Quand on voyage à l’intérieur de la Corée du Sud dans le train à grande vitesse KTX de Séoul à Busan, on ne peut échapper au rythme hypnotique des collines et des vallées pleines de rizières qui montent.
« Les collines… on n’oublie jamais les collines », ai-je entendu dire plusieurs Canadiens vétérans de la guerre de Corée.
Les collines sont peut-être intemporelles, mais on ne pourrait surement pas en dire autant de la Corée du Sud. Les changements qui y ont eu lieu durant les 60 ans suivant l’armistice signée par la Corée du Nord et la Corée du Sud le 27 juillet 1953 ont été traités de miraculeux. Et pourtant, on a encore l’impression que le temps s’est arrêté, que deux armées se font face, pleines de mépris et de méfiance, le long de la zone démilitarisée qui sépare le nord du sud.
Il était évident, lors de la célébration du 60e anniversaire du cessez-le-feu, que cette Corée du Sud a changé. Bien que les Sud-Coréens marquent normalement l’anniversaire du début de la guerre, le monde occidental préfère célébrer la fin des batailles et des guerres. Pour la première fois, le gouvernement sud-coréen a donc invité des délégations de dignitaires et d’anciens combattants à Séoul, où a eu lieu une cérémonie spéciale en remerciement et en l’honneur de l’alliance de 60 ans. Le thème en était Notre avenir commun.
Pour l’occasion, le service coréen de la culture et de l’information, un organisme du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme, a invité des journalistes de neuf des pays qui ont appuyé la Corée du Sud en envoyant des troupes de combat ou des unités médicales à Séoul entre le 24 et le 31 juillet. Nous sommes la seule organisation médiatique canadienne dans le groupe. Non seulement avons-nous assisté à la cérémonie au monument de la guerre le 27 juillet, mais nous avons aussi eu l’occasion de bavarder avec des politiciens et des érudits.
Nous avons souvent croisé 10 autocars pleins de vétérans de la guerre de 1950-1953 des 21 pays qui ont offert leur appui militaire ou médical. Ils étaient là dans le cadre du programme de retour en Corée parrainé par le gouvernement.
Il y avait parmi eux 10 anciens combattants canadiens faisant partie de la délégation dirigée par le ministre des Anciens Combattants, Julian Fantino, et accompagnés du sénateur Yonah Martin, né à Séoul et du sénateur Joseph Day, membre du Sous-comité sénatorial des anciens combattants.
Archie Walsh de Sydney (N.-É.), âgé de 78 ans, était l’un d’entre eux. Il a servi dans le Corps royal de l’intendance de l’Armée canadienne, et il se souvient d’à quel point les choses allaient mal vers la fin de la guerre. « Le peuple mourait de faim. Quand on terminait un repas, surtout le petit-déjeuner, il y avait des déchets qu’on devait jeter. Des gens les fouillaient à la recherche de nourriture. On essayait de les en empêcher, mais on ne pouvait pas », dit Walsh.
En examinant les conditions de la Corée d’après-guerre, le général américain Douglas MacArthur a prédit, on s’en souvient, qu’il faudrait au pays « 100 ans pour se remettre de la dévastation ». Ces mots sont ironiquement affichés dans une exposition du musée national d’histoire contemporaine de Séoul.
Le 20e siècle a été une période de grande agitation en Corée. Bien qu’on la surnommait le royaume ermite au 19e siècle, elle a proclamé l’empire coréen en 1897 et s’est mise à moderniser son économie, son armée et son système d’éducation. Cela n’a guère duré parce que les Japonais l’ont envahie et colonisée en 1910. Des millions de Coréens ont été contraints aux travaux forcés et des milliers ont été obligés de joindre les rangs de l’armée japonaise.
La Corée a obtenu la liberté lors de la reddition des Japonais à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Union soviétique et les États-Unis ont occupé la péninsule à ce moment-là. Aux fins administratives, l’Union soviétique contrôlait le nord du pays à partir du 38e parallèle alors que le sud était administré par les États-Unis.
Les deux Corée sont devenues des États séparés en 1948, au temps de la guerre froide, la Corée du Nord étant un pays satellite des communistes sous Kim Il-sung tandis que la Corée du Sud, dirigée par Syngman Rhee, devenait une nation multipartite ayant une économie de marché capitaliste.
Le matin du 25 juin 1950, la Corée du Nord a envahi la Corée du Sud. En quelques jours, elle capturait Séoul et créait une crise à l’Organisation des Nations unies nouvellement créée. On se mit d’accord pour que les membres de l’ONU forment une force servant à repousser les soldats nord-coréens au-delà du 38e parallèle.
Le Canada a répondu en envoyant tout d’abord trois navires, les NCSM Cayuga, Athabaskan et Sioux, et en ordonnant au 426e Escadron de voler régulièrement entre la base de l’armée de l’air McChord à Washington et le terrain d’aviation de Haneda à Tokyo.
