Face-À-Face sur le port des médailles d’un ancien combattant décédé

Les membres de la famille d’un ancien combattant devraient-ils avoir le droit de porter ses médailles militaires après son décès?

L’auteur Glenn Wright d’Ottawa dit que NON. L’auteur John Boileau d’Halifax dit que OUI.

Wright travaillait au gouvernement fédéral en tant qu’archiviste et historien à Bibliothèque et Archives Canada et à la GRC, avant de prendre sa retraite. Il a écrit des livres sur le service du Canada à la guerre. Boileau est un ancien colonel de l’armée de terre qui a écrit plusieurs livres et de nombreux articles sur l’histoire militaire pour des journaux et des revues. Il est aussi reporter sur les questions militaires souvent à la radio et à la télévision.

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GLENN WRIGHT

NON

Les médailles de service ainsi que les décorations et récompenses sont portées à l’occasion par les membres de la famille le jour du Souvenir en signe de respect et pour commémorer le récipiendaire et sa contribution au service militaire. Pourtant, la loi et les coutumes canadiennes sont sans équivoque : les médailles militaires ne doivent être portées que par la personne à qui elles ont été décernées.

Souvenons-nous de ce que représente la médaille, bien sûr, mais méfions-nous d’une pratique qui pourrait bien vite mener à un usage abusif ou à une déformation.

Les médailles ne sont pas des bijoux de fantaisie. Elles relient les récipiendaires à un moment de leur vie où le service à la nation avait préséance sur tout le reste. Des miliciens à la guerre de 1812 jusqu’aux hommes et aux femmes qui ont servi en Afghanistan, il s’est agi d’une décision concernant la défense de notre pays, de nos valeurs et de notre mode de vie. Permettre à la famille de porter ces médailles déprécie les décorations elles-mêmes. Après tout, quel droit avons-nous de nous approprier l’expérience, le sacrifice et la valeur du récipiendaire d’origine, et pour quelle raison? Un protocole selon lequel on porterait les médailles du côté gauche plutôt que du côté droit serait-il évident pour toute personne qui les voit? Cela prêterait à confusion et rendrait un mauvais service à tous les anciens combattants, et ce serait un manque de respect envers ceux qui les ont méritées.

Si la loi actuelle était modifiée, quel serait le protocole et comment serait-il appliqué? Et si l’on abusait du port des médailles et qu’on les portait des jours autres que celui du Souvenir? Est-ce que cela donnerait lieu à d’autres demandes? Est-ce que la parenté voudrait aussi porter d’autres récompenses ou décorations, comme l’Ordre du Canada? La valeur et la signification réelles de la médaille en seraient banalisées.

Est-ce que porter la médaille d’un militaire qui a servi à la Seconde Guerre mondiale rappelle vraiment le combattant au souvenir deux ou trois générations plus tard? Quelqu’un de 14 ans devrait-il porter la Croix du service distingué dans l’Aviation de son arrière-grand-père? Les médailles devraient être chéries et gardées précieusement par la famille parce qu’elles sont un lien tangible avec le récipiendaire ou peut-être le seul rappel qu’on a d’un être cher. Pourquoi risquer de les perdre, de les endommager ou de se les faire voler en les portant en public?

Il y a d’autres moyens de chérir le souvenir d’un ancien combattant. Maintenant qu’approchent le centenaire de la Grande Guerre et le 75e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, nous pouvons commémorer nos ancêtres anciens combattants en étudiant ce qu’ils ont fait. Des fichiers de service de la Première Guerre mondiale au complet seront offerts à tout le monde en ligne grâce à Bibliothèque et Archives Canada au début de 2015. Les états de service de ceux qui sont morts à la Deuxième Guerre mondiale sont actuellement offerts sans restriction.

Il y a des choses autres que le port des médailles d’un ancêtre qu’on peut faire. On se souvient déjà des héros tombés au champ d’honneur de plusieurs manières, la plus populaire étant le port d’un ruban commémoratif comme on le fait dans les Forces armées canadiennes, les services de police et ailleurs. Plutôt que de porter des médailles originelles souvent précieuses et irremplaçables, pourquoi ne pas créer un ruban commémoratif distinctif que les proches pourraient porter au jour du Souvenir en l’honneur des anciens combattants, même en l’honneur des ancêtres d’antan, qui ont servi notre pays? Ce serait simple et pratique.

