Cap sur l’avenir

Le NCSM Calgary (2e) a été mis en service en 1995. [PHOTO : FORCES CANADIENNES]

Le NCSM Calgary (2e) a été mis en service en 1995.
PHOTO : FORCES CANADIENNES

En 1945, le ministre de la Marine, Douglas Abbott, annonçait qu’il aimerait avoir « une bonne petite flotte maniable ». D’après certains, cette déclaration était une requête pour créer une force efficace et polyvalente qui, grâce à sa capacité d’accomplir de nombreuses tâches navales, donnerait au gouvernement autant de flexibilité que possible pour répondre aux provocations politiques de l’étranger.

Ce que spécifiait Abbott réellement, c’était un paradoxe de pluridisciplina-rité qui allait hanter la marine cana-dienne pendant toute la période de l’après-guerre. Réduire les budgets et les capacités tout en demandant à la marine de réagir à toute une gamme d’imprévus semble irrationnel à première vue, mais c’est ce que les gouvernements canadiens ont fait pendant les 55 dernières années. Bien que de nombreux planificateurs navals se soient sentis frustrés alors qu’ils multipliaient les efforts pour surmonter cette entrave, on ne saurait douter que c’est la Marine canadienne moderne qui a le plus ressemblé à la flotte flexible, bien que petite et relativement abordable, que Abbott avait demandée.

La Marine canadienne était dans un piètre état quand le mur de Berlin s’est écroulé, en 1989. Les premières tentatives de prolonger la durée de vie des DDH (destroyer porte-hélicoptère) de classe Annapolis et Saint-Laurent, et celle des DDE (destroyer d’escorte) de classe Restigouche et Mackenzie n’ont pas changé le fait que ces navires étaient des vestiges d’un passé où l’on se préparait à contrer les sous-marins soviétiques. La vieille flotte des sous-marins de classe Oberon et des ravitailleurs des années 1960 était aussi complètement dépassée, et les six bateaux de patrouille de classe Bay qui servaient à former les officiers avaient leur origine dans les années 1950. Même les navires Porte (bâtiments garde-barrière), qui servaient à la formation des réservistes navals, semblaient sortis d’un tableau de la Seconde Guerre mondiale.

Il n’empêche que les nouvelles n’étaient pas toutes mauvaises. Les navires les plus jeunes et les plus efficaces de la flotte, les DDH 280 de classe Tribal, qui avaient 17 ans, étaient en plein milieu d’un programme de modernisation. Parallèlement, une nouvelle flotte pointait à l’horizon. Les navires du Programme de la frégate canadienne de patrouille (FCP), que l’on acclamait comme une merveille technique, devaient arriver dans les années 1990 et 12 navires de défense côtière (NDC) devaient arriver peu de temps après. Quoique tant que ces navires n’étaient pas prêts, la marine devrait s’appuyer sur la flotte qu’elle avait au temps de la guerre froide pour prendre en charge l’instabilité et l’incertitude naissantes d’un « nouvel ordre mondial ».

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour éprouver cette flotte, car l’invasion iraquienne du Koweït, le 1er aout 1990, a conduit tous les bâtiments militaires du Canada à aller à la guerre pour la première fois depuis la guerre de Corée. Le Canada a vite réagi à la crise, mais les Forces canadiennes ont eu beaucoup de mal, à cause des années de manque d’entretien, à fournir la puissance militaire qu’il fallait pour étayer la politique du gouvernement. La marine était le service le mieux à même de répondre et, conséquemment, le ministre de la Défense, Bill McKnight, annonça que le Canada allait envoyer son propre groupe opérationnel — qui se composerait de l’Athabaskan (3e), du Restigouche (2e), et du Terra Nova, ainsi que le ravitailleur Protecteur — pour prévenir un surcroit d’agression et pour montrer qu’il appuyait les sanctions commerciales contre l’Iraq.