En aout, le Canada autorisait le recrutement de la Force spéciale de l’Armée canadienne. On demandait des volontaires, dont une grande partie se composait de vétérans de la Seconde Guerre mondiale, afin de former les deuxièmes bataillons de régiment régulier : le Royal Canadian Regiment, le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry et le Royal 22e Régiment. Its étaient appuyés par l’artillerie, les signaleurs et le personnel soignant. Plus de 26 000 Canadiens ont servi en Corée.
Les négociations sur le cessez-le-feu ont commencé en juillet 1951. Elles ont duré deux ans. Pendant ce temps-là, les Canadiens menaient une guerre défensive, recherchant les patrouilles ennemies et effectuant leurs propres patrouilles pour vérifier les forces et les positions de l’ennemi. C’était quand même une guerre fatale. Lorsqu’elle a pris fin, 516 Canadiens avaient été tués et plus de 1 200, blessés.
Il y a eu une grave pénurie de denrées alimentaires après la guerre. Il ne restait presque plus d’arbres sur les collines à cause des bombardements incessants, et la terre était sujette aux inondations. Un grand nombre de Coréens quittaient la campagne pour la ville à la recherche d’emplois, fait remarquer Kim Jihong, professeur de l’institut du développement de la Corée, à Séoul.
En 60 années seulement, la Corée du Sud est devenue la huitième économie mondiale et elle fait partie de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), du G20 et de l’Organisation mondiale du commerce. Le revenu moyen par habitant en Corée du Sud est de 25 fois supérieur à celui de la Corée du Nord, et l’écart continue de se creuser depuis l’effondrement de l’Union soviétique. « Comment expliquer cet écart? Les Coréens du Sud et ceux du Nord sont le même peuple, et ils le sont depuis 4 000 ans. Il n’y a que 60 ans qu’ils sont séparés [depuis la création de la zone démilitarisée], dit Kim. La différence principale est la structure de l’incitation. La Corée du Sud s’ouvre sur l’extérieur. La Corée du Nord s’isole et, en conséquence, son économie stagne. »
La Corée du Sud s’est transformée, d’une structure économique du vieux monde qu’elle avait, où la main-d’œuvre à bon marché était une importante source de revenus étrangers, à une économie de service. Elle rivalise avec l’Amérique du Nord dans le marché de l’automobile grâce à Hyundai, et Samsung est un chef de file mondial en ce qui concerne les ordinateurs et autres produits électroniques. C’est le deuxième producteur d’acier au monde. Soixante-dix pour cent de tous les navires construits aujourd’hui le sont en Corée du Sud.
Kim dit que la raison du succès de la Corée du Sud, c’est la confiance. C’est une démocratie où des élections ont lieu tous les cinq ans. Son système juridique est stable et la propriété privée est garantie.
Les épreuves de la guerre de Corée sont un souvenir qui s’estompe d’après le ministre du Patriotisme et des Affaires des anciens combattants, Park Sung Choon. « J’avais cinq ans à ce moment-là, mais je me souviens encore d’avoir fui le petit village de pêcheurs où j’habitais. »
Bien que l’économie de la Corée du Sud soit en plein essor, Park fait remarquer la frustration d’un pays divisé. « Les relations [entre la Corée du Nord et celle du Sud] sont tendues ces jours-ci à cause du lancement par la Corée du Nord d’un missile à longue portée relatif aux essais nucléaires et de la fermeture du complexe industriel Kaesong [entreprise commune des deux Corée où étaient employés des centaines de Nord-Coréens]. »
Toutefois, Park pense que les deux pays finiront par se réunir. « La guerre de Corée ne prendra fin que lorsque les deux Corée ne feront plus qu’une. »
La croyance que les deux Corées se réuniront un jour a donné naissance à l’institut coréen pour l’unification nationale. « La Chine pense que la stabilité est la meilleure chose qui puisse arriver dans la péninsule coréenne, dit Kim Jiwook, président par intérim de l’institut. « L’unification, c’est ce que voulaient nos parents. Il y a 20 ans, l’appui pour la réunification s’élevait à 91 p. 100. Aujourd’hui, elle est d’à peu près 70 p. 100, alors la génération la plus jeune semble moins lui donner son appui. »
Il explique que le travail de l’institut est d’analyser la situation politique et les politiques gouvernementales afin de se préparer à relever le défi de la réunification, quelle que soit la manière dont elle arrive.
La sécurité à la simple cérémonie du 27 juillet est stricte. Les personnes qui connaissent bien les systèmes de sécurité aux aéroports seraient surpris de voir les soldats mettre leurs pistolets automatiques dans des corbeilles avant de passer par les détecteurs de métal, et de les voir reprendre leurs armes de l’autre côté.
Les invités ont pris place pendant que des interprètes font des exercices militaires de précision, et des danses et de la musique traditionnelles.
Le premier ministre de Nouvelle-Zélande, John Key, prenant la parole au nom de tous les pays alliés, a félicité la Corée du Sud pour son émergence économique et ses occasions de commerce.
