Façonnés par le sacrifice

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Il fait beau, clair et frisquet quand les premières personnes arrivent au Monument commémoratif de guerre du Canada, plus de deux heures d’avance et souvent avec des couvertures et des coussins, pour s’assurer d’une place à la cérémonie du jour du Souvenir. En fin de compte, c’est une des foules les plus nombreuses qu’il y ait jamais eu, quelque 30 000 personnes, autour du monument et sur les flancs de la colline du Parlement.

Certains sont venus commémorer les gens qui sont morts ou qui ont servi aux guerres passées; d’autres, pour honorer les membres des Forces canadiennes en service; et d’autres encore, pour transmettre le flambeau aux générations suivantes. « Ma grand-mère avait sept ans quand la guerre a commencé », dit la fillette de six ans Gianna Cox. Ses parents, Matthew et Cathie, ont amené Gianna et son frère de quatre ans, Barton, aux cérémonies pour renforcer les leçons sur l’importance du souvenir qu’on leur a données à l’école et chez eux. « Leurs grands-parents ont survécu à la Seconde Guerre mondiale » dit Cathie. « Ils ont entendu parler du jour du Souvenir à l’école et nous nous sommes dit que ce serait une bonne idée qu’ils viennent voir de leurs propres yeux. »

Honorer ceux qui se battent aujourd’hui « est tout aussi important que de se souvenir des hommes et des femmes qui ont donné leur vie autrefois », dit Tootie Gripich de Cranbrook (C.-B.), qui pour venir voir sa fille a choisi une date lui donnant aussi l’occasion d’assister à la cérémonie nationale du jour du Souvenir. « Je suis allée à des mémoriaux partout dans le monde et j’ai visité la tombe de mon grand-père en Belgique. Je me suis dit que ce serait bien de venir ici aujourd’hui. »

Ben Wright a parcouru 1 900 kilomètres, depuis Atlanta (Géorgie), où il travaille pour les Thrashers d’Atlanta, une équipe de hockey de la LNH, afin de voir son frère, l’agent de la GRC Matthew Wright, qui était sentinelle durant les cérémonies. « Mon frère a servi dans les Forces canadiennes pendant 12 ans; c’était un des Casques bleus de l’OTAN en Bosnie. Je suis venu lui présenter mes respects pour son travail. »

L’agent de police Wright de Wolfville (N.-É.), âgé de 35 ans, a été affecté à Chilliwack (C.-B.). Ben voulait aussi honorer les gars qu’il a connus quand il était conseiller de camp en Ile-du-Prince-Édouard : des jeunes hommes qui ces jours-ci reviennent de l’Afghanistan où ils ont été en service. « Le Canada a une réputation mondiale de leader à propos de la diplomatie, du maintien de la paix et de la bienveillance », dit-il. « Et lorsque ces choses-là ne fonctionnent pas, il faut faire tout ce qu’on peut pour résoudre les problèmes afin que nos mainteneurs de la paix et nos diplomates puissent reprendre leur travail. Malheureusement, il y a des fois où il faut utiliser la force pour apporter la paix. »

Le maitre de cérémonie et directeur du Bureau d’entraide de la Légion royale canadienne Pierre Allard remarquait, à l’occasion de son discours d’accueil, que des Canadiens de tous les coins du pays se sont assemblés aux cénotaphes et mémoriaux pour présenter leurs respects aux braves hommes et femmes qui ont donné leur vie à la guerre et lors d’opérations militaires. « Nous nous souvenons solennellement de ceux qui, depuis les tout premiers jours de notre histoire jusqu’au service actuel de nos troupes en Afghanistan et ailleurs dans le monde, ont fait le sacrifice ultime pour notre pays. »

Et le prix a été élevé; plus de 118 000 soldats, aviateurs et marins militaires et marchands ont donné leur vie pour le Canada en temps de guerre et en temps de paix.

