L’issue À Kaboul: Partie 1 – La Ville À La Guerre

Un soldat du 3e Bataillon du PPCLI inspecte un lance-missiles russe à Kaboul. [PHOTO : ADAM DAY]

Un soldat du 3e Bataillon du PPCLI inspecte un lance-missiles russe à Kaboul.
PHOTO : ADAM DAY

Les soldats du camp Blackhorse ne se préoccupent pas de l’ironie. Ils font partie du 3e Bataillon du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, et il n’y a pas de soldats plus endurcis au combat. Au début du mois de novembre dernier, quand ils commençaient à s’activer à leur nouvelle tâche qui était d’entrainer l’armée afghane, ils étaient déjà grincheux : leur nouvelle mission n’avait rien d’intéressant à leurs yeux.

Un caporal que j’avais rencontré au Panjwai me fit faire le tour de leur terrain d’instruction. C’était un endroit, dans une plaine élevée au-dessus de Kaboul, où ils enseignaient aux compa-gnies de l’armée afghane à survivre au combat en tant qu’unité. Le terrain d’instruction, grand, était fort peu protégé.

« Est-ce que l’ennemi monte jusqu’ici? », lui demandai-je.

« Ouais », me répondit le caporal en indiquant le terrain vallonneux de la tête. « Quelqu’un a essayé de planter un EEI sur la route, là-bas. »

Il s’arrêta un instant.

« Mais il s’est fait sauter lui-même. »

Intéressant. Il n’y a qu’en Afghanistan qu’un terrain d’instruction et un champ de bataille peuvent être un seul et même endroit.

Le caporal n’était pas vraiment intéressé; il était simplement content que l’ennemi se fût fait sauter lui-même.

Partout dans Kaboul et au-delà, au nord, les Canadiens se trouvent à nouveau au cœur de la mission qui a pour objet de mettre de l’ordre en Afghanistan.

La mission est tout à fait différente des précédentes. Maintenant, il s’agit de former les Afghans afin qu’ils les remplacent au combat. C’est un grand effort bureaucratique, qui frustre souvent les soldats qui le fournissent, que de recruter, de former et de déployer des milliers d’agents de sécurité afghans au cours des trois prochaines années.

Bien qu’il soit clair que l’instruction sur le terrain n’est pas finie, le Canada et l’OTAN ont les yeux rivés sur la sortie; le conflit dure depuis plus de dix ans et tout a une fin, même cette guerre qui est la plus longue de l’histoire canadienne.

Les pages qui suivent racontent l’histoire de la stratégie de l’issue finale de l’OTAN, le dernier chapitre de ce qui est devenu une grosse impasse couteuse.

Il est fort probable que le Canada quitte l’Afghanistan en 2014. Les États-Unis aussi. Et l’OTAN. Peut-être pas entièrement, car certaines relations demeureront, mais la plus grande partie des combattants seront partis. Et, au grand désespoir des dirigeants militaires, la date limite de ce retrait a été rendue publique. L’ennemi sait donc aussi ce qu’il va se passer.

C’est comme un délai : c’est la fin, la cloche finale. Les for-ces de sécurité nationales afghanes (FSNA) devront alors être assez puissantes pour protéger leur propre pays. Elles n’en sont pas encore capables, loin de là même. Mais on prévoit qu’elles le seront en 2014.

En attendant, c’est la course contre la montre.

Il est impossible de savoir comment une course se terminera trois ans avant la fin, surtout en Afghanistan, où les réponses faciles n’ont guère cours.

Un soldat du 3e Bataillon du PPCLI inspecte un lance-missiles russe à Kaboul. [PHOTO : ADAM DAY]

Un soldat du 3e Bataillon du PPCLI inspecte un lance-missiles russe à Kaboul.
PHOTO : ADAM DAY

Kaboul, vers 2011

Il arrive qu’il soit avantageux de quitter le bureau pour se rendre à un endroit difficile, car il y a des choses qui s’avèrent importantes alors qu’elles ne le semblaient pas auparavant. Par exemple, un certain nombre d’indices évidents appuient l’annonce que le monde occidental va partir d’Afghanistan en 2014. Le retrait des effectifs a commencé. Tout le monde en parle : les Afghans tout comme les alliés. Personne ne sait exactement ce que cela veut dire. On en entend parler partout : les garçons de table, les chauffeurs de taxi et les généraux en parlent. Ni l’OTAN ni les Américains n’abandonneront l’Afghanistan, bien sûr; ce ne sera pas comme au Vietnam en 1975, loin de là, mais les troupes au sol et, ce qui importe le plus aux Afghans, les fonds, se termineront en grande partie en 2014. C’est l’année où le nouvel Afghanistan devra faire ses premiers pas tout seul.

