Les petites corvettes combatives

Des corvettes quittant Halifax en avril 1941. [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA105334]

Des corvettes quittant Halifax en avril 1941.
PHOTO: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA—PA105334

« Partir à l’aventure et servir ton pays, c’est la baraka assurée, hein? » dit mon épouse en examinant la photo d’un marin de 17 ans avant de la placer sur le numériseur. « Ouah! »

Il s’agit d’une remarquable histoire de la Seconde Guerre mondiale. La Marine royale du Canada n’avait que 13 navires en 1939, quand la guerre a éclaté, et le nombre a augmenté jusqu’à 332, devenant ainsi la troisième marine alliée de la guerre. Morley Barnes, de Georgetown (Ont.), était comme la plupart des jeunes gens qui se sont engagés volontairement et qui ont accru le nombre de marins à temps plein de 1 800 à 100 000. La plupart ont pris la mer et ils ont presque tous été employés à bord des corvettes.

Ces dernières, profilées d’après les baleiniers pour servir de garde-côtes dans la Marine royale, avaient été choisies par la MRC parce qu’elles étaient simples et qu’on pouvait les construire à bon prix dans les chantiers navals canadiens qui n’avaient aucune expérience de la construction navale. Cependant, les premières corvettes ont vite été réquisitionnées pour servir d’escorteurs : un rôle d’importance capitale qui était de protéger des convois marchands transportant approvisionnements militaires et nourriture au Royaume-Uni. C’était le temps où l’Allemagne occupait l’Europe de l’Ouest et se servait de petites flottes de sous-marins pour garrotter le Royaume-Uni.

Le Canada a mouillé 123 corvettes pendant la Seconde Guerre mondiale, 111 de la classe d’origine, la Flower conçue au Royaume-Uni, et 12 plus grandes, de la classe Castle. Les chantiers navals canadiens des Grands Lacs, du Saint-Laurent et des côtes est et ouest en ont construit 107 en tout. Les améliorations conceptuelles et les progrès technologiques ont été incorporés peu à peu. Les 16 autres corvettes ont été construites au Royaume-Uni.

La plus grande partie des Flower déplaçaient 950 tonnes et mesuraient 205 pieds de longueur et 33 pieds de largeur. Les versions suivantes déplaçaient 970 ou 1 015 tonnes et mesuraient 208 pieds de longueur. Les Castle déplaçaient 1 060 tonnes et mesuraient 252 pieds de longueur et 37 pieds de largeur. Malheureusement, leur vitesse ne dépassait pas les 16 nœuds. Les grenades sous-marines en étaient l’arme principale, mais à part cela elles n’étaient que légèrement armées.

Les corvettes étaient les navires cardinaux du Canada de bien des façons : leur nombre était le plus élevé, ainsi que l’étaient le nombre de membres d’équipage et celui des relations avec les collectivités, et 113 d’entre elles avaient été nommées en l’honneur d’agglomérations des neuf provinces. Les 10 autres, qui avaient été construi­tes pour la MR et intégrées par la suite dans la MRC, ont gardé leur nom de fleur originaire.

Les embruns océaniques glacés s’accrochent au NCSM Wetaskiwin, en décembre 1942. [PHOTO : J.D. MAHONEY, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA116836]

Les embruns océaniques glacés s’accrochent au NCSM Wetaskiwin, en décembre 1942.
PHOTO: J.D. MAHONEY, LIBRARY AND ARCHIVES CANADA—PA116836

L’Atlantique Nord était le théâtre principal des activités navales cana-diennes, bien entendu, et la navette « Newfie-Derry » entre St. John’s (T.-N.) et Londonderry (Irlande du Nord), la principale ligne des convois. Les pertes en bâtiments marchands étaient nombreuses en Atlantique Nord, surtout au début de la guerre, quand les marins étaient novices et mal formés, et quand les escortes étaient assemblées en groupes sans avoir disposé d’une formation adéquate. Les corvettes ont aussi servi dans bien d’autres théâtres, dont ceux de la Manche, du golfe du Saint-Laurent, de la Méditerranée, des Caraïbes et de la côte Ouest.