Cette marine a dû relever d’énormes défis même avant que le groupe opérationnel canadien (GOC) 302.3 soit envoyé au Golfe. Étant donné la nature du conflit qui se fomentait, il a vite été évi-dent que l’équipement anti-sous-marin des navires ne servirait pas à grand-chose contre des navires de surface et des aéronefs. Non seulement a-t-il fallu l’installation au pied levé d’un missile surface-surface (MSS) Harpoon sur le Terra Nova, mais il a aussi fallu grandement moderniser les capacités défensives de tous les navires, notamment de l’équipement de communication et de la guerre électronique. Le groupe a été prêt en moins de deux semaines grâce au personnel du chantier mari­time qui travaillait 24 heures sur 24. L’entrainement intense, en route vers le golfe Persique, y compris un programme français pour se préparer aux attaques iraquiennes au missile Exocet, lui ont aussi permis de se préparer aux difficultés opérationnelles.

Malgré ces préparations de circons­tance, et le fait que la marine cana-dienne n’avait jamais opéré dans cette région précise, le groupe opérationnel a extrêmement bien fonctionné. Les marins de la United States Navy (USN) étaient très heureux de travailler avec les Canadiens quand il s’agissait d’intercepter le trafic parce que leur équipement et leurs procédures se ressemblaient beaucoup. Les hauts gradés de la Marine canadienne désiraient tout autant que leurs maitres politiciens approuvent l’affectation, surtout que cela donnerait au groupe opérationnel un rôle important dans la Force multinationale d’interception (FMI) qui était chargée d’interdire la navigation à destination ou en provenance d’Iraq.

Le commandant canadien supérieur, le commodore Ken Summers, proposa que le groupe opérationnel soit dédié au réapprovisionnement. Pour citer le capitaine de vaisseau Duncan Miller qui était le chef d’état-major de Summers, les États-Uniens « ont adoré l’idée » et ils ont même proposé que les Canadiens orga­nisent les efforts internationaux relatifs à la livraison de nourriture, de carburant et de matériel militaire dont la coalition avait besoin pour ses opérations. Les Américains avaient plusieurs raisons de vouloir créer une force de logistique de combat (FLC) internationale sous un commandement canadien. Tout d’abord, non seulement cette force, composée de plus de 30 navires d’escorte et de soutien engagés par 10 pays libérait-elle les bâtiments de la USN pour le combat, elles rendaient utiles les forces de la coalition qui ne pouvaient s’intégrer facilement aux forces états-uniennes. Ensuite, les Canadiens connaissaient fort bien les tactiques, la doctrine et les méthodes de la USN, ainsi que les systèmes cruciaux de commandement et de contrôle et de communication des Tribal, ce qui leur permettait de servir efficacement d’intermédiaire entre les Américains et les autres marines de la coalition.

La nomination de Miller au poste de commandant de la FLC était vraiment prestigieuse. Le fait que les navires eux-mêmes ont extrêmement bien marché dans le cadre de la FLC a amélioré encore plus la réputation de la Marine canadienne. Sur les 105 missions d’escorte assignées à la FLC, un tiers environ ont été accomplie par le Terra Nova et l’Athabaskan. Et ce n’était pas le seul point fort de la guerre pour la Marine. Le Protecteur y a acquis une réputation respectable quant à l’efficacité, et, le 18 février, l’Athabaskan rehaussait son prestige en faisant fi des champs de mines pour se porter à l’aide du USS Princeton en détresse. Toujours est-il que c’est le gouvernement qui a été le mieux récompensé, car cette force navale relativement petite a affiché un rendement maximal pour la politique étrangère du Canada; le commandement de la FLC par Miller a présenté le pays en tant que chef de file international, décisif et intervenant clé quand il s’agissait de sécurité mondiale.

