Combats dans les cratères

La bataille des cratères de Sainte-Éloi, en avril 1916, fut un désastre pour la 2e division

Bureau canadien des archives de guerre/BAC/3329062

Au début de l’année 1916, les habiles sapeurs britanniques travaillaient d’arrache-pied pour placer de grosses mines profondément sous les tranchées allemandes. Ils en firent exploser au saillant d’Ypres en Belgique le 2 mars, et la bataille pour contrôler les cratères qui en résultèrent dura à peu près deux semaines. 

Une photo de reconnaissance aérienne illustre la situation — des tranchées criblées de cratères de mines et de trous d’obus — à Saint Éloi, en mars 1916.
Bain/U.S. Library of Congress

Six mines explosèrent tôt le matin du 27 mars, anéantissant les tranchées de l’ennemi et les soldats qui les tenaient.

Le commandant de la brigade britannique finit par rappeler ses hommes à leur ligne d’origine, disant à son état-major qu’il ne valait pas la peine de tenir l’intérieur boueux de cratères, car ils étaient une cible évidente pour l’ennemi.

Cependant, le général Herbert Plumer, qui commandait la Deuxième armée britannique, ne tint pas compte de ce bon conseil, et ses sapeurs enfouirent 31 000 kilogrammes d’ammonal sous les tranchées des Allemands à Saint-Éloi, à cinq kilomètres au sud d’Ypres. Six mines explosèrent tôt le matin du 27 mars, anéantissant les tranchées de l’ennemi et les soldats qui les tenaient. Les repères disparurent, les tranchées des deux côtés s’effondrèrent et les tranchées drainantes engorgées inondèrent les trous d’obus et les vieux cratères.

Le général Herbert Plumer ordonna à ses sapeurs de placer 31  000 kilogrammes d’ammonal sous les tranchées allemandes. Six mines explosèrent, détruisant pratiquement toutes les tranchées de l’ennemi et les soldats qui s’y trouvaient.
RFC/BAC/3 230 889

Des soldats de la 9e Brigade d’infanterie de la 3e Division s’avancèrent promptement et prirent la plus grande partie de la troisième ligne de l’ennemi. Cependant, un des bataillons qui attaquaient, naturellement dérouté par le terrain miné, rapporta qu’il s’était rendu maitre des cratères 4 et 5, alors qu’il s’agissait en fait des 6 et 7.

L’ennemi s’aperçut de l’erreur, fit avancer ses renforts et prit le contrôle du cratère 5 le 30 mars. Les soldats britanniques et allemands se battirent au corps à corps dans la boue du cratère. Quatre jours plus tard, les Britanniques avaient reconquis le terrain.

Selon le plan de Plumer, la 2e Division canadienne, commandée par le major-général Richard Turner, VC, devait les remplacer la nuit du 6 avril. Cependant, la brigade britannique était si mal-en-point que Plumer avança la relève à la nuit du 3 avril.

Le major-général Richard Turner avait pris le commandement de la 2e Division canadienne à son arrivée en France, en septembre 1915.
MDN/BAC/PA-006315

C’est la 6e Brigade canadienne, commandée par le brigadier-général Huntly Ketchen, qui remplaça les Britanniques. La passation fut précipitée, et le manque de reconnaissance, conséquent. En effet, il n’y avait pas vraiment de ligne britannique : il n’y avait que des tranchées et des trous d’obus où on avait de l’eau jusqu’à la taille, et ils étaient exposés à l’artillerie dans deux directions.

« J’y ai vu plus de guerre et de meurtres sanglants que dans tout le reste du temps que j’ai passé en France. »

Les Canadiens, relativement inexpérimentés et dont c’était le premier engagement important, faisaient face à des cratères numérotés de 1 à 7. Le 27e Bataillon était devant les cratères 2, 3, 4 et 5, lesquels étaient si près les uns des autres qu’ils formaient un obstacle impénétrable : un cratère avait 158 mètres de profondeur et 55 mètres de largeur (aujourd’hui, c’est un étang de pêche).