Et il y a autre chose qu’on peut difficilement constater si l’on n’est pas sur le terrain : d’une certaine façon, les choses s’améliorent vraiment, du moins à Kaboul. J’y suis allé pour la première fois en 2004, puis à nouveau en 2006, et on voyait très bien qu’il s’agissait d’une ville en guerre : les armes à feu remplaçaient les commerces, les rues étaient à moitié remplies d’hommes furtifs portant la robe traditionnelle et une longue barbe.

Mais, maintenant, on peut affirmer que la ville regorge de gens. Il est vrai que la violence à Kaboul est constante, une calamité (on compte récemment des attaques dans les hôtels, des attentats-suicides, des assassinats, même une attaque contre une ambassade), mais cela ne semble pas importer aux Kabouliens qui portent de nouveaux vêtements dans les rues où ils font foule, comme dans n’importe quelle autre ville d’Asie du Sud.

De plus, Kaboul n’est plus en ruines. Lors de cette visite, trois jours ont passé avant que je ne voie un trou de balle, alors qu’en 2004, il y en avait partout. J’ai vu des agents de police et des soldats en uniforme qui marchaient sans armes dans les rues, ce qui est intéressant aussi parce  que cela ne se voyait pas avant; la peur des représailles des talibans ne hante donc plus les rues.

Bref, la coalition s’en va et les Afghans semblent choisir; et leur choix n’est pas en faveur des talibans. Il est difficile d’imaginer que les gens de Kaboul consentiront à vivre de nouveau dans l’austérité des talibans. Ils ont voté.

Mais il est facile aussi de se laisser emporter, littéralement. J’ai demandé au chauffeur de l’hôtel du centre-ville où je suis descendu si je pouvais marcher dans la ville sans danger. Il m’a bien regardé et m’a demandé : « Vous? »

« Ouais », je lui ai dit.

Il esquisse le sourire gentil et plein de regrets que les Afghans utilisent quand ils sont obligés de répondre dans la négative. « Non, ce n’est pas sans danger, me dit-il. Peut-être si vous étiez avec quelques Afghans. Mais pas tout seul. »

Il fait non de la tête, lève et ouvre la main comme s’il abandonnait quelque chose au vent.

En d’autres mots, la guerre est encore là, et pas très loin, non plus.

Des recrues afghanes sous instruction canadienne apprennent la bonne position de tir. [PHOTO : ADAM DAY]

Des recrues afghanes sous instruction canadienne apprennent la bonne position de tir.
PHOTO : ADAM DAY

La guerre en profondeur au grand état-major de l’OTAN

Il n’y a pas que du mal à dire de la grande pompe de la guerre.

Kaboul peut parfois sembler loin du bruit des canons, mais c’est toujours le centre de tout et toutes les nouvelles des provinces et des districts y aboutissent.

Assister à une conférence de presse à l’état-major de l’OTAN, au centre-ville de Kaboul, c’est observer la guerre de la coalition à son plus cru.

Après avoir passé plusieurs contrôles, on s’aperçoit que les officiers des affaires publiques sont à peu près aussi nombreux que les journalistes. En outre, le nombre d’officiers supérieurs membres de l’état-major de la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité) est déconcertant. Il y a des colonels dans tous les coins. Les majors pullulent. J’ai observé un colonel allemand maquiller, pour la caméra, le vi-sage rougeâtre du porte-parole et brigadier-général allemand, Carsten Jacobsen.

La conférence de presse elle-même a été remarquable surtout par son honnêteté; on ne s’y attendait pas. Jacobsen a pris le micro pour répondre aux questions des journalistes afghans qui s’étaient entassés en grand nombre dans la salle et qui se sont tout de suite mis à dénoncer « les refuges pour insurgés au Pakistan ».

Tout le monde sait depuis longtemps que de tels refuges existent; cette pensée aurait été tout aussi vraie depuis 2006, mais, jusqu’à tout récemment, personne ne l’aurait dit tout haut. « Il y a une insurrection violente en Afghanistan, il ne fait aucun doute, dit Jacobsen. Et il y a un bien trop grand nombre d’innocents qui meurent encore. »

« Les insurgés ne sont plus capables de nous affronter sur le champ de bataille, ce qui a été de plus en plus manifeste au cours de l’été. Et comme ils ne peuvent plus faire face aux soldats, qui est-ce qu’ils prennent pour cible? Les femmes, les enfants, les civils, les gens qui voyagent en autobus. »

Jacobsen était tellement en colère qu’on le voyait un peu rougir à travers le maquillage. Sa colère venait du fait que, quelques jours avant, les insurgés avaient réussi à faire exploser un autobus transportant une bonne douzaine de membres de la coalition, tuant, entre autres, le caporal-chef canadien Byron Greff.

