Blessures invisibles

Robert Carter

LORSQUE LA CONSCIENCE MORALE
       D’UN SOLDAT EST ATTEINTE,
           LE PROBLÈME ET SA SOLUTION 
  PEUVENT ÊTRE DIFFICILES À CERNER.

 

Depuis près de dix ans, le réser-viste James (pseudonyme) des Forces armées canadiennes est hanté par les souvenirs d’une de ses trois affectations en Afghanistan, hanté par une chose qu’il n’a pas faite. 

Un civil afghan lui avait rapporté qu’un membre des talibans avait mis un dispositif explosif de circonstance (DEC) le long d’une route où passeraient des soldats retournant à la base à la fin d’une patrouille. L’informateur lui avait dit qu’il pouvait voir le terroriste embusqué, prêt à faire sauter le prochain véhicule militaire qui passerait.

Bien qu’il fût en contact radio avec un convoi canadien qui passerait par cette route, James avait reçu l’ordre de ne transmettre de tels renseignements que par l’intermédiaire de la chaîne de commandement, qui les vérifierait et donnerait les instructions en conséquence. On l’avait averti que des accusations seraient portées contre quiconque transmettrait des renseignements autrement. « Ils disaient : “Nous sommes une unité, une organisation […] l’information viendra de nous, pas de vous seuls.” »

Alors c’est ce que James fit. Il transmit les informations à l’état-major. « Et j’ai attendu… et attendu… et attendu. »

Puis il a entendu les mots tant redoutés à la radio : « Contact IED. »

« J’ai tout entendu, seconde par seconde, minute par minute. » Il entendit que les munitions dans le VBL commençaient à cuire. Il entendit les cris de camarades qui tentaient désespérément de leur porter secours. « Je me suis toujours demandé si ce délai, à cause de l’orgueil de certains, à cause des sacro-saintes règles, si ça a couté des vies. […] Dans des situations comme celle-là, dans les situations de vie ou de mort, câlice, on s’en fiche, rien de tout ça compte. »

« Je dois vivre avec ça tous les jours. Chaque fois que je vois les photos de ces gars aux nouvelles, chaque fois que je pense à cette affectation, ça me bouleverse. Ces gars-là seraient peut-être encore avec nous; s’ils ne le sont pas c’est parce que j’ai suivi les règles. J’ai obéi aux ordres. Je me sens coupable. »

James, qui souhaite rester anonyme, est toujours en service. Il reçoit des soins pour stress post-traumatique, mais ces sentiments de culpabilité qui perdurent indiquent un autre genre de blessure, aussi vieux que les conflits armés.

La blessure morale. C’est une blessure non pas physique, ni psychologique, mais morale. C’est une atteinte à la conscience profonde ou même, pour certains, à l’âme.

La blessure morale peut coïncider avec une blessure de stress posttraumatique, mais elle est tout à fait distincte. Les gens qui ont un TSPT n’ont pas tous une blessure morale et inversement, les gens qui ont une blessure morale n’ont pas tous un TSPT. Mais certains ont les deux.

Les anciens combattants qui ont une blessure morale peuvent être hantés par quelque chose qu’ils n’ont pas fait, comme de n’avoir pas pu sauver quelqu’un ou empêcher des actes répréhensibles, ou par quelque chose qu’ils ont fait, comme avoir été contraint de choisir quelle vie sauver, ou avoir tué accidentellement un allié. Elle peut aussi être causée par le fait d’avoir été témoin ou d’avoir eu connaissance d’un acte qui allait à l’encontre de convictions profondes, comme le meurtre de civils ou d’enfants, un massacre, ou l’exécution par l’ennemi d’un civil qui avait coopéré, des vies inutilement sacrifiées, par l’ordre reçu de violer les règles d’engagement, les codes de déontologie militaires ou la Convention de Genève, par le mensonge ou autre conduite déshonorante d’une source qu’on croyait digne de confiance.

« La trahison est l’une des causes les plus fréquentes de blessure à l’âme, dit le psychologue Marv Westwood, de Vancouver. Se sentir abandonné par des camarades ou par des supérieurs alors que “j’assure tes arrières” est un mantra du service, être humilié et fui par les gens pour qui on était prêt à mourir. »

Au fil des ans, nous avons interviewé de nombreux anciens combattants qui ont subi des blessures morales. Un tireur d’élite en Croatie en 1993, qui avait observé le massacre de tout un village sans pouvoir intervenir à cause des règles d’engagement. Un sous-marinier qui avait survécu à l’incendie du NCSM Chicoutimi en 2004, et qui en avait conclu que la vie des marins n’avait guère d’importance aux yeux du commandement, et que la santé des survivants avait été mise en péril inutilement.

