A-t-on eu raison d’accorder le passage libre jusqu’à Cuba aux ravisseurs de James Cross?

Joel Kimmel

D’Arcy Jenish dit que OUI

Aux premières heures du matin, le 3 décembre 1970, des dizaines de policiers et de soldats armés jusqu’aux dents ont encerclé une maison modeste à Montréal-Nord où, pendant près de deux mois, le diplomate britannique James Cross avait été tenu en otage par une bande de soi-disant révolutionnaires qui formaient une cellule du Front de libération du Québec.  

Ils ont opté pour une façon raisonnable de mener la crise de l’enlèvement à une conclusion pacificque.

Leur situation était désespérée, mais les kidnappeurs demeuraient réfractaires. Ils ont averti les autorités par un communiqué écrit à la main que si la police tentait de prendre leur planque d’assaut avec des fusils ou du gaz lacrymogène, Cross serait le premier à mourir. Et ils avaient deux carabines de calibre .30 à canon tronqué, deux armes de poing et huit livres de dynamite.

Plutôt que de risquer la vie du diplomate, les autorités ont accordé aux kidnappeurs le passage libre jusqu’à Cuba en échange de sa libération. Ils ont opté pour une façon raisonnable de mener la crise de l’enlèvement à une conclusion pacifique et le temps passé a prouvé la sagesse de leur décision.

Jeff Goode, Toronto Star Archives 0041343f

L’exil à Cuba a été un cauchemar pour les kidnappeurs. Ils ont été confinés dans des hôtels à La Havane pendant plusieurs mois d’affilée. Ils se sont atrocement ennuyés.

Le groupe était miné par les dissensions. Jacques Cossette-Trudel et sa femme, Louise Lanctôt, ont renoncé au terrorisme, ce qui a provoqué une rupture entre eux et le frère de Louise, Jacques, qui était chef du gang.

À l’automne 1973, les exilés voulaient tous désespérément partir de Cuba. En juillet 1974, les Cubains leur ont finalement fourni des documents de voyage et des billets d’avion leur permettant de se rendre à Prague et de là, à Paris.

Ils ont trouvé la vie dans la capitale française lamentable, au moins les Lanctôt et les Cossette-Trudel, qui étaient coincés dans des emplois serviles bas de gamme et logés dans des appartements miteux en banlieue. En outre, ils avaient réellement le mal du pays. Les Cossette-Trudel se sont hasardés à revenir en décembre 1978. Lanctôt et sa famille sont arrivés en janvier 1979; Marc Carbonneau, en mai 1981 et Yves Langlois, en juin 1982.

Ils ont tous été arrêtés immédiatement à leur atterrissage au Canada et accusés de diverses infractions liées à l’enlèvement de Cross. Ils ont comparu devant les tribunaux : Carbonneau a été condamné à 20 mois, la sentence la plus légère, et Lanctôt à trois ans, la plus lourde, car c’était lui le chef de cette faction criminelle et qu’il était impénitent.

Parmi certains Montréalais anglophones ainsi que dans les médias de langue anglaise, il y a eu des marmonnements de mécontentement relativement à la perception d’indulgence des tribunaux, mais la presse francophone a conclu que les cas avaient été traités correctement.

Dans l’ensemble, on peut dire que le cas des kidnappeurs de Cross a été traité de façon appropriée, d’abord par les autorités canadiennes et ensuite par les tribunaux. Les autorités ont libéré le diplomate sans bain de sang, et les tribunaux ont prononcé des peines raisonnables selon lesquelles les ravisseurs ont tous été derrière les barreaux. L’exil n’était vraiment pas aussi sombre que le pénitencier fédéral, mais leur vie à Cuba et à Paris avait été misérable et ils sont revenus au Canada plus vieux, châtiés et un peu plus sages.

Joel Kimmel

J.L. Granatstein dit que NON

Dans ses mémoires, Beyond Reason, Margaret Trudeau a écrit que son mari l’a avertie en octobre 1970 que si elle ou leur bébé, Justin, étaient enlevés, il ne négocierait pas leur libération.

