Le salut aux disparus : Le dernier jour du souvenir du Canada à Kandahar

Des soldats canadiens saluent les morts sous les yeux des civils. [PHOTO : ADAM DAY]

Des soldats canadiens saluent les morts sous les yeux des civils.
PHOTO : ADAM DAY

Amanda, sous le soleil, parle à son frère en retenant ses larmes.
Peter MacKay lit la liste des militaires décédés du Canada, un par un.
Il y a tant de noms, pense Amanda, qui va s’occuper d’eux tous?
Amanda demande à son frère de veiller à tous les morts, d’en prendre soin.
Son frère est mort. Son nom fait partie de la liste. C’est un des défunts.
Will Cushley est mort au combat en 2006, et Amanda Cushley vient à Kandahar depuis lors.
Elle a été affectée ici trois fois en tant que travailleuse civile. Elle vient dire merci,
et parce que c’est la seule manière qu’elle peut être avec Will.
et parce que c’est la seule manière qu’elle peut être avec Will.
Amanda sait que le moment arrivera où elle devra le laisser partir.
Les Canadiens font leurs valises à Kandahar. Ils démonteront leur monument commémoratif et le rapporteront au pays.
Mais avant, il y a un dernier adieu à faire.
Le moment arrive pour Amanda.

Le 11 novembre 2011, des centaines de soldats canadiens se serrent dans le petit espace derrière le vieil édifice de l’état-major. Ils entourent le monument, en rangées, solennels et raides, armés et prêts.

La guerre n’est pas finie. Un soldat explique à la foule ce qu’il faudra faire en cas d’attaque à la fusée. Jetez-vous au sol, dit-il; ensuite, levez-vous et courez vous abriter. « Quand les bunkeurs sont pleins, abritez-vous du côté sud du mur pare-souffle nord. » Les gens se tournent de tous côtés, se demandant où est le nord.

Des chasseurs à réaction hurlent sur la piste à quelques centaines de mètres de là. Des hélicoptères grondent dans le ciel.

Le ministre de la Défense nationale, Peter MacKay, lit les noms de 158 Canadiens. Il lit ensuite les noms des dizaines d’Américains qui étaient commandés par les Canadiens lorsqu’ils sont tombés.

Pendant qu’il lit, le major-général Jonathan Vance dépose une couronne au monument à côté de leurs noms. À l’occasion, il pose la main sur leur représentation; des fois, il place son poing contre le granite.

Le trompette joue la dernière sonnerie. Silence. Un cornemuseur joue la complainte. La diane. « Quand viendra l’heure du crépuscule et celle de l’aurore, nous nous souviendrons d’eux. »

Kelly James, Amanda Cushley et Mabel Girouard. [PHOTO : ADAM DAY]

Kelly James, Amanda Cushley et Mabel Girouard.
PHOTO : ADAM DAY

Le musicien canadien George Canyon chante Danny Boy.

Il s’agit du dernier jour du Souvenir à Kandahar. Les représentants font des annonces officielles.

Peter MacKay dit : « On est très fiers que [ces] sacrifices n’ont pas été vains. Je suis persuadé, en disant cela, que nous avons changé ce pays pour le mieux. Les soldats canadiens partiront en sachant qu’ils ont garanti un meilleur avenir pour les Afghans. »

Jonathan Vance dit : « Cette opération, ce trajet remarquable qu’ont fait le Canada et les Forces canadiennes depuis le début jusqu’à presque la fin, a été presque parfaite. Et il y a eu des mauvais jours. Et aujourd’hui, nous nous souvenons de 158 cas où il y a eu des jours vraiment mauvais. Mais il ne faut pas non plus oublier que nous avons agi comme une armée, comme des forces armées devraient agir. »

L’aumônier voulait qu’on entende ceci en ce qui a trait aux morts : « Aux yeux des insensés, ils semblent avoir péri, et leur départ, pensent-ils, est un désastre, et qu’ils ont été détruits parce qu’ils nous ont quittés, mais ils ont trouvé la paix. Car bien qu’aux yeux des autres ils aient été punis, en réalité, ils sont remplis de l’espoir d’immortalité. »

Un coquelicot est placé à côté d’un nom. [PHOTO : ADAM DAY]

Un coquelicot est placé à côté d’un nom.
PHOTO : ADAM DAY

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En faisant l’appel des morts, MacKay sait que chaque nom qu’il lit transperce le cœur d’une mère, le cœur d’une sœur, le cœur d’une famille.

Certaines d’entre elles sont là, à la chaleur, qui attendent de marcher jusqu’au monument pour déposer un coquelicot à côté du nom de leur être cher.

Là se trouve l’incroyablement digne Mabel Girouard, dont le fils Bobby est mort lors de l’explosion d’une bombe suicide non loin de l’endroit où elle se trouve.

Il y a là Karen Megeney, angoissée, dont le fils Kevin a été tué par une balle non loin de là également.

Et là aussi, le caporal stoïque Kelly James qui s’est fait infirmier après la mort de son frère Mark, ici, en 2008.

Et puis il y a Amanda, debout sous le soleil, qui retient ses larmes, et dont nous avons déjà parlé du frère, Will. « Je pensais à tous ces noms, dit-elle. Ils ressemblent à tant d’autres noms. J’ai demandé à mon frère d’en prendre soin, de s’assurer qu’ils vont bien. Je lui donne tout le pouvoir de le faire. Je ne veux pas pleurer. Je lui parle. J’ai des conversations avec lui. C’est étrange, je sais, mais ça m’aide, d’espérer qu’il sera avec nous et qu’il nous viendra en aide. »

Amanda nous dit par la suite qu’elle était heureuse et fière de se trouver là avec son frère, de déposer un coquelicot à côté de sa figure espiègle.

Mais en s’avançant pour déposer son coquelicot, elle ne semble vraiment pas heureuse. Plus que bouleversée, Amanda est déformée par la douleur. Elle ne se ressemble plus.

Le monument va quitter Kandahar; son sort est déjà jeté. « Ce monument, ces noms, ces visages gravés dans le granite seront exposés en permanence à un endroit approprié de la capitale nationale », dit MacKay à la foule de journalistes.

Amanda quittera Kandahar aussi, son avenir encore en l’air.

Elle dépose son coquelicot et pense que personne ne se tiendra plus jamais là devant ce monument, à l’endroit où nous avons perdu tant de gens.

Elle sent que quelque chose est en train de changer. La chose qui lui a enlevé son frère est faite, et elle a l’impression que tout appartient peut-être à l’histoire maintenant.

« C’est presque comme une histoire, dit-elle, comme si c’était arrivé il y a longtemps. Il n’y a plus de nouvelle. Il ne se passe plus rien ici. La seule chose qu’il reste à raconter, c’est ce que disent les soldats, ou ce que disent les familles. »

Amanda est prête à partir.

« C’est la fin de l’histoire », dit-elle.

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