Elles protégeaient les convois et chassaient les U-boots quand elles en avaient l’occasion. En fait, 17 des 33 U-boot détruits par la MRC ont été portés à l’actif de 20 d’entre elles. Par contre, sur les 24 navires de combat canadiens qui ont été coulés, 10 étaient des corvettes: sept furent torpillées et un avion, une collision et une mine firent sombrer les trois autres. Les pertes selon les théâtres, furent les suivantes : Atlantique, 3 — Levis, Windflower et Spikenard; Manche, 3 — Regina, Alberni et Trentonian; golfe du Saint-Laurent, 2 — Charlottetown et Shawinigan; Méditerranée, 2 — Louisburg et Weyburn.

L’équipage est l’âme de tout navire. « Les matelots des équipages étaient surtout de jeunes réservistes; quelques postes clés seulement étant occupés par le personnel régulier ou rappelé », dit Arnold Trask de Digby (N.-É.), qui a servi à bord des corvettes Prescott et Brantford. « Le service en mer était mo­no­tone et débilitant, soit parce qu’il fallait constamment maintenir sa vigilance devant les dangers que sont la mer et l’ennemi, soit à cause du froid en Atlantique Nord. Quand il fallait combattre, l’action pouvait être longue et brutale, et se terminer par l’engloutissement de cargos ou de navires de combat. »

Burnie Forbes de Smiths Falls (Ont.) s’est engagé à 18 ans. C’est en décembre 1941 qu’il a vu une corvette pour la première fois, pendant qu’il servait à bord du destroyer Saguenay en direction de l’Islande : « La mer était plus agitée que je ne l’avais jamais vue, au point où le convoi s’en était dispersé. Dans les ponts inférieurs, on barbotait dans deux pieds d’eau. À bord du destroyer, nous avions peur que les petites corvettes n’arrivent pas au port. On a été abasourdis en arrivant au port de St. John’s, quand on les a vues toutes bien amarrées le long de la jetée, et elles étaient là depuis trois jours. »

« Pendant l’hiver, on passait beaucoup de temps à casser la glace et à la jeter par-dessus bord, se souvient le chauffeur de Kincardine, Barnes. « On était obligé de faire ça. […] Les vagues étaient si hautes qu’on n’en voyait pas la crête quand on était dans le creux. La corvette grimpait la vague, puis, quand on passait la crête, l’étrave dégringolait de l’autre côté. Ça faisait trembler tout le bateau. On le sentait à travers nos bottes. Un destroyer, c’est pratiquement une ligne droite. Il passe à travers les vagues, il ne monte pas par-dessus. »

« Il n’y a rien comme le roulis et le tangage d’une grosse mer pour donner une sensation d’apesanteur; se faire soulever et puis retomber, pour finir par flotter », dit Doug May, un télégraphiste de Kincardine membre de la filiale Chilliwack (C.-B.) depuis 64 ans.

Le chauffeur William Anderson de Niagara Falls (Ont.), qui a servi à Collingwood et à Orangeville, résume son expérience ainsi : « Les corvettes étaient les meilleurs de tous les bâtiments des mers. On disait qu’elles rouleraient sur l’herbe mouillée. »

Trask remarque que le manque de longueur et le faible tirant d’eau de la corvette en faisaient un bateau inconfortable, même après les modifications. « On était épuisés au bout d’une quinzaine passée à tanguer et à rouler sur l’Atlantique Nord en escortant un convoi. On dormait entassés, dans une atmosphère renfermée et souvent tout mouillés. Le pont de postes d’équipage était aussi tout enfumé, car presque tout le monde était fumeur, alors le seul air frais qu’on avait, c’était à l’air libre, quand on était de quart. »

