VIMY : À TRAVERS LES GÉNÉRATIONS

Les Canadiens à Vimy. [PHOTO : MDN/BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA001131]

Les Canadiens à Vimy.
PHOTO : MDN/BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA001131

95e ANNIVERSAIRE

Le silence règne dans les champs qui entourent le Mémorial national canadien de Vimy, à quelque 175 kilomètres au nord de Paris. Les champs de bataille criblés de trous où 100 000 Canadiens se sont battus il y a 95 ans ont été adoucis par le temps, les murs effondrés des tranchées sont habillés d’herbes, et ils sont entourés par une forêt aux verts printaniers. C’est un contraste avec le terrain neutre boueux, les cratères d’obus pleins d’eau et les souches d’arbre éclatées qu’il restait après la pluie métallique de plus d’un million d’obus tombée pendant la bataille de la crête de Vimy, en avril 1917.

Aujourd’hui, rien ne bouge dans le terrain ondoyant. Le froid et la pluie drue ont fait même les oiseaux se mettre à l’abri. Mais une mince ligne foncée dansante apparait au-dessus d’une crête verte, et bientôt un chœur de voix aigües et excitées se fait entendre. Et les voilà qui apparaissent : des cadets et des élèves d’écoles secondaires, une queue de plus de 4 500 jeunes, par rangées d’une douzaine, à qui il faut 45 minutes pour remplir le champ devant le monument.

Encore une armée de jeunes Canadiens venue à la crête de Vimy.

Les Canadiens à Vimy. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Les Canadiens à Vimy.
PHOTO : SHARON ADAMS

Certains sont arrivés il y a déjà quelques heures, attendant de jouer un rôle crucial lors de la cérémonie tenue en l’honneur du 95e anniversaire de la bataille qui a servi à forger l’identité nationale du Canada. Ils se serrent en petits groupes sous la pluie tombant à flots, se resserrant sous un plafond de parapluies. Ils ont froid. Ils sont mouillés. Et de toute leur vie ne se sont-ils sentis plus canadiens. « Les gens nous abordent et nous disent “merci de ce que vous avez fait”, même si les réalisations sont celles d’une génération précédente », dit Sadie McLean de Courtice, en Ontario.

« Se trouver ici, où ils se sont battus […]. Je me sens si fière d’être Canadienne », ajoute Haleigh McDonald de Newmarket, en Ontario.

« On ne peut pas comprendre ce sentiment avant de venir ici », dit Victoria Klein de Whitby, en Ontario, dont l’oncle du père portait, jusqu’à la tombe, un éclat d’obus lancé par un char allemand de la Seconde Guerre mondiale.

« Cela l’a fait vivre pour moi, remarque Christian Bellow de Corner Brook, à Terre-Neuve. On voit les tranchées et ce qu’ils devaient faire pour traverser la zone interdite. » Son camarade de classe Evan Wheeler ajoute : « Les gens se sont battus ici et sont morts ici même, où on se trouve. » Et pour Lucas Graham de Newmarket, en Ontario, « c’est une révélation. Ce n’est plus rien qu’un nombre quand on voit les tombes. »

Les écoliers ont toutes sortes de réponses quand on leur demande de quelle manière ils tiendront leur engagement au souvenir : en le disant aux amis et à la famille, en encou-rageant les autres écoliers à faire un voyage de commémoration, en transmettant le message au moyen de sites de médias sociaux comme Twitter et Facebook, en n’oubliant pas d’en parler à leurs futurs enfants, ou en faisant du bénévolat à une filiale de la Légion royale canadienne ou à une résidence pour anciens combattants.

Des écoliers en visite à Beaumont-Hamel. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Des écoliers en visite à Beaumont-Hamel.
PHOTO : SHARON ADAMS

Au cours de l’après-midi détrempée, les jeunes ne font que peu de cas du mauvais temps, disant qu’au moins, aujourd’hui, c’est de la pluie, pas de la neige comme lors de ce lundi saint d’il y a longtemps. « Il fait froid et il pleut, mais ça nous donne une petite idée de comment ça s’est passé il y a 95 ans », explique Thomas Littlewood, âgé de 20 ans, un étudiant de l’Université Mount Allison de Quispamsis, au Nouveau-Brunswick, qui s’est porté volon-taire auprès de la Fondation Vimy et des EF Tours pour organiser les élèves.

