Le Gardien

GUY PARENT - L’OMBUDSMAN DES VÉTÉRANS. [PHOTO : METROPOLIS STUDIO]

GUY PARENT – L’OMBUDSMAN DES VÉTÉRANS.
PHOTO : METROPOLIS STUDIO

Les premiers mots qui nous viennent à l’esprit pour décrire l’ombudsman des vétérans, Guy Parent, sont « énergie contrôlée ». Bien qu’il s’exprime avec la diplomatie et la sérénité auxquelles on s’attend de quelqu’un qui a conseillé des chefs militaires du plus haut grade, ses yeux brillent souvent d’excitation. Grâce aux années passées en recherche et sauvetage militaires, il a une présence et un aspect terre-à-terre qui vous mettraient en confiance si vous étiez blessé, car il prendrait les choses en main instantanément et vous donnerait les premiers sECOURS avec les fournitures de bureau qu’il a sous la main. On sent, au-delà des atours de sa fonction, qu’il s’agit d’un homme capable d’agir rapidement et efficacement.

Ce sont des qualités utiles pour quelqu’un qui doit ai-der et représenter les anciens combattants en plus de scruter le ministère qui constitue leur soutien principal. L’approche diplomatique de Parent l’amène à « régler les différends plutôt qu’à engendrer des conflits », affirme Steward Hyson, professeur de l’Université du Nouveau-Brunswick et expert sur les ombudsmans, bien que, ajoute-t-il, certains anciens combattants préfèreraient une attitude plus combattive dans les échanges avec Anciens Combattants Canada (ACC).

L’ombudsman qui se rapporte au ministre des Anciens Combattants a pour mandat de s’occuper des plaintes de particuliers concernant les avantages et les services offerts aux anciens combattants et aux personnes à leur charge, de cerner les problèmes systémiques qui entravent l’obtention de ces services et de formuler des recommandations pour les régler. Près de 10 000 personnes ont communiqué avec le Bureau de l’ombudsman des vétérans (BOV) en 2010. La plupart des appels ont donné lieu à des références ou à la fourniture d’information sur les programmes et les avantages d’ACC, mais quelques milliers d’entre eux ont mené à une aide directe du BOV, surtout à la médiation pour des problèmes entre les anciens combattants et ACC ou quelque autre fournisseur de service. Ces plaintes, dit Parent, sont « au cœur de nos activités. Elles nous fournissent les données brutes qui nous servent à cerner les problèmes systémiques ».

Parent est conscient des critiques qu’il peut essuyer. « Je sais qu’il y a des gens qui disent que je ne devrais pas parler à ACC, dit-il. Mais sans les gens d’ACC, je ne pourrais pas m’occuper de ces 2 000 plaintes annuelles. Notre mandat ne nous permet pas d’ordonner à quelqu’un de faire ceci ou cela. On règle les choses avec leur coopération; ça ne fonctionnerait pas si les fonctionnaires d’ACC nous prenaient pour des détracteurs. Je ne pourrais pas œuvrer en tant qu’ombudsman si je ne jouissais pas d’une crédibilité aux yeux des deux parties. »

Cela ne veut pas pour autant dire qu’il ne critique jamais. À son avis, de nombreux changements sont nécessaires, y compris aux critères d’admissibilité afférents aux avantages et à la pape­rasserie qui en résulte. La première fois qu’il s’est présenté devant le Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes, en février, Parent a dit que les gens qui portent l’uniforme ne remettent pas en cause l’endroit ni le moment de leur service, alors c’est « injuste au plus haut point » qu’ACC et la GRC basent le degré de leur soutien sur des détails comme ceux-là. « Il n’y a pas de différence entre les anciens combattants », nous dit-il, et il ajoute que les processus seraient simplifiés si l’on observait le principe de « l’indifférenciation des anciens combattants » à ACC, parmi les organisations d’anciens combattants et dans la recherche, et que les couts seraient moins élevés et les services aux anciens combattants, améliorés.

Il a l’intention d’observer ACC de près lors de la transition du service aux anciens combattants traditionnels à celui aux anciens combattants modernes. En même temps, la population d’anciens combattants augmente de plus de 4 000 par année. « Une grande partie d’entre eux sont libérés pour raison médicale », déclare Parent, et leurs besoins changeront aussi au fil du temps. Il s’inquiète du manque de stratégie liée aux soins de longue durée pour les anciens combattants modernes et pour les anciens combattants sans abri.

Les modifications à la nouvelle Charte des anciens combattants constituent un premier pas non négligeable vers un meilleur soutien aux 30 000 anciens combattants modernes qu’elle sert, et l’ajout d’une disposition exigeant une révision dans les deux ans en fera aussi un document vivant, dit-il. Il a l’intention de surveiller la mise en application des modifications en suivant le nombre d’anciens combattants qui obtiennent des avantages et en cherchant des lacunes qui perdurent dans les services. Il a déjà avisé ACC qu’il faudrait clarifier pour les anciens combattants et leur famille les critères d’admissibilité aux allocations pour déficience permanente et pour incapacité exceptionnelle, ainsi qu’aux nouveaux suppléments mensuels afin de contrer les renseignements imprécis qui circulent dans les médias.

