En cette année 1939, la Canadian Car and Foundry Company (Can-Car) venait de prouver que le nouveau chasseur-bombardier FDB-1 pou-vait atteindre un plafond plus haut qu’un Hurricane ou un Spitfire.
Après le vol, un pilote d’essai de l’ARC vanta sa maniabilité qui, selon lui, était comparable à celle des chasseurs contemporains. Michael Gregor, ingénieur en aéronautique, avait convaincu la direction de la société montréalaise Can-Car de l’embaucher pour créer un nouveau chasseur-bombardier très maniable dans son installation de Fort William, en Ontario (la ville fait désormais partie de Thunder Bay).
M. Gregor proposait une conception radicalement différente en cette époque où les monoplans faisaient fureur. Il croyait dur comme fer au biplan, dont il voulait augmenter le potentiel. « On commencera la guerre avec des monoplans, mais on la finira à bord de biplans », clamait-il. Le directeur général de la Can-Car, Leonard Peto, était manifestement impressionné, et il estimait qu’il « trouverait un grand marché en Grande-Bretagne et en France ».
La société Can-Car, fondée en 1909, construisait des voitures de chemin de fer et parfois des dragueurs de mines. Elle avait connu des difficultés financières dans les années 1920 pendant la Grande Dépression, puis avait été relancée pour la construction aéronautique grâce à un accord fiscal conclu en 1935 avec le conseil municipal de Fort William pour stimuler l’économie.
Et c’est ainsi que la société rentra à nouveau dans la course, en construisant des chasseurs biplans Grumman G23, qui furent principalement livrés aux forces nationalistes espagnoles ou à l’ARC qui les rebaptisa « Goblin ». Au fil des ans, des chasseurs Hawker Hurricane, des bombardiers Curtiss Helldiver et des avions-écoles North American Harvard sortirent des chaines de production de la Can-Car.
Ces appareils étaient tous construits sous licence concédée par les concepteurs d’origine. Or, en 1937, la Can-Car aspirait à établir ses propres capacités de conception, de développement et d’ingénierie pour en retirer honneur et prestige et s’imposer en tant que chef de file mondial. Un créneau s’ouvrait pour un chasseur-bombardier de pointe avec la guerre qui menaçait en Europe, et la société se mit à lorgner sur de lucratifs contrats avec l’ARC et les Alliés.
C’est là que Michael Gregor fit son entrée sur scène. L’ingénieur de 49 ans d’origine russe (il avait changé son nom de famille, qui était Grigorashvili) venait de participer à la conception de plusieurs avions uniques au sud de la frontière. Il avait joué un rôle déterminant à la Brunner-Winkle Aircraft Company lors de la création d’un biplan taxi et de plaisance populaire à trois places. Le Bird se démarquait par ses nombreuses fonctionnalités novatrices, comme son aile supérieure plus épaisse qui offrait une meilleure portance.
Il fut ensuite ingénieur en chef à la Seversky Aircraft Corporation de Long Island, où son fait d’armes fut la conception du SEV-3 Sport Amphibian. C’est dans sa propre société, la Gregor Aircraft Corporation au Roosevelt Field de New York, qu’il mit au point le prototype de son biplan, le GR-1 Sportplane. L’homme avait de toute évidence les biplans et leur amélioration à cœur.
Il semblait donc que quand la Can-Car l’embaucha comme ingénieur aéronautique en chef, les deux parties seraient gagnantes.
M. Gregor arriva avec son argumentaire : l’alliance entre les dernières technologies aéronautiques – structure panneautée, rivetage affleuré, verrière bulle, carénage, train escamotable – et la maniabilité au combat aérien éprouvée du biplan. Il donna ainsi vie à un séduisant et élégant FDB-1.
Sa caractéristique la plus frappante était la gracieuse aile de mouette supérieure, aux fentes à ouverture automatique anormalement longues, conçue pour améliorer la visibilité à l’avant en vol et donner l’avantage au pilote lors des combats aériens. Mais, comme bien souvent avec les enjeux de conception à la genèse d’un avion, il y avait une contrepartie : en effet, la belle aile nuisait à la visibilité au décollage, à l’atterrissage et pendant les déplacements à terre.