Les jeunes font partie d’une foule de plus de 7 500 personnes à la cérémonie poignante servant à marquer l’anniversaire, le 9 avril. Il y a des dignitaires, des représentants, des politiciens, des anciens combattants, des citoyens locaux, des Canadiens et des Bretons qui sont venus honorer ceux qui ont versé leur sang pour la liberté dont on profite au Canada aujourd’hui. Parmi eux, 105 membres des Forces canadiennes représentent les régiments, les branches et les corps qui participèrent à la bataille de 1917, y compris une garde de 50 militaires et 30 membres de la Musique du Royal 22e Régiment. Les cadets de l’unité d’Ottawa du peloton de cadets des Royal Canadian Dragoons étaient accompagnés par le major Arthur William Currie, petit-fils du major-général Arthur Currie, le novateur qui dirigea la 1re Division canadienne à la bataille de Vimy.

La délégation d’Anciens Combattants Canada comprenait le sergent cornemuseur Matthew MacIsaac, dont le grand-père, John A. MacDonald, surnommé Black Jack, joua de la cornemuse sur la crête de Vimy il y a 95 ans. « C’est tout un honneur, dit-il après la cérémonie. Le monument donne l’impression qu’on se trouve au Canada. On en entend parler, on le lit dans les livres, mais tant qu’on ne l’a pas vu et qu’on n’a pas vu le champ de bataille et les trous d’obus et tous les cratères […]. Ça ne résonnait pas chez moi avant de voir tout ça. »

De jeunes Canadiens ont participé tout au long de l’évènement : des groupes de cadets ont pris la tête de la procession des jeunes sur le terrain du mémorial; les écoliers Jonathan Brennan et Shannon Maili-McAleer ont récité Au Champ d’honneur; des élèves de toutes les provinces et de tous les territoires, debout sur le monument à côté de la mère Canada, ont lu à voix haute le nom d’un soldat tué pendant la bataille; Lizzy et Sarah Hoyt ont chanté leur chanson désolante Vimy Ridge; Matt Michon et Laura Williams ont récité l’Engagement au Souvenir; les jeunes voix se sont fait entendre clairement en chantant O Canada pendant le service et, spontanément, au concert et à la célébration qui ont eu lieu en soirée.

Le gouverneur-général David Johnston et le maire de Thélus, Bernard Milleville, entourés d’enfants. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Le gouverneur-général David Johnston et le maire de Thélus, Bernard Milleville, entourés d’enfants.
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Les écoliers et les cadets ont applaudi à tout rompre l’arrivée du flambeau du Souvenir de la Légion royale canadienne. Il avait été allumé à l’Essex Farm, en Belgique, près de l’endroit où le lieutenant-colonel John McCrae écrivit In Flanders Fields. Une procession de jeunes représentant chaque province et territoire a apporté le flambeau au monument. C’est un symbole commémoratif pour les 4 500 élèves prenant part à la tournée de commémoration pour écoliers d’EF National Student Tour et dont chacun représentait un soldat qui s’est battu à Vimy.

« Oui, 95 ans après, la mère Canada pleure encore », dit le ministre d’Anciens Combattants Canada, Steven Blaney, à propos de la statue emblématique du monument qui pleure ses morts. « Nous avons la responsabilité de transmettre le flambeau allumé. Les jeunes Canadiens sont ceux qui vont transmettre le flambeau allumé. C’est votre engagement à cet égard qui fera que l’héritage durera pendant les années à venir. »

« Nous sommes ici dans un lieu sacré, dit le gouverneur général David Johnston, un lieu marqué par un conflit dévastateur, un lieu où beaucoup de sang a coulé, un lieu de chagrin extrême, mais nous sommes aussi à l’enseigne du courage, de l’ingéniosité, de la collaboration et de la détermination d’hommes qui portaient les armes pour rétablir la paix. »

Pendant la cérémonie, des couronnes ont été déposées en l’honneur de ceux qui se sont battus; par Johnston, Blaney, Marc Laffineur (secrétaire d’État français de la part du mi-nistre de la Défense et des Anciens Combattants) des Forces canadiennes, de la Nouvelle-Zélande, de la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth, et par Patricia Varga, présidente nationale de la Légion royale canadienne, de la part des anciens combattants. Gene Heesaker du Conseil national des associations d’anciens combattants, Neil McKinnon de l’Association canadienne des Anciens combattants de l’armée, de la marine et des forces aériennes au Canada, J. Roberts O’Brien de l’Association canadienne de Vétérans des forces de la paix des Nations Unies et Reno St. Germain du Veterans NATO-UN Canada Group ont aussi déposé une couronne. Heesaker, St. Germain et Jack Wynne ont récité l’Acte du Souvenir en anglais, en français et en cri.

