À Ortona dans le temps et maintenant

Plus de 1 200 élèves quittent le cimetière de guerre canadien de la Moro, à Ortona, en défilant avec leur drapeau « reliant les générations » [PHOTO : DAN BLACK]

Plus de 1 200 élèves quittent le cimetière de guerre canadien de la Moro, à Ortona, en défilant avec leur drapeau « reliant les générations »
PHOTO : DAN BLACK

Tôt le matin du 25 novembre 2008 :

Les grands autocars s’arrêtent un par un dans l’allée étroite qui longe la côte ouest de l’Adriatique. Il fait froid, il y a du vent, et la pluie menace de tomber sur la voute en pierres qui relie l’église de San Donato au cimetière de guerre canadien de la Moro.

Pendant quelques secondes entre les arrivées, tout est silence, sauf le bruissement du vent du nord dans les oliveraies et les pergolas couvertes de plantes grimpantes. À cinq kilomètres au nord, sur un plateau qui donne sur la mer et une vallée tranquille, se trouve l’ancienne ville d’Ortona, reconstruite, aux maisons à deux ou trois étages blotties sous la cathédrale San Tommaso.

À deux milles environ au sud-ouest, invisible, au bord d’un long ravin, il y a la Casa Berardi où, le 14 décembre 1943, un petit groupe de soldats cana­diens résolus a tenu, contre toute attente, à une bataille brutale qui s’est terminée par la capture d’une position clé et la remise d’une Croix de Victoria à un Canadien français de Cabano (Qc). Plus au sud, du côté nord de la Moro, se trouvent les villages de fermiers Villa Rogatti, La Torre et San Leonardo.

Des dizaines d’adolescents cana­diens, en manteau écarlate, pantalons noirs et chemise kaki, descendent sur la chaussée mouillée, par les portes avant et arrière du premier car. Ceux qui se trouvaient dans le premier car viennent de regarder une courte vidéo montrant l’endroit 65 ans auparavant.

Une compagnie  des Seaforth Highlanders s’avance vers Ortona en 1943. [ PHOTO : FREDERICK G. WHITCOMBE, LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA–PA152749]

Une compagnie des Seaforth Highlanders s’avance vers Ortona en 1943.
PHOTO : FREDERICK G. WHITCOMBE, LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA–PA152749

Pendant la prochaine heure, plus de 1 200 écoliers vont passer en-dessous de la voute et se disperser dans le cimetière à la pelouse immaculée. La plupart, sinon tous, ont carnet et crayon, ou un appareil photo numérique. Et ils ont tous quelque chose d’autre : une promesse à tenir, une quête à réaliser; c’est un petit pèlerinage privé qui a non seulement couvert des milliers de kilomètres, du Canada à l’Italie, mais qui leur a fait examiner l’histoire militaire canadienne comme jamais auparavant. Il s’agira de chercher en leur for intérieur ainsi que d’examiner l’histoire d’une bataille qui en son temps on surnommait la petite Stalingrad.

On espère, ou en tout cas leurs enseignants espèrent certainement, que ce voyage en Italie va les aider à mieux comprendre ce qu’ont ressenti les milliers de jeunes hommes qui avaient quitté leurs proches et étaient venus servir en Italie pendant la campagne des alliés qui a duré de 1943 à 1945. Ils ont lu, par exemple, que plus du quart des 92 757 Canadiens de tous les grades qui ont fait la campagne en ont été victimes. Plus de 400 officiers et presque 5 000 hommes ont trouvé la mort. Presque 19 500 autres ont été blessés et 365 sont morts de causes autres que l’action ennemie.

Pour beaucoup des écoliers, des parents, des enseignants et des chape­rons, c’est un voyage qui entrelace les influences que sont la curiosité, la tristesse et la colère pour en faire un cadre global du souvenir en l’honneur de ceux qui gisent sous leurs pieds. Ici, il y a 1 615 tombes, dont 1 375 sont celles de Canadiens.