La visibilité à l’atterrissage et aux déplacements à terre était également réduite par le fuselage trapu du FDB-1. Mais là, le compromis en valait la peine. Long de 6,6 mètres seulement, l’engin avait une très bonne maniabilité avec ce que les concepteurs aéronautiques nomment un « attelage court », comme les avions de course modernes. Cette maniabilité lui donnait l’avantage dans les combats aériens, où il pouvait se livrer à des manœuvres précises quand il s’agissait d’ajuster le tir de ses deux mitrailleuses de 13 millimètres. Il pouvait aussi se lancer dans une accélération verticale de 7 G après avoir plongé pour larguer les deux bombes de 53 kilos qu’il portait sous les ailes.
Bien que Gregor eût préféré un moteur de 1 200 chevaux-puissance, le FDB-1 était propulsé par un moteur Pratt & Whitney Twin Wasp standard de 700 chevaux-puissance qui lui donnait une distance franchissable maximale d’un peu plus de 1 500 km.
La construction fut lancée après des essais dans le tunnel aérodynamique de Hawker Aircraft à Kingston-upon-Thames, en Angleterre, au printemps 1938. Six mois plus tard, resplendissant dans sa peinture métallique gris acier, son immatriculation canadienne, CF-BMB, en lettres blanches, et des rayures rouge et blanc sur le gouvernail, le FDB-1 s’élança dans les airs pour la première fois.
La date du premier vol du prototype est sujette à controverse. D’après les recherches menées dans les archives par Jonathan Grenville Kirton, historien et auteur du livre Canadian Car and Foundry Aircraft Production at Fort William on the Eve of World War II (production d’avions canadiens de Car and Foundry à Fort William à la veille de la Seconde Guerre mondiale, NDT) publié en 2009 par la Thunder Bay Historical Museum Society, il décolla pour la première fois à Saint-Hubert, au Québec, en avril 1939. Mais la revue Air Pictorial a rapporté en 1972 que le premier vol avait eu lieu à l’aérodrome de la Can-Car à Fort William le 17 décembre 1938, et que le pilote était George Ayde.
Quoi qu’il en soit, le FDB-1 était aussi maniable que prévu, et on le disait agréable à piloter. Mais la « visibilité limitée qui le rendait difficile à manœuvrer au décollage et à l’atterrissage suscita des commentaires défavorables, la revue rapporta. D’autres critiques furent émises à propos de la gouverne qu’il fallait régler pour éviter d’exagérer l’action exercée [ bien que cela fut un avantage lors des combats aériens] et de la verrière du poste de pilotage qui vibrait beaucoup à grande vitesse et pendant les boucles, et pour laquelle il aurait fallu une carlingue plus solide ». Les vols d’essai continuèrent pendant des semaines.
Transports Canada (TC) était manifestement impressionné. Le 9 mai 1939, JA Wilson, contrôleur de l’aviation civile de TC, écrivit une lettre à EW Stedman, commodore de l’air et ingénieur en chef de l’aéronautique de l’ARC, sur les vols d’essai officiels de l’ARC.
Les essais de la Can-Car y étaient mentionnés :
« L’avion a pivoté au moins deux fois pour faire huit tours complets. En outre, le parachute de queue a été testé en vol pour en vérifier le fonctionnement et l’éjection. » Le parachute avait été prévu pour la sécurité en cas de non sortie de vrille; lorsqu’il était déployé, il faisait adopter à l’avion une position de piqué qui rétablissait le flux d’air sur la gouverne et permettait une sortie de vrille. Le parachute était ensuite largué.
Il était également dit dans la lettre que « l’essai de vitesse terminale de plongée a été effectué à partir de 23 000 pieds, et la vitesse anémométrique indiquée a atteint les 472 mi/h […]. Les manœuvres acrobatiques peuvent toutes être effectuées convenablement et en douceur à toutes les vitesses, et il n’y a guère de vibrations lors des manœuvres les plus rudes. »
Le matin suivant réception de la lettre par Stedman, JE Wray, capitaine d’aviation et pilote d’essai de l’ARC, discuta de la demande de TC avec son supérieur, le commandant d’aviation Allan Ferrier. M. Wray fut envoyé à Montréal l’après-midi même et, après le feu vert définitif d’un inspecteur de TC, il prit place dans l’habitacle, actionna la manette de poussée et fit décoller le CF-BMB.
Malgré des vibrations inquiétantes de la verrière au cours des boucles, M. Wray s’éprit vite de la maniabilité de l’appareil, mais beaucoup moins de sa performance. La Can-Car s’était vantée avec optimisme dans son rapport d’une vitesse ascensionnelle de 3 400 pi/min (à comparer à celle de 2 780 pi/min du Hurricane), mais M. Wray n’inscrivit une vitesse ascensionnelle initiale que de 2 800 pi/min. La Can-Car avait signalé une vitesse terminale de plongée de 472 mi/h, mais M. Wray n’atteignit que 402 mi/h.
