Le 1er Peloton gravit Salavat Ghar au petit matin.
PHOTO : ADAM DAY
![Le 1er Peloton gravit Salavat Ghar au petit matin. [PHOTO : ADAM DAY] Le 1er Peloton gravit Salavat Ghar au petit matin. [PHOTO : ADAM DAY]](../../en/wp-content/uploads/2010/11/AfghanIntro.jpg)
Les villageois décident
Le présent fascicule est le dernier de notre série sur les efforts déployés par le 1er Peloton de la Compagnie Alpha du 1er Bataillon de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (PPCLI) dans le but de gagner la confiance des villageois de Salavat, une petite collectivité du district de Panjwai de la province de Kandahar, en Afghanistan. Tout ce qu’a fait le 1er Peloton au cours des semaines passées a donné lieu à une réunion de plus avec les ainés de la localité, au cours de laquelle les villageois devraient annoncer s’ils ont décidé de coopérer avec les Canadiens ou de fuir la région pour chercher la sécurité dans un endroit où il n’y aura pas de forces de la coalition.
XIe et XIIe jours : Les interminables patrouilles avant l’aube pendant que XIe et XIIe jours : Les interminablespatrouilles avant l’aube pendant que les villageois décident ce qu’ils vont faire
Lors de la choura tant attendue des ainés de Salavat, il y a quelques jours, le capitaine Bryce Talsma, commandant du 1er Peloton, a entendu les villageois dire plusieurs fois qu’ils n’étaient pas très contents que les Canadiens parcourent le village fréquemment avec leurs armes et leurs blindés, prêts au combat. Le point de vue des villageois n’est pas difficile à comprendre : la présence de tant d’étrangers casqués portant autant de fusils et de roquettes bouleverserait n’importe quel quartier au monde.
Talsma ne voulait quand même pas arrêter les patrouilles, de peur que l’ennemi crée du désordre pendant la période cruciale où les villageois allaient prendre leur décision. Ainsi, après avoir bien réfléchi au problème, il arriva à une solution : minimiser les perturbations en patrouillant Salavat avant l’aube, puis, au sud de la ville, passer à côté par Kharo Kala avant de retourner à la base.
Ces patrouilles devaient quitter la base vers 4 h et se poursuivre jusqu’à tout juste avant le diner. Dans le jargon des fantassins, ces sorties s’appellent des bag drive (battue de sac).
Toutefois, même les fantassins les plus bougonneurs de la PPCLI ne ronchonnaient pas beaucoup à la perspective de se lever à 3 h. Le temps ne semblait plus avoir grande importance. Ce n’est pas qu’il n’existait plus, mais les soldats ne pensaient plus à un avenir lointain. Il leur semblait contreproductif, peu judicieux de le faire, comme présumer qu’on va survivre au-delà des prochains instants porte malchance.
Ainsi, les soldats semblaient parvenus à un état rare, la paix que l’on ressent quand on vit au moment présent. Si l’on peut dire d’un groupe de biffins demeurant dans des conditions difficiles, dans un tout petit fort entouré par l’ennemi, qu’ils sont sereins — même s’il s’agit d’une sérénité de condamnés possibles — c’est quand même chouette. Les soldats dorment quand ils sont fatigués, ils mangent quand ils ont faim et ils s’occupent de ce qu’il se passe sur le moment. Les théories superficielles mises à part, cette sérénité apparente pourrait tout aussi bien être le résultat à la fois de l’adrénaline, du manque de sommeil et de la déshydratation chroniques. Difficile de savoir.
De toute façon, il se trouve que les longues marches à l’aube en Afghanistan sont bonnes pour le moral, bien qu’elles soient certainement inconfortables pour le corps. Le soleil s’y lève rapidement et de bonne heure, mais sa lumière est faible et il n’y a pas du tout de chaleur pendant plusieurs heures. Et puis tout à coup, on dirait qu’il s’allume : tout le monde arrête de greloter et se met à transpirer en quelques secondes.
