par Tom MacGregor
Des moutons paissent paisiblement dans les zones boisées et les champs découverts du Parc commémoratif du Canada à Vimy, ne se rendant pas compte qu’ils déambulent sur un des territoires pour lesquels on a le plus lutté à la Première Guerre mondiale. Il s’agit de l’endroit où, du dire d’historiens, le Canada est devenu une nation.
“La terre est extraordinaire. Il ne nous reste que bien peu de terrains de champ de bataille”, dit Hélène Robichaud, la directrice du Projet de restauration des monuments commémoratifs canadiens des champs de bataille à Anciens combattants Canada. En fait, le site de Vimy et le terrain préservé, non loin, autour de celui de Beaumont Hamel où les Terre-Neuviens se sont montrés à la hauteur durant la même année, forment environ 80 pour cent des champs de bataille de la Première Guerre mondiale restants.
Alors quand ACC a annoncé, en 2001, qu’il allait dépenser 30 millions de dollars pour restaurer le mémorial de Vimy et 12 autres sites canadiens de la Première Guerre mondiale en Europe, l’équipe du projet ne pouvait guère négliger le terrain lui-même, un terrain où ont été trouvés, à l’occasion, d’importants artefacts, y compris des balles, des obus, des morceaux de fil barbelé, des grenades et des fusils, ainsi que des restes humains.
Vimy et Beaumont Hamel reçoivent à peu près, au total, un million de visiteurs chaque année. “La plupart des visiteurs s’y rendent pour la commémoration”, dit Robichaud. “C’est un espace vert qui a beaucoup de signification pour le peuple de France. La France a une population dense. Toutefois, on peut pique-niquer, camper, dans la forêt nationale qui se trouve à côté du site.
Le projet de restauration a été divisé en quatre domaines de responsabilité, soit la restauration du monument de Vimy, la restauration des sites autour du monument, la conservation du terrain du champ de bataille et l’étude des caractéristiques souterraines de la propriété.
Il suffit de monter sur la crête pour comprendre l’importance stratégique qu’elle avait durant la guerre. Bien que la colline soit basse, on y a une bonne vue de toute la plaine de Douai avec son patchwork de terrains cultivés et de petits villages.
Mais la vue grandiose qui s’offre aux visiteurs d’aujourd’hui est tout à fait différente de celle qui attendait les Canadiens quand ils sont arrivés pour la première fois, à la crête qui avait déjà coûté des milliers de vie.
Comme le décrit l’auteur canadien Pierre Berton dans son livre Vimy, “Elle se trouvait là, faisant face aux lignes des Canadiens, une falaise basse de sept milles, grise sombre, qui s’élevait doucement de la plaine, une croupe monotone et boueuse, pétrie à en faire de l’écume par les obus, sans herbe ni feuillage, où l’on ne voyait ni couleur ni détail, chaque pouce de sa surface glissante rongée ou pulvérisée par deux années de martèlement constant. Elle n’était pas très impressionnante au premier coup d’oeil, mais pour les gens qui connaissaient son histoire et qui la regardaient devant eux lorsqu’ils ont dû se hasarder en avançant, plus haut, vers cette crête irrégulière enflammée par le feu des armes, elle prenait une aura plus sombre et sinistre.”
En dessous de cette laide étendue de terre se trouvait une infrastructure de tunnels avec leurs quartiers, leurs bureaux de commandement, un hôpital et un système de voie ferrée qui servait à apporter des troupes et des ravitaillements sans qu’ils soient pris sous le feu de l’ennemi. Au cours des années, le bois qui retenait les murs a pourri et cédé.
Après la guerre, les débris du champ de bataille ont été nettoyés par la France. Un million de pins de trois ans ont ensuite été plantés dans la région afin de restaurer le caractère campagnard d’origine.
En même temps, le Canada a commencé des négociations avec le gouvernement français concernant la préservation du site de Vimy. Un accord a été conclu en décembre 1922, d’après lequel la terre serait détenue en perpétuité par le gouvernement du Canada pour qu’il y érige un monument et crée un parc commémoratif.
L’accord a été formalisé et le terrain remis au Parlement canadien, lequel a été “accepté avec gratitude” par tous les partis de la Chambre des communes, en février 1923.
De remarquer Arthur Meighen, qui était leader de l’Opposition officielle en ce temps-là : “le site de Vimy est incomparable; des différents champs de bataille de la guerre, c’est celui qui tient le plus à coeur au peuple canadien à cause de tout ce que la guerre a causé quand on pense à l’histoire et au sacrifice”.
Aujourd’hui, le parc mesure environ 117 hectares. Ce chiffre n’est pas exact à cause de l’acquisition en 1930, par le gouvernement, d’une petite propriété. Un glissement considérable avait eu lieu près du monument pendant qu’il était en construction et cela avait endommagé la propriété avoisinante. Le gouvernement fédéral acheta le terrain plutôt que de faire face à un différend justiciable avec les voisins du site.
Le site comprend le monument ainsi qu’un grand stationnement et un centre pour les visiteurs. Il y a des sentiers autour du parc, ainsi que des cimetières militaires et la portion du tunnel Grange qui a été préservée. Le plus grand cimetière est le Cimetière canadien no 2, où 695 Canadiens ont été ensevelis. Ironiquement, il n’y a pas de Cimetière canadien no 1.