Mais bien que le voyage serve à regarder 65 ans en arrière, il sert aussi à jeter un coup d’œil sur le monde d’aujourd’hui, notamment sur la guerre en Afghanistan. Car en plus d’offrir ses respects à un Canadien tué en Italie, chaque écolier s’est renseigné sur un soldat de la mission actuelle du Canada, et ils l’ont tous démontré en ajoutant des carrés de tissus, avec leur nom et le nom de leurs « deux soldats », à une bannière immense intitulée Hands Across The Generations Flag (drapeau des mains reliant les générations).

Les élèves assistent à une cérémonie de commémoration au cimetière de guerre canadien de la Moro. [PHOTO : DAN BLACK]

Les élèves assistent à une cérémonie de commémoration au cimetière de guerre canadien de la Moro.
PHOTO : DAN BLACK

Mais rien que de se trouver parmi ces pierres tombales d’un blanc velouté au cimetière de la Moro, de voir ce qu’a couté la guerre, non pas en termes de statistiques mais de vies de particuliers perdues, est immensurable. Les éducateurs, dont Rosie Kruhlak de Morinville (Alb.), Gene Michaud d’Ottawa et David Chisholm de Summerside (Î.-P.-É.) voient ces moments comme « enseignables », quand les yeux s’écarquillent et que la  bouche bée en une expression de compréhension : ‘Ouah! Je comprends! Je comprends vraiment!

David Robinson, enseignant qui a mené plus de 1 700 écoliers en France, en avril 2007, à l’occasion du 90e anniversaire de la bataille de la crête de Vimy, est à la tête du voyage en souvenir du 65e anniversaire d’Ortona. En descendant du car, lors de ce qui va être le point culminant d’un travail de plusieurs mois comprenant d’innombrables courriels et réunions avec des officiels du Canada, de l’Italie et du Vatican, il lève les yeux au ciel : « Pourvu qu’il ne pleuve pas. »

4 décembre 1943 :

La 1re Division canadienne est au bord de la Moro. Deux jours après, la 1re Brigade blindée canadienne la rejoint. Leur mission, grosso modo, est de traverser une vallée de six kilomètres de largeur, faire une brèche dans les lignes allemandes et capturer Ortona. Dans la vallée, il y a des fermes, des champs parsemés de mines et des positions de mitrailleuse ennemies. Il y a aussi des oliveraies, des vignes, des ponts détruits et des ravins profonds.

La vallée de la Moro, le 8 décembre 1943. [PHOTO : TERRY ROWE, LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA–PA166307]

La vallée de la Moro, le 8 décembre 1943.
PHOTO : TERRY ROWE, LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA–PA166307

La noirceur aidant, 5-6 décembre 1943 : 

Le Hastings and Prince Edward Regiment, les Seaforth Highlanders of Canada et la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry commencent à traverser la Moro. L’attaque du Hastings, près de l’embouchure, a pour but de distraire l’ennemi des Seaforth et de la PPCLI dont les objectifs sont, respectivement, San Leonardo et Villa Rogatti. Pendant la nuit, la PPCLI capture son objectif et puis le défend. Le Hastings établit aussi une petite tête de pont.

8-9 décembre 1943 :

Les 48th Highlanders of Canada attaquent à l’ouest de San Leonardo et le Royal Canadian Regt. attaque ailleurs, espérant prendre le village par le côté. Malgré la pluie drue et le ciel nuageux, les frappes aériennes des alliés ont affaibli les positions de l’ennemi. Pendant ce temps, le Corps royal du génie canadien, faisant fi du feu nourri de l’ennemi, prépare la traversée de la rivière par les blindés. Des chars d’assaut du Calgary Regt., accompagnés par les Seaforth Highlanders, s’avancent dans la ville. Les Allemands n’abandonnent pas facilement, mais les Canadiens prennent San Leonardo.