Un jeune soldat, pendant la crise d’octobre 1970, qui a vu sa foi en l’armée et son propre sens moral ébranlés par la possibilité de recevoir l’ordre de tirer sur ses concitoyens, ce qui le mène à se demander, aujourd’hui encore, s’il aurait appuyé sur la gâchette.

Une soldate, au début des années 2000, qui avait signalé l’agression sexuelle, en garnison, d’un officier dont le devoir était de la protéger, et qui subit en conséquence les moqueries et accusations de ses camarades et de ses supérieurs.

La blessure morale viole les valeurs
personnelles fondamentales 
du bien et du mal.


Honte et culpabilité
sont les maitres mots de la blessure morale, des émotions négatives qui deviennent les bruits de fond de la vie, des pensées intrusives et obsédantes, combinaison de souvenirs et d’autoaccusations que l’on a sans cesse à l’esprit. Elles conduisent à l’automédication par les drogues et l’alcool, et à des comportements nommés « parasuicidaires » dans les livres de psychologie. On peut devenir tellement abattu que l’on rejette tout ce qui pourrait remonter le moral, si désespéré et incertain qu’on ne peut faire con-fiance à personne. La honte et la culpabilité entrainent beaucoup de tentatives de suicide, et trop d’entre elles réussissent.

La blessure morale viole les va-leurs personnelles fondamentales du bien et du mal, du bon et du mauvais, du juste et de l’injuste.

« Porter les armes est une profession hautement morale de par sa nature, dit Megan M. Thompson, chercheuse à Recherche et Développement Canada. Du déploiement de l’armée, à la planification stratégique des opérations et jusqu’aux actes du soldat au combat, les décisions à tous les niveaux concernent la justice, l’équité et le bien. Il s’agit d’enjeux extrêmement importants, de valeurs profondément ancrées, et du bien-être d’autrui. »

L’éthique distingue le combat et la guerre de l’assassinat et du massacre, et exige un comportement exemplaire chez les soldats, les marins et les membres de la force aérienne, qu’ils soient en uniforme ou non. Les militaires canadiens sont guidés par des règles écrites, et ils reçoivent une formation à l’éthique. « L’éthique est un principe fondamental de la culture de nos hommes et de nos femmes en uniforme, » affirme la porte-parole du ministère de la Défense nationale Ashley Lemire.

L’énoncé éthique de la Défense exige que les membres des Forces armées respectent la dignité de toute personne, servent le Canada avant eux-mêmes, et obéissent à l’autorité légale et l’appuient, agissent avec intégrité, loyauté et courage et veillent à l’utilisation efficace des ressources « en tout temps et en tout lieu ». C’est la pierre angulaire du Code de valeurs et d’éthique du Programme d’éthique de la défense, qui exige que les membres se comportent « d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi ».

Le code donne de nombreux exemples, mais dit que « les comportements attendus ne visent pas à tenir compte de toutes les questions de nature éthique pouvant se poser au quotidien. » Il encourage également les membres à demander aide et conseil à « des sources appropriées au sein de leur organisation ».

L’ancien aumônier Jim Short a été une de ces sources pendant 26 ans. La blessure morale « existe depuis le début des temps, le début de la guerre », dit-il.

Mais le terme n’était pas en usage au début de sa carrière, dans les années 1990, quand l’armée était aux prises avec les retombées d’une mission de maintien de la paix au cours de laquelle un citoyen somalien avait été battu à mort par des membres du Régiment aéroporté canadien, qui fut démantelé par la suite; ni en Bosnie, où des soldats canadiens ont été témoins de massacres, de génocides et d’autres atrocités; ni au Rwanda, où ils ont été confrontés à la réalité des enfants soldats. L’attention s’est portée pendant les années 1990 sur la nécessité d’une formation en éthique, dit M. Short. C’est aussi pendant cette décennie que le diagnostic, le traitement et la prévention du stress posttraumatique ont été développés.