« Les soldats britanniques que nous remplacions nous avaient laissé un endroit pourri, » écrivit le lieutenant Frank McLorg, officier de mitrailleuse de la 6e Brigade, dans une lettre qu’il envoya chez lui, à Saskatoon, le 14 avril. « On les avait envoyés à l’assaut puis on les avait retirés, mais la position qu’ils avaient capturée n’avait pas été consolidée du tout, et notre flanc gauche était entièrement à découvert. Il y avait cinq cratères de mine et une tranchée de soutien allemande de troisième ligne de l’autre côté, que nous occupions, et ils étaient totalement aplatis.

 « Je n’ai jamais vu et je ne pense pas qu’il y ait jamais eu de bombardement plus intense dans une zone aussi petite […]. J’y ai vu plus de guerre et de meurtres sanglants que dans tout le reste du temps que j’ai passé en France. »

Un cratère à Saint-Éloi, en Belgique. Le 29e  Bataillon du Corps expéditionnaire canadien y livra des combats féroces en avril 1916.
MDN/BAC/PA-004590

De gros efforts furent déployés pour créer une ligne défendable et évacuer l’eau, mais les canons de l’ennemi infligeaient des pertes élevées et rendaient tout ce travail pratiquement inutile. L’ennemi martelait les Canadiens sans relâche. La boue enrayait les fusils Ross des fantassins. L’artillerie, dont les obus étaient rationnés pour constituer des stocks en prévision des batailles qui devaient avoir lieu à la Somme, ne pouvait riposter au bombardement de l’ennemi que de façon sporadique.

Les 4 et 5 avril, le tir intensif des canons allemands infligea un grand nombre de pertes aux Canadiens. Le lieutenant-colonel Irvine Snider, commandant du 27e Bataillon, réduisit sa première ligne afin de minimiser les pertes, mais en vain.

 « Tout ce que je peux dire, c’est que l’artillerie ennemie a oblitéré les tranchées, rapporta Snider le 6 avril. Il n’y avait plus de soldats dans le secteur qui puissent s’opposer à eux. Ceux du 27e Bataillon qu’il restait […] étaient trop épuisés pour résister. »

Snider ajouta que la plupart de ses officiers et lui n’avaient pas dormi depuis plus de 100 heures. Pis encore, le 31e Bataillon qui se trouvait à côté d’eux n’avait aucun contact avec les troupes de Snider. Lui aussi avait souffert du bombardement.

 « L’ennemi faisait pleuvoir des obus sans cesse, écrivit le soldat Donald Fraser. Les tranchées étaient un vrai bourbier, et elles n’étaient pas reliées entre elles. La communication était inexistante, les lignes de tir n’étaient plus qu’un souvenir […] et on ne pouvait plus faire monter de matériel. »

Le soir du 5 avril, après un feu roulant de 17 heures sous la pluie qu’un soldat décrivit comme « douloureusement précis », le 29e Bataillon releva le 27e qui avait été décimé.

 

À ce moment-là, deux bataillons ennemis lancèrent une attaque, causant la déroute chez les Canadiens et capturant les cratères 2, 3, 4 et 5. L’état-major de la brigade lança rapidement une contrattaque à la lumière du jour aux cratères 2 et 3, que l’artillerie allemande repoussa. Ketchen ordonna ensuite aux 28e et 31e bataillons de reprendre les cratères 4 et 5.

Les Canadiens prirent les cratères 6 et 7, au nord du cratère 4, malgré un bombardement intensif, mais ils rapportèrent, à tort, que leurs objectifs avaient été atteints. « [Nous] croyions dur comme fer que nous avions repris les cratères 4 et 5 », écrivit un sous-officier par la suite.

Sans photo aérienne, Ketchen et Turner étaient convaincus que leurs fantassins tenaient l’objectif. Les Allemands faits prisonniers la nuit du 7 avril, toutefois, dirent à leurs interrogateurs que leurs camarades tenaient les cratères 2, 3, 4 et 5, mais apparemment aucune suite ne fut donnée à ce renseignement.

Des prisonniers allemands capturés à Saint-Éloi par le Royal Fusiliers et le Royal Northumberland Fusiliers de Grande-Bretagne le 27 mars 1916.
Chronicle/Alamy/DRHRGJ

Les soldats avaient bien pris un cratère dans le marasme désolé du champ de bataille, mais pas le bon.

Sachant que la 6e Brigade tenait le terrain bas exposé aux yeux de l’ennemi, Turner suggéra au lieutenant-général Edwin Alderson, commandant du Corps canadien, de se replier et de bombarder les Allemands dans les cratères ou d’attaquer sur un front plus large.