Il a aussi l’intention de faire pression pour que les réservistes obtiennent un meilleur accès aux avantages. « J’ai rencontré des réservistes qui ont un emploi mieux rémunéré que leur travail de réserviste, mais ils se portent volontaires dans les Forces canadiennes (FC) parce qu’ils sont engagés et dévoués. Alors si quelque chose leur arrive au travail qui leur rapporte 3 000 $ par mois, ils perdent aussi un emploi [civil] où ils ga­gnent 7 000 $ par mois », mais ils ont droit à un soutien financier inférieur à celui de leurs confrères des forces régulières. Cela était peut-être logique dans le temps où la milice était formée strictement pour la réserve, dit-il, mais « maintenant, 22 p. 100 des forces que nous déployons sont des réservistes […]. Le concept de responsabilité illimitée s’applique tout autant aux réservistes qu’aux réguliers, alors pourquoi traiterait-on les réservistes blessés différemment? » Parent s’inquiète aussi des dispositions pour les réservistes de la GRC et des polices municipales dont la blessure ne se manifeste que plusieurs années après leur service militaire.

Toutefois, ce n’est là que le début de la longue liste de ses préoccupations. Il s’inquiète aussi du fait qu’ACC ne répond pas toujours en temps opportun aux anciens combattants en détresse pour lesquels la paperasserie est un obstacle particulièrement difficile à contourner. Il nous donne des exemples : un double amputé qui doit remplir trois demandes distinctes pour blessure reliée au même incident, et des gens souffrant du syndrome de stress post-traumatique dont la détresse s’aggrave pendant que leur demande est en cours de traitement. Il est aussi en faveur d’un plus grand soutien pour les familles, de meilleurs avantages liés aux funérailles et aux enterrements, et d’un meilleur accès aux cliniques de traitement des traumatismes liés au stress opérationnel.

Comme Pat Stogran avant lui, Parent croit qu’il devrait y avoir un mandat législatif rendant le bureau plus indépendant et influent. À l’heure actuelle, l’ombudsman rend des comptes au ministre des Anciens Combattants, qui établit le budget du bureau et dépose son rapport annuel au Parlement. « Ce serait un atout, dit Parent, mais je suis d’avis qu’on doit utiliser les outils qu’on nous a donnés. » Sa capacité de faire rapport sur les problèmes systémiques est l’un de ces outils. Il prévoit produire trois de ces rapports par année pendant son mandat, laissant comme legs une recherche sur 15 problèmes importants et des recommandations pour les régler. « Nos critères concernent la détermination du nombre de personnes affectées et le degré. » Il considère, entre autres, la santé financière, l’impact sur la famille et le cout de ne rien faire. D’abord, il y a les dépenses d’enterrement et de funérailles et le Programme d’autonomie des anciens combattants. « J’ai cinq ans et une bonne équipe [d’une trentaine de personnes à Ottawa et à Charlottetown], dit Parent. Je vais les tenir occupés. »

Si ce programme ressemble un peu à un plan de campagne, c’est peut-être en raison de la longue expérience militaire de Parent. Il est entré dans l’Aviation en 1964, tout de suite après l’école secondaire, quand il avait 17 ans, et il y a été formé en tant que technicien de systèmes de sécurité. « C’était un travail intéressant, mais pas très enrichissant », dit-il. Recherchant plus de défis, il fut admis en 1972 dans l’équipe élitaire de sauvetage paras des Forces canadiennes, qu’on appelle ces jours-ci les techniciens en recherche et en sauvetage (tech SAR), où on lui conféra les qualités d’ambulancier paramédical, de maitre parachutiste, de maitre plongeur, et d’instructeur d’alpinisme et de survie.

Chaque année, les techs SAR sauvent des centaines de Canadiens militaires et civils; ils doivent avoir un bon esprit d’équipe, mais ils doivent aussi pouvoir réfléchir de manière indépendante. Parent est laconique à propos des trois décennies qu’il a passées à porter, au besoin, un parachute, un scaphandre autonome ou des crampons d’escalade pour sauver des gens en difficulté ou sinistrés dans tous les environnements canadiens. « J’ai trouvé très enrichissant d’aider les gens, dit-il. J’ai eu de bonnes expériences. »

Les techs SAR « n’hésitent pas à sauter d’un avion en parachute au-dessus de l’océan dans des vents de 40 milles à l’heure », dit le général et chef d’état-major de la défense des FC à la retraite Maurice Baril. « Guy risquait sa vie au jour le jour […], mais il le faisait comme métier, pas lors d’opérations. On ne peut douter de son courage physique. »