En fin de compte, pour ceux qui parmi nous ont un lien familial au service en temps de guerre ou de paix, notre présence aux cérémonies du 11 novembre indique notre reconnaissance et les liens émotionnels que nous avons non seulement envers un parent qui a servi, mais envers tous les anciens combattants qui se sont battus et qui sont morts pour la patrie. Peut-être un jour du Souvenir à venir, quand nous serons nombreux à porter un ruban commémoratif, nous pourrons honorer les morts sans nous approprier ce qu’ils ont mérité avec tant de bravoure.

JOHN BOILEAU

OUI

Charlotte Wood de Winnipeg, la première Mère de la Croix d’argent canadienne, assistait au dévoilement du mémorial national canadien de Vimy en 1936. Elle avait 12 fils, dont plusieurs avaient servi dans les forces canadiennes ou britanniques. Ils n’avaient pas tous survécu à la guerre.

Aux cérémonies, elle portait les médailles décernées à ses enfants.

Si elle avait porté leurs médailles au Canada, elle aurait enfreint la loi.

Depuis 1920, l’article 419 du Code criminel du Canada prévoit que  « Quiconque, sans autorisation légitime […] selon le cas: […] porte […] une médaille […] ou toute décoration ou ordre accordé pour services de guerre […] est coupa-ble d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. »

Peut-être parce que cela se passait ailleurs qu’au Canada, aucun chef d’accusation n’a été porté contre Charlotte Wood.

En fait, il est rare que l’on dépose des accusations contre les gens porteurs de médailles d’autrui. Il appartient à la police d’enquêter et de porter des accusations, aux procureurs de la Couronne de soutenir ces accusations devant les tribunaux et aux juges de les entendre et de se prononcer. Mais il semble que l’on n’estime pas que ce soit dans l’intérêt public que de procéder à de telles mises en accusation : peut-être parce qu’on considère que ce serait inconvenant.

Cette loi a été promulguée, semble-t-il, pour dissuader les gens d’usurper l’identité de vétérans de la Première Guerre mondiale qui avaient droit à certains avantages. Même si c’était alors une bonne raison (pourquoi ne pas montrer simplement un certificat prouvant qu’on a été rendu à la vie civile), c’est certainement sans fondement en ces jours d’états de service numérisés.

Le port, par un proche, des médailles d’un ancien combattant est devenu un sujet d’actualité. Des arguments ont été avancés des deux côtés. La plupart des gens qui s’y opposent croient que les parents n’ont pas mérité le droit de les porter, ou ils voient cela comme étant une tentative de flatter leur orgueil, ce qui abaisserait leur valeur. Mais les parents des anciens combattants
ne prétendent pas avoir mérité ces médailles. Ils veulent les porter pour d’autres raisons.

Bien que le Code criminel interdise le port de médailles, décorations ou ordres militaires décernés pour le service à la guerre, il semblerait que plusieurs médailles peuvent être portées légalement par les autres, comme les diverses médailles commémoratives. Il semblerait aussi que les médailles militaires qui n’ont pas été décernées pour le service à la guerre peuvent aussi être portées par les autres, y compris la Médaille du service spécial et la Décoration des Forces canadiennes.

La directive canadienne sur les ordres, décorations et médailles (1998) prévoit que « Les insignes des ordres, décorations et mé-dailles ne peuvent être portés que par le récipiendaire […]. » Il est cependant douteux que des accu-sations ne soient jamais portées en vertu de cette directive. En fait, il est difficile d’imaginer que les Canadiens tolèrent la poursuite en justice de quelqu’un qui aurait porté les médailles d’un être cher lors de certaines occasions.

Bien qu’il soit interdit de porter les médailles d’un ancien combattant en Grande-Bretagne et dans certains autres pays du Commonwealth, ce n’est pas un problème dans ces pays si l’ancien combattant est décédé. Comme il est dit dans le site Web de la Royal British Legion, « les médailles décernées à une personne des services décédée peuvent être portées du côté droit de la poitrine par un parent », plutôt que du côté gauche de la poitrine, où la plupart des décorations reconnues sont portées selon le Régime canadien de distinctions honorifiques.

Quelle solution raisonnable, solution que le Canada pour-rait adopter.

Cela pourrait se réaliser au moyen de quelques simples directives. Par exemple, les médailles ne pourraient être portées que du côté droit (comme le sont les médailles de la Légion), l’ancien combattant devrait être mort, on ne pourrait porter qu’un ensemble de médailles à la fois et seuls les parents ou descendant direct à perpétuité pourraient les porter, et ce, en certaines occasions appropriées, comme le jour du Souvenir.

Quelle belle manière de montrer sa gratitude envers le service de l’ancien combattant disparu, de lui rendre hommage, de montrer la fierté ressentie envers ses exploits et d’honorer son héritage!

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