L’agent de la GRC Jason Lilly, le ministre des Anciens Combattants Steven Blaney et l’ancien combattant Reno St-Germain au cimetière no 2. [PHOTO : SHARON ADAMS]

L’agent de la GRC Jason Lilly, le ministre des Anciens Combattants Steven Blaney et l’ancien combattant Reno St-Germain au cimetière no 2.
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Les Français ont octroyé aux Canadiens 117 hectares à l’endroit où eut lieu la bataille, pour qu’on y érige le monument conçu par Walter Allward, en signe de reconnaissance du sacrifice national du Canada. Ses deux grands pylônes qui représentent le Canada et la France sont visi-bles à des kilomètres à la ronde; d’une certaine distance, on dirait des mains levées lors de la prière. Sur ses murs sont inscrits les noms des 11 285 Canadiens morts à la Première Guerre mondiale et dont le lieu du dernier repos est inconnu. La crête de Vimy est aussi l’endroit où gisent 3 600 Canadiens, « une parcelle du Canada à quelque 4 000 kilomètres de notre côte la plus près », dit Johnston.

La bataille qui a eu lieu ici « est un symbole résistant, éternel de qui nous sommes », a-t-il ajouté. Les alliés du Canada n’avaient pas réussi à prendre la crête malgré un prix de 300 000 morts et blessés, a-t-il expliqué. Le Corps canadien savait qu’il « fallait prendre des mesures radicalement différentes ». Il conçut le barrage rampant et il s’y exerça, un barrage qui protégeait les soldats derrière un rideau mobile d’obus d’artillerie. Le général Arthur Currie « fit aussi quelque chose d’ingénieux et de très risqué » quand il confia le plan de bataille en entier à tous les soldats qu’il commandait. « Chaque soldat canadien, du colonel jusqu’au simple soldat, était au courant de la situation dans son ensemble », expliquait Johnston. La confiance qu’avait Currie en ses soldats « touchait fortement l’expérience canadienne authentique d’égalité, de collégialité, de communauté et d’interdépendance ».

Ces mots ont touché particulièrement le caporal-chef  Graeme Barber des British Columbia Dragoons de Vernon, en Colombie-Britannique, membre de la garde, qui avait visité les lieux auparavant. « Je voyais où mon régiment s’était battu, sur la grande carte, là. Y aller en personne : je savais que ce ne serait pas du gâteau. Hou là! ce serait terrible à traverser ça aujourd’hui, alors il y a presque 100 ans! Je suis renversé qu’ils aient réussi à traverser ce terrain criblé de trous aussi vite, dans la boue, la neige, les creux, les obus de l’artillerie d’appui qui tombaient trop près. Même après tous les préparatifs. »

Les mois de planification scrupuleuse et de répétitions portèrent leurs fruits. Avant l’attaque, de grosses explosions s’étaient produites dans des tunnels sous les lignes des Allemands. Dans d’autres tunnels se cachaient des milliers de soldats canadiens, des armes et des approvisionnements. À 5 h 30, la première vague attaqua malgré le vent, la neige et la grêle de balles des mitrailleuses. Ils s’avancèrent à pas mesurés derrière un barrage rampant. Certaines des positions furent capturées facilement; d’autres nécessitèrent de violents combats au corps-à-corps. Au-dessus, les aéronefs militaires se battaient entre eux et détruisaient les ballons d’observation.

La plus grande partie du terrain haut était entre les mains des Canadiens à la fin du premier jour. La crête était entièrement entre leurs mains le matin du 12 avril. Ensemble, le Corps canadien et le British Corps, qui combattait juste au sud, avaient capturé plus de terrain que lors de toute autre offensive précédente. La Croix de Victoria, la plus prestigieuse des décorations militaires, fut décernée à quatre Canadiens : le simple soldat William Milne, le sergent suppléant Ellis Sifton, le capitaine Thain MacDowell et le simple soldat John Pattison.

