Explosion accidentelle d’une grenade remémoré 40 ans après

Lorsque Paul Wheeler et Gerry Fostaty se sont réunis en juillet, ils ont pleuré dans les bras l’un de l’autre. Wheeler, cadet instructeur âgé de 17 ans, et Fostaty, sergent de peloton de 18 ans, s’étaient vus pour la dernière fois en juillet 1974, l’été qu’une grenade a explosé dans une salle pleine de cadets lors d’une démonstration de sécurité à la Base des Forces canadiennes Valcartier.

Des couronnes sont déposées près d’une roche commémorative sur laquelle une plaque porte les noms des cadets morts lors de l’explosion de 1974. [PHOTO : Sharon Adams]

Des couronnes sont déposées près d’une roche commémorative sur laquelle une plaque porte les noms des cadets morts lors de l’explosion de 1974.
PHOTO : Sharon Adams

Leurs larmes étaient versées pour leurs compagnons morts ou blessés; pour la douleur des survivants supportée, essentiellement seul, au cours des décennies; et pour leur jeunesse passée.

C’était un jour de pluie, alors l’exposé sur la sécurité des munitions s’est fait à l’intérieur. Des munitions inertes, peintes en bleu pour les distinguer des vraies munitions de couleur verte, avaient été distribuées parmi quelque 140 cadets âgés de 14 ou 15 ans.

Il y avait une grenade verte dans la boite, mais tout le monde présumait qu’il n’y avait pas de danger. Personne ne savait que les grenades bleues de démonstration avaient été transportées avec quelques grenades actives, qu’une grenade active avait été placée dans la boite pour l’exposé.

Elle a fini entre les mains d’Eric Lloyd, âgé de 14 ans, qui a tiré la goupille. Cinq autres cadets et lui ont été tués, et plus de 50 autres, blessés.

En quelques secondes, c’était le pandémonium. Wheeler et Mark Slater étaient assis sur des lits superposés au fond. Des dizaines de garçons grièvement blessés étaient étendus par terre. « Des gens se précipitaient dehors en plongeant par les fenêtres et à travers les vitres. À part nous deux, dans la pièce, il ne restait plus que les blessés et les morts. »

Fostaty et le sergent Charles Gutta sont vite accourus pour donner un coup de main. « C’était très dur, dit Gutta. Il y avait de la chair partout sur les murs, des cadets par terre. » Les ambulances sont arrivées à tour de rôle pour emporter les civières aux hôpitaux de proximité.

Après avoir donné les premiers soins, Fostaty et Wheeler ont dû identifier les corps. « On a vraiment pris un coup de vieux ce jour-là », dit Fostaty.

Tout cela a été rappelé cet été quand les cadets se sont revus lors d’une réunion à la base, à 25 kilomètres au nord de Québec. C’était le 40e anniversaire, un anniversaire d’importance maintenant que l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, Gary Walbourne, se penche sur l’incident presque oublié.

Mais le traumatisme ne touchait pas encore à sa fin. Les cadets qui dormaient au camp ont été séparés et on les a avertis de ne pas parler à qui que ce soit de l’incident, même pas à leurs parents. Ils ont été amenés un à un dans une salle souterraine où les officiers de la force régulière qui menaient une enquête les ont interrogés. Un sténographe judiciaire dont le nez et la bouche étaient couverts par un masque à gaz, aurait-on dit, a enregistré les réunions. « C’était intimidant. Ils nous posaient des questions chacun notre tour. Ils espéraient vraiment pouvoir blâmer les cadets de ce qui s’était passé », dit Wheeler. Les garçons n’avaient personne qui puisse les guider ou les renseigner.

« Ils ont blâmé les cadets, dit Fostaty. Ils m’ont blâmé. C’était plutôt un interrogatoire. » Gutta s’est mis à défendre les cadets, à décrire le contrôle des fourniments, des fouilles à la recherche de contrebande. « Ils essayaient de blâmer les cadets qu’ils accusaient d’avoir apporté la grenade au camp de cadets à la base ».

Un défilé commémoratif a eu lieu une dizaine de jours après l’explosion, au cours duquel les cadets ont appris le nom des morts : Yves Langlois et Mario Provencher, âgés de 15 ans; Pierre Leroux, Eric Lloyd, Othon Mangos et Michael Voisard, âgés de 14 ans. Quelques jours plus tard, le camp d’été a pris fin et les garçons ont été renvoyés chez eux, dans des villes différentes, à des unités différentes et à des parents à qui il leur était interdit de le dire.

L’enquête d’un coroner en 1974 a servi à blâmer les forces d’un « climat de négligence et d’imprudence ». Il a dit que des accusations devraient être portées contre le capitaine Jean-Claude Giroux, qui était responsable des explosifs à la BFC Valcartier, qui a fait l’exposé aux cadets et qui lui-même fut blessé. Giroux a été déclaré non coupable par un tribunal civil lors d’un procès en 1977.

Une poignée d’instructeurs et d’officiers de cadets qui étaient réservistes à l’époque ont reçu une indemnisation et des avantages pour leurs blessures. Mais la grande majorité de ces garçons n’ont même pas reçu des excuses.