Ces thèmes, le service et le sacrifice, ont été repris par la suite lors d’une prière du brigadier-général et aumônier général des Forces canadiennes Stanley Johnstone. Il remarquait que le Canada a été formé par les sacrifices qui ont eu lieu aux batailles comme celles de la crête de Vimy, de Dieppe et de la Normandie. « Que le souvenir de ceux qui nous ont précédé ne s’estompe jamais », dit-il. Il dit aussi que des sacrifices sont encore nécessaires pour préserver la paix et protéger notre mode de vie. « Nous payons notre propre dette pour l’avenir de nos enfants grâce à la bravoure et à la détermination qui conviennent à ce devoir. Mais jamais avec exaltation. »

« Nous aimons et vénérons nos anciens combattants » et nous « languissons après nos troupes. Nous aimons nos troupes », dit le rabbin Reuven Bulka qui est aumônier honoraire de la Direction nationale de la Légion royale canadienne. « Disons le ensemble : nous aimons nos troupes. » L’invitation fut acceptée par les milliers de gens et les applaudissements parcouraient la foule pendant que le rabbin continuait de parler. « Nous aimons nos troupes pour leur désintéressement; nous aimons nos troupes pour leur bravoure; nous aimons nos troupes pour leur dignité au combat. » Il en va de notre responsabilité, en tant que membres d’un « partenariat sacré », de donner un sens à la liberté que nos anciens combattants ont remporté pour nous et que nos troupes maintiennent pour nous, en créant une société inclusive imbue de respect. « C’est comme ça qu’on fait au Canada », dit-il.

La cérémonie était sombre et digne, bien que le soleil apportât une atmosphère plus pétillante que celle qu’il y a eu ces dernières années, quand les gens devaient braver la pluie, la neige et les températures glaciales. Les cornemuses et tambours ont annoncé l’arrivée de vagues d’anciens combattants, de membres des Forces canadiennes, de cadets et d’agents de la GRC–des centaines d’hommes et de femmes, jeunes et vieux, de gens robustes et de gens en fauteuil roulant ou s’appuyant sur une canne : un hommage aux Canadiens qui sont morts au service de la patrie et à ceux qui, aujourd’hui, s’engagent à risquer leur vie pour protéger les idéaux canadiens.

La foule se fit muette à la vue des cinq sentinelles de cérémonie défilant devant le Monument commémoratif de guerre du Canada où elles commencèrent leur vigile, les mains sur l’arme renversée et la tête baissée, une position révérencieuse qu’elles ont maintenu durant toute la cérémonie. Le silence se poursuivit à l’arrivée de la gouverneure générale Michaëlle Jean, de son époux Jean-Daniel Lafond et de leur fille Marie-Éden, et il continua aussi pendant qu’on présentait le reste du groupe vice-royal. Le Premier ministre Stephen Harper, son épouse Laureen et leurs enfants Ben et Rachel, ainsi que la mère de la Croix d’argent de 2007, Wilhelmina Beerenfenger-Koehler d’Embrun (Ont.), dont le fils, le caporal Robbie Beerenfenger a été tué en Afghanistan en 2003, accompagnaient la Gouverneure générale. Le général et chef d’état-major de la défense Rick Hillier, le président de la Chambre Peter Milliken et le ministre d’Anciens combattants Greg Thompson étaient également présents.

Sur le tapis rouge se trouvaient aussi les représentants de la jeunesse canadienne, les gagnants séniors des concours littéraires et d’affiches de la Légion, Hee Ra Kim, 17 ans, de Surrey (C.-B.), Corley Farough, 17 ans, de Taber (Alb.), James Welke, 18 ans, de Pincher Creek (Alb.), Natalie Lloyd, 16 ans, de Guelph (Ont.), et les trois meilleurs cadets du pays, la première maitresse de 1re classe de la marine Courtney Davies, 18 ans de Regina, adjudant-chef de l’armée Katie McKenna, 18 ans, de Charlottetown et l’adjudante de 1re classe de l’aviation Lisa Davidson, 18 ans, d’Ancaster (Ont.), qui ont remis des couronnes au groupe vice-royal.

L’Ottawa Children’s Choir, en costume rouge vif qui ressortait clairement à côté des anciens combattants et des soldats, a chanté l’O Canada. L’hymne national fut suivi par la dernière sonnerie et, lorsque les dernières notes se dissipaient, les membres du 30e Régiment d’artillerie de campagne faisaient détonner leur premier canon, débutant ainsi les deux minutes de silence. L’horloge de la Tour de la Paix sonna 11 fois, en l’honneur des sacrifices faits par les Canadiens de toutes les agglomérations des 10 provinces et territoires.

