Un travail gigantesque

l’Escadron 425 dont l’insigne comporte une alouette réalisée par le capitaine d’aviation Paul Goranson.
Capt avn Paul Goranson/Musée canadien de la guerre/19710261-3230

La formation du 425e Escadron « Les Alouettes », premier escadron canadien français de l’ARC

L’Aviation royale canadienne était une institution de langue anglaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Les escadrons devaient être interopérables et agir avec ceux de la Royal Air Force. En effet, beaucoup d’aviateurs canadiens faisaient partie d’escadrons britanniques. 

Cela n’aidait pas franchement l’aviation à recruter des Canadiens français, même si on leur promettait une formation linguistique. L’ARC n’avait tout simplement pas l’équivalent des bataillons francophones de l’armée de terre, où les soldats pouvaient fonctionner en français et ne parler anglais que pour communiquer avec d’autres unités. Mais, tout cela changea il y a 80 ans, en 1942. 

Charles Gavan Power, mi-nistre de la Défense nationale pour l’air, venait de Québec. Il était bien décidé à « cana-
dianiser » l’ARC. Il voulait que, dans la mesure du possible, les Canadiens servent dans des esca-drons canadiens, même si cela voulait dire faire revenir ceux qui étaient dans la RAF. L’exemple parfait? Des Canadiens français furent regroupés pour former un escadron distinct.

La représentation de l’Escadron 425
Jacques Morin

 

Quelques officiers de l’ARC en service outre-mer estimaient que l’idée était peu réaliste. Harold Edwards, vice-maréchal de l’Air, avança que les Canadiens français ne comprendraient pas l’accent des Britanniques pendant les opérations, car la difficulté se posait même pour les Canadiens anglais. Leslie Hollinghurst, vice-maréchal de l’Air britannique, s’inquiétait du fait que les Canadiens français « ne parlent qu’en français entre eux, et finissent par oublier l’anglais ». 

Mais, Power n’en démordait pas et Edwards se fit à l’idée, tout comme la RAF. 

    « Pour le francophone du Canada, c’était une barrière qui cédait. » 

Le 425e Escadron (canadien français) fut formé en juin 1942, à l’aérodrome de la RAF, à Dishforth, au nord du Yorkshire anglais. Il fut doté de bombardiers bimoteurs  Vickers Wellington. Le 425e, commandé par le lieutenant-colonel d’aviation Joseph Saint-Pierre, eut des effectifs initiaux de 20 avions et de plus de 100 aviateurs, et servit dans le No. 4 Group du Bomber Command de la RAF. La devise de l’escadron, surnommé « Les Alouettes », était « Je te plumerai », tirée du refrain de la célèbre comptine canadienne-française.

Les fiers membres du seul escadron canadien-français du Bomber Command étaient très liés. L’un des vétérans les plus célèbres de l’escadron, Gilles Lamontagne, qui devint plus tard maire de Québec, ministre canadien de la Défense nationale et lieutenant-gouverneur du Québec, déclara que « pour le francophone du Canada, c’était une barrière qui cédait. » C’est cet obstacle linguistique que Power avait voulu abattre.

L’escadron Les Alouettes accomplit sa première mission dans la nuit du 5 au 6 octobre 1942 avec le bombardement d’Aachen, en Allemagne. Le 1er janvier 1943, le 425e fut transféré au No. 6 Group de l’ARC, basé en Grande-Bretagne. L’escadron vint s’établir en Tunisie en mai, où il mena des opérations contre l’Italie. Après son retour à Dishforth en novembre, il fut équipé du bombardier quadrimoteur lourd Handley Page Halifax et il s’établit à la RAF Tholthorpe, aussi située au nord du Yorkshire, en Angleterre.

Maintenir le caractère
canadien-français de l’esca-dron devint difficile avec les pertes qui s’alourdissaient et le manque de remplaçants. Bien que plus de 4 000 francophones aient servi dans d’autres escadrons de l’ARC
outre-mer, il ne restait que 53 % d’aviateurs franco-
phones dans le 425e en décembre 1943.

La dernière opération de l’escadron Les Alouettes eut lieu le 25 avril 1945 : le bombardement des îles Frisonnes allemandes en mer du Nord. À la fin de la guerre en Europe, le 425e échangea ses Halifax contre des Avro Lancaster Mark X et retourna au Canada pour rejoindre la « Tiger Force ». Il devait se battre contre le Japon, mais le conflit prit fin après les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, et l’escadron fut dissout.

Le lieutenant-colonel du 425e, Joseph Saint-Pierre discute de plans avec des collègues en 1943.
BAC/3263255

Le 425e fit 3 694 sorties dans le cadre de 328 missions, et il largua 8 300 tonnes de bombes. Ses aviateurs reçurent au moins 94 déco-rations. L’escadron perdit 66 appareils au combat ou lors d’accidents, et recensa 254 morts et 91 prisonniers. On ne s’étonnera pas qu’un journal de Montréal, Le Devoir, ait rapporté à la fin de la guerre que « L’escadrille Alouette a accompli un travail gigantesque outre-mer et elle est reconnue comme une des plus effectives [sic]. […] Les Canadiens d’expression française se sont illustrés dans les rangs de cette merveilleuse escadrille dont les faits d’armes ont été rapportés par tous les correspondants. » Pour l’ancien combattant Lamontagne, dont l’avion fut abattu en 1943 et qui fut capturé par les Allemands, l’impact était plus personnel. « Je n’oublierai jamais ce sentiment d’exaltation et de fierté que j’ai connu au sein de l’escadrille 425, non plus que l’esprit de camaraderie qui y régnait. Ce fut l’un des grands moments de ma vie. »

Des membres de l’Escadron 425 posent pour une photo de groupe le 14 juillet 1944.
Collection Réal st-Amour
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