Cependant, « quand j’étais en Afghanistan, les gens étaient angoissés, sans qu’on puisse cerner un incident traumatique particulier » comme dans le cas du stress posttraumatique. Parmi les âmes troublées, il y avait des soldats confrontés à des dilemmes moraux et éthiques liés à la mise à mort de l’ennemi, ou qui se sentaient coupables et honteux de célébrer la mort d’insurgés.

Bien que les aumôniers ne soient pas des combattants, ils font partie des déploiements, accompagnant parfois les soldats jusqu’aux bases d’opérations avancées pour donner aide et soutien à ceux qui se trouvent dans le feu de l’action. « Nous ne sommes pas armés, dit M. Short. Et nous ne donnons pas d’ordres. Notre profession nous donne accès à tous les rangs sans distinction. Un soldat anxieux ne peut pas simplement frapper à la porte d’un major et lui dire, “eh, j’ai besoin de parler”, mais à celle d’un aumônier, oui. Nous sommes disponibles. » Ils aident tous les soldats, quelle que soit leur confession ou leur religion, ou même s’ils n’en ont pas.

Les aumôniers savent déterminer les besoins de ceux qui ont vécu un traumatisme moral, et ils sont souvent les premiers à intervenir sur le long chemin du mieuxêtre. « Vous ne pouvez pas simplement leur dire ‘à la guerre comme à la guerre’. Parfois, ils ont besoin de retourner aux sources religieuses, ou de parler de leur concept du bien et du mal et de Dieu. Ils peuvent avoir besoin de parler à des gens qui ont vécu la même chose qu’eux. »

M. Short le sait parce qu’il l’a vécu : il a subi une blessure morale, et il reçoit des soins pour un trouble de stress posttraumatique.

De nombreux aumôniers ont une formation de thérapeute et travaillent au sein d’équipes de soins psychologiques, en clinique ou ailleurs. « L’identification du problème et l’aiguillage sont des fonctions vraiment importantes. »

La confidentialité est clé. « Les soldats savent que s’ils s’adressent au personnel médical, c’est consigné quelque part. » Les aumôniers reconnaissent qu’ils « peuvent être en difficulté même s’ils sont encore capables de fonctionner, alors il ne faut pas en faire des victimes », ni pendant leur déploiement, ni après.

Mais que peut-on et que doit-on faire pour aider les personnes qui souffrent d’une blessure morale? La question est brouillée par les divergences d’opinions au sujet de ce qu’est la blessure morale, du meilleur traitement, des mesures de prévention, du rôle des décideurs et responsables. La question est-elle juridique ou spirituelle? Quelle est la méthode de formation déontologique la plus efficace? Les recherches ne sont pas concluantes, en particulier au Canada, où soldats et chercheurs sont peu nombreux.

Les mesures de prévention et les soins fondés sur des preuves sont lents à venir, car il n’y a, pour l’instant, aucun critère diagnostique concernant les blessures morales. Certains font valoir que c’est une bonne chose, parce qu’il ne s’agit pas d’un trouble médical.

« Le problème, c’est : que peut-on faire pour soigner ou prévenir ces troubles quand ils n’ont même pas encore été définis, remarque le colonel Rakesh Jetly, psychiatre principal des FAC. Il serait risqué d’imposer un modèle médical sur ce qui n’est peut-être pas une maladie. Cela ne signifie pas que les gens ne souffrent pas, mais il est peut-être prématuré de parler de maladie quand il s’agit peut-être d’une partie sombre de la condition humaine. »

D’aucuns croient qu’une blessure morale est une maladie en soi; d’autres, que la culpabilité et la honte sont des complications d’une autre maladie ou affection, comme le TSPT. « Il y a des gens qui croient que cela expliquerait pourquoi beaucoup de gens ne vont pas mieux avec la thérapie traditionnelle [pour le TSPT], » dit le colonel Jetly. Les résultats de recherches effectuées récemment aux États-Unis indiquent que, bien que les symptômes se soient améliorés chez la plupart des patients à l’issue des deux thérapeutiques les plus répandues, ils persistent suffisamment pour justifier un diagnostic de TSPT chez les deux tiers d’entre eux.

Certains jugent que les traitements du TSPT où l’on rappelle le traumatisme à maintes reprises afin de normaliser la réaction de peur peuvent en fait aggraver une blessure morale. D’autres rapportent avoir adapté avec succès la thérapeutique du TSPT pour les personnes ayant une blessure morale.