Ensuite, la foule s’est fait rappeler les voies du souvenir par le deuxième coup de canon, lequel fit trembler les fenêtres autour de la place et le long des rues. Le président national Jack Frost lut l’Acte du Souvenir.

Le grand président honoraire de la Légion Charles Belzile lut ensuite l’acte en français : « Ils ne vieilliront pas comme nous, qui leur avons survécu. Ils ne connaitront jamais l’outrage ni le poids des années. Quand viendra l’heure du crépuscule et celle de l’aurore, nous nous souviendrons d’eux. »

Quand la gouverneure générale déposait une couronne de la part des gens du Canada à la Tombe du Soldat inconnu, la chorale se mit à chanter Au Champ d’honneur.

La mère de la Croix d’argent déposa une couronne de la part de toutes les femmes canadiennes qui ont perdu un fils ou une fille en service militaire ou à la marine marchande. Des douzaines de couronnes ont été déposées par des diplomates et par des représentants d’organisations d’anciens combattants, militaires et de bienveillance, après que le reste du groupe vice-royal eut déposé les siennes.

Ensuite, les rangs d’anciens combattants, de soldats, de cadets et d’autres gens ont défilé devant le groupe vice-royal vers les rues avoisinantes où ils ont été reçus à grands renforts de cris d’encouragement et d’applaudissements. Les dignitaires ont défilé après eux et puis ensuite, vers midi, le monument était laissé au grand public qui s’avança par milliers pour s’y faire photographier, ou pour déposer ses propres couronnes, coquelicots ou souvenirs sur la Tombe du Soldat inconnu.

Natalie Lloyd, gagnante sénior du concours d’affiches noir et blanc de la Légion, dit que ses deux grands-pères ont servi à la Seconde Guerre mondiale. « Ils ne voulaient jamais nous parler des horreurs de la guerre, mais pour ce qui est de l’importance de commémorer ce que les soldats ont fait, si. » À l’arrière-plan de son affiche, un soldat blessé est soutenu par un sergent; au premier plan, un ancien combattant a une main sur la pierre tombale du sergent quand il raconte son histoire à un petit-enfant. Il n’y a pas assez de Canadiens qui ont entendu le message, dit-elle. « Je ne pense pas que beaucoup de gens réalisent que c’est une vraie guerre où nous sommes actuellement et qu’il y a des gens en Afghanistan qui meurent pour que nous puissions rester libres. »

Aux yeux de certains jeunes, « le 11 novembre est une obligation », dit James Welke dans sa composition. « Ça semble lointain; bien peu d’entre nous sont affectés directement. » Dans sa composition, il écrivait que « le droit d’exprimer nos opinions et de promouvoir nos valeurs personnelles a été acheté à un prix très élevé. »

Personne ne le sait mieux que Beerenfenger-Koehler qui a appris la mort de son unique enfant, le caporal Robbie Beerenfenger, âgé de 29 ans, à la télévision.

Le caporal Beerenfenger et le sergent Robert Short, âgé de 42 ans, ont été tués près de Kaboul, en Afghanistan, le 2 octobre 2003, quand la jeep dans laquelle ils étaient a roulé sur une mine, à moins que ce fut un obus, enterré sous la voie. « On me l’a appris un peu après 9 h », dit la veuve de Beerenfenger, Tina. « Les enfants sont revenus de l’école à 9 h 30, et la nouvelle a été diffusée avant 10 h ».

Beerenfenger-Koehler n’était pas à son bureau ce jour-là; elle assistait à un cours. « J’ai entendu deux personnes parler, qui disaient que deux soldats avaient été tués. Je leur ai demandé s’ils savaient qui et ils m’ont répondu que non. Alors j’ai été inquiète toute la matinée. » Le groupe apprit qu’il y aurait une grande conférence de presse à propos des morts à 12 h 30, alors il a allumé un téléviseur. Sans avertissement, elle entendit que son fils était un des deux morts.