Une des principales tâches des patrouilles du 1er Peloton était d’explorer les abords de leur nouveau domicile. Salavat Ghar est la ville adjacente, au sud. Il s’agit d’un ensemble de sommets découpés qui s’élèvent à plusieurs centaines de mètres et d’où l’on a une excellente vue non seulement de tout Salavat, mais également de Nakhonay, « l’antre de la chicane » comme dit Talsma, de l’autre côté d’un ruisseau tari.
Une de ces patrouilles doit se faire sur cette montagne, bien sûr. Après plusieurs heures passées à tituber dans le noir jusqu’à la montagne, personne ne se réjouit à la pensée de l’escalader. « Si je ne suis pas revenu dans 20 minutes », dit le caporal-chef Paul Guilmane en regardant vers le sommet, « attendez plus longtemps ».
Guilmane et un petit groupe de soldats finissent par gravir la montagne en serpentant. Or, d’après une histoire militaire très récente que j’appris par la suite, un soldat canadien a été tué au petit jour au sommet de Salavat Ghar quelques mois auparavant, en juillet. Le soldat Sébastien Courcy, membre du 22e, a mis le pied sur une mine près du sommet et l’explosion l’a propulsé dans le vide.
Toutefois, Guilmane et son équipe ne furent pas victimes de violence et, bien que souvent tendus, confus, éreintés, les patrouilleurs revinrent tous au camp en vie.
De retour à l’intérieur de l’enceinte de la petite école, le combat le plus féroce de la rotation du 1er Peloton a été celui où Talsma et ce qui était probablement un petit serpent extrêmement venimeux se sont mesurés sur la terrasse du poste de commandement. Au début, le serpent a pensé s’enfuir, mais il a vite changé d’idée; il a rebroussé chemin et a dressé une embuscade féroce. Talsma a poignardé le serpent qui grondait terriblement et essayait de le mordre. Le sergent C.J. Flach est arrivé par la suite avec un balai et en a donné de grands coups au serpent. Alors que les deux techniciennes médicales encourageaient les hommes, le caporal John Little, surnommé l’ambassadeur, trouvait que ce n’était pas le moment d’être héroïque : « Je n’aime pas les serpents, se lamentait-il à voix haute. Regardez-moi, ici, sur la boite. » En effet, il dansait et tressautait sans vergogne sur une boite en bois en espérant se faire épargner une morsure. Le serpent réussit à s’enfuir, bien que gravement blessé.
Le vendredi, à la veille du jour où les villageois devaient prendre leur décision, le vieux problème du lieutenant Saed réapparut quand le commandant de son bataillon ainsi que le commandant de l’ELMP — le major Steve Macbeth — arrivèrent pour essayer d’apporter de la clarté et de l’harmonie au conflit qui bouillonnait entre Talsma et Saed.
Bien que les détails de ce qui s’est passé à la réunion aient été gardés plutôt secrets, Talsma avait espoir, au moins un peu, que les choses allaient s’améliorer. « Saed a changé de ton, mais je pense que c’est parce qu’il reconnait que la dynamique de la collaboration avec la PPCLI n’est pas du tout la même que celle qui existait avec le 22e. Il est devenu bien plus accommodant.
« Toutefois, le sort en est jeté en ce qui me concerne, dit-il. Il y a de sérieux problèmes. Au début, je me le représentais comme s’il était Canadien, alors qu’il est évident que ses motivations et ses perceptions sont complètement différentes des miennes. »
La question de Saed, comme tant d’autres questions sur lesquelles bute le 1er Peloton, est emblématique de l’Afghanistan lui-même, où il semble qu’aucune crise n’est jamais réglée : elle est simplement remplacée par une autre.
![Les ainés de Salvat considèrent leur sort à la choura. [PHOTO : ADAM DAY] Les ainés de Salvat considèrent leur sort à la choura. [PHOTO : ADAM DAY]](../../en/wp-content/uploads/2010/11/AfghanInset4.jpg)
De toute façon, il se pourrait que la maison du peloton de Salavat ait été une ruse, un geste de contrinsurrection pour la forme, alors qu’en réalité, on avait l’intention de créer un désordre cinétique à Nakhonay. Des tireurs d’élite, qui étaient venus pour ce faire, avaient hâte de commencer à tirer. Quelques heures après leur arrivée au camp, l’un d’entre eux est venu me voir pour me demander si j’avais des photos « d’objectifs de grande importance ».
