Le plus doux des printemps

L’armée canadienne a joué un rôle important dans la libération des Pays-Bas. Le Canada et la Hollande sont d’excellents amis depuis lors.

Une multitude de citoyens hollandais accueillent la 49e Division britannique lors de la libération d Utrecht, le 7 mai 1945. Cette division servait alors avec la Première Armée canadienne. [J. ERNEST DEGUIRE/MDN/BAC/PA-171747]

Une multitude de citoyens hollandais accueillent la 49e Division britannique lors de la libération d Utrecht, le 7 mai 1945. Cette division servait alors avec la Première Armée canadienne.
J. ERNEST DEGUIRE/MDN/BAC/PA-171747

La Seconde Guerre mondiale en Europe a pris fin officiellement le 7 mai 1945, jour de la reddition inconditionnelle des forces allemandes. Pour la Première Armée canadienne, cependant, elle s’était terminée deux jours avant. Le 5 mai, la Vingt-cinquième Armée allemande, composée de 120 000 hommes et commandée par le général Johannes Blaskowitz avait déposé les armes à Wageningen, aux Pays-Bas, aux pieds du lieutenant-général Charles Foulkes, commandant du 1er Corps canadien. Presque en même temps, à la ville de villégiature allemande de Bad Zwischenahn, le lieutenant-général Guy Simonds du 2e Corps canadien acceptait la reddition du général Erich von Straube, commandant de quelque 93 000 soldats au nord-ouest de l’Allemagne.

Cette dernière reddition s’est passée en sourdine, mais aux Pays-Bas, l’avènement de la paix a suscité une éruption de réjouissances publiques que ni les Néerlandais ni les soldats canadiens n’oublieraient. En nul endroit les célébrations spontanées n’ont-elles été plus joyeuses que dans les grandes villes comme Amsterdam, Rotterdam, Utrecht et La Haye. Le 5 mai, la plus grande partie des Pays-Bas avait été libérée, l’exception étant la partie Ouest où sont situées ces villes. Les troupes canadiennes sont arrivées dans cette région après la capitulation.

Quand le Seaforth Highlanders of Canada est entré à Amsterdam, il a été accueilli par « des milliers et des milliers » de Néerlandais longeant les rues, comme l’a griffonné dans son journal Roy Durnford, aumônier du Seaforth.

Ces patients avaient été transportés dans la rue pour prendre part aux célébrations à Utrecht. [BAC/MIKAN-4476772]

Ces patients avaient été transportés dans la rue pour prendre part aux célébrations à Utrecht.
BAC/MIKAN-4476772

« Des fleurs — des roses, des tulipes, et d’autres fleurs de toutes sortes. Les foules chargent tous les véhicules […] Accueil formidable. Ils nous disent dans un mauvais anglais, avec des larmes de joie débridée, à quel point ils nous sont reconnaissants. Les enfants sont adorables. Terrible pénurie de nourriture, ½ miche de pain, une poignée de pommes de terre par semaine. Pas de gras, pas de thé, sucre, cacao, bois de chauffage. Des milliers de personnes âgées meurent. Nous campons au parc […] Je me réjouis aujourd’hui avec les gens libres. »

Pour tenir la foule à distance, les Canadiens ont campé dans le grand Vondelspark du centre de la ville. Malgré les barricades autour de leurs tentes et de leurs véhicules, il était facile de s’y infiltrer. La jeune Margriet Blaisse s’y est glissée en sortant simplement de son arrière-cour par le portail. Elle est allée directement vers un officier de grande taille et l’a invité chez elle rencontrer ses parents. Le lieute-nant Wilf Gildersleeve y a emmené 19 de ses amis.

« Mes parents ne pouvaient pas y croire, a écrit Blaisse par la suite. Ils étaient tous assis au balcon à rire, à pleurer et à parler […]. Ensuite, ils sont partis. Dans la soirée […] nous avons entendu frapper à la porte d’entrée […]. Je suis descendue et Wilf était là avec un ami. Wilf était vêtu d’un kilt et il avait les bras pleins de pain, de beurre, de fromage et de jambon […]. Oh, mon doux, nous avons tellement mangé ce soir-là. »

Le père de Blaisse l’a mise en garde, « quoi que tu fas-ses, ne tombe pas amoureuse de l’un d’eux. Ils vont tous retourner au Canada et tu vas rester ici, à Amsterdam! »

Bien que les Néerlandais se souviennent du prin-temps de 1945 comme étant le plus « doux », pour les soldats canadiens cette douceur était accompagnée d’un peu d’aigreur. Au total, plus de 7 600 aviateurs, marins et soldats canadiens ont donné leur vie pour la liberté des Néerlandais, et leurs restes ont été enterrés sur le territoire néerlandais. 1 191 soldats ont trouvé la mort rien qu’en avril 1945. 114 autres sont tombés pendant les premiers jours du mois de mai.

Les provinces méridionales des Pays-Bas avaient été libérées au cours de l’opération Market Garden, qui par ailleurs avait été un échec, en septembre 1944 et lors de la campagne de l’estuaire de l’Escaut menée de la fin de septembre au début de novembre. Toutefois, l’effort principal, celui de l’opération Plunder, n’a eu lieu que le 23 mars 1945.