Parent a grimpé les échelons jusqu’à celui d’adjudant, puis en 1989 à la base de Summerside, en Î.-P.-É, celui d’adjudant-chef (adjuc). Les adjudants représentent le personnel non officier et ils sont responsables du moral des soldats. Quand ils obtiennent le grade de chef, ils sont un intermédiaire clé entre les commandants et les soldats et leur famille. Étant donné qu’ils ont un pied à la caserne et l’autre à l’état-major, leurs conseils sont aussi bien reçus chez les officiers que leur sagesse l’est chez les simples soldats. Parent dit que peu avant qu’il délaisse l’aide directe aux gens pour se consacrer à leur représentation, il s’est « aperçu que les représenter, c’est les aider ». En 1991, il a été nommé adjuc du Commandement aérien et, en 1995, adjuc des Forces canadiennes, représentant 47 000 sous-officiers et simples soldats, et il a été conseiller auprès de plusieurs chefs d’état-major.

« Guy était l’adjuc des Forces à un moment très important, alors qu’il y avait des changements sans précédent et que l’on devait accélérer le rythme opérationnel dans un contexte de réductions budgétaires considérables et de restructuration », dit le vice-amiral à la retraite Larry Murray qui était chef d’état-major de la défense intérimaire en 1996 et 1997. Il attribue à Parent le mérite de s’être fait le champion du perfectionnement professionnel des militaires et de s’être battu pour que l’on écoute leur famille davantage.

Parent a participé à la conception de plans de restructuration sous Murray, et à leur mise en œuvre sous Baril. « Je n’aurais jamais pris de décision concernant les troupes […] sans lui en parler avant », dit Baril. Parent accompagnait les CEMD partout : visites des troupes, témoignages devant les comités parlementaires et sénatoriaux, voyages à l’étranger.

Ses deux anciens patrons disent de lui qu’il est compatissant et calme, efficace mais tranquille, et ils louent sa manière d’utiliser son influence pour obtenir des résultats. Baril nous en donne un exemple. À l’occasion de plusieurs voyages vers la fin des années 1990, des gens de sociétés plus stratifiées que la nôtre ont essayé de dissuader Baril de se faire accompagner par son adjuc parce que « le personnel non officier n’a aucun prestige dans le réseau social de leurs forces pour autant qu’on sache ». Mais Baril a insisté et Parent, par l’exemple, a convaincu des officiers militaires supérieurs de l’utilité d’un partenariat entre officier et personnel non officier. Un grade équivalant à celui de l’adjuc a été créé par la suite dans plusieurs de ces pays et Baril en attribue le mérite à Parent. « Il leur a vendu l’idée en douce. »

En 1999, Parent a été posté en Égypte où il dit qu’il a « acquis la capacité de comprendre les problèmes, de les analyser et de se pencher sur les solutions diplomatiques de longue durée ». Quand il était sergent-major, il a dû désamorcer des conflits entre les militaires de 14 pays qui défendaient le Sinaï conformément aux accords de Camp David.

Il s’est retiré des Forces en 2001 et s’est fait engager au Bureau de l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, où il a été enquêteur, directeur des enquêtes et, finalement, directeur de l’Équipe d’intervention spéciale de l’ombudsman. Il a été recruté par le BOV en 2008 en tant que directeur des recherches et des enquêtes.

Hyson dit que Parent a plusieurs avantages par rapport à son prédécesseur. Tout d’abord, le mandat de cinq ans de Parent est « une période plus longue pour établir de bonnes relations de travail avec les anciens combattants et le gouvernement ». Il a aussi pris les rênes d’une opération établie; il n’a donc pas été obligé de recruter, d’organiser et de former le personnel, ni d’installer les bureaux.

Étant donné toutes ces expériences, Murray est d’avis que Parent saura bien servir en tant qu’ombudsman. « Il comprend les blessures, le danger et […] les répercussions sur les familles. » Parent et son épouse, Helena Morris, ont élevé trois fils pendant qu’il était militaire. « Il parle aux puissants et utilise les moyens nécessaires, et il le fait d’habitude dans la tranquillité et avec efficacité, et à l’occasion dans les coulisses. »

Son travail tranquille dans les coulisses a été couronné de succès peu après sa nomination. À la suite d’une offre de services gratuits provenant d’une société d’avocats, il a écrit aux associations d’avocats provinciales et fédérales pour leur exposer le besoin qu’ont les anciens combattants de services juridiques gratuits lors des requêtes en révision judiciaire en Cour fédérale. Bien que les anciens combattants qui n’obtiennent pas gain de cause devant le Tribunal des anciens combattants (révisions et appels) puissent demander un contrôle judi­ciaire, peu nombreux sont ceux qui le font, surtout à cause des dépenses que cela représente.

En décembre 2010, l’Ontario Trial Lawyers Association a annoncé l’institution d’un programme de services juridiques gratuits pour les anciens combattants ontariens demandant des avantages fédéraux liés à une invalidité. On s’attend à ce que d’autres associations lui emboitent le pas. Il s’agit là d’une réussite tranquille, le résultat de son énergie contrôlée et de l’utilisation calme de s

Search
Connect
Listen to the Podcast

Leave a Reply