« Je suis un reporter », lui répondis-je.
« Oh », dit-il, et il partit rapidement.
En outre, le peloton de reconnaissance devait arriver. Et le 2e Peloton, le « peloton d’attaque », campait dans l’allée derrière l’école. Le commandant de la compagnie et l’équipe de son poste de commandement tactique étaient revenus aussi. La maison du peloton semblait être devenue une base de rassemblement pour l’invasion de Nakhonay.
En début de soirée, un message radio du haut commandement provenant du terrain d’aviation de Kandahar nous amusa. Lors des consignes semi-régulières passées à toutes les positions canadiennes, quelqu’un à Kandahar a cru bon — et peut-être avec raison — de rappeler à tout le monde que les communications par l’Internet pouvaient être surveillées par l’ennemi. Alors, à la tombée de la nuit, Talsma appela ses commandants pour leur lire la consigne selon laquelle tout le monde devait faire attention à ne pas compromettre la sécurité opérationnelle sur Facebook ou sur Twitter. Les soldats, perplexes, regardèrent tout autour. Il n’y avait la lumière qu’en quelques rares endroits à Salavat, la situation concernant l’eau était souvent désespérée et on faisait ses besoins dans des seaux. L’accès à l’Internet était inexistant.
XIIIe jour : Le jour de décision à Salavat
Le matin du jour de décision, le camp était frénétique, la cuisine était plus que bondée et les soldats avalaient les toutes dernières rations. « Dans l’armée, de toutes les habiletés, celle qu’on apprend le mieux, c’est comment souffrir », dit Talsma d’un air pi-teux alors qu’il se préparait à manger froide une omelette à la sauce aux champignons sortie d’un sac.
Juste avant la choura, alors que les ainés commençaient à arriver dans l’enceinte voisine, le major Ryan Jurkowski, commandant de la compagnie Alpha, prit quelques minutes pour penser tout haut à ce que tout cela signifiait.
La décision de ce jour-là était des plus importantes à presque tous les points de vue. Si les gens décidaient de partir, c’était une perte. Une perte presque totale. S’ils décidaient de rester, c’était une victoire. Le dénouement allait être à peu près aussi décisif que n’importe quelle bataille de contrinsurrection. « S’ils décident de partir, c’est symboliquement une motion de censure, dit Jurkowski. C’est un référendum sur notre capacité à les protéger. »
Et il était intéressant, pour une fois, de se trouver de l’autre côté d’une action pressante et probablement inutile. C’était normalement la coalition qui se trouvait dans cette position. Mais cette fois-ci, c’étaient les villageois qui n’étaient vraiment pas suffisamment renseignés pour faire un bon choix sur ce qu’ils devraient faire et, plutôt que d’essayer de se renseigner davantage, ils avaient simplement décidé d’agir. « Que les gens de la place s’en aillent ou qu’ils restent, cela ne change en rien ce que nous devons faire, dit Jurkowski. Même s’ils s’en vont, nous devons montrer que nous sommes résolus. Nous ne partirons pas de Salavat, quelle que soit leur décision.
« S’ils s’en vont, cela veut dire que nous avons mal évalué l’influence des talibans à Salavat, poursuivit-il. Mais c’est un monde ni blanc ni noir; rien n’a échoué, c’est ainsi qu’on résout les problèmes en Afghanistan : on s’en va. Et même s’ils s’en vont, ils finiront par revenir. C’est simplement une manière de survivre dans la région. Je ne considère pas ça comme un échec. Je considère que nous devons rajuster notre approche.
« L’état du village s’occupe de lui-même. Les étrangers — qu’ils viennent d’un autre pays ou d’une autre vallée — ne devraient pas lui donner un coup de main; et quand on admet qu’on a besoin d’aide, on est redevable envers la personne qui aide.