Elle pleure quand elle apprend la mort d’autres soldats. « Je croyais que ce serait fini pour moi, vu que je n’ai plus besoin de m’inquiéter, que je n’ai plus besoin de ressentir ça. Mais je pleure pour les autres mères parce que je sais ce qu’elles ressentent. »

Pendant longtemps, dit-elle, quand les Canadiens pensaient à la guerre, ils pensaient à « quelque chose qu’on étudie, pas à quelque chose qu’on vit ». Son fils l’a vécue, lui. « Il voyait ça comme une aventure et il voulait faire son devoir, dit-elle. Il était fier d’être soldat et fier d’être Canadien. » Quant à elle, elle dit qu’elle est « honorée et fière. Je suis fière pour les mères des autres fils. (Les soldats canadiens) font de bonnes choses là-bas. »

Ses deux petits-enfants les plus vieux, Matt, âgé de 14 ans et Kristopher, âgé de 10 ans, veulent suivre les traces de leur père. C’est important pour eux et pour leur petite soeur Madison, qui était bébé quand leur père est mort, de savoir que Robbie Beerenfenger était « un homme bon, un bon père, un bon ami ».

Beerenfenger-Koehler a fait preuve des mêmes grâce et dignité lors du dépôt de couronne le jour du Souvenir que la veille, lors des visites aux édifices du Parlement et au Musée de la guerre du Canada, d’une répétition de dépôt de couronnes et d’un diner en l’honneur de Beerenfenger-Koehler, des gagnants des concours littéraires et d’affiches et des cadets exceptionnels organisés par la Légion.

Dans la Chapelle du Souvenir des édifices du Parlement, Wilhelmina et Tina observaient quelqu’un tourner la page du septième Livre du Souvenir où le nom du caporal Beerenfenger a été inscrit. Les deux femmes qui portaient son deuil se sont embrassées en pleurant et puis, quand elles ont retrouvé leur calme, elles sont retournées à leur devoir officiel.

Quant aux jeunes cadets du groupe, ils se préparent à servir leur pays. Davidson désire aller au Collège militaire royal à Kingston (Ont.) pour y devenir pilote; Davies espère devenir agent de la GRC; McKenna aimerait aller au CMR et elle s’intéresse aussi à une carrière dans le Cadre des instructeurs de cadets dont les membres entrainent près de 56 000 cadets de la marine, de l’armée et de l’air aux plus de 1 000 pelotons et escadrons du pays. C’est à McKenna qu’a été décernée la bourse, d’un montant de 500 $, de l’Order of Saint Joachim. Il s’agit d’une bourse qui est remise à un des cadets exceptionnels de l’année et qui alterne, chaque année, entre les ligues de cadets de la marine, de l’armée et de l’air.

Les réalisations des sept jeunes gens ont été célébrées au diner qui avait lieu à l’hôtel Fairmont Château Laurier, où l’hôte, le président national Jack Frost, a félicité les cadets et les gagnants des concours littéraires et d’affiches de la Légion de leurs réalisations. « Quand je vous vois, ce sont les leaders de demain que je vois », dit-il.

Les parents aussi ont été félicités. Derrière chaque jeune postulant, il y a quelqu’un qui guide, et qui des fois pousse, dit Frost. « À ces parents […] je vous félicite parce que vous avez fait un travail exceptionnel. » Le secrétaire national Duane Daly aussi avait des remarques affables à faire. « Ces jeunes gens n’auraient pas pu accomplir ce qu’ils ont accompli sans l’inspiration de leurs parents », dit-il, qui encouragent les valeurs telles que l’honneur, le souvenir et la révérence concernant le patrimoine.

Lors de son discours du jour du Souvenir, le Premier ministre Stephen Harper dit que le 11 novembre est un jour de deuil. « C’est aussi l’occasion de célébrer les fières traditions militaires de notre grand pays. Le Canada a toujours répondu aux appels lancés pour défendre la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit.

« Je parle certainement au nom de l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens en exprimant notre appui sans réserve et notre profonde gratitude à tous nos soldats et à leur famille. Nous portons l’oriflamme. Les héros canadiens morts au champ d’honneur dans les Flandres peuvent reposer en paix sous les coquelicots. »

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