Le Canada a-t-il fait une erreur en décidant de défendre Hong Kong?

Illustrations de Joel Kimmel

Richard Foot dit que NON

Le Canada a-t-il eu tort d’envoyer des soldats à Hong Kong en 1941? Si l’on répond à la question avec le recul historique, oui, c’est indéniable. Par contre, si l’on se replace au Canada en 1941, que l’on tient compte des pressions et des attitudes dominantes de cette année exceptionnelle, le choix d’engager des troupes s’explique.

Le gouvernement de King était confronté à une pression grandissante, celle de contribuer davantage. 

Le Canada était en guerre depuis deux ans à l’automne 1941. Mais, le premier ministre Mackenzie King et son cabinet peinaient encore à décider du rôle que le pays devait jouer. Le Canada français montrait peu d’enthousiasme face à l’effort de guerre, les souvenirs de la conscription de 1917 divisaient encore les Canadiens, et King était circonspect quant à l’envoi d’un nombre important de soldats outre-mer. 

Certes, la marine du Canada participait à la bataille de l’Atlantique, mais King restait sur sa stratégie de « responsabilité limitée » que le Canada anglais accueillait mal. La majeure partie du pays, encore très liée à la Grande-Bretagne, avait regardé sous le choc et avec admiration le peuple britannique encaisser la guerre-éclair. Le gouvernement de King était confronté à une pression grandissante, celle de contribuer davantage, de déployer des soldats quelque part pour aider activement la Grande-Bretagne. 

 

Des dizaines de milliers de personnes s’engageaient dans les forces armées. Parmi ces volontaires, il y avait Andrew Flanagan, 25 ans, de Jacquet River, N.-B. Enthousiaste à l’idée de servir son pays, il avait rejoint le Royal Rifles of Canada. « J’avais la tête pleine d’idées nobles, de combat pour l’honneur, d’une guerre idéalisée en m’imaginant l’aventure exaltante qui m’attendait », écrivit Flanagan.

C’est dans ce climat de clameur pour l’action que le gouvernement de King accepta la demande de la Grande-Bretagne qui souhaitait qu’on prête main-forte à la garnison de sa colonie de Hong Kong. La mission tombait à pic : un geste de solidarité à l’égard de la Grande-Bretagne, un engagement de troupes restreint, et seul un petit risque d’une attaque des Japonais.

Il ne faut surtout pas oublier que le bombardement de Pearl Harbor, qui alla de pair avec l’attaque de Hong Kong, était inconcevable lorsque le Canada engagea ses forces. À tort, les Alliés avaient écarté la possibilité que le Japon dévie de la difficile campagne qu’il menait depuis trois ans en Chine continentale pour se mesurer à une puissance mondiale à Hong Kong.

Et quand bien même le Japon aurait attaqué la colonie, beaucoup de Canadiens estimaient que les Japonais ne savaient pas se battre, avis entaché de racisme, mais aussi nourri par la médiocre performance du Japon lors de plusieurs affrontements qui avaient eu lieu avec les Chinois et les Soviétiques depuis 1938. 

Le carabinier Flanagan survécut à la bataille de Hong Kong, mais il n’oublia jamais les horreurs qu’il subit en tant que prisonnier de guerre. Son sacrifice ne résulta pas d’une erreur, mais plutôt de la noble décision de son pays de se joindre à une guerre nécessaire contre la tyrannie. Après s’être engagée à combattre, combien de temps l’armée du Canada aurait-elle dû attendre en marge de la mêlée? 

Les guerres sont toujours compliquées. Avant de juger trop sévèrement la décision d’envoyer des Canadiens à Hong Kong, il faudrait se demander quels choix nous ferions – comment nous, Canadiens ordinaires, verrions l’engagement de troupes si nous étions face à une situation semblable. 

 

Illustrations de Joel Kimmel

John Boileau dit que OUI

Envoyer des soldats à Hong Kong était une mauvaise décision. Et bien que de nombreuses raisons aient été invoquées, certaines ne tiennent pas la route lorsqu’on les creuse.