« Les insurgés ne sont pas un grand danger, et ils ne représentent pas un danger pour la société d’Afghanistan, dit Jacobsen. Leur objectif n’est pas une victoire militaire. C’est de retenir l’attention des médias. »

L’interprète s’évertuait à le suivre. Les journalistes afghans écrivaient à toute allure.

« Et pour nous, la perte de 13 soldats de la FIAS, samedi dernier, est aussi tragique que la perte d’un grand nombre de civils afghans dans le même incident. Les talibans mènent une guerre contre leur propre peuple, contre tout le monde qui veut la paix. Il faut que cela finisse. »

La guerre a été une longue lutte et elle ne nous a pas toujours souri. Et on ne s’attendait pas non plus à ce que ce soit le cas. L’ennemi réussit de temps à autre. Mais l’important, c’est la nature de la lutte. Plus on y voit clair, plus on est résolu et efficace. Pensez au ho-ckey. Si vos adversaires marquent des points, il ne sert à rien de nier qu’ils en marquent. Il ne sert à rien de prétendre que certaines conditions ne sont pas en leur faveur, ou que votre équipe n’accuse pas certaines faiblesses.

La victoire exige la clarté. Et en voici une partie : il n’y a pas de mission sans danger. Elle est beaucoup moins dangereuse que la mission au Kandahar, mais il y a quand même des risques. Dans le sillage de la mort de Greff, les Canadiens prennent encore part au « combat » et ils n’en ont pas encore fini.

Pendant l’attaque du 13 septembre 2011 contre l’ambassade des États-Unis à Kaboul, un groupe de soldats du 3e Bataillon qui la défendaient ont tiré un nombre astronomique de coups de feu sur les insurgés qui attaquaient.

En outre, il y a des soldats canadiens à l’extérieur des barbelés tous les jours. Ils se déplacent autour de Kaboul en petits convois de Nyalas ou de VUS blindés, faisant essentiellement la navette d’une base à l’autre.

La lutte a un cout, rien ne sert de le nier.

Prévoir l’imprévisible

Dans une base de Kaboul, il y a des rangées d’autobus tout neufs immobilisés depuis des années; leur histoire est aussi déconcertante que la mission elle-même. Aucun chauffeur n’avait été formé, alors ils sont restés immobiles. Ensuite, quand des chauffeurs ont été formés, les batteries étaient mortes et il n’y avait pas de chargeur, alors ils sont restés immobiles. Ensuite, quand les chargeurs sont arrivés, on a découvert que passer quelques années dans l’environnement extrême de Kaboul avait abîmé l’huile et ruiné une grande partie du caoutchouc. Ils sont donc encore immobiles. Il y a là deux ou trois dizaines d’autobus, tout neufs il y a quatre ans, mais inutilisables maintenant, du métal inutile dans un pays qui a désespérément besoin de transport.

Cette petite histoire est un indice de problèmes plus graves.

La responsabilité du développement de l’armée et de la police afghanes revient au major-général Mike Day. Il occupe un échelon bien haut dans la hiérarchie de la Mission de formation de l’OTAN – Afghanistan (MFO-A).

Day, un Canadien, était auparavant à la tête du Commandement des forces d’opérations spéciales. Il connait donc la guerre en Afghanistan depuis longtemps. « Nous sommes venus ici pour une raison  bien précise : la mission de l’OTAN a vraiment pour objectif d’empêcher l’Afghanistan de devenir un refuge pour les terroristes à nouveau, nous explique-t-il. Nous avions entre autres l’intention, quand cet objectif aurait été atteint à un degré acceptable, de faire le nécessaire pour bâtir des FSNA (forces de sécurité nationales afghanes) qui puissent poursuivre ce travail, qui puissent sauvegarder la population et s’occuper de la population. Elles poursuivront le travail que nous avons commencé. »

Day sait qu’il ne manquera pas de défis à relever en ce qui concerne la mise en place, du début à la fin, d’une structure de sécurité nationale. Bâtir des institutions consacrées à la logistique, le type de système d’approvisionnement nécessaire à la mise en marche et au maintien de ces autobus, est le tout premier de ces défis. Ainsi, l’armée nationale afghane peut combattre, mais elle n’arrive pas nécessairement à se nourrir efficacement, ni même à arriver au lieu du combat dans l’ordre.