Le MDN et les FAC sont très impliqués dans les recherches internationales qui ont pour but de définir la blessure morale militaire, d’établir un moyen de la mesurer, d’identifier les événements pouvant endommager la conscience morale, et de favoriser la prévention et la thérapie. Les recherches ont jusqu’à présent établi une relation entre l’éthique, la morale et la santé mentale, a déclaré Jetly. Souffrir de troubles de santé mentale augmente le risque de blessure morale, et les blessures morales peuvent causer des problèmes de santé mentale.

Pendant que le débat militaire international se poursuit, que les chercheurs tentent de donner un sens à tout cela, les soldats, les marins et le personnel de l’Aviation royale canadienne sont aux prises avec les effets des blessures morales et des situations qui les provoquent.

Selon les données de l’enquête des Forces canadiennes sur la santé mentale de 2013, 58 pour cent des effectifs déployés à l’étranger entre 2001 et 2013 avaient été exposés à des événements qui augmentaient les risques de blessure morale; 39 % n’avait pas pu secourir des femmes ou des enfants blessés; 32 % s’étaient sentis responsables du personnel canadien ou allié; 6 % avaient eu du mal à distinguer les civils des combattants.

« Nous demandons à nos soldats de prendre les bonnes décisions dans des circonstances qui, parfois, mais pas toujours, posent un dilemme éthique, » dit Mme Thompson. En dehors des facteurs habituels de stress – les intempéries, les conditions de vie difficiles, la privation de sommeil, la faim, la soif, la peur –, les militaires doivent prendre des décisions rapidement, sous de fortes pressions et souvent sans informations suffisantes. La bonne décision à prendre peut ne pas être évidente à première vue. Certaines valeurs s’opposent à d’autres, et ils se trouvent dans une situation où, quelle que soit leur décision, elle aura un cout, même si leur décision est de ne rien faire. La mission peut avoir plusieurs objectifs de combat concurrents et incompatibles : combat, stabilisation de zone, composante humanitaire. »

Les conflits modernes présentent des difficultés particulières, affirme Mme Thompson. Les insurgés ne portent pas d’uniformes. Leurs codes moraux diffèrent grandement de ceux des forces occidentales, et ils profitent de cette différence pour provoquer des réactions disproportionnées.

Ces réactions disproportionnées, ainsi que d’autres inconduites et manquements à l’éthique qui entrainent une blessure morale, peuvent être limitées, réduisant les comportements déshonorants et les problèmes de santé mentale à long terme, y compris le suicide, a dit le colonel américain Christopher Warner lors d’un séminaire de l’OTAN sur les blessures morales.

Il y a dix ans, des recherches avaient montré que moins de la moitié des soldats américains servant en Irak et en Afghanistan croyaient que les non-combattants devaient être traités avec dignité et avec respect. Un tiers d’entre eux décrivaient les populations locales en termes désobligeants. Un sur dix avait endommagé des biens de civils, et cinq pour cent avaient frappé des civils. Un tiers d’entre eux croyaient que la torture était acceptable pour sauver un camarade. Moins de la moitié auraient signalé le comportement contraire à l’éthique d’un membre de leur équipe. « Une réduction de presque tous ces indicateurs comportementaux » a suivi l’institution de la formation éthique obligatoire, y compris pour les haut-gradés, sur les manières de préserver l’éthique au combat, dit le colonel Warner.

Le Canada investit dans la for-mation en éthique tout au long de la carrière militaire, dit Mme Lemire. La trousse pédagogique En route vers la préparation mentale vise également à améliorer la performance à court terme et la santé mentale à long terme.

Mais rien n’avait préparé Tim Garthside aux dilemmes moraux et éthiques auxquels il a été confronté en Afghanistan.

« La pièce importante de la blessure à l’âme, c’est la profondeur de la blessure, dit M. Garthside qui était opérateur de transmission au cours d’une journée d’échanges de tirs à Panjwaye, le 3 aout 2006, où environ 90 talibans furent tués au prix de quatre Canadiens morts et au moins 10, blessés.

Son travail, en cette très, très longue journée, était de relayer des messages entre l’infanterie qui se trouvait à Panjwaye et le quartier général des FAC. Son quart commença par un incident d’EEI.