25 novembre 2008 :

Au cimetière canadien de la guerre de la Moro, l’écolière Heather Shearer de Port Perry (Ont.) se tient devant le lot 9 de la rangée F11, toute seule. Elle a trouvé la tombe d’un soldat qui n’a survécu qu’environ cinq mois au débarquement en Sicile du 10 juillet 1943. Shearer a inscrit les renseignements sur le simple soldat Steve Andronick dans un carnet. « Il est né à Vancouver et a servi dans les Seaforth Highlanders of Canada, dit-elle. Il a participé à la capture de mitrailleurs, à San Leonardo, le 8 décembre 1943. Il est mort le 17 décembre. L’ennemi tirait sur eux du haut d’une colline… Il y en a beaucoup qui ne s’en sont pas sortis. »

Il y a aussi des renseignements sur un Canadien qui a servi en Afghanistan, dans son carnet. Le sergent Darcy Scott Tedford est un des deux soldats tués, dans une embuscade près de Pashmul, en Afghanistan, le 14 octobre 2006. Deux autres soldats y ont été blessés. Les militants avaient tiré des grenades propulsées par fusée sur l’unité de Tedford, qui gardait la construction d’une route. Né à Calgary, Tedford avait grandi à Earltown (N.-É.) et servait dans le 1er Bataillon du Royal Canadian Regt. basé à Petawawa (Ont.). « Il était marié et avait deux petites filles… » nous explique Shearer.

10-11 décembre 1943 : 

À moins d’un mille au sud d’Ortona, parallèle à la Moro, il y a un long ravin. Même s’il a été fortement bombardé par les avions alliés, c’est une position de défense allemande formidable. Le Loyal Edmonton Regt. lance son attaque, avec l’appui de chars d’assaut, vers un carrefour au nord du ravin, mais, bien que des renforts lui permettent de garder une partie du terrain gagné, il finit par être repoussé. La PPCLI prend la crête de Vino, du côté sud, avec l’aide de chars d’assaut. Une autre attaque ayant pour but de traverser le ravin et capturer un endroit surnommé Cider Crossroads (carrefour du cidre) échoue au sud-est d’Ortona. Une attaque du West Nova Scotia Regt. aussi, au bout ouest du ravin, est repoussée.

13 décembre 1943 :

Le feu des mitrailleuses et des mortiers tape dru sur le Carleton and York Regt. Cependant, un petit groupe des Seaforth traverse la ligne allemande et fait presque 80 prisonniers. Sans renforts, les Highlanders se replient, mais un endroit faible des défenses ennemies est découvert près de Casa Berardi.

25 novembre 2008 : 

L’air froid et humide venant du nord fait tousser Franca Fiset. L’enseignante de l’école secondaire catholique Notre-Dame d’Ottawa décide de s’écarter des centaines d’élèves qui se mettent en ligne au cimetière de la Moro où une cérémonie commémorative va avoir lieu. Elle se retrouve bientôt derrière la foule, non loin d’une Italienne âgée. « Elle s’appelle Adaluisa Budano. Elle vient de déposer une collection de bio­graphies militaires au bureau de l’enre­gistrement du cimetière. Elle avait 17 ans en décembre 1943. » Les Canadiens se sont saisis de sa maison pour en faire un quartier général de l’armée. Sa mère et elle cuisinaient et faisaient la lessive et elle dit à Fiset que les Canadiens étaient très gentils et leur fournissaient deux choses qui se faisaient très rares : de la nourriture et un peu de sécurité. « Je suis très heureuse de l’avoir rencontrée », dit l’enseignante.

14 décembre 1943 :

Le Royal 22e Régiment, avec l’aide de sept chars de l’Ontario Regt., se lance à l’attaque du secteur qui n’est plus aussi faible qu’avant. Un char allemand caché tient les Canadiens en respect jusqu’à ce que le sergent J.P. Rousseau le fasse sauter avec un lance-bombes anti-chars d’infanterie PIAT. Pendant que les fantassins, pris sous le feu des soldats ennemis éliminent ces derniers, les chars Sherman détruisent trois Panzer Mark IV. L’artillerie et les mortiers tirant sur leur position découverte, les Canadiens se mettent à couvert dans la Casa Berardi. Le capitaine Paul Triquet orga­nise ses forces, environ 15 hommes, quelques chars, un petit nombre de fusils et peu de munitions, et tient sa position jusqu’à l’arrivée des renforts. On lui décerne la Croix de Victoria et à Rousseau, la Médaille militaire. La Croix militaire est également décernée au major H.A. Smith, commandant d’un certain nombre de chars.