« Il y a autre chose d’intéressant. Il revient au dirigeant du district de faire le nécessaire pour que ses gens restent. Si c’est un jour si important pour Salavat, où est Hajji Baran? »
Le dirigeant du district était absent. À la place, quand les ainés du village s’assirent, c’est Saed qui se leva en premier à nouveau, offrit ses salutations et fit un (long) discours.
Même si c’était une petite victoire, une victoire compliquée étant donné la complexité de Saed, il était remarquable de finalement voir un membre de l’Armée nationale afghane (ANA) dans une position de chef.
Un des ainés se leva après le discours de Saed, durant lequel il promettait à nouveau aux villageois des panneaux solaires, des tapis pour leurs mosquées et d’autres choses sûrement difficiles à obtenir. « Je n’écouterais jamais le discours d’un diable; jamais », dit l’ainé, impassible, fort probablement à propos des Canadiens. « Mais je suis avec vous. »
Il était clair à ce moment-là que les villageois allaient rester.
![Le caporal-chef Paul Guilmane à Salavat Ghar observe la ville de Nakhonay. [PHOTO : ADAM DAY] Le caporal-chef Paul Guilmane à Salavat Ghar observe la ville de Nakhonay. [PHOTO : ADAM DAY]](../../en/wp-content/uploads/2010/11/AfghanInset5.jpg)
Une autre chose était claire : Saed avait atteint son but apparent de devenir l’homme fort de la localité.
C’était donc le moment de négocier. Les villageois, puisqu’ils allaient rester, voulaient quelques concessions des Canadiens.
Ils voulaient une clinique médicale — et ils la voulaient dans l’école où étaient basés les Canadiens.
Cependant, plus que tout, ils voulaient que les forces afghanes et canadiennes arrêtent de s’introduire dans leurs enceintes et qu’elles arrêtent de patrouiller dans leur village.
Ils se levèrent un par un et dirent avoir peur que si les patrouilles n’arrêtaient pas de passer par le village, il finirait par y avoir de la violence. Ils ne s’inquiétaient pas outre mesure de savoir qui avait le contrôle de la région : tant qu’on ne tirait pas sur leur village, tant qu’il n’y avait pas d’explosions tuant leurs enfants, ils étaient satisfaits.
Le commandant de la compagnie Alpha interrompit la litanie de plaintes afin de se présenter.
« Je vous remercie de votre accueil, et je remercie Saed de m’avoir expliqué tant de problèmes. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis le major Jurkowski; je travaille avec le commandant de Saed. Je suis très heureux que nous soyons tous ici, que nous discutions de ce que nous devons faire ensemble, sous la direction de Saed de l’ANA. Il y a deux observations que j’aimerais faire, une sur le développement et l’autre sur la sécurité. Nous sommes la Force internationale d’assistance à la sécurité, nous travaillons pour l’ANA. Nous sommes venus maintenir la sécurité du village de Salavat. Et cela touche au développement, car la sécurité et le développement vont de pair. Quand je pourrai rapporter à mes chefs que Salavat est en sécurité, le développement suivra. Jusqu’alors, on ne peut travailler que sur de petits projets ici et là.
« On voudrait l’aide des gens d’ici pour nos petits projets. On a actuellement un projet de mettre du gravier dans le stationnement de l’école, mais aucun travailleur de Salavat n’est venu. Amenez-moi donc des travailleurs et j’annulerai ce projet-là pour les faire travailler à celui-ci. Il y a autre chose que je pourrais faire : vous aider à hiverniser votre village. »
Ensuite, Talsma se leva pour s’adresser aux ainés, dont il avait rencontré un bon nombre au cours des dernières semaines dans la ville et devant leurs enceintes. Il ne parla pas longtemps, mais il mentionna plusieurs points importants, disant aux villageois que « la peur, c’est la noirceur, et le mal triomphe dans le noir. Ensemble, nous pouvons repousser la noirceur et apporter de la lumière à Salavat ».
L’interprète, qui avait oisivement arraché des herbes pendant que Talsma parlait, attendit la fin du discours et en fit un résumé extrêmement bref. Talsma lui jeta un coup d’œil interrogateur.