Dans le cadre de l’opération Plunder, la Première Armée canadienne avait reçu l’ordre de pénétrer en Allemagne en traversant le Rhin et de faire un crochet vers la gauche en direction des Pays-Bas, ce qui la situerait derrière les principales défenses de l’ennemi. Bien qu’ils eussent essuyé de lourdes pertes en faisant irruption aux Pays-Bas, les Canadiens y ont entrepris une double avancée. Le 2e Corps canadien a poussé vers le Nord par le centre du pays et le 1er Corps canadien, venu d’Italie prendre part à cette opération, a pris la direction des grandes villes de l’Ouest.

Le grand état-major canadien savait que les soldats allant vers ces villes faisaient une course contre la montre. Les Allemands avaient créé une grande disette dans les villes et même dans une grande partie des campagnes. Ils les avaient dépouillées de tout objet de valeur et ils avaient détruit les réseaux de transport, de carburant et d’électricité du pays. L’hiver 1944-1945 en Europe avait été celui des pires intempéries depuis au moins 50 ans. Il n’y avait pas de carburant pour le chauffage ni pour la cuisson. Les Néerlandais l’avaient baptisé Hongerwinter (hiver de la faim). Quelque 20 000 Néerlandais étaient morts de faim au cours des mois précédant la libération. Beaucoup d’entre eux avaient été réduits à manger des bulbes de tulipe pour survivre.

Craignant qu’une poussée directe en Hollande occidentale n’incite les défenseurs allemands de plus en plus désespérés, car on leur avait enlevé toute possibilité de retraite vers leur pays, à inonder la région en perçant les digues, l’avancée canadienne a été provisoirement arrêtée le 25 avril le long d’une ligne qui passait par Amersfoort. Les analystes du renseignement des Alliés craignaient aussi que des batailles dans les rues de ces villes ne causent de très nombreuses pertes civiles en plus d’un grand nombre de pertes militaires.

On tâta le terrain secrètement, laissant le soin à la résistance néerlandaise de communiquer avec le commandement allemand. Cela a donné lieu, le 27 avril, à l’ouverture de négociations en vue d’un cessez-le-feu officiel dans la région. L’opération Manna a commencé le lendemain matin, dans le cadre de laquelle des bombardiers de l’Aviation royale canadienne et de la Royal Air Force larguaient des paquets de rations militaires pour les Hollandais. L’approvisionnement par voie aérienne ne pouvait cependant être qu’insuffisant. Il fallait des convois de camions et l’arrivée de cargos dans les ports de la région, pour le transport de nourriture en quantité raisonnable. Le 30 avril, les Allemands ont accepté de donner des saufconduits aux convois à partir du 2 mai. Trois cargos par jour seraient également autorisés dans le port de Rotterdam à partir du 4 mai. Entretemps, l’opération Manna se poursuivait.

Le capitaine Robert H. Parkinson du Corps royal de l’intendance de l’Armée canadienne était à la tête des premiers camions qui ont traversé les lignes allemandes. « Nous savions que nous apportions de la nourriture au peuple néerlandais, se rappelle-t-il. C’était intéressant et un peu effrayant de passer devant des soldats allemands qui avaient encore toutes leurs armes […]. Nous avons déchargé les
camions au bord de la route et donné la nourriture à une autorité néerlandaise quelconque […]. Elle s’est chargée de la nourriture et nous n’avons eu […] aucun contact avec les Allemands. » L’opération Faust a servi à livrer 1 000 tonnes de vivres et de matériel médical par jour. Elle a duré jusqu’au 8 mai.

Pendant la lente reconstruction des Pays-Bas, les Canadiens attendaient l’ordre de rentrer chez eux. Le dernier n’a quitté le pays qu’à la fin de 1946. Ils étaient 1 886 à revenir avec une épouse néerlandaise. Wilf Gildersleeve est revenu seul au pays, mais il est retourné là-bas peu après pour épouser Margriet Blaisse et la ramener au Canada.

Le 4 mai est le jour du Souvenir aux Pays-Bas. C’est toujours une occasion solennelle pendant laquelle les Hollandais organisent des cérémonies aux cimetières militaires canadiens de Bergen op Zoom, de Groesbeek et de Holten. À Holten, les enfants de la région déposent une tulipe jaune devant chacune des 1 393 pierres tombales. À Groesbeek, des milliers de citoyens néerlandais défilent en silence jusqu’au cimetière, au coucher du soleil, pour rendre hommage aux plus de 2 300 Canadiens qui y sont enterrés. Comme la ville de Bergen op Zoom a été libérée pendant les combats de l’Escaut, le 27 octobre 1944, c’est à cette date-là qu’ont lieu les commémorations à ce cimetière.

Le 5 mai, jour de la libération néerlandaise est beaucoup moins sombre que le précédent, mais il est quand même marqué par des cérémonies de commémoration. Le défilé et le festival de Wageningen sont les temps forts de la journée dans la ville où les Allemands se sont rendus. D’anciens combattants canadiens, des représentants des chapitres canadien et néerlandais de la Légion royale canadienne, des colonnes de véhicules militaires servant aux reconstitutions historiques, plusieurs orchestres de cornemuses et tambours et des membres des Forces armées canadiennes y ont participé au cours des années. Des foules de plus de 120 000 personnes y assistent, réaffirmant le très bon souvenir des évènements qui ont uni à jamais le Canada et les Pays-Bas.

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