déménagé à Amherst, en Nouvelle-Écosse, avant de partir pour l’Angleterre, en mai 1915, à bord du Saxonia.

Les rangs étaient remplis de jeunes durs canadiens-français. Beaucoup avaient servi dans une unité de milice de langue française comme les Voltigeurs de Québec et les régiments Maisonneuve et Châteauguay. On y a ajouté des Acadiens des Maritimes et des francophones du Nord de l’Ontario et du Manitoba.

Quand ils ont rejoint le reste du Corps expéditionnaire canadien, leurs camarades anglophones avaient du mal à prononcer le numéro vingt-deux qu’ils prononçaient vandou et les Canadiens-Français l’ont adopté comme surnom.

La guerre avait un an lorsque le 22e est allé en Flandre, en septembre 1915, et son esprit combatif a vite sauté aux yeux. Il a participé à la plupart des grandes batailles tout au long de la guerre.

Le 22e s’est d’abord distingué en septembre 1916, lorsqu’il a pris part à une offensive à Flers-Courcelette. Le lieutenant-colonel Thomas-Louis Tremblay leur a dit : « C’est notre première grosse attaque. Nous devons réussir en l’honneur de tous les Canadiens-Français, lesquels nous représentons en France. » L’attaque a réussi. Le 22e a repoussé 14 contrattaques allemandes, sans perdre du terrain. Quatre-vingt-huit hommes ont été tués en quatre jours de combats, dont six officiers. Cent-dix-neuf autres ont été blessés.

Les honneurs de bataille se sont accumulés : Flers-Courcelette, Vimy, la Somme, Mont Sorrel, Arras, Ypres, Passchendaele, Amiens, Cambrai.

Dans la nuit du 8 au 9 juin 1918, le caporal Joseph Kaeble s’est retrouvé responsable d’une section de mitrailleuses à Neuville-Vitasse, en France. Après un bombardement intense, quelque 50 soldats ennemis se sont avancés vers sa position. À ce moment-là, tous les hommes de sa section sauf un avaient été blessés ou tués; Kaeble a sauté par-dessus le parapet et bien qu’il ait été blessé par des obus et des bombes, il tenait sa mitrailleuse contre sa hanche et s’est mis à tirer. Enfin, blessé à mort, il est retombé dans la tranchée tout en continuant de tirer. La Croix de Victoria lui a été décernée à titre posthume.

Le lieutenant Jean Brillant est mort avec autant de valeur deux mois plus tard, à la bataille d’Amiens. Pendant deux jours de violents combats, il avait mené une compagnie lors d’une avance de 15 kilomètres. Deux fois, il s’était précipité sur des nids de mitrailleuses, se faisant blesser et tuant des soldats ennemis. En fin de compte, alors qu’il était retenu par une arme de campagne, il a organisé et mené un groupe qui s’est précipité sur l’ennemi. Il avait couru environ 600 mètres quand il a été grièvement blessé pour la troisième fois et s’est effondré, épuisé et perdant son sang. À lui aussi, la Croix de Victoria a été décernée à titre posthume.

Le Régiment a perdu 1 147 hommes pendant ou juste après la Première Guerre mondiale. En outre, 2 893 de ses hommes ont été blessés. Le régiment a adopté la devise Je me souviens (de ceux qui sont tombés).

L’unité a été dissoute après la guerre, mais un puissant groupe de pression a convaincu le gouvernement de former un régiment de langue française permanent. Le 1er avril 1920, il a été reformé en tant que 22e Régiment et son quartier général s’est situé dans la Citadelle. Le titre Royal a été ajouté au nom du régiment par le roi George V en 1921.

À la Seconde Guerre mondiale, le Royal 22e Régiment a été à nouveau engagé au combat. En 1940, il a reçu l’honneur de garder le palais de Buckingham à la demande de George VI. Le Royal 22e Régiment a débarqué en Sicile en 1943, et il a combattu en Italie continentale où son drapeau a encore été décoré.

L’attribution de la Croix de Victoria a été beaucoup plus rare à la Seconde Guerre mondiale, mais le R22R a reçu la première des trois qui ont été décernées pendant la campagne d’Italie. C’était pour le 14 décembre 1943, alors que le capitaine Paul Triquet avait reçu l’ordre de mener sa compagnie dans un vignoble, après avoir traversé un ravin, pour prendre la Casa Berardi, une grande maison familiale. La compagnie a été vite coincée et ses officiers ainsi que la moitié de ses hommes ont été mis hors de combat. D’après sa citation, Triquet a encouragé ses hommes au moyen du sans fil : « Il y a des ennemis devant nous, derrière nous et sur nos flancs. Il ne reste qu’une place sans danger, soit vers l’objectif. »

Les hommes l’ont suivi jusqu’à l’objectif, l’ont pris et ont repoussé les contrattaques.

Le Royal 22e Régiment a passé la dernière partie de la guerre aux Pays-Bas et en Allemagne du Nord.