« Bien que des efforts de formation aient déjà été fournis, je pense qu’on peut dire que l’effort principal n’a vraiment été entrepris qu’il y a deux ans, et il doit durer jusqu’à la fin de 2014. Il nous reste donc environ trois ans à faire dans une mission de cinq ans. Il y a encore énormément de travail à accomplir. Le système comporte des faiblesses et il faut bien comprendre que cela ne veut pas dire que nous ayons échoué, ni que les succès que nous avons eus sont garants d’un succès final. »

Une grande partie des faiblesses du système (les problèmes de paie, le manque de carburant, les difficultés logistiques) provient de la nouveauté des forces de sécurité afghanes.

Comme le fait remarquer Day, « l’armée a neuf ans. Il va encore nous falloir des années pour arriver à cette expérience, des années pour faire croitre les instructeurs et pour faire croitre les institutions. La difficulté réside dans l’assemblage de tout cela (direction chevronnée, instruction, équipement et infrastructure) avant la fin de 2014. »

Il y a cependant d’autres problèmes qui s’ajoutent à la logistique, par exemple la question de la direction. La manière exacte dont un Afghan devient officier ou un dirigeant dans les FSNA est complexe, mais on peut dire que le mérite n’est pas un prérequis pour beaucoup d’entre eux. Les nominations par patronage ont une longue histoire dans bon nombre d’armées du monde, et elles sont tout aussi problématiques en Afghanistan aujourd’hui qu’elles l’étaient en Angleterre à l’époque victorienne.

« On peut s’abandonner au désespoir relativement au lea-dership d’aujourd’hui, dit Day, ou bien on peut se retrousser les manches et se demander où nous en sommes et quelles sont les brèches. Avons-nous fait le nécessaire pour les colmater? Est-ce que ça va mieux? On ne sera pas entièrement au bout de nos peines en 2014, mais on aura de plus en plus de chefs de plus en plus expérimentés. »

Si le projet ne fonctionne pas, si les FSNA s’effondrent après 2014, les raisons en seront nombreuses. Des détails importants auront été oubliés, des erreurs auront été commises. Il se peut qu’on mentionne des lacunes en logistique et à l’occasion une direction militaire faible, mais on risque de mentionner aussi la corruption généralisée et le problème qui la sous-tend : que la corruption n’est que fort rarement punie; qu’en réalité, personne n’est puni; que les FSNA n’ont pas vraiment un sens professionnel de la discipline. On s’en aperçoit quand on passe un peu de temps dans les bases de formation. Les soldats afghans vont et viennent, ils omettent leurs devoirs, ils fument du hasch, ils tirent au flanc, et il ne leur arrive rien.

Résultat : il y a beaucoup de soldats qui abandonnent tout simplement. En conséquence, le taux d’attrition dans les FSNA est élevé, trop élevé. « Il y a encore un taux d’attrition inacceptable, dit Day, mais cela ne nous empêchera pas d’atteindre notre cible de 195 000 en octobre ou novembre 2012, et de finir par disposer d’une armée en 2013, parce que ce sont là les objectifs qu’on m’a assignés. »

Voici ce qu’il doit arriver : quand l’OTAN et les Américains se retireront, les FSNA devront combler le vide, assurer la sécurité, empêcher les insurgés de prendre le contrôle des villes, des districts et des provinces.

Mais, dans un certain sens, le mot insurgés est trompeur.

On pourrait dire que, de toute façon, la guerre ne concernait les talibans qu’en partie. Selon un certain point de vue, les talibans sont morts en 2001 et ce qu’il restait, c’était des millions de Pathans à qui l’on avait enlevé le pouvoir et qui se sentaient privés de leur citoyenneté. Il semble donc inévitable que les négociations en vue de réintégrer les Pathans seront sérieuses.

En voici la raison : davantage de soldats, que ce soient ceux de l’OTAN ou les nouveaux soldats afghans, ne seraient jamais qu’une solution temporaire à l’insécurité. Les soldats imposent la paix, mais ils ne règlent pas nécessairement le problème sous-jacent qui est à l’origine de l’insurrection. Quand ils s’en iront, qui sait ce qu’il arrivera?