Alderson essaya de persuader Plumer, mais le commandant de la Deuxième armée refusa, car il croyait qu’on devait tenir chaque pouce de terrain gagné. Turner fut obligé d’obtempérer.

La 4e Brigade canadienne, fraiche et dispose, fut lancée à l’assaut du cratère 3, et une fois de plus, les rapports fournis à l’état-major indiquèrent qu’elle avait réussi. Les soldats avaient bien pris un cratère dans le marasme désolé du champ de bataille, mais pas le bon. Les combats se poursuivirent, les deux côtés peinant dans les bourbiers, les pertes continuant de s’élever.

 « Nous marchions sur les cadavres, et le pire, c’est que c’était dans trois pieds de boue et d’eau », écrivit le soldat Frank Maheux du 21e Bataillon à son épouse. Son ami Anderson fut parmi les morts. « Un morceau d’acier l’a presque coupé en deux. »

« Presque toute la compagnie A a été exterminée à Saint-Éloi », écrivit Douglas Buckley du 19e Bataillon, qui avait été blessé et emmené à l’hôpital. « J’ai été assez secoué d’apprendre que tous les gars avec qui je m’étais entrainé avaient passé l’arme à gauche. »

 

Le temps avait été mauvais, déjouant la reconnaissance aérienne, mais les photos du 8 avril montraient que les rapports indiquant le terrain tenu étaient incorrects. De manière inexcusable, les états-majors des 6e et 4e brigades, de la 2e Division et du Corps canadien n’avaient pas relevé les erreurs. Tout ce qu’on peut dire pour leur défense, c’est que l’interprétation des photos aériennes en était encore à ses tout débuts. La situation misérable des Canadiens demeura sans correction jusqu’au 16 avril, quand de nouvelles photos aériennes révélèrent la véritable situation.

Aucune des tentatives des Canadiens pour recapturer les cratères n’aboutit, et le 19 avril, sous un bombardement féroce, les Allemands s’emparèrent du cratère 6. Une semaine plus tard, Alderson donna l’ordre d’abandonner les cratères. Cette débâcle pour la 2e Division avait été causée par des erreurs de commandement et par l’inexpérience. Le prix de la défaite pour les Canadiens : 1 372 morts et blessés. Les pertes de l’ennemi s’élevaient à 483.

Les résultats médiocres de la 2e Division à Saint-Éloi persuadèrent le haut commandement britannique que ni Turner ni Ketchen n’étaient des commandants compétents. Plumer ordonna à Alderson de saquer Ketchen, mais Turner refusa de le faire. Alderson demanda alors que le général Douglas Haig, commandant de la British Expeditionary Force, saque Turner et Ketchen pour incompétence. Mais Turner avait de bonnes relations politiques, et les protestations de Sam Hughes, ministre canadien de la Milice et de la Défense, et de sir Max Aitken, magnat de la presse et député fédéral, rendirent cela impossible. On s’inquiétait que le sentiment anti-britannique fût en train de croitre parmi les Canadiens.

« Turner n’est pas le meilleur commandant de division possible, écrivit Haig dans son journal, [mais] je pense que ce serait une erreur de le remplacer en ce moment-ci. » Il dit aussi que « tous ont fait de leur mieux et ont livré un vaillant combat ». Cela, au moins, était vrai, mais il fallait quand même un bouc émissaire.

Le pauvre Alderson, qui n’était certainement pas Napoléon, mais restait relativement irréprochable dans l’affaire, se fit limoger, et le lieutenant-général Julian Byng prit sa place. Ketchen et Turner survécurent; Turner, jusqu’à la fin novembre 1916.

Le lieutenant-général Julian Byng venait de prendre le commandement du Corps canadien, début juin 1916, quand eut lieu une importante attaque des Allemands.
MDN/BAC/001284

Les Canadiens restèrent à Saint-Éloi après les combats, les cratères étant toujours pleins de cadavres. 

« Ceux d’entre nous dont l’odorat n’est pas très fin, écrivit le soldat Wilbert Gilroy à son père en mai 1916, sont avantagés quand il fait beau temps, car [Saint-Éloi] ne sent pas la rose. » 

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