Mouvement d’adieu

La mère de la Croix d’argent, Patty Braun, dépose sa couronne. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

La mère de la Croix d’argent, Patty Braun, dépose sa couronne.
PHOTO : METROPOLIS STUDIO

À un moment donné, Patty Braun a semblé perdre son calme à la Chapelle du Souvenir. Là, sur la Colline du Parlement, dans la Chapelle consacrée aux militaires décédés du Canada, elle regardait le Septième Livre du Souvenir où est inscrit le nom de son fils : Caporal Braun, David Robert William, 22 aout 2006, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry.

Entourée de jeunes gens représentant la jeunesse du Canada et leur famille, elle contemplait le livre qu’elle n’avait vu qu’une seule fois auparavant, dans une exposition itinérante. Dans le Septième Livre du Souvenir, Au Service du Canada, sont inscrits les noms des membres des forces armées qui ont donné leur vie en service depuis octobre 1947, exception faite de ceux qui sont inscrits dans le Livre du Souvenir de la guerre de Corée.

Avant qu’elle ne quitte la Chapelle du Souvenir, la sergente Lyne Tremblay du Service de sécurité de la Chambre des communes lui a remis une copie encadrée de la page. « Savez-vous, les choses que je pensais qui allaient être dures sont faciles et celles que j’aurais cru faciles sont vraiment dures », dit la Mère de la Croix d’argent de 2011, qui était à Ottawa pour assister à la cérémonie du jour du Souvenir.

Elle allait y passer deux jours, accompagnée de sa fille Daina et portant la Croix du Souvenir, qui en est le nom officiel, pour visi-ter les édifices du Parlement et le Musée canadien de la guerre et déposer une couronne au Monument commémoratif de guerre du Canada de la part de toutes les mères qui ont perdu un fils ou une fille dans les Forces canadiennes et de leurs familles.

Braun, assistante en éducation à l’école Raymore de Raymore, en Saskatchewan, située à 115 kilomètres au nord de Regina, dit que son fils a toujours été passionné par l’armée et qu’il regardait souvent des films et des documentaires. Une fois, à l’occasion d’un voyage à Regina, elle l’avait déposé à un bureau de recrutement où les recrues les plus vieilles lui avaient dépeint une vie militaire plutôt dure. « À 17 ans, c’était un garçon fluet, se rappelle-t-elle. Je pense que ça lui a fait un peu peur. »

La mère de la Croix d’argent, Patty Braun, reçoit une page d’un Livre du Souvenir. [PHOTO : TOM MacGREGOR]

La mère de la Croix d’argent, Patty Braun, reçoit une page d’un Livre du Souvenir.
PHOTO : TOM MacGREGOR

Après avoir reçu son diplôme d’études secondaires et travaillé quelques années à Watson, en Saskatchewan, le gout militaire de David s’est amplifié et il s’est enrôlé dans la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry. « David n’était pas du genre à afficher ses émotions, mais je pense que le jour qu’il en a montré le plus et le plus de fierté, c’est le jour où il m’a dit qu’il allait servir en Bosnie », dit-elle.

Le jeune caporal aimait les affectations à l’étranger. « Il lisait un livre sur la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.) en revenant de la Bosnie. Avant ça, je n’étais jamais arrivé à lui faire lire un livre. Tout à coup, il aimait lire », dit-elle.

Étant revenu d’une zone de service spécial, le soldat tenait à aller en Afghanistan. « Il devait être affecté au bataillon du poste de commandement, alors je pensais que ce ne serait pas trop dangereux », dit Braun, dont le mari, Blaine, est mort en 1994.

Le caporal Braun faisait partie d’un convoi de ravitaillement à une base d’opérations avancée quand une bombe humaine a attaqué. Un autre soldat et lui étaient dans la tourelle d’un VBL III. Le bombardier n’a pas frappé le VBL. Il s’en est seulement approché et a fait exploser la bombe.