Les anciens combattants Robert O’Brien et Reno St-Germain, la présidente nationale Pat Varga, Neil McKinnon, le gardien Edward Corbett et Gene Heesaker au mémorial de Thélus. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Les anciens combattants Robert O’Brien et Reno St-Germain, la présidente nationale Pat Varga, Neil McKinnon, le gardien Edward Corbett et Gene Heesaker au mémorial de Thélus.
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Après Vimy, les Canadiens n’ont pas perdu une seule bataille importante du reste de la guerre. Ils ont confirmé leur réputation en aout quand ils ont capturé la côte 70 qui domine Lens, entravant les efforts des Allemands qui envoyaient de nouvelles troupes. L’ennemi subit quelque 25 000 victimes durant la bataille alors que le Corps n’eut qu’un peu plus de 10 000 tués et blessés. Les Canadiens avaient fait leurs preuves en tant que force de combat d’élite et, en automne, à Passchendaele, ils se sont avancés lentement à travers les cratères pleins de boue à un prix énorme, finissant par tenir la ville sous la pluie pendant cinq jours malgré des tirs nourris.

La bataille de la crête de Vimy est souvent signalée comme naissance de la nation, car c’est la première fois que des soldats de collectivités de toutes les provinces et de tous les territoires se battaient ensemble pour les mêmes objectifs d’un plan commun et sous un commandement canadien. C’est grâce à leurs actions durant ces batailles et les 100 derniers jours de la Première Guerre mondiale que le Canada a eu sa propre place parmi les nations à la signature du Traité de Versailles.

Le Canada avait enrôlé plus de 620 000 personnes durant la Grande Guerre. Plus de 66 000 d’entre elles ont été tuées et 170 000, blessées, en des temps où sa population s’élevait à environ huit millions d’habitants. Ce service et ce sacrifice ont incité un grand nombre de gens participant à la cérémonie à Vimy à aller voir d’autres champs de bataille canadiens. Des cérémonies officielles ont été réglées au monument de la côte 62 et du bois Sanctuary, où le Corps canadien s’est battu au printemps et à l’été 1916; au mémorial de Saint-Julien, où les Canadiens ont subi leur première attaque au gaz de la guerre; et au nouveau cimetière britannique de Passchendaele. Des anciens combattants ont déposé des couronnes au Mémorial des artilleurs du Corps canadien, près de Vimy, à Thélus, commune capturée par les Canadiens le 9 avril 1917. La délégation a aussi participé au dévoilement d’une plaque marquant la libération de Thélus.

Des cérémonies officielles se sont déroulées avec la parti-cipation de la délégation de jeunes au monument terre-neuvien de Beaumont-Hamel, à l’endroit où le Royal Newfoundland Regiment a été décimé, le 1er juillet 1916, pendant la bataille de la Somme. Les représentants canadiens ont aussi pris part à des cérémonies à la porte de Menin d’Ypres, en Belgique, où sont inscrits les noms de 55 000 soldats alliés de la Première Guerre mondiale sans tombe connue. Là, tous les soirs à 20 h, une simple cérémonie poignante honore les soldats alliés qui se sont battus et qui ont versé leur sang pendant la Grande Guerre.

La présidente nationale de la Légion, Varga, dit que la commémoration aux lieux des combats autour de Vimy a une importance particulière pour elle, pas seulement en tant que représentante des anciens combattants de la part de la Légion, mais parce que son arrière-grand-père, le L/Sgt. Patrick Rudden du 2e Bataillon canadien de fusiliers à cheval, est enterré au cimetière Drummond, près de Raillencourt, en France, « entouré d’une campagne paisible » près de la route Arras-Cambrai. Il fut tué le 29 septembre 1918. Varga, avec les autres anciens combattants de la délégation d’Anciens Combattants Canada, a visité les ateliers de la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth à Beaurains, en France, pour voir la manière méticuleuse dont sont entretenus les cimetières.

Pour les milliers d’écoliers qui y sont allés, c’était le début d’une vie de commémoration. « C’est surréel de marcher par ici et d’entendre parler de ce qui devait se passer pour notre liberté », dit Kyle Hiscock, élève de 9e année à l’école Xavier Junior High de Deer Lake, à Terre-Neuve, qui a pris la parole pendant la cérémonie à Beaumont-Hamel. Ses arrière-grand-père et arrière-grand-oncle faisaient partie du Newfoundland Regt. à la bataille de Beaumont-Hamel.  « On s’en trouve humble. »

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