« Il y aura encore des méchants qui feront des choses mauvaises, dit Day. Notre mission n’a pas pour objectif l’absence de violence, mais bien la capacité des Afghans de répondre à cette violence. Quand quelqu’un dit : “Oh! mon Dieu, il y a une attaque, nous avons échoué”, eh bien, pourquoi ne pas évaluer la réponse des Afghans à l’attaque? N’importe quelle ville du monde peut se faire attaquer, mais l’important c’est : qui est-ce qui s’en occupe? C’est ça, la mesure. »

Day insiste qu’il est optimiste relativement à ce qu’il va arriver en 2014. Son optimisme est circonspect, bien sûr, mais le général vénérable pense que la tâche peut être accomplie. « Je dirais qu’il n’y a aucune possibilité de succès si l’on ne bâtit pas les forces de sécurité nationales afghanes comme on les bâtit actuellement, si l’on ne leur donne pas non seulement les outils, mais les institutions qui les maintiendront. Et je dirais que, selon la trajectoire actuelle, il est raisonnable de prédire qu’on va vraiment y arriver. Je suis réellement optimiste, mais on n’en est qu’à la deuxième année d’une mission de cinq ans. Il reste encore beaucoup de temps et je ne voudrais pas que les gens pensent que le travail est déjà accompli. On a encore beaucoup de travail à faire; on est sur la bonne voie et je pense qu’on va à la bonne vitesse, mais je ne veux pas minimiser les défis qu’il nous reste encore à relever. »

Son optimisme est toutefois un peu difficile à comprendre. Il y a deux sortes de penseurs positifs, semble-t-il, ceux dont le professionnalisme exige une attitude de fonceur, d’habile, qui n’est qu’apparente – lors d’une visite à une base de Kaboul, un officier supérieur nous dit en blaguant, à propos de la qualité des chefs de l’ANA : « Ouais, redemandez-le-moi quand je serai rentré chez moi » – et puis il y a ceux qui ne voient pas de raison d’être pessimiste. Quoi qu’il en soit, après avoir longtemps côtoyé des officiers d’état-major, nous trouvons qu’il est difficile de différencier l’optimisme fondé sur des données probantes de la bonne vieille douce illusion.

Pouvoir au peuple

Le gout du jour à Kaboul, c’est de s’occuper de la vraie cause de l’insurrection.

Le compromis avec les Pathans, le groupe ethnique qui domine le sud et l’est du pays, est au centre de tous les efforts. Si des dirigeants accommodants des talibans pouvaient être attirés vers le processus politique, peut-être la violence pourrait-elle avoir une fin.

Toutefois, au fil du temps, il est de plus en plus clair que, comme le disent certains, bien qu’il n’y ait pas de solution militaire au problème, il n’existe pas non plus de solution purement politique.

Il y a parmi les nombreuses factions un noyau de radicaux fanatiques que rien n’arrêtera dans leur désir de faire la guerre sainte. Pensons à l’assassinat, en aout dernier, de l’ancien président afghan Burhanuddin Rabbani. Selon un rapport, les talibans avaient envoyé un émissaire à Rabbani pour discuter de l’arrêt des hostilités. L’émissaire avait dans son turban une bombe qu’il a fait exploser en embrassant cérémonieusement Rabbani au début de la réunion. Il est difficile d’imaginer un compromis avec des gens comme cela.

La situation est difficile.

Voici une autre manière de la voir : l’insurrection n’est qu’un mot qui signifie que certains citoyens d’un pays ne sont pas d’accord avec le gouvernement actuel, et ils le font savoir violemment.

C’est peut-être une exagération, mais cette tentative d’obtenir le pouvoir est d’une certaine façon semblable au vote, sauf qu’on utilise des bombes le long des routes et des AK-47 plutôt que des scrutins. Il s’agit d’une perversion étrange et fâcheuse de la démocratie : le pouvoir au peuple de manière on ne peut plus erronée.

Même si la majorité des gens du pays sont contre eux, les insurgés continuent la lutte; c’est là un instinct qu’il est au moins possible de comprendre.

Épilogue : l’avertissement de l’histoire

Ce jour-là, au camp Blackhorse, en faisant le tour du champ de tir qui est aussi un champ de bataille, nous sommes témoins d’une scène qui n’arrive qu’en Afghanistan. Derrière le dépôt de carburant de la base se trouve du matériel militaire russe de toutes sortes abandonné à la fin de la guerre des années 1980. Il y a des rangées de véhicules, de pièces d’artillerie et même de lance-missiles Scud qui rouillent alors qu’une nouvelle guerre a lieu.

Tout juste de l’autre côté de la crête, il y a des rangées de camions américains neufs pour les militaires afghans.

C’est trop facile d’être pessimiste, et c’est dur de ne pas se demander ce qu’il va arriver de toute cette puissance américaine. Peut-être que, dans 25 ans, elle aussi rouillera alors qu’une nouvelle puissance tentera de mettre de l’ordre en Afghanistan.

Ou peut-être sera-t-elle encore en service.

Prochain épisode : un coup d’oeil sur le terrain à propos de ce que signifie la mission canadienne en afghanistan. À lire dans notre numéro de mai/juin 2012.

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