La vue du pilote était obstruée par l’aile de mouette lors du déplacement à terre, mais « il est maniable à l’extrême, écrivit M. Wray dans son rapport sur les vols d’essai. À moins de 15 000 pieds, un monoplan à aile basse moderne ou monoplace, en dépit d’une performance supérieure, n’arriverait pas à battre seul le Gregor. »
Spectaculaire, certes, mais ces chiffres et commentaires concernaient un avion plus léger que ce qu’il aurait été lesté d’armes, de munitions, d’un blindage et de bombes. Et malgré sa superbe maniabilité, sa performance n’était pas vraiment supérieure à celle des monoplans de combat d’alors. Peut-être l’aurait-elle été avec le moteur de 1 200 chevaux-puissance projeté. Cependant, il aurait fallu des mois supplémentaires pour la conception et les essais, et on était en 1939.
Les Hurricane et les Spitfire avaient déjà fait leurs preuves. Le spectre de la guerre menaçait et la Can-Car s’apprêtait à lancer la production de Hurricane. Tout arrêter pour développer une toute nouvelle chaine de FDB-1 encore invendus aurait été pure folie. Sans une performance nettement supérieure, l’ARC n’était pas vraiment convaincue que faire machine arrière pour retourner à une conception de biplan était la voie à suivre.
L’entreprise ne renonça pas à la création intrigante de Gregor, croyant qu’elle pourrait servir ailleurs dans le monde. Pour faire sa promotion, le FDB-1 fut inscrit à la course aérienne Bernarr Macfadden de janvier 1940 qui allait de New York à Miami, mais il fut obligé d’atterrir à l’aéroport de Hadley, au New Jersey, à cause d’un problème de pression d’huile moteur.
La Can-Car s’entêta. L’équipe des ventes se lança dans une tournée commerciale et obtint un certain succès. Le Mexique se dit intéressé par la fabrication de l’avion sous licence en 1940, mais Ottawa y opposa un refus sans explication.
Une nouvelle occasion de commercialisation se présenta en 1941, lors d’une démonstration à la Roosevelt Field de New York devant un autre client étranger potentiel. Il fut piloté par Fred Smith, employé des Canadian Colonial Airways, qui disait que le FDB-1 était « férocement grassouillet », et qu’il avait « la posture d’un jeune bouledogue anglais ». Lui aussi avait été ravi de sa maniabilité qu’il qualifia de précise, rapide et réactive. « C’est tout un avion! » écrivit-il dans un article pour Air Classics.
À la suite de la démonstration, M. Smith rapporta une vague proposition, un « colonel dans l’armée de l’air d’un pays d’Amérique du Sud [s’il formait] un escadron de l’avion ». L’offre ne se matérialisa pas. Apparemment, quelqu’un dans le public avait été impressionné par la performance, mais aucune commande ne vit le jour dans les carnets de l’entreprise.
On ne trouve ensuite plus grand-chose sur les efforts de la Can-Car pour promouvoir le FDB 1. Avec seulement 24,5 heures de vol au compteur, le chasseur dont rêvait M. Gregor languit dans un hangar de Dorval, au Québec, jusqu’à sa destruction lors d’un incendie accidentel qui survint entre 1944 et 1946. M. Gregor semble avoir perdu patience bien avant cela : il quitta la Can-Car peu après la perte d’intérêt de l’ARC et retourna aux États-Unis, où il finit par décrocher un emploi à la Chase Aircraft Company. Il prit sa retraite à Trenton, NJ, et mourut en 1953.
« Le FDB-1 est le dernier des biplans militaires de première ligne, avant que le monoplan s’établisse exclusivement à cette fin, déclara The Aeroplane Spotter, publication britannique faisant autorité, dans son numéro du 2 novembre 1946. [Il] avait une vitesse maximale comparable à celle des chasseurs contemporains, et en même temps il avait cette meilleure maniabilité qui compterait dans les combats aériens, ainsi qu’une faible vitesse d’atterrissage, 57 mi/h, qui permettait de le poser sur de petites zones. »
Plus de 1 400 Hurricane sortirent des chaines de production de la Can-Car pour la guerre.
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