Toutefois, cette récompense a éprouvé la Marine au plus haut point, et il vaut peut-être mieux pour elle que la guerre n’ait pas duré longtemps. La capacité de changer l’application des navires, d’un emploi anti-sous-marins à celui où ils fonctionnaient dans un environnement antiaérien et antisurface, était impressionnant, mais il y a lieu de douter que ces modifications auraient pu tenir tête à une réelle offensive des Iraquiens. Il est évident aussi que la Marine aurait eu beaucoup de difficultés à maintenir un effort militaire prolongé. Plutôt que d’envoyer des navires qu’il faudrait modifier autant que l’Athabaskan, le Terra Nova et le Protecteur, on dressa un plan dans le cadre duquel ce sont les équipages au complet qu’on remplacerait. Lors de la première rotation, le 6 janvier 1991, l’équipage du Preserver changea de place avec celui du Protecteur, mais le début de l’offensive aérienne des alliés mena à la décision de remplacer les navires après tout, et le Huron (2e) et le Restigouche devaient remplacer les deux destroyers. Le Huron fut prêt aux opérations avant la fin des hostilités, mais le succès éblouissant de l’offensive au sol de la coalition et le cessez-le-feu subséquent, le 28 février, firent disparaitre le besoin d’envoyer le Restigouche.

Il était évident que le nouvel ordre mondial allait susciter des situations où la Marine devrait être pourvue de capacités dédiées aux opérations antisurface et antiaériennes. Il lui faudrait attendre que les quatre navires du projet de MNCT (modernisation des navires de classe Tribal) soient terminés et que les FCP soient livrées, entre 1992 et 1996, pour disposer de toutes ces capacités, ce qui voulait dire qu’elle serait obligée de compter sur un mélange de vieux navires et de nouveaux pour répondre aux demandes de plus en plus nombreuses.

C’était vraiment une période pleine d’activités. Les États-Unis se trouvaient dans une position où ils pouvaient agir en tant que « police » du monde et le gouvernement Mulroney voulait que le Canada en soit un des principaux agents. En conséquence, le Huron allait maintenir une présence canadienne dans le Golfe, où il exerçait des sanctions économiques contre l’Iraq, cependant que les opérations des Forces canadiennes Deliverance et Relief faisaient du ravitailleur Preserver un navire de transport maritime, de soutien administratif et d’état-major des forces aéroportées canadiennes lors de la mission d’assistance humanitaire internationale et de contrôle de conflit en Somalie. Les autres opérations, comme Sharp Guard sur l’Adriatique, dans le cadre de laquelle on exerçait des sanctions de l’ONU pour réprimer la violence ethnique en ancienne Yougoslavie et les efforts déployés pour restaurer le gouvernement haïtien ont aussi fait remarquer l’efficacité de la Marine. Effectivement, le fait qu’aucun navire transportant des armes n’ait réussi à ouvrir une brèche dans le blocus de l’ancienne Yougoslavie, et que les équipages de deux navires prenant part à l’opération d’Haïti ont réussi à accoster 9 424 vaisseaux, à faire 1 388 arraisonnements armés et ont écarté 119 bateaux, a attiré beaucoup d’éloges pour la Marine.

C’est ce que le premier ministre Jean Chrétien désirait continuer quand son parti, le Parti libéral, a été élu, en octobre 1993. Dans le livre blanc de 1994, les libéraux disaient clairement aux Canadiens qu’ils se trouvaient confrontés à un monde fragmenté et plein d’imprévus. Pour la Marine, cela voulait dire qu’il faudrait un groupe opérationnel maritime à chaque côte, qui comprendrait jusqu’à quatre destroyers, frégates ou sous-marins.

La Marine avait suffisamment de bâtiments pour se conformer à cette consigne, bien qu’à peine, mais l’état financier du pays obligeait les libéraux à réduire le déficit en priorité. Les réductions ultérieures du budget de la défense étaient substantielles (avec des traits communs à celles du début des années 1980) et, étant donné les couts et les besoins associés aux forces navales polyvalentes et à leurs opérations, on tombait dans l’illogique.