La présidente sud-coréenne, Park Geun-hye, a adopté une ligne de conduite ferme à la suite de la belligérance récente du Nord. « Je n’accepterai pas de provocation qui risque la vie et la propriété de notre peuple, dit-elle. La Corée du Nord doit abandonner ses armes nucléaires maintenant et changer afin de se tenir responsable de la liberté et des moyens d’existence de sa population. »
La petite cérémonie se termine lorsqu’une chorale chante la chanson de Burt Bacharach et Carole Bayer Sager That’s What Friends Are For pendant que des écoliers défilent sur la scène en arborant les drapeaux des 21 pays représentés à la cérémonie.
À Busan, la plus grande ville portuaire de la côte est de la Corée du Sud, une cérémonie se tient au cimetière commémoratif des Nations unies en Corée. Là, 2 267 militaires ont été enterrés, dont 378 Canadiens. Le nom de 16 Canadiens morts pendant la guerre dont la tombe est inconnue a été inscrit sur un monument du Commonwealth. « Trois de mes bons amis sont enterrés ici », dit Jim Burns, âgé de 79 ans, de Sydney (N.-É.) aussi, qui a servi dans le Black Watch du Canada. « Ils sont morts dans des accidents. L’un d’eux a été tué par un pistolet-mitrailleur Sten qui a fait feu automatiquement en tombant d’une table. C’étaient des armes terribles. On ne pouvait pas s’y fier. »
À la cérémonie ont assisté le ministre du Patriotisme et des Affaires des anciens combattants Park, le premier ministre de la Nouvelle-Zélande, et le prince Richard, duc de Gloucester, qui représentait la Grande-Bretagne.
La délégation canadienne a tenu une cérémonie séparée au monument canadien, les anciens combattants y déposant des couronnes et des coquelicots sous la pluie. Peu après, le sénateur Day a trouvé la tombe des frères Hearsey et y a déposé des fleurs.
Le soldat Joseph William Hearsey d’Ignace, en Ontario, est mort le 13 octobre 1951. Ce soldat de 22 ans appartenant à la PPCLI était le frère ainé d’Archibald Hearsey qui s’était engagé pendant les premiers mois de la guerre. Joseph s’était engagé parce qu’il s’inquiétait de son cadet, et il a essayé de le retrouver quand il est arrivé en Corée, mais il est mort avant que n’ait eu lieu leur réunion.
Archibald est mort en 2011, et il a laissé écrit dans son testament qu’il désirait que ses cendres soient enterrées près de son frère. Le ministre du Patriotisme et des Affaires des anciens combattants a accordé une permission spéciale afin que les cendres soient ensevelies dans le cimetière qui était par ailleurs réservé aux morts de guerre. Une petite cérémonie a eu lieu en avril 2012 et une plaque a été fixée sur la pierre de Joseph. Il y est écrit que les cendres d’Archibald sont aussi enterrées dans la tombe.
N’importe le point auquel la Corée du Sud a prospéré, on ne peut faire autrement que sentir, en se rendant à la zone démilitarisée, à une heure de voiture de Séoul, que la marche du temps s’est arrêtée. Elle borde la ligne de démarcation décidée il y a 60 ans, laquelle s’étend sur 248 kilomètres, à partir de la première pancarte, 0001, au bord de la rivière Imjin, jusqu’à la dernière, 1292, à Dongho-ri, à la côte est.
Là, des autocars pleins de visiteurs sont reçus par le personnel de l’armée américaine qui les informe sur la tension entre les deux nations. Les visiteurs sont alors emmenés à Panmunjom où les négociations ont pris place, et où des cabanes servent aux discussions continues. C’est là que l’on voit des soldats des deux Corée en position d’arts martiaux qui ne se quittent pas des yeux comme l’ont fait leurs prédécesseurs depuis que les combats sont terminés.
En allant vers Busan dans le train KTX, je ne pense pas à la vitesse, mais au voyage en train plus court et plus lent que j’ai fait quelques jours auparavant de la gare d’Imjin à celle de Dorasan.
Dans ce train et à la gare de Dorasan, nous avons rencontré des anciens combattants et d’autres dignitaires. L’arrêt à la gare de Dorasan est le dernier avant la Corée du Nord. Il n’y a pas eu de train sur cette voie ferrée depuis la guerre, jusqu’à ce que le président des États-Unis George W. Bush visite la gare, en 2002.
C’est là que les organisateurs de l’anniversaire ont tenu un concert pour la paix mondiale, pour les forces de l’ONU qui avaient fait la guerre de Corée. Le marbre du sol de la gare causait une acoustique sinistre pour la belle musique classique et les chansons folkloriques coréennes jouées par des musiciens des 21 pays qui ont pris part aux combats de l’ONU. Le concert était dirigé par Francesco La Vecchia d’Italie, et le premier violon était le Canadien Jeffrey Dyrda.
Dorasan se trouve à 56 kilomètres de Séoul et à 205 kilomètres de la capitale nord-coréenne de Pyongyang. On espère qu’un jour ce sera une porte pour les gens et les biens se déplaçant dans les deux directions en Corée du Nord, en Chine et en Russie.
La vieille gare est un symbole de la division qui existe encore ainsi que de l’espoir pour l’avenir.
Comments are closed.