25 novembre 2008 :

L’élève Victoria Lisi et son père Nick, sergent-chef de la police régionale de Durham (Ont.), arrivent devant la tombe du simple soldat Émile Comeau. Victoria dit qu’il est mort le 15 décembre 1943, à 22 ans, de blessures subies au ravin. « Il n’était père de personne, mais il était très lié avec sa famille en Nouvelle-Écosse. Je suis sûre que les gens qui le connaissaient seraient heureux de savoir que nous prononçons quelques mots ici. Ses parents ont écrit beaucoup de lettres à son sujet après sa mort. Son dossier, aux archives d’Ottawa, comprend plus de 68 pages… J’espère qu’il nous regarde du ciel et qu’il est heureux que nous soyons ici pour le remercier de son sacrifice suprême. »

18 décembre 1943 :

Les 48th Highlanders participent à l’établissement d’une saillie dans les défenses allemandes près de Casa Berardi. La position permet aux Canadiens de séparer en deux une route importante entre le Cider Crossroads et la Villa Grande, située à plus d’un mille à vol d’oiseau, au nord-ouest.

25 novembre 2008 :

Amie Nault, âgée de 15 ans, de l’école secondaire Port Perry (Ont.), arrive devant la tombe du simple soldat Albert Barber, qui a servi dans le Carleton & York Regt. « Le voici », dit-elle et elle s’agenouille pour déposer une petite croix en bois, sur laquelle un coquelicot a été fixé, devant la pierre tombale. « Sa mère s’appelait Alice et son père, William. Il habitait à Fredericton et il était passionné de santé; il aimait faire de l’exercice et se nourrissait bien. Il aimait beaucoup l’armée. »

Amie Nault dépose une croix  devant la tombe du simple soldat Albert Barber. [PHOTO : DAN BLACK]

Amie Nault dépose une croix devant la tombe du simple soldat Albert Barber.
PHOTO : DAN BLACK

L’élève de 10e année a vite trouvé la tombe. Elle a visité un site Web de la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth avant de partir du Canada et déterminé l’endroit de la tombe de 43 soldats assignés à son école. « Il y a beaucoup de gens qui disent nous nous souvenons… nous nous souvenons. C’est assez étrange de venir ici, mais quand on est ici pour de vrai, devant la tombe de quelqu’un sur qui on a fait des recherches, ça devient personnel et très vrai. Les gens sont morts par centaines près d’ici. On ne peut pas l’oublier. »

19 décembre 1943 :

Après un gros bombardement de l’artillerie, le 18 décembre, l’attaque du Cider Crossroads se poursuit. En fin de journée, le terrain est entre les mains des Canadiens. Ortona est à moins de deux milles de là.

25 novembre 2008 :

Kelly Charko, élève de 12e année de Winnipeg, pense au simple soldat Dean Lewis, tué le 13 décembre 1943. « Il a réussi la traversée de la Sicile; il servait dans la PPCLI, dit-elle. C’est surréel de se trouver ici, dans ce cimetière. Je n’ai jamais été aussi fière d’être Canadienne que maintenant. Me trouver vraiment ici et honorer ces soldats qui sont tombés en ce temps-là. La fierté que je ressens pour ces hommes et pour tous les anciens combattants qui vivent encore, est vraiment sans mesure… »

20 décembre 1943 :

Le major Jim Stone du Loyal Edmonton Regt. et un officier du Corps royal du génie canadien, rasent les murs du Corso Vittorio Emanuele d’Ortona à la recherche de l’ennemi, mais en vain.

25 novembre 2008 :

Les yeux de la jeune Chelsy Vachon se posent pour la première fois sur le nom gravé de son arrière-grand-père Ralph Joseph Collins, sapeur du 10e Escadron de campagne du Corps royal du génie canadien. Collins, fils de Simon et Emma Collins, était âgé de 28 ans et son épouse Helen Collins de Peace River (Alb.) et lui avaient deux enfants. Il est mort deux jours avant la Noël de 1943.