Pour aboutir à une flotte vraiment polyvalente qui puisse accomplir les fonctions exposées brièvement dans le livre blanc, il fallait à la Marine plus de navires, de divers types, que ce que le gouvernement lui accordait. Étant donné que l’acquisition d’actifs dont elle avait vraiment besoin était retardée, la situation empirait encore. Par exemple, le remplacement des vieux hélicoptères Sea King était un point délicat depuis que Chrétien avait annulé le programme des EH-101 quand il avait pris le pouvoir. Effectivement, le programme avait des résonnances politiques si fortes que les libéraux devaient non seulement s’occuper d’une série d’accidents de Sea King, mais il a fallu attendre que Chrétien démissionne, en décembre 2003, pour choisir le Superhawk H-92.

En outre, étant donné la bataille des libéraux avec le déficit, le désir de la Marine de profiter d’une occasion remarquable pour remplacer les Oberon vieux de 30 ans par la classe britannique Upholder relativement plus moderne a été retardé jusqu’en 1998. Par conséquent, la Marine n’a pas pu prendre possession du premier sous-marin, le NCSM Victoria, avant deux ans.

Malgré les réductions de budget et les retards du programme naval, le rythme opérationnel de la Marine ne semblait pas du tout fléchir. Le travail d’arraisonnement maritime entre 1995 et 2002, dans le cadre des sanctions continues de l’ONU contre l’Iraq (les opérations comme Tranquility, Prevention, Determination et Augmentation), était toujours aux premières lignes à l’ordre du jour internatio-nal de la Marine. Il y avait toutefois une grande différence entre certaines de ces opérations et les déploiements précédents dans le Golfe. Grâce à la familiarité de leurs équipages avec la doctrine et les tactiques des Américains, ainsi qu’à la compatibilité de l’équipement, les navires canadiens sont les seuls navires des alliés qui se sont entièrement intégrés dans plusieurs groupes opérationnels de porte-avions et de la force du Pacifique au Moyen-Orient américains.

Des inquiétudes comme quoi les navires canadiens pourraient se faire entrainer dans les affaires étatiques des États-Unis ont vite été supplantées par les avantages politiques de devenir membre des groupes de la USN. Une telle intégration donnait au gouvernement une nouvelle façon de présenter simultanément le désir du Canada de partager le fardeau en matière de sécurité collective et d’appuyer les résolutions de l’ONU sans être obligé d’envoyer un groupe opérationnel que la Marine ne pouvait pas maintenir.

D’autres opérations ont renforcé le point de vue que la Marine réussissait fort bien avec les actifs qu’elle avait à sa disposition. Il est sûr que les destroyers, les frégates, et les sous-marins envoyés renforcer le ministère des Pêches et Océans en 1995, pendant la soi-disant guerre du flétan avec l’Espagne étaient une composante essentielle d’une opération qui non seulement montrait que le gouvernement s’engageait à protéger les populations de poissons, mais elle faisait aussi vibrer la corde sensible du nationalisme chez les Canadiens.

Que ce soit en fournissant des unités de petits navires lors des inondations de la rivière Rouge ou des actifs lors de la tragédie de l’avion de Swiss Air, ou en envoyant des navires aider les victimes de l’ouragan Andrew en Floride en 1992 ou à la Nouvelle-Orléans lors de la dévastation de Katrina, les secours aux sinistrés l’ont aussi fait vibrer. La Marine était tout aussi active au front de l’assistance humanitaire lors des opérations comme la Toucan, dans le cadre de laquelle un ravi-tailleur a été expédié au Timor-Oriental.

La Marine s’est aussi distinguée à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Une série de déploiements sur les Grands Lacs ont été un triomphe en relations publiques lorsque la Marine est venue au cœur du pays, alors qu’une série d’initiatives — comme nommer la frégate Ville de Québec (2e) unité de langue française, accentuer la présence de la Réserve au Québec et instaurer une politique demandant à tous les officiers de devenir bilingues — a servi à faire valoir le service en tant que carrière aux yeux des francophones.