« Il y a des gens blessés et un mort, et on leur tire dessus, nous a-t-il raconté. L’évacuation sanitaire n’aura pas lieu tant qu’ils sont sous le feu de l’ennemi; il faut une zone d’atterrissage sécurisée. D’une oreille, j’écoute l’infanterie qui demande l’évacuation sanitaire de toute urgence et de l’autre, le QG qui me dit que personne ne va les secourir. »

Ailleurs, les talibans étaient délogés et éliminés à l’aide de frappes aériennes dirigées par une source de contre-espionnage afghane sur place. Un pilote signala un homme sur un toit armé d’un fusil lance-grenades propulsées par fusées. Garthside demanda au commandement quoi faire et relaya l’ordre de tuer. « Ils l’ont coupé en deux, et dans les cinq secondes qui suivirent, le renseignement dit que son téléphone ne sonnait plus. Alors, en fait, j’avais tué un gars qui nous aidait à sauver des vies canadiennes. »

A la fin de son quart de travail, un officier lui demanda s’il allait bien. « J’ai dit que oui, » nous dit M. Garthside, ce qu’il a continué de dire pendant des années. Mais il n’allait pas vraiment bien.

À son retour chez lui, il avait du mal à dormir. « Je n’étais pas dans l’infanterie, et je n’étais pas aux premières lignes. Je croyais que je n’avais aucune raison d’aller mal, parce que je n’avais pas été la cible
de coups de feu ni d’explosions. » 
L’insomnie se transforma en dépression, en douleur physique et psychologique, en isolement, en automédication par l’alcool et les drogues.

« Il m’a fallu six ans pour arriver au point où je voulais me suicider, »nous dit-il. Il a alors obtenu un soutien immédiat à une filiale de la Légion royale canadienne, où il a rencontré un ancien combattant qui l’a aiguillé vers un psychologue et le Programme d’aide à la transition pour les anciens combattants, programme de soutien par les pairs qui aide des centaines d’anciens combattants atteints du TSPT depuis 20 ans.

« Ça m’a vraiment sauvé la vie, » dit-il. Tant et si bien qu’il est devenu bénévole pour le programme, participant à des vidéos de formation par dramathérapie. Au cours d’une séance, il s’est « aperçu [qu’il se sentait] coupable de la mort de cet Afghan. » Il appelle cela une blessure à l’âme. « C’était comme si j’étais coupé en eux, et cette souffrance allait au plus profond de moi. »

« Le degré de douleur qu’ils éprouvent est lié au degré de bonté », dit M. Westwood, cofondateur du programme qui a été modifié pour accueillir ceux qui ont une blessure morale. « Bien que les militaires qui souffrent de ce type de blessure morale se voient souvent comme des nullités, en réalité, ce que leur angoisse prouve, c’est à quel point ils sont honorables. »

Ce programme a aidé M. Garthside à combattre ses démons, mais peu d’essais contrôlés randomisés comparant l’efficacité des divers trai-tements ont été effectués, et aucune liste pratique de thérapies fondées sur des preuves n’a été établie.

« En fin de compte, il se peut qu’il n’existe aucun traitement qui soit efficace dans toutes les situations », a écrit Mme Thompson dans un rapport pour le compte des FAC. Étant donné que la blessure morale est sans frontières, un essai de contrôle randomisé multinational pourrait identifier les meilleures pratiques pour la prise en charge des blessures morales, qui pourraient être adaptées selon les pratiques nationales et culturelles et selon les besoins individuels.

Le soutien individualisé a aidé M. Garthside à reprendre sa vie en main. Il se prépare à un diplôme de travailleur social, et au moment où nous mettons sous presse, il s’apprête à devenir papa. Il consulte encore un thérapeute une fois par semaine pour son stress posttraumatique, et sa blessure morale lui cause encore des souffrances.

« Je ne pouvais réellement rien faire, à part de dire aux gars que personne n’allait venir. D’une certaine façon, je les trahissais. Même si c’est le quartier général qui avait pris la décision, c’est moi qui leur parlait. Et que j’aie bien fait mon travail ou que j’aie fait une erreur, le fait est que l’Afghan est mort. C’est ce qui me déchire l’intérieur, encore aujourd’hui. »

Pourtant, il a pris un peu de recul : « j’agissais pour le bien commun. Je ne suis pas guéri, mais j’ai beaucoup plus d’outils pour faire face. J’ai plus de profondeur de caractère où puiser des forces. Ce changement de perspective me permet de renouer avec la vie. Au lieu de revivre sans cesse ces situations, c’est plutôt comme si je regardais une photo. »

 

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