Personne de la famille de Chelsy, élève de l’école secondaire Community de Morinville (Alb.), a vu la tombe avant elle. La nouvelle qu’il est enterré ici lui a été donnée par son arrière-grand-mère nonagénaire. « Sa mort a été dure pour la famille », nous explique Rosie Kruhlak, qui enseigne les études sociales à Chelsy. « Son arrière-grand-mère a armé son cœur et n’a plus mentionné son nom pendant des années. »

Chelsy est une des personnes qui déposent une couronne de la part d’une filiale de la Légion de chez nous. « Je n’oublierai jamais le moment où j’ai vu la tombe de mon arrière-grand-père, dit-elle. Ça m’a rendue si triste, mais si fière aussi. Pour autant que je sache, il essayait de déterminer où étaient les mines quand il a mis le pied sur une d’elles. J’espère que se souvenir des guerres et des gens qui y ont servi va mener à un meilleur monde… »

21 décembre 1943 :

Le Loyal Edmonton Regt. se lance à l’attaque d’Ortona. Les hommes ont été divisés en deux compagnies et celle du flanc droit progresse bien. Celle du flanc gauche est prise sous le feu de tireurs d’élite et de mitrailleuses. Il est très difficile de savoir où se trouve l’ennemi à cause des édifices et de la poussière. Le sang coule à maintes reprises. Les hommes suivent un fossé en file in­dienne, à couvert d’un écran de fumée, jusqu’à une maison.

25 novembre 2008 :

Tommaso Caraceni, âgé de 85 ans, est heureux de voir des jeunes Canadiens à Ortona. Il se rappelle le temps où il avait 20 ans. « On avait été évacués par les Allemands au début septembre 1943. On est rentrés en ville au début du mois de décembre, mais on pouvait pas rentrer chez nous. On a trouvé refuge dans le tunnel de la voie ferrée et puis après, plus loin, dans les entrepôts du port. Il n’y avait pas de nourriture, ou très peu. Il y avait de la nourriture dans les entrepôts, mais on ne pouvait pas s’y rendre à cause des tireurs d’élite allemands sur les toits. »

Tommaso Caraceni remercie les élèves d’être venus à Ortona. [PHOTO : DAN BLACK]

Tommaso Caraceni remercie les élèves d’être venus à Ortona.
PHOTO : DAN BLACK

Tombée de la nuit, 21-22 décembre 1943 :

Les rues étroites sont bloquées par les décombres. Il y a des mines, y compris des Teller, cachées sous les débris. Les maisons — corridors, embrasures de porte, jusqu’aux toilettes — sont arrangées pour exploser. Les chars du Three Rivers Regt. tirent dans les édifices abandonnés en passant.

25 novembre 2008 :

Chaque élève se tient derrière la tombe d’un soldat canadien. On voit bien qu’il y a presque assez d’élèves pour toutes les tombes. « On est fiers d’être Canadiens, et si fiers de notre jeunesse », dit Robinson quelques moments avant le début de la cérémonie. « C’est vraiment remarquable de voir que leur famille les envoie ici au beau milieu de l’année scolaire pour rendre hommage à ces hommes. Ce qui est incroyable, c’est qu’un jour, ces élèves vont raconter tout ça à leurs enfants. »

23 décembre 1943 :

L’avance des Seaforth est lente et sanglante. Les Edmonton, quant à eux, avancent lentement vers une des piazzas pavées de la ville. Des hommes sont victimes des tireurs et des bombes; d’autres sont enterrés vivants. Une erreur de jugement est un arrêt de mort. Les rues sont des zones d’abattage, alors il faut trouver une nouvelle approche et on en trouve : modeler une charge de destruction avec de l’explosif plastique. La charge, qui ressemble à une ruche, est placée contre le mur intérieur d’une maison et puis on la fait exploser. Cela s’appelle ‘mouse-holing’ (faire des trous de souris) et les Canadiens s’en servent pour attaquer les maisons une à la fois, pour se débarrasser des ennemis qui s’y trouvent.