Les occasions dans une Réserve navale requinquée et élargie étaient également intéressantes pour beaucoup de Canadiens. Le concept de force totale, avec lequel on voulait contrer les réductions, par le gouvernement, des effectifs des forces régulières en donnant un rôle plus important aux réservistes, était principalement responsable d’un nouveau sentiment puissant de mission au sein de la Réserve navale. Missionnée sur la défense des côtes et sur le dragage des mines grâce à 12 nouveaux NDC (et obtenant une fonction de contrôle naval de la navigation commerciale et, par la suite, de renseignement), la Réserve navale n’était plus rien qu’une force d’augmentation des réguliers et, en conséquence, le taux de réduction des effectifs a baissé et le moral s’est considérablement relevé. De nouveaux navires et de nouvelles politiques sur le personnel signifiaient que le moral des forces régulières aussi était re-lativement solide, mais il y avait anguille sous roche. Les réductions du personnel, le rapport haute mer-terre élevé, et le rythme opérationnel vif commençaient à laisser leurs traces, encore plus quand les évènements du 11 septembre 2001 ont suscité l’augmentation des demandes qu’on adressait à la Marine.

Les attaques de terroristes aux États-Unis ont été des évènements gros de conséquences : elles ont donné lieu à un important déroutement de la politique de défense et des ressources qui ont alors été engagées à la défaite d’Al-Qaïda et de la menace asymétrique plus générale qu’est le terrorisme. Le gouvernement de Chrétien s’est tenu à l’écart du théâtre iraquien, mais il s’est engagé entièrement à la guerre contre le terrorisme, surtout en Afghanistan. Pourtant, sa réponse immédiate, que le ministre de la défense Art Eggleton a annoncée le 8 octobre 2001, fut d’envoyer la Marine. En à peine neuf jours, six navires mettaient le cap sur la mer d’Oman dans le cadre de l’opération Apollo. C’était un exploit de préparation et de flexibilité dont la conséquence a été que le Canada y est arrivé déployer ses navires tout de suite après la USN. D’autres triomphes ont eu lieu pendant cette mission, le déploiement naval canadien le plus soutenu et le plus consi-dérable depuis la guerre de Corée, qui a duré deux ans : du 2 octobre 2001 au 15 décembre 2003.

La Marine avait de quoi être fière. Ayant mené des milliers d’accostages et environ 60 p. 100 des arraisonnements de la coalition, elle s’est vite signalée en tant que chef de file mondial dans le domaine des tactiques d’arraisonnement. Ses compétences étaient notablement étendues, au point où un Canadien a été nommé au poste de commandant de la Force opérationnelle 151, une force internationale chargée du blocus dans le golfe d’Oman. Cependant, Apollo — comme ce fut le cas de la guerre du Golfe précédente — a aussi utilisé au maximum les ressources dont disposait la Marine. Les frégates, qui n’étaient pas conçues pour commander des groupes opérationnels, ont dû le faire à l’occasion car il n’y avait pas suffisamment de destroyers de classe Tribal; et le manque de pétroliers ravitailleurs obligeait la Marine à se tourner vers d’autres pays. Par surcroit, étant donné que tous ses marins, au nombre de 4 000 et 16 de ses principaux navires avaient servi dans la région à un moment ou à un autre, les programmes d’entretien des bâtiments étaient très décalés.