« C’était pas le confort quand on allait aux latrines en mer, se rappelle Forbes. Quand le bateau roulait, on risquait de se faire tremper par une réaction indésirable que les clapets ne pouvaient pas arrêter. C’est peut-être pour ça que ma corvette, la Wetaskiwin, a été surnommée Wet Ass Queen (reine au cul mouillé). »

Barnes ne mâche pas ses mots : « À bord d’une corvette, tout ce qui était cassable était cassé au bout de trois jours. À bord d’une corvette, travailler, se délasser, dormir… tout était pénible, bruyant et sale. L’odeur du bateau, et celle des hommes aussi, étaient vraiment dégoutantes. Il n’y avait pas moyen de laver ses vêtements ni de se doucher. Il n’y avait vraiment pas beaucoup d’eau fraiche. Les hamacs étaient arrimés (fixés solidement) pendant la journée. Et puis, la nuit, on les déliait et, j’en jurerais, il y avait comme un nuage bleu qui s’en exhalait. Les chauffeurs n’enlevaient pas leurs vêtements pour dormir; ils n’enlevaient que leurs bottes. »

Ernie Pain de Cornwall (Ont.), un homme de 87 ans qui a servi à bord du Louisburg autrefois, donne son assentiment : « À bord d’une corvette, c’est pas à bord d’un paquebot de croisière. Les hamacs sont pendus dans tous les coins du pont de postes d’équipage. Les couvertures dépassent. Les pieds et les jambes pendent au-dessus de la table où l’on mange. C’était pratiquement impossible de se laver en mer parce que l’eau potable devait être faite à partir d’eau de mer, et qu’elle ne coulait qu’une demi-heure par jour. »

En fait, les hamacs étaient prisés. « À bord d’un petit navire, on ne peut dormir que dans un hamac, dit Art Chinery qui a servi à Orangeville. C’est comme dans une coquille. »

La nourriture; là est l’anicroche. Howard Trusdale, de St. Thomas (Ont.), nous raconte : « Les cuisiniers avaient un boulot difficile, dans un endroit restreint, sur une plateforme pas tout à fait stable, avec des marmites qui ne restaient pas toujours sur place et des membres d’équipage qu’ils ne pouvaient jamais contenter tous en même temps. »

« La nourriture n’était pas un problème d’après moi, sauf si le ragout était ruiné en y mettant trop de cari. Le cuisinier essayait peut-être de cacher quelque chose, dit May, qui s’est engagé à 18 ans. « Le pain était pas comme les autres, surtout le pain irlandais. Il était lourd et très humide. Au bout de deux jours, il était vraiment moisi. Mais on tartinait les parties moisies avec de la confiture et ça passait. Il parait que la pénicilline provient de moisissures, alors c’est peut-être pour ça que je suis en si bonne santé aujourd’hui! »

Vic Martin de Sarnia (Ont.), matelot de 1re classe de Regina est taciturne : « Les cuisiniers faisaient un bon boulot, surtout quand on pense aux conditions dans lesquelles ils travaillaient. »

La MRC a abattu beaucoup de travail sur la Manche. Il y a eu 19 corvettes parmi les navires de combat qui y ont escorté des convois le long de la côte anglaise et même jusqu’en France. Trois d’entre elles y ont été coulées par des U-boots.

Une, l’Alberni, avait tout un score avant. « L’après-midi du 26 juillet, se souvient Leo McVarish, l’alerte a été donnée : “Deux Junker 88 disposent des mines dans votre secteur.” Le branle-bas de combat a été immédiat. Les obus des canons antiaériens volaient au-dessus de nos têtes pendant que je préparais le chargeur du canon de quatre pouces, et la troupe les a atteints plusieurs fois. […] L’avion a viré vers la droite et puis il est tombé dans l’eau […]. Bien entendu, il y a eu un hurlement, mais quand on y pense : on venait de tuer quatre hommes. C’était soit eux soit nous. »

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