Des membres du Loyal Edmonton Regt., appuyés par des chars du Three Rivers Regt., entrent dans la ville en 1943. [PHOTO : TERRY ROWE, LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA–PA114030]

Des membres du Loyal Edmonton Regt., appuyés par des chars du Three Rivers Regt., entrent dans la ville en 1943.
PHOTO : TERRY ROWE, LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA–PA114030

25 novembre 2008 :

Une procession dirigée par l’aumônier des Forces canadiennes Gabriel Legault s’avance dans le cimetière vers la Croix du sacrifice. La lancinante Dante’s Prayer, chantée par la Canadienne Loreena McKennitt, est portée par le vent à sa sortie des haut-parleurs.

When the dark wood fell before me

And all the paths were overgrown

When the priests of pride say there is no other way

I tilled the sorrows of stone….

…Cast your eyes on the ocean

Cast your soul to the sea

When the dark night seems endless

Please remember me….

L’enseignant Stephen Hills, du conseil scolaire du district de Thames Valley (Ont.), met le moment historique en perspective. « Encore une fois, une génération de jeunes Canadiens se trouve sur le terrain près de la rivière Moro, face à la colline d’Ortona. Encore une fois, le Canada est représenté par ses jeunes de tous les coins… Ils sont venus ici pour prouver que la jeunesse du Canada se souvient des sacrifices des hommes qui gisent ici. Ils se souviennent des soldats qui ont donné leur vie… »

25 décembre 1943 :

À 9 h, les longues rangées de tables de Santa Maria di Costantinopoli sont prêtes pour le souper spécial des Seaforth Highlanders of Canada. Au menu des membres des compagnies de carabiniers : soupe, porc et purée de pommes de terre, pouding et tarte. Il y a aussi du vin et une bouteille de bière pour chaque homme. Le bruit des fusils et des explosions se mêle aux chants de Noël et à la musique. Joyeux Noël.

Des membres des Seaforth Highlanders prennent place au repas de la Noël. [PHOTO : TERRY ROWE, LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA–PA152839]

Des membres des Seaforth Highlanders prennent place au repas de la Noël.
PHOTO : TERRY ROWE, LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA–PA152839

25 novembre 2008 :

L’aumônier dit aux élèves et pèlerins que, d’après lui, leur voyage est extérieur et intérieur; la partie extérieure étant le voyage en tant que tel et la partie intérieure étant l’impact de la commémoration dans leur esprit et dans leur cœur. « Tous les kilomètres que vous avez faits ne veulent rien dire si vous ne faites pas la partie la plus courte et la plus essentielle de votre pèlerinage. Il s’agit des derniers 18 pouces qui séparent votre tête de votre cœur. »

Certains des élèves offrent leurs impressions du voyage, y compris l’élève de 11e Sarah Campbell, de l’école secon­daire John McCrae de Nepean (Ont.). Elle sait à quel point la guerre affecte le front intérieur car son frère Danny vient de finir une affectation en Afghanistan. « Peu de temps avant d’entendre parler de cette occasion de venir en Italie, j’ai appris que mon frère se préparait à partir pour l’Afghanistan… Pas un seul jour ne s’est passé sans que je m’inquiète de Danny et que je me demande ce qu’il faisait. Je me sentais si impuissante de ne pas pouvoir lui parler… J’étais inquiète de la possibilité de le perdre; de ne plus jamais lui parler. Cette guerre en Afghanistan est différente, de bien des façons, de la Seconde Guerre mondiale, mais les ressemblances, ne pas savoir ce qui puisse arriver à quelqu’un qu’on aime, être terrifié quand on frappe à la porte… établissent un lien entre les deux guerres… »

Les élèves, deux par deux, déposent presque 70 couronnes autour de la Croix du sacrifice et puis, quand la cérémonie tire à sa fin, chacun d’eux se penche et dépose à l’unisson une croix en bois ou un coquelicot devant une pierre tombale.

