Marc Milner dit que NON
C’ était le devoir du HMS Hood de combattre l’ennemi, et il y a trois bonnes raisons pour lesquelles il fut engagé dans la bataille contre le navire allemand Bismarck en 1941.
La première, c’est simplement que le Hood, de la classe Admiral, était le navire le plus rapide de la flotte britannique. La plupart des cuirassés britanniques étaient trop lents pour rattraper le Bismarck : même les navires de la classe King George V allaient à trois ou quatre nœuds de moins. Le Hood, dont la vitesse maximale était de 31 nœuds et le déplacement de 47 000 tonnes, pouvait prendre la mer par tous les temps, et sa vitesse était supérieure d’un nœud à celle de son rival allemand.
La deuxième raison, c’est que les défauts dans le blindage du Hood étaient bien connus, mais ils ne suffisaient pas à le garder au port. Par exemple, la ceinture principale était en plaques blindées de 12 pouces, soit trois pouces de moins que celles des nouveaux KGV. Certes, le blinda-ge était plus mince à la proue et à la poupe, et entre la ceinture principale et le pont principal, et cela le rendait vulnérable, mais la protection était jugée tout juste suffisante. Le blinda-ge de son pont était faible, « espacé »en plaques de deux ou trois pouces et conçu pour résister à des obus à trajectoire plutôt plate. Tout le monde savait qu’il n’était pas paré au feu plongeant, mais les cuirassés ne l’étaient généralement pas.
Les tactiques du vice-amiral Lancelot Holland compensaient les faiblesses du Hood. Il le faisait traverser la zone de feu plongeant, à distance maximale, aussi vite que possible, jusqu’à ce qu’il atteigne ce que les Américains appelaient la « zone d’immunité » : l’endroit où le pont et la cuirasse pouvaient résister au feu de l’ennemi.
On peut dire que Holland attei-gnit son but. Le Hood se trouvait à une distance de 15 000 mètres de l’ennemi lorsque Holland le fit virer pour présenter son armure la plus épaisse et permettre aux tourelles de poupe de tirer. À cette distance-là, le feu du Bismarck frapperait le pont du Hood à un angle d’environ 14 degrés, trop fermé, même d’après les Allemands, pour percer le pont. La destruction semble avoir été causée par un obus qui pénétra le blindage, traversant la cuirasse de 12 pouces, ou peut-être légèrement plus haut, et fit exploser un des magasins. Ce sont des choses qui arrivent. Si le Hood et le HMS Prince of Wales avaient eu quelques minutes de plus, vu leurs armements – huit canons de 15 pouces et dix de 14 pouces –, cela aurait pu se passer autrement.
Le Hood pouvait prendre la mer
par tous les temps, et sa vitesse
était supérieure d’un nœud à celle
de son rival allemand.
La troisième raison pour laquelle le Hood devait être envoyé à la recherche du Bismarck, c’est simplement que les Britanniques n’avaient pas suffisamment de cuirassés : 14 seulement en mai 1941. Les quatre petits cuirassés de la classe R étaient encore plus vieux que le Hood et n’étaient pas de taille à affronter un cuirassé moderne. Les cinq bâtiments de la classe Elizabeth qui avaient été reconstruits se trouvaient à Alexandrie, en Égypte, où ils observaient la marine italienne. Quant aux deux bâtiments de la classe Nelson bâtis dans les années 1920 conformément aux restrictions d’un traité, le HMS Rodney était en route pour les États-Unis pour se faire remettre en état et le HMS Nelson se trouvait à Freetown, en Sierra Leone, où il avait escorté un convoi de soldats. Les meilleurs de la flotte de combat de la marine royale, deux cuirassés de la classe King George V (42 000 tonnes, 28 nœuds) et le Hood récemment mis en service, étaient basés à Scapa Flow pour guetter le Bismarck.