La Marine allait avoir un coup de veine qu’elle méritait bien et dont elle avait fort besoin. L’opération Altair, qui succédait à l’Apollo, a considérablement réduit l’engagement naval du Canada dans la région. Cette opération, à laquelle le Toronto (2e) a pris part le premier, en janvier 2004, allait se caractériser par l’envoi d’un bâtiment à la fois. Bien entendu que ces navires étaient occupés, comme l’a démontré le fait que le Charlottetown (2e) — qui avait la renommée d’être un navire « à tout faire » lorsqu’il faisait partie du groupe aéronaval du USS Harry S. Truman — a passé 87 p. 100 du temps qu’il était dans le théâtre en mer. Cette succession de navires, qui permettait aux autres vaisseaux de reprendre leurs fonctions et leurs exercices plus habituels, a été temporairement interrompue en juin 2008, quand le commodore Bob Davidson, à bord de l’Iroquois (2e), le navire de commandement, et accompa-gné par le Calgary (2e) et le Protecteur, a pris son tour en tant que dirigeant de la flotte de la coalition d’Altair (Force opérationnelle internationale 150).

Bien que le rythme opérationnel d’Altair était beaucoup plus lent que celui d’Apollo, le gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper a quand même maintenu la Marine occupée au moyen de nouvelles missions et des nouvelles zones de responsabilités définies dans la Stratégie de défense le Canada d’abord (SDCD). Le document sur cette dernière, vraiment stratégique et formulé clairement, disait aux Canadiens que la défense du pays dépendait de sa capacité à défendre le Canada, à prendre part à la défense du continent et à participer à la sécurité du monde. La différence entre le document de la SDCD et les autres documents de défense, c’est que le premier garantissait les dépenses et fournissait un plan où il était indiqué ce dont les gens, l’équipement, la formation et l’infrastructure que la Marine auraient besoin pour réussir.

Mis à part les fonds qu’il avait déjà engagés pour la modernisation de la classe Halifax, pour le remplacement du Preserver et du Protecteur, dans le cadre du programme d’acquisition des navires de soutien interarmés et pour quelques nouveaux patrouilleurs à destination de l’Arctique, le gouvernement exposait brièvement un plan d’acquisition de 20 ans d’après lequel la Marine devait acquérir 15 nouveaux combattants de surface pour remplacer les classes Tribal et FCP. Et la SDCD était tout aussi ambitieuse en ce qui a trait aux profits que le gouvernement pouvait s’attendre à obtenir en garantissant la régénération de la flotte de vieux navires, comme son désir d’établir une présence sur l’Arctique canadien l’a démontré.

La découverte possible de ressources naturelles inexploitées, la fonte des glaces polaires et l’ouverture éventuelle du passage du Nord-Ouest ont donné une importance stratégique à l’Arctique, et la Marine ne l’ignore pas. À partir de 2002 et pendant les sept ans qui ont suivi, la Marine y a envoyé un mélange de FCP et de NDC et un sous-marin, de sorte qu’elle garde une présence en Arctique comme il n’y en a pas eu depuis les croisières pionnières de la fin des années 1940 et des années 1950. Cela n’a pas été facile à faire. Alors qu’à la fin de la guerre froide, les planificateurs supérieurs ont réussi à équilibrer les forces entre la côte atlantique et la pacifique, l’ajout de la côte arctique pose quelques problèmes de logistique et d’affectation des forces pour une Marine qui n’a même pas reçu suffisamment de ressources pour protéger deux des trois océans qui baignent le Canada de toute l’histoire; alors que dire d’un troisième.

On ne s’étonnera pas qu’il y ait des critiques qui se demandent comment, vu tous les rôles qu’elle joue actuellement, la Marine va gérer le nouvel engagement en Arctique. Il est sûr que le programme naval intérieur lié à la souveraineté, aux pêches, à la sécurité et aux patrouilles de surveillance est encore un rôle important, surtout pour les NDC. Il a fallu plusieurs frégates, qui collaborent bien avec d’autres départements ministériels tel celui de la GRC, pour ralentir le trafic des stupéfiants illégaux le long des côtes du Canada et dans les eaux sud-américaines.