« Tu veux dire que tu les laisserais me tuer plutôt que d’accepter leurs conditions? » lui a-t-elle demandé.

« Oui », a répondu Pierre Trudeau. Autrement dit, le Canada ne négocierait jamais avec des terroristes.

Mais quand, le 5 octobre, le Front de libération du Québec s’est emparé de James Cross, délégué commercial britannique à Montréal, et a renchéri en enlevant le ministre québécois du Travail, Pierre Laporte, le Canada a en fait négocié avec les terroristes et accordé le passage libre jusqu’à Cuba aux ravisseurs de Cross.

La résolution de Trudeau – « Regardez-moi faire » – et sa promulgation de la Loi sur les mesures de guerre ont brouillé la mémoire du public.

 

La cellule du FLQ qui séquestrait Cross a publié une liste de conditions en échange de sa libération : arrêter les recherches de la police les concernant; libérer 23 membres du FLQ qui étaient prisonniers « politiques »; diffuser leur manifeste; leur donner 500 000 $ en lingots d’or; et organiser un asile en Algérie ou à Cuba aux membres de la cellule. Acceptez les demandes, déclarait la cellule, ou Cross mourra.

Vu que Cross était diplomate, le ministre des Affaires étrangères, Mitchell Sharp, s’est chargé de la réponse immédiate et a informé le Parlement qu’il avait consulté Londres et Québec, et qu’ils recommandaient le rejet des demandes du FLQ.

Mais le 8 octobre, Sharp a commencé le processus de négociation en permettant la diffusion du manifeste du FLQ, violente diatribe où Trudeau était traité de « tapette » et le maire de Montréal, Jean Drapeau, de « chien ». Le premier ministre n’avait apparemment pas été consulté, et il était très en colère. La cellule du FLQ, cependant, était ravie, croyant qu’on se plierait à ses exigences.

Le 10 octobre, le ministre québécois de la Justice, Jérôme Choquette, a annoncé à la télévision qu’il n’y aurait pas de négociation. Mais il a ensuite accordé une concession majeure : un saufconduit vers un pays étranger. Laporte a été enlevé cette nuit-là.

Soyons clairs : Ottawa et Québec ont sourcillé.

Le lendemain, après avoir consulté Trudeau, Bourassa a entamé à nouveau les négociations et, le 12 octobre, nommé un avocat pour s’entendre avec un avocat du FLQ. Peu après, un groupe de 16 notables du Québec, estimant qu’aucun prix n’était trop élevé pour sauver Cross et Laporte, a exhorté Ottawa et Québec à la négociation. Les soldats patrouillant dans les rues du Québec et d’Ottawa, la Loi sur les mesures de guerre entrant en vigueur le 16 octobre et Laporte retrouvé assassiné dans le coffre d’une voiture, la police n’avait qu’à faire son travail.

La planque du FLQ a été trouvée. Cross a été libéré le 4 décembre. Ottawa avait négocié avec Cuba afin de permettre aux cinq kidnappeurs de s’y rendre et mis un avion de l’Aviation à leur disposition : dernière étape de l’affaire. Les meurtriers de Laporte ont été capturés le 28 décembre.

Soyons clairs : Ottawa et Québec ont sourcillé. Les meurtriers de Laporte ont été incarcérés, mais les kidnappeurs de Cross se sont enfuis à Cuba. Le FLQ a atteint ses objectifs en éveillant les Québécois quant au penchant séparatiste grâce à son manifeste et à l’obtention d’un asile. Ce n’était pas la victoire de la fermeté, et Margaret Trudeau, est-on en droit de supposer, n’avait pas besoin de craindre pour sa vie.


D’ARCY JENISH est journaliste de magazine et auteur de 10 livres. Son dernier s’intitule The Making of the October Crisis: Canada’s Long Nightmare of Terrorism at the Hands of the FLQ.

J.L. GRANATSTEIN a écrit des dizaines de livres, dont Who Killed Canadian Military History? et Canada’s Army: Waging War and Keeping the Peace. Il a été directeur et chef de la direction du Musée canadien de la guerre.

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