Le Hood devait y aller. Avec de la chance, il aurait pu survivre à la bataille du détroit du Danemark. En fait, le Bismarck a été suffisam-ment endommagé pour que les bombardiers-torpilleurs Fairy Swordfish du HMS Ark Royal puissent l’atteindre, et pour qu’une malchance encore plus improba-ble signe sa dernière heure.
Iain Ballantyne dit que OUI
La bataille du détroit de Danemark avait à peine huit minutes quand l’intérieur du poste de contrôle d’artillerie du HMS Prince of Wales fut éclairé par ce qui ressemblait un brillant et soudain lever de soleil.
Trop occupé pour regarder, le capitaine de corvette Colin McMullen, officier du poste de contrôle d’artillerie du cuirassé, continua de faire feu sur le Bismarck. La lumière vive provenait de l’explosion du HMS Hood, dont la proue se dressait à la verticale alors que les deux canons de 15 pouces de sa tourelle A tiraient vaillamment une dernière salve. Les marins et fusiliers à bord du croiseur HMS Suffolk qui en furent témoins eurent peine à en croire leurs yeux.
Avec le recul, le verdict généralement admis est que oui, ce fut une erreur d’envoyer le Hood, cuirassé de l’époque de la Première Guerre mondiale, se battre contre le Bismarck, cuirassé moderne puissamment armé et protégé. Il aurait mieux valu que le Hood soit retiré de la circulation longtemps avant et remplacé par un cuirassé mo-derne plus rapide et mieux blindé.
Cependant, les Britanniques n’avaient pas le choix. Leur marine était encore la plus puissante du monde, mais elle était déployée sur tous les océans, surtout
dans l’Atlantique, pour escorter les convois.
L’amiral John Tovey, comman-dant de la flotte territoriale à bord du HMS King George V mouillé à Scapa Flow, devait trouver la meilleure manière de placer ses navires, et il finit par décider d’envoyer vers l’Islande un groupe de chasse formé du Hood et du Prince of Wales. Il s’agissait éventuellement d’effectuer une interception, soit dans le détroit du Danemark, soit dans le pertuis entre l’Islande et les iles Féroé.
La décision de Tovey était motivée par l’échec de l’interception de navires prédateurs allemands quelques mois auparavant. Il avait alors réagi à une alerte
semblable en déployant la flotte territoriale au complet au sud de l’Islande.
Il s’aperçut bientôt qu’il avait commis une grave erreur, car lorsque le carburant vint à manquer, il n’avait pas d’unité importante en réserve. La flotte territoriale se replia, et le Gneisenau et le Scharnhorst se glissèrent dans l’Atlantique Nord pour faire les dégâts que l’on sait
dans les voies maritimes.
Cette fois-ci, Tovey avait l’intention de retenir une force de frappe suffisante pour réagir aux évènements. Le King George V serait relié à l’amirauté par fil terrestre aussi longtemps que possible afin de recevoir les derniers renseignements du centre d’opérations de la marine.
Même si le Bismarck le surpassait,
la question à se poser, c’est plutôt
pourquoi diable le Hood aurait-il
dû être retenu?
Si le Bismarck échappait au Hood et au Prince of Wales, Tovey essaierait de l’intercepter ailleurs avec le King George V, le porte-avion HMS Victorious et quelques croiseurs.
Donc, du point de vue tactique, la décision de Tovey était la bonne. Vu le manque de navires majeurs, il associa le nouveau cuirassé bien protégé et rapide Prince of Wales – qui n’avait pas eu de baptême du feu et qui éprouvait quelques problèmes avec ses canons de 14 pouces –, et le Hood, dont les canons de 15 pouces avaient fait leurs preuves au combat.
Oui, le risque de perdre le Hood était réel, mais à la guerre comme à la guerre. Après deux ans de combats, des milliers d’hommes avaient déjà fait l’ultime sacrifice, la Luftwaffe martelait la flotte méditerranéenne au large de la Crète, et les marins britanniques étaient habitués aux situations délicates. Alors, même si le Bismarck le surpassait, la question à se poser, c’est plutôt : pourquoi diable le Hood aurait-il dû être retenu?
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