La Marine canadienne a aussi contribué largement à la neutralisation de la piraterie internationale qui a augmenté récemment au large de la Somalie. Les bâtiments comme le Winnipeg (2e) ont été reconnus en tant que chasseurs de pirates experts, et le Ville de Québec a joué un rôle clé pour maintenir les voies maritimes ouvertes afin que l’ONU puisse livrer des aliments, par l’entremise du Programme alimentaire mondial (PAM) aux 3,2 millions de Somaliens qui en dépendent. Les livraisons du PAM chargées à bord de la frégate St. John’s pour assister les populations affamées en Haïti à la suite des ouragans étaient tout aussi importantes. Et, pour finir, les affectations de navires singuliers pour la cause de la solidarité, par le truchement des contributions au 1er Groupe de la Force navale permanente de réaction de l’OTAN (SNMG1) — une force de réaction rapide qui s’entraine et fonctionne en tant qu’équipe cohérente — couronnent ce qui est vraiment une profusion de fonctions et de capacités.

Par malheur, il y a des tendances à l’horizon qui risquent d’affecter le niveau de versatilité de la Marine. Que ce soit à cause du fait que les sous-marins de classe Victoria ne sont pas encore entièrement opérationnels ou que quatre à six FCP sont retenues en même temps à cause de la modernisation de la classe Halifax, il y aura des moments où la capacité de la Marine de missionner des navires ou de composer des groupes opérationnels sera sérieusement entravée. Le besoin pressant de remplacer les DDG 280 (leur classification a changé d’escorteurs d’escadre porte-hélicoptères à destroyers lance-missiles après le MNCT) inquiète certaines personnes. Bien que les premiers navires de combat de surface canadiens (NCSC) auront des systèmes de défense contre avions et de commandement et contrôle, les retards mettront la Marine dans une position où il faudra qu’elle modernise les 280 une deuxième fois ou qu’elle abandonne pendant un certain temps la capacité fondamentale qui lui permet d’agir en tant que force nationale indépendante.

Les retards des NSI aussi, parce que l’industrie a dit au gouvernement de soit diminuer les exigences du navire, soit augmenter le financement, menacent de priver la Marine d’encore un autre besoin essentiel. Sans de nouveaux bâtiments pour remplacer les Preserver et Protecteur de 40 ans, il est presque sûr que la Marine n’arrivera pas à procurer à la flotte ce dont elle a besoin.

Il est évident aussi que le programme des NSI dénonce des problèmes de taille, et que ces derniers pourraient amoindrir sa capacité de fournir une force polyvalente. Il y a des critiques qui prétendent, par exemple, que le gouvernement finira par ne pas tenir ses promesses, à moins qu’il y ait aussi des réformes importantes de l’industrie « d’expansion et de récession » du Canada.

L’armement en personnel et le recrutement aussi sont des domaines où des problèmes risquent de survenir. Les importantes réductions d’armement en personnel des années 1990, un processus de recrutement des Forces canadiennes concernant principalement les troupes pour l’Afghanistan et la compétition acharnée pour les emplois du secteur privé signifient que la Marine doit s’attaquer à l’insuffisance de personnel qui empirera sa capacité de tenir les engagements opérationnels. Le problème est si grave que la Marine a prédit qu’il manquera 1 000 personnes à son effectif en 2011.

Le fait que la Marine a manifesté tant de polyvalence sans les deux types de navires (croiseurs et porte-avions) dont disposent ses alliés plus grands qu’elle, et sans le même nombre de bâtiments, est la preuve qu’elle est capable de réussir très bien avec très peu de ressources. Trouver des moyens d’accomplir une grande gamme de tâches malgré un budget comprimé ne lui a pas été facile. Pourtant, l’histoire opérationnelle et les succès de ces 20 dernières années indiquent qu’un mélange de leadership efficace des compétences lui permettant de s’intégrer à ses principaux alliés (notamment la USN), son adaptabilité, et l’emploi brillant de groupes opérationnels fondés sur un mélange de destroyers de commandement, de frégates polyvalentes, de sous-marins et de ravitailleurs, ont donné lieu à ce que l’historien Richard Gimblett appelle, avec raison, l’âge d’or de la Marine.

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