La Mère de la Croix d’argent dit qu’aucune explication officielle ne lui a été donnée, mais qu’elle a ouï dire qu’un petit éclat a frappé son fils en dessous du casque et l’a tué instantanément. L’autre soldat n’a été blessé que légèrement. « Au début, je me demandais pourquoi ce n’était pas mon fils qui avait été blessé légèrement. Et puis j’ai réalisé que si ça avait été le cas, quelqu’un aurait quand même perdu un enfant. »

Le ministre des Anciens combattants, Steven Blaney, et la présidente nationale Pat Varga. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

Le ministre des Anciens combattants, Steven Blaney, et la présidente nationale Pat Varga.
PHOTO : METROPOLIS STUDIO

Le jour de l’attaque, s’en allant à Regina, elle a dépassé une fourgonnette bleue. « Je me demandais où elle allait. »

Dans la salle d’attente de son chiropraticien, Braun a remarqué qu’elle avait manqué un appel sur son téléphone mobile. « J’ai appelé ma fille et mes autres fils, mais aucun d’eux ne m’avait appelée. Ensuite, j’ai appelé ma mère.

« Quand ma mère a répondu, il n’y avait que du silence. Ensuite, il y a eu une voix à l’appareil : il était si contrit. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai perdu mes esprits et  je lui ai dit : “Soyez direct! Est-il mort?” »

C’est par la suite qu’elle a réalisé que la fourgonnette qu’elle avait dépassée en chemin vers Regina transportait les soldats qui allaient lui apprendre la nouvelle. Ne l’ayant pas trouvée chez elle, ils s’étaient rendus, non loin, chez ses parents.

Braun a assisté à un diner au Château Laurier, un hôtel de Fairmont, offert par la présidente nationale de la Légion royale canadienne, Pat Varga. La Légion, organisation qui règle le service annuel devant le Monument commémoratif de guerre, désirait offrir sa reconnaissance aux participants des deux côtés, militaire et civil.

Les représentants de la jeunesse. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

Les représentants de la jeunesse.
PHOTO : METROPOLIS STUDIO

Des plaques d’appréciation ont été remises aux gagnants nationaux des catégories sénior des concours annuels littéraires et d’affiches de la Légion. Le voyage à Ottawa et l’occasion de déposer la couronne de la part de la jeunesse canadienne pendant la cérémonie étaient leur prix. Les gagnants étaient Atalanta Shi de Burnaby (C.-B.) pour son affiche en couleurs, Tim MacDonald de Malagash (N.-É.) pour son affiche en noir et blanc, Katelyn Major de St. Brieux (Sask.) pour sa composition et Laura Howells de St. John’s (T.-N.) pour son poème.

Les récipiendaires du prix de la Légion aux cadets exceptionnels de l’année ont aussi assisté à la cérémonie, en tant que porteurs de couronnes. Il s’agissait de la première maitresse de 1re classe Laura Hood, du peloton Nipigon des cadets de la marine d’Oromocto (N.-B.); l’adjudant-maitre Kyle Ryan, du Corps des cadets affilié à l’Ontario Regiment, de Pickering (Ont.); et l’adjudante de 2e classe Emily Hodgson, d’Hudson (Qc), membre de l’Escadron des cadets de l’Air Lakeshore.

Pendant les conversations précédant la cérémonie, les jeunes se sont dits chanceux de pouvoir prendre part à la cérémonie nationale à la 11e heure du 11e jour du 11e mois de la 11e année de ce siècle.

Des militaires canadiens. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

Des militaires canadiens.
PHOTO : METROPOLIS STUDIO

Le temps était frais et sec en ce jour du Souvenir à Ottawa. La pluie que l’on prévoyait n’est pas tombée, et la température n’a pas dépassé les trois degrés Celsius. Le vent vif a refroidi la foule de quelque 25 000 personnes, dont beaucoup étaient arrivées tôt pour avoir une place d’où elles pourraient bien voir.

La Musique centrale des Forces canadiennes et le Chœur d’enfants d’Ottawa ont pris place pendant que le carillonneur national, Andrea McCrady, jouait des airs sombres à la Tour de la Paix.

Des contingents d’anciens combattants, d’élèves officiers du Collège militaire royal de Kingston (Ont.) et des membres de la marine, de l’armée, de l’aviation, des pelotons de cadets et de la Gendarmerie royale du Canada ont défilé à partir du Manège militaire Cartier. Le défilé des anciens combattants était dirigé par Léonce Leblanc, qui s’acquitte de cette tâche depuis 1990. La garde du drapeau nationale de la Légion était dirigée par Jim Wiles qui joue ce rôle dans les manifestations importantes depuis 1986.