Le Cimetière canadien de la route Givenchy en est un autre, qui contient 111 pierres tombales et qui n’est accessible que par un petit sentier forestier.
Le Monument de la Division marocaine, qui sert à rendre hommage aux Marocains qui ont combattu aussi dans l’armée française et qui sont morts à Vimy, se trouve aussi dans le parc. “Les routes sont très crayeuses et il arrive que les sentiers soient très boueux”, dit Robichaud. “Nous voulions améliorer la qualité du terrain.” Beaucoup de travail a été fait pour la sécurité des visiteurs.
“C’est comme un très gros morceau de fromage suisse. Il y a plein de trous”, dit Robichaud. “Il nous fallait en apprendre davantage.”
Certaines parties du parc sont dangereuses. “Le problème c’est le relief du terrain, et il est trop mouillé. Il y a des endroits où l’on ne pourrait pas faire deux pas sans être coincé. Bien entendu, les zones qui sont dangereuses ne sont pas accessibles au public.”
Alors, pour maintenir le gazon tondu et le terrain vert, on fait paître des moutons car ils peuvent se frayer facilement un passage à travers la terre heurtée et les zones encaissées. “Il y a tant de choses que nous ne savons pas. Il y avait des hôpitaux et des trains là-dedans. Le sol a tendance à s’éroder.”
La forêt, le bois de Vincennes, est aussi une partie importante du travail. “Le fait que les arbres aient été plantés en même temps est un des problèmes, et les gens pensent qu’ils vont tous mourir en même temps”, dit-elle. Les arbres morts causent des risques à la sécurité et il faut les enlever. Dans le cadre du projet actuel, la stratégie est de choisir des arbres qu’on enlève pour les remplacer afin qu’il y ait une croissance continuelle.
Le sculpteur du monument, Walter S. Allward, voulait que le monument soit ceint d’arbres. Des sentiers sillonnent les pins et mènent au monument, et la route principale est bordée d’érables canadiens. “Il y a des érables dans le bois maintenant, qui proviennent des samares de ceux qui ont été plantés le long de la route”, dit Robichaud.
“Les arbres du site ont une grande importance en ce qui concerne la protection du sol”, dit-elle. “Mais il nous faut enlever les arbres dangereux qui sont sur le terrain du champ de bataille. C’est pour ça que nous avons créé ‘l’abattage modéré’.”
L’abattage modéré est une manière d’enlever des arbres sans trop déranger la terre.
Des rappels du passé remontent à la surface de temps en temps à cause des travaux de restauration et de conservation de la terre et des forêts.
De dire Steve Austin, un chargé de projet principal d’ACC à Charlottetown : “il n’y a rien de rare, quand on se promène dans la campagne française, de voir des endroits où les fermiers ont empilé du matériel militaire et autres débris que leur charrue a découverts. Ils sont simplement laissés là afin que les autorités compétentes les ramassent pour en disposer.”
Le service de déminage, du ministère de l’Intérieur, ramasse le matériel militaire et l’emporte à des endroits de rebut dirigés par le ministère de la Défense. Austin dit qu’il y a un dépôt de rebuts près de Vimy mais il n’y en a pas sur le site.
Quelle partie du patrimoine continue de remonter à la surface? “Cela dépend de l’endroit où l’on creuse”, dit Austin. “On pourrait creuser une tranchée ou enfoncer un câble souterrain sans trouver quoi que ce soit. Il y a beaucoup de choses qui remontent, comme des piquets en tire-bouchon et des morceaux de clôture. Mais quand on découvre du matériel militaire, un obus ou une grenade, c’est le service de déminage qui s’en occupe.”
Austin dit qu’on ne trouve rien d’habitude, à moins qu’il y ait un projet qui dérange le sol. “Quand on trouve un artefact, il est enregistré. Il arrive qu’on trouve des éclats d’obus, des rouleaux de fil de fer barbelé, des casques et même des fusils.”
Quand on trouve des artefacts, ils sont enregistrés au ministère pour les études historiques futures, mais la plus grande partie est laissée sur place en tant que rappel de la guerre. “Nous n’avons pas l’habitude de creuser. Nous nous occupons de conservation.”
Robichaud dit qu’un squelette a été trouvé dans une des zones où il y avait des travaux de construction. “Tout est fait dans les règles. Même si le parc Vimy appartient au Canada, il s’agit du sol français. Nous devons remettre les restes aux autorités compétentes.”
Quand cela arrive, on avertit la police française. “Le squelette est analysé. On essaie de savoir à quel pays le particulier appartenait et les restes sont remis à la bonne ambassade, d’une manière empreinte de dignité.”
Le public peut se faire une idée de ce qu’il y avait sous le sol durant la bataille en allant voir le tunnel Grange où on peut passer par une section qui a été préservée.
Il y a une dernière chose qui rappelle le gros morceau de fromage suisse auquel ressemble la terre autour de Vimy quand on quitte le tunnel qui menait à la ligne de soutien. Il s’agit du gros obus non explosé sur lequel les Canadiens sont tombés quand ils la creusaient, l’hiver avant l’attaque.
Il est indiqué au site de la toile d’ACC que l’obus avait été tiré par les alliés au mont Saint-Éloi, mais quand il a touché le sol mou, il s’est simplement enfoncé. Quand a eu lieu la découverte, les Canadiens ont su que leurs tunnels devraient être à au moins neuf mètres sous la surface.