On apprit par la suite que l’interprète avait fait un très mauvais travail en ce qui concernait les discours de Jurkowski et de Talsma. Il avait notamment dit aux villageois que Jurkowski voulait les aider à apporter l’hiver à leurs villages et que Talsma voulait apporter la lumière dans leurs foyers. Cela expliquait l’air quelque peu perplexe qu’on pouvait lire sur le visage des villageois.
Il faut le dire, l’incapacité des Canadiens de communiquer de manière fiable avec les villageois rend la tâche de gagner leur confiance bien difficile. La langue est une arme très puissante dans ce combat. Ce n’est pas que les atouts n’existent pas — il existe des interprètes assez habiles pour s’occuper de manifestations complexes comme les chouras et les négociations — mais il n’y en a pas suffisamment avec les soldats qui en ont besoin sur le terrain pour mener à bien leur mission. Que les soldats fussent envoyés à la guerre sans les outils dont ils ont besoin, ce n’avait rien de nouveau, mais ça fait toujours mal de voir une mission minée par quelque chose de si fondamental et de si prévisible que la langue.
![Le major Ryan Jurkowski (à d.) et le lieutenant Saed (à g.) s’asseoient près des ainés de Salavat à la dernière choura. [PHOTO : ADAM DAY] Le major Ryan Jurkowski (à d.) et le lieutenant Saed (à g.) s’asseoient près des ainés de Salavat à la dernière choura. [PHOTO : ADAM DAY]](../../en/wp-content/uploads/2010/11/AfghanInset8.jpg)
Immédiatement après la choura, Talsma envoya un détachement faire un grand arc dans Salavat et dans le village avoisi-nant de Khairo Kala, résolu à montrer aux villageois, ainsi qu’à l’ennemi, que le 1er Peloton était toujours actif.
Il y avait une différence remarquable dans les villages pendant cette patrouille. C’étaient les enfants; ils n’acceptaient plus nos bonbons. Chaque fois qu’on leur en offrait, ils gardaient les mains fermées et regardaient autour d’eux d’un air coupable, peu disposés à prendre le risque de se faire attraper par les gens — probablement des ennemis — qui les avaient avertis de ne pas s’approcher de nous.
La contrinsurrection, c’est un peu ça aussi : une tentative de leur faire manger des bonbons. Pour bien des raisons, c’est beaucoup plus difficile qu’on ne le croirait.
Finalement, la patrouille tourna le dernier coin en direction de la base —tout près du magasin où tant de bienveillance avait été engendrée lors de la frénésie d’achats du sergent Dwayne MacDougall quelques jours auparavant — et là se trouvait « la punition du nord », l’ainé intolérant du nord de Salavat qui avait fait tout ce qu’il pouvait pour éconduire le 1er Peloton au cours des deux dernières semaines. Il nous fixa d’un œil impassible lorsque nous nous approchâmes de lui. MacDougall lui cria gaiement « Manana », sa fameuse salutation et, incroyablement, le visage du vieux grincheux s’éclaira d’un large sourire. Il se leva, serra la main de MacDougall et lui offrit du thé.
Personne ne s’attendait à une si grande réussite.
Peu après, la patrouille fut de retour dans l’enceinte bondée, saine et sauve. Les tubes à pipi étaient surchargés, toutes les tasses avaient disparu et l’unique téléphone satellite était brisé.
Tout le monde s’assit par terre pour raconter des blagues.
XIVe jour : Le 1er Peloton se retire pour se reposer
Le dernier matin avant le repos et la remise à neuf de l’équipement, un hélicoptère américain Blackhawk survola la base à toute vitesse, à environ 30 pieds du sol, lançant des fusées éclairantes à profusion qui bien sûr frappèrent les tentes et les soldats à grande vitesse, toujours en feu. Un soldat du 2e Peloton fut atteint à la jambe, ce qui le rendit très mécontent. Des sacs de sable furent enflammés. C’était simplement un incident parmi d’autres.
Quand on pense au fâcheux passage du Blackhawk au-dessus de la maison du peloton, il est évident que le déploiement terrifiant des machines de guerre, sans raison, rend les villageois méfiants, pour ne pas dire farouches.