Comme ils n’étaient pas membres des Forces armées canadiennes en service actif ni membres de la fonction publique à l’époque, les cadets n’étaient pas couverts par les programmes médicaux, de pension ni d’avantages des Forces armées canadiennes ou des anciens combattants. Les parents avaient plusieurs années pour demander des indemnités en vertu des règlements de l’époque, mais il est peu probable qu’ils le savaient, ou qu’ils aient fait le lien entre l’aggravation des difficultés de leurs fils et le TSPT qui n’a commencé à être diagnostiqué par l’armée elle-même que dans les années 1980.

« Chacun supposait simplement que quelqu’un d’autre s’en occuperait, dit Fostaty. Mais il n’y avait personne d’autre. Il n’y a pas eu de counseling, pas de compte rendu. Tout le monde a laissé tomber. » Après l’enquête du coroner et le procès civil, « tout le monde a été disculpé, et ça a juste disparu. »

Le monde est passé à autre chose. On a fait davantage attention à la sécurité des cadets. Le cours de sécurité des explosifs a été enlevé du programme des cadets en 1975. Beaucoup de personnes qui ont entendu parler de l’incident par la suite l’ont répudié comme étant un mythe.

Toutefois, c’est la triste réalité pour Wheeler et Fostaty dont les rêves d’une carrière militaire n’étaient plus. « De bon élève que j’étais dans tous les sujets, je me suis mis à échouer mes cours, dit Wheeler. J’ai décroché. Je ne pouvais pas dormir, je faisais des cauchemars tout le temps à cause de ce qui s’était passé, et je me suis éloigné de ma famille. J’ai juste pensé que j’étais devenu un perdant. » Wheeler est passé d’une chose à l’autre et a fini par devenir instructeur d’arts culinaires en Saskatchewan. Fostaty a renoncé à son ambition militaire et a commencé une carrière de comédien. Ils ont tous les deux vécu pendant des décennies avec un TSPT non diagnostiqué.

Un jour, Fostaty a affiché un commentaire au sujet de l’incident sur un site Web, et quelqu’un l’a rapporté à Gutta. « L’article était atroce », dit Gutta. Il s’est mis à la recherche des cadets. « C’est là que j’ai vraiment eu vent de la tragédie globale, de sa portée, de l’importance qu’elle avait eue. Ces cadets n’ont pas eu d’aide. Aucune aide du tout. »

En 2008, Gutta avait trouvé assez de cadets pour commencer à tenir des commémorations annuelles au Camp d’été de cadets de Valcartier. Il correspond maintenant régulièrement avec 87 des cadets, dont la plupart, estime-t-il, sont envahis par un TSPT. Il a lui-même lutté avec des symptômes pendant des années avant de recevoir un diagnostic et obtenir de l’aide. Il a exhorté plusieurs de ses anciens élèves à se faire examiner relativement à un TSPT. Quand les anciens cadets ont commencé à communiquer entre eux, certains se sont mis à parler d’une enquête, d’indemnités pour frais médicaux et d’excuses. Il y en a qui ont commencé à parler d’un recours collectif.

Des politiciens de l’opposition sont intervenus en 2013. Le Nouveau Parti Démocratique a commencé par presser le ministre de la Défense nationale, Rob Nicholson, d’autoriser l’ombudsman militaire à mener une enquête, et il a lancé une pétition à l’appui.

Le nombre de signatures de la pétition du NPD est monté en flèche et, en mai, l’ombudsman a reçu le feu vert pour enquêter en se concentrant sur la manière dont les cadets et leurs familles ont été touchés et traités par le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes. Trois enquêteurs ont passé des heures à interviewer les cadets pendant la fin de semaine de l’anniversaire. Le rapport n’a pas encore été rendu public à l’heure où nous mettons sous presse.

Gutta souhaite une indemnisation pour les cadets blessés. « Certaines de ces personnes, leurs vies ont été détruites par ça. Ils arrivent à l’âge de la retraite, et ils n’ont rien. » Il aimerait qu’une exception soit faite pour qu’Anciens Combattants Canada puisse prendre soin de ceux qui ont des blessures physiques ou mentales.

Aujourd’hui, les demandes d’indemnisation seraient examinées par la section des réclamations et des contentieux des affaires civiles en tenant compte d’un examen des politiques actuelles sur les réclamations et les paiements volontaires par le Conseil du Trésor fédéral. À moins, bien sûr, que l’ombudsman recommande une indemnité spéciale et que le gouvernement fédéral lui donne son accord.

Il y a quatre ans, un trouble de stress posttraumatique a été diagnostiqué à Wheeler à cause de l’explosion. Il se blâmait pour la mort d’un des cadets. « Il avait des blessures au visage et à la gorge causées par des éclats d’obus. J’essayais de garder ses voies respiratoires ouvertes, et il a perdu connaissance. Moi, il m’a semblé qu’il avait succombé. J’ai passé les 35 années suivantes à penser qu’il était mort parce que je n’avais pas su l’aider. »

Ce que Wheeler ne savait pas, c’est que le garçon a rendu l’âme à l’hôpital, pas dans ses bras. Cette information aurait transformé sa vie du tout au tout. « Ce serait bien, dit Wheeler, si quelqu’un du gouvernement avait dit “Eh bien, nous sommes désolés de ce qui est arrivé”. Et cela voudrait dire beaucoup. »

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