La foule a été accueillie par le maitre de cérémonie et directeur du Bureau national des services, Pierre Allard. Le premier maitre de 2e classe, Jason Bode, a placé les sentinelles, qui représentaient l’armée, la marine, l’aviation, la GRC et les infirmières, autour du grand monument.

Une foule s’assemble autour de la Tombe du Soldat inconnu. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

Une foule s’assemble autour de la Tombe du Soldat inconnu.
PHOTO : METROPOLIS STUDIO

Le groupe vice-royal, qui est arrivé tout juste avant 11 h, a été accueilli par la présidente nationale, Pat Varga, et par le secrétaire national, Brad White. Le général et chef d’état-major de la défense, Walter Natynczyk, était arrivé plus tôt pour bavarder avec les anciens combattants.

Il a été rejoint par le ministre des Anciens Combattants, Steven Blaney, et par le président de la Chambre des communes, Andrew Scheer. Le premier ministre, Stephen Harper, et son épouse, Laureen, sont arrivés peu après, suivis du gouverneur général, David Johnston, et de son épouse, Sharon.

C’est la première fois que Johnston apparaissait en uniforme de l’armée, en l’honneur de son rôle de commandant en chef des Forces canadiennes.

À 11 h exactement, une cloche de la Tour de la Paix a sonné l’heure et le 30e Régiment d’artillerie de campagne, de l’Artillerie royale du Canada, a tiré le premier des 21 coups de canon. La sergente Marthe Jobidon a joué la dernière sonnerie au clairon, qui a été suivie par deux minutes de silence.

Des enfants déposent leur coquelicot sur la Tombe. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

Des enfants déposent leur coquelicot sur la Tombe.
PHOTO : METROPOLIS STUDIO

Le silence a duré jusqu’à ce que le cornemuseur-major Thomas Brown joue la complainte et puis le clairon a joué la diane.

Un défilé aérien formé de deux CF-18 et de sept hélicoptères Griffon a eu lieu pendant la cérémonie. Les hélicoptères volaient en Formation en hommage aux pilotes disparus qui est habituellement alignée par des avions à réaction. Quand les hélicoptères ont survolé le Monument commémoratif de guerre, un d’entre eux s’est séparé des autres, en symbole de ceux qui ont disparu au combat.

Varga a lu l’Acte du souvenir en anglais, le grand président de la Légion, Larry Murray, l’a lu en français et Percy Joe l’a lu en nlaka’ pamux, une langue autochtone du sud de la Colombie-Britannique.

Le bridadier-général Karl McLean, aumônier général des Forces canadiennes et aumônier honoraire de la Direction nationale, a récité une prière, puis la première couronne de la cérémonie a été déposée par le gouverneur général et la deuxième, par la Mère de la Croix d’argent.

Ils ont été suivis de Harper, Scheer, Blaney, Natynczyk, la jeunesse du Canada et Varga, qui a déposé la sienne de la part des anciens combattants du Canada. Ensuite, des dizaines de couronnes ont été déposées par des dignitaires.

Les anciens combattants défilent devant le gouverneur général. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

Les anciens combattants défilent devant le gouverneur général.
PHOTO : METROPOLIS STUDIO

L’aumônier honoraire de la Direction nationale, le rabbin Reuven Bulka, a prononcé la bénédiction, et la cérémonie s’est terminée par le défilé des anciens combattants et des contingents militaires. Le gouverneur général et la Mère de la Croix d’argent les ont passés en revue sous les applaudissements de la foule. C’est pour le groupe d’anciens combattants les plus vieux qui représentaient ceux de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre de Corée, des opérations de maintien de la paix, de l’Afghanistan et du service en temps de paix que les applaudissements ont été les plus enthousiastes.

Quand les barrières ont été enlevées, des centaines de spectateurs se sont avancés vers la Tombe du Soldat inconnu, où beaucoup ont perpétué la tradition annuelle du dépôt des coquelicots à épingle, chacun représentant un moment de commémoration et d’adieu personnel.

Search
Connect
Listen to the Podcast

Leave a Reply