La violence, imprévisible, menace constamment.
Quant à Talsma, il comprend les problèmes des villageois clairement, mais pour lui, les résultats potentiels valent les risques. « D’après moi, nous déstabilisons la région où nous allons — avec les hélicoptères, les tirs d’éclairage, les soldats en patrouille, tout ça — de manière temporaire. Les villageois se disent : « vraiment, je ne me sens pas plus en sécurité » et ils n’ont peut-être pas tort. Cependant, tout irait mieux pour tout le monde à long terme, parce qu’il y aura des routes, des cliniques, bref une meilleure vie. Mais on ne va pas amorcer la construction avant que les combats ne soient finis. Et nous ne permettrons pas aux talibans de prendre le pouvoir. »
Talsma, assis, avait un large sourire, son fameux sourire. Il ne faisait que commencer. « Je suis un idéaliste. Je crois vraiment en la liberté; c’est une valeur que l’on devrait rendre universelle. Je ne blague pas quand je dis que la peur, c’est la noirceur, et que le mal triomphe dans le noir. Si on reste fidèle à cet idéal, je pense qu’on peut apporter des changements positifs; peut-être pas pour une nation, mais pour une personne ici et là. Je dois croire que c’est vrai. Et je pense que c’est une corruption de notre caractère national que d’avoir si peur d’imposer notre volonté à quelqu’un d’autre. Je pense que les talibans sont dans l’erreur et que chaque personne devrait être libre de vivre sa vie comme bon lui semble.
« Et, bien entendu, l’ironie, c’est qu’on les y oblige par la violence », ajouta Talsma.
« Mais c’est la nature de la guerre, j’imagine. On a une intention en arrivant : l’intention de fixer des limites, de dire non au terrorisme. Et maintenant, dit-il en regardant autour de lui, cet endroit n’est pas le meilleur pour l’entrainement et l’exportation du terrorisme. C’est donc une victoire.
![Les résidants de Salavat observent le 1er Peloton en patrouille. [PHOTO : ADAM DAY] Les résidants de Salavat observent le 1er Peloton en patrouille. [PHOTO : ADAM DAY]](../../en/wp-content/uploads/2010/11/AfghanInset9.jpg)
« Mais maintenant on doit faire face aux conséquences à la fois de nos actions, de n’avoir pas suffisamment de troupes pour commencer, et du fait que c’était un État en déroute au départ. Maintenant que le lait de Perrette est renversé, adieu veau, vache, cochon, couvée; personne ne pourra se tenir la tête haute si on ne va quelque part que pour rouer les gens de coups et repartir, car non seulement l’Afghanistan reviendrait au point de départ, il serait encore pire. »
Comme le chef militaire canadien en Afghanistan, le perspicace général Jonathan Vance, le fait remarquer, c’est « comme si on fabriquait un cube de Rubik et qu’on essayait de le résoudre en même temps ».
Sauf que ce n’est pas un jeu. C’est un conflit ethnique dont la violence empire, dans un pays qui semble fait pour la guerre civile, où nos bonnes intentions ne semblent vraiment pas être très bien traduites dans sa langue vernaculaire.
Seul l’avenir nous dira si la petite tête de pont prise par le peloton à Salavat donnera lieu à quelque chose de plus grand et de meilleur. Les chefs du 1er Peloton ont un rêve; c’est le rêve d’un Salavat prospère. Dans ce rêve, il y a une grosse génératrice d’électricité dont se charge un Afghan de la localité; il y a une école pleine d’enseignants et de petites filles; il y a une clinique médicale; il y a la confiance entre les gens de l’endroit et les forces de sécurité; il y a le bonheur.
Pendant quelques jours à la fin d’octobre 2009, le rêve ne paraissait pas complètement impossible.
C’était le premier stade de la bataille de Salavat et pas un coup de feu n’avait été tiré. Qui avait gagné? Le 1er Peloton.
Mission Afghanistan : Le combat pour Salavat – Les cinq articles de la série se trouvent à legionmagazine.com.