Cinq ans après, le régiment retournait au combat à la guerre de Corée. Un deuxième bataillon a été formé à Valcartier en aout 1950, qui s’est entrainé pendant six mois à Fort Lewis dans l’état de Washington. Le 2e Bon a été relevé par le 1er Bon, qui a été relevé par le 3e. Les négociations de paix ont commencé en juillet 1951, mais les féroces combats se sont poursuivis. En novembre 1951, le 22e a repoussé de violentes attaques à la colline 355.

Cent-dix officiers, sous-officiers et simples soldats ont été tués pendant la guerre, et presque 470 ont été blessés. La simple inscription au drapeau Corée a été décernée au régiment. Elle s’ajoutait aux 18 qui lui avaient été décernées pendant la Première Guerre mondiale et aux 25 obtenues à la deuxième.

Depuis lors, le 22e a servi dans des opérations de maintien de la paix autour du monde, y compris plusieurs séjours à Chypre où deux de ses membres ont été tués lors de l’invasion turque des années 1970. Vu qu’ils parlaient français, les soldats du Royal 22e Régiment ont naturellement été choisis pour aller en Haïti à plusieurs reprises, notamment après le tremblement de terre dévastateur de 2010.

Des parachutistes du 3e Bon en Ukraine se préparent à faire des exercices, juillet 2011. [PHOTO : CPL JAX KENNEDY, CAMÉRA DE COMBAT DES FORCES CANADIENNES]

Des parachutistes du 3e Bon en Ukraine se préparent à faire des exercices, juillet 2011.
PHOTO : CPL JAX KENNEDY, CAMÉRA DE COMBAT DES FORCES CANADIENNES

Le Musée montre également le 22e à l’honneur à nouveau en 1990, pendant la crise d’Oka où des Mohawks d’une réserve de près de Montréal ont érigé des barricades pour protester contre l’expansion d’un terrain de golf et le développement résidentiel. Des manifestants autochtones ont également bloqué le pont Mercier, ce qui a paralysé la circulation des banlieusards à Montréal et fait pression sur le gouvernement du Québec pour résoudre la situation.

Les évènements se sont aggravés quand un membre de la Sûreté du Québec a été abattu d’un coup de fusil, et le gouvernement du Québec a demandé à l’armée d’intervenir. Environ 800 membres du R22R ont remplacé la police et pris position à quelques mètres à peine des barricades. Une image durable de l’époque montre le jeune visage du soldat Patrick Cloutier du Royal 22e Régiment se tenant devant un manifestant autochtone au visage couvert par un foulard, quelques centimètres à peine séparant le nez de l’un de celui de l’autre.

Un membre du régiment revient de patrouille à Kaboul, en Afghanistan, avril 2004. [PHOTO : SGT FRANK HUDEC, CAMÉRA DE COMBAT DES FORCES CANADIENNES]

Un membre du régiment revient de patrouille à Kaboul, en Afghanistan, avril 2004.
PHOTO : SGT FRANK HUDEC, CAMÉRA DE COMBAT DES FORCES CANADIENNES

Les barricades du pont Mercier ont été retirées peu après, et en quelques jours, les manifestants qui restaient ont déposé les armes aux pieds de l’armée.

Pendant la même décennie, le régiment a été en service commandé en Bosnie. L’adjudant Ken Jalbert en était. « J’étais chauffeur d’un transport de troupes blindé. C’était un peu effrayant de se trouver là-bas dans le terrain neutre. Je n’avais que 19 ans à ce moment-là », dit Jalbert.

Le malaise par rapport aux conflits armés à l’étranger s’est ranimé au Québec, en 2007, quand on a annoncé que le Royal 22e Régiment serait renvoyé en Afghanistan. Le Régiment avait servi à Kaboul avant, mais le Kandahar était un endroit très différent. Le gouvernement a tenté de sensibiliser la population de la province relativement à l’armée en invitant les membres des Forces armées canadiennes à un match de football des Alouettes de Montréal et en organisant un défilé à Québec. Les deux évènements ont attiré des foules qui les ont applaudis, et des manifestants qui ont protesté contre l’envoi d’hommes au conflit.

Quand un certain nombre de membres des Forces armées canadiennes ont été invités à l’Assemblée nationale, ils ont été ovationnés. Cependant, quelques membres du Parti québécois sont demeurés cois.

Quelques semaines seulement après son arrivée en Afghanistan, le soldat Simon Longtin a été tué par une bombe enterrée au bord d’une route alors qu’il voyageait dans un convoi canadien au Kandahar. Peu après, un autre membre du 22e a été tué lorsque son véhicule a heurté un dispositif explosif de circonstance, qui a aussi tué un autre soldat canadien et leur traducteur afghan et blessé un caméraman de Radio-Canada. Presque une vingtaine d’autres membres du 22e allaient être tués avant que le régiment ne reparte d’Afghanistan, en 2012.

Les noms de ces morts seront ajoutés au Livre du souvenir, dans la chapelle de la Citadelle : un autre rappel sombre, mais puissant, des cent années de service et de sacrifice du régiment.

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