Les unités choisies étaient censées être « des bataillons efficaces et bien formés capables de soutenir le mérite du Dominion dans n’importe quelles circonstances », déclara le major-général Harry Crerar, chef de l’état-major général. Mais, malgré des fonctions de garnison à Terre-Neuve et en Jamaïque, ni le Royal Rifles of Canada ni le Winnipeg Grenadiers ne satisfaisaient à cette exigence.

Les soldats japonais, aguerris, étaient aux portes de Hong Kong.

Les effectifs des deux bataillons étaient incomplets, et leur formation et leur matériel étaient insuffisants. Un grand nombre de leurs nouveaux soldats avaient dû être mobilisés rapidement, et la provenance de certains était hors des régions de recrutement traditionnelles des unités.

Bien que réelles, les raisons ci-dessus ne sont pas pertinentes. Même les soldats les mieux formés au monde auraient été incapables d’arrêter les Japonais, plus nombreux et mieux équipés. Tout au plus auraient-ils pu tuer davantage d’ennemis.

Il faut donc nous interroger sur les raisons qui aboutissent à cette vision simpliste.

On enseigne aux officiers militaires au début de leur carrière à évaluer la situation avant de prendre une décision. Les renseignements donnés par les Britanniques étaient incomplets, la décision canadienne n’a donc pu s’appuyer sur tous les facteurs dont il aurait fallu tenir compte. 

Le Canada n’avait guère de sources de renseignement, mais les Britanniques en avaient plusieurs. Autrement dit, les militaires et les responsables du gouvernement canadien auraient dû poser davantage de questions.

« Ça ne va pas, avait dit en janvier 1941 le premier ministre britannique, Winston Churchill, au major-général Hastings Ismay, son principal officier d’état-major et conseiller militaire. Si le Japon nous fait la guerre, nous n’aurons pas la moindre possibilité de tenir Hong Kong ni d’y envoyer des renforts. Il serait très imprudent d’augmenter les pertes que nous y subirions. » Cet avis de Churchill, bien qu’il changea par la suite, ne fut pas rapporté au Canada.

Un sentiment de servilité à l’égard de la Grande-Bretagne ou un état d’esprit colonial ont peut-être aussi été des facteurs. Pendant l’enquête sur la catastrophe qui s’ensuivit, un témoin dit : « Je ne pense pas que quiconque eut envisagé, dans les circonstances d’alors, de ne pas donner suite à la demande [britannique]. »

Un certain copinage a peut-être aussi affecté la décision. Crerar et le commandant britannique sortant de Hong Kong étaient des amis de longue date. Ils eurent des entretiens privés à Ottawa lors du voyage de retour du commandant, et leur contenu complet n’a jamais été divulgué.

Crerar dit par la suite au ministre de la Défense nationale, James Layton Ralston, qu’il n’y avait aucun « risque militaire » à envoyer des troupes à Hong Kong. Ralston conseilla donc le premier ministre Mackenzie King et le Comité de guerre du Cabinet en conséquence.

Même sans renseignement militaire, les Canadiens raisonnablement avisés savaient que le Japon faisait la guerre à la Chine depuis 1937 et avait occupé l’Indochine française en juillet 1941. Les soldats japonais, aguerris, étaient aux portes de Hong Kong.

La colonie était vulnérable, et l’attaque eut lieu trois semaines à peine après l’arrivée des Canadiens. Une grave erreur avait été commise, et elle couta cher.  

JOHN BOILEAU est colonel d’armée à la retraite, auteur de centaines d’articles et de 14 livres sur l’histoire militaire du Canada, dont Too Young to Die : Canada’s Boy Soldiers, Sailors and Airmen in the Second World War (Trop jeune pour mourir : les enfants soldats, marins et aviateurs du Canada à la Seconde Guerre mondiale, NDT).

RICHARD FOOT a été rédacteur spécialisé des pages Histoire de l’encyclopédie du Canada, et rédacteur principal à Postmedia News.

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