Taylor Wilson, âgé de 14 ans, de l’école secondaire Notre-Dame d’Ottawa, se souvient d’un soldat tué peu de temps après la prise d’Ortona. Le lieutenant Laurent Rochon est mort à la mi-janvier, quand il redescendait une colline dans une vallée avec d’autres hommes. « Ils ont été pris sous le feu d’une (mitrailleuse lourde) MG-42, nous explique Wilson. Il avait 22 ans. »

Wilson parle aussi du caporal Éric Labbé, qui est mort en Afghanistan le 6 janvier 2008. Né à Rimouski (Qc), il était membre du 2e Bataillon du Royal 22e Régiment. Il était âgé de 31 ans. « C’est en voyant toutes les tombes qu’on comprend vraiment ce que ça veut dire que, 65 ans après, des Canadiens servent encore leur pays, et qu’ils meurent encore pour leur pays. »

À la cérémonie se trouvait le chanteur James Blondeau de Dunrobin (Ont.), dont la chanson Ortona, qu’il a écrite il y a environ 10 ans, pour un groupe d’anciens combattants qui planifiaient un souper de Noël à Ortona, a servi à transmettre un message de commémoration. « C’est émouvant », disait le chanteur par la suite. « Nous capturions le passé par égard pour l’avenir. »

27 décembre 1943 :

Les combats féroces se poursuivent, causant de plus en plus de morts et de blessés. Il y a aussi un grand nombre de victimes civiles, la plupart d’elles étant des gens qui, ayant refusé de s’enfuir, sont pris entre deux feux. Mais, soudainement, les Allemands commencent à se replier vers le nord, le long de la route côtière. La bataille est finie, mais Ortona est en ruines. Peu à peu, les résidents, las, affamés, sortent des celliers et des tunnels froids et rega­gnent les rues.

Soir du 25 novembre 2008 :

Les bancs polis de la cathédrale San Tommaso sont pleins, ainsi que les allées étroites. Les élèves, les enseignants, les chaperons et les résidents sont, qui assis, qui debout, coude à coude, et se rappellent des 1 314 victimes civiles de la bataille. C’est un chiffre dont on n’est pas tout à fait sûrs car beaucoup sont morts bien plus tard à cause des privations, ou quand ils mettaient le pied sur une mine. Mais les gens de la ville, les survivants compris, sont éternellement reconnaissants envers le Canada et les jeunes qui sont ici actuellement.

La nonagénaire Francesca LaSorda se souvient d’un garçon appelé Robert. « C’est un des garçons qui sont revenus me voir en 1944, dit-elle. Il est venu me voir en pleurs parce que son frère venait d’être tué et il ne savait pas comment le dire à sa mère. Il pleurait sur mon épaule. Je l’ai réconforté et je lui ai dit de laisser son commandant s’en occuper. Et après, quand sa mère l’aurait appris, il pourrait la réconforter. »

27 novembre 2008 :

Les 1 200 élèves ne prennent qu’une petite partie de la basilique Saint-Pierre. Ils sont au Vatican pour célébrer la messe en l’honneur des morts d’Ortona, de ceux de toute la campagne d’Italie. Ils ont été à Monte Cassino où ils ont visité des tombes au cimetière militaire du Commonwealth. Certains d’entre eux sont allés au cimetière militaire polonais, sur la montagne. Il y a un couple âgé parmi les élèves assis en avant : Barry et Betty Bland de Wellington (Ont.). À côté de Betty se trouve sa petite-fille adulte, Melissa. Le frère de Betty, Tom Pemberton, était dans les Hastings quand il a été tué à Ortona. « Je n’avais que six ans quand il est parti en guerre, alors je ne l’ai pas vraiment connu. Il avait 22 ans quand il est mort. Je n’avais jamais visité sa tombe avant, alors je suis très émue, ici… Nous sommes si chanceux que rien de tel ne se soit passé sur notre sol. C’est merveilleux que les enfants soient ici. Ils ont appris quelque chose; on peut le voir dans leurs yeux. »

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