LE JOUR J + 70 : Le retour des Libérateurs

Les coquelicots poussent au bord d’un champ de blé à côté du cimetière de guerre canadien de Bény-sur-Mer. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Les coquelicots poussent au bord d’un champ de blé à côté du cimetière de guerre canadien de Bény-sur-Mer.
PHOTO : SHARON ADAMS

Des enfants encerclent Bud Hannam à plusieurs reprises pendant les célébrations du 70e anniversaire du jour J et de la bataille de Normandie. Lors des cérémonies, les femmes poussent leurs fils ou leurs filles timides du coude pour qu’ils aillent parler au vétéran de la guerre canadien, et il les prend dans ses bras et dans son cœur.

Une fille timide d’environ huit ans l’étonne. « Puis-je vous toucher? », lui demande-t-elle, et quand il l’embrasse, elle annonce de manière triomphale qu’elle a « touché un Libérateur! ».

Le vétéran du débarquement Bud Hannam est entouré d’enfants français avant une cérémonie à Basly (France). [PHOTO : SHARON ADAMS]

Le vétéran du débarquement Bud Hannam est entouré d’enfants français avant une cérémonie à Basly (France).
PHOTO : SHARON ADAMS

Ces vétérans de la Deuxième Guerre mondiale, traits d’union entre le présent et le passé, disparaissent à mesure qu’ils passent l’arme à gauche; la plupart ont plus de 90 ans, ce qui donne un caractère émouvant aux cérémonies réglées en leur honneur. Rares sont ceux qui pourront y retourner à l’occasion du 75e anniversaire. Il y a urgence aussi pour les témoins qui, semble-t-il, sont nombreux à mener une quête afin de saisir les souvenirs des anciens combattants : impressions qui pourront être transmises aux générations à venir.

« Comment maintenir la paix […] et son libre arbitre? », demande l’ancien combattant de 100 ans Ernest Côté lors d’une cérémonie au cimetière canadien de la guerre de Bretteville-sur-Laize. « Là est le défi à relever en temps de paix. »

Christophe Collet, professeur d’un lycée de Caen qui s’est occupé de l’organisation de l’hébergement des anciens combattants canadiens venus au 70e anniversaire, a relevé ce défi en 2006. Il a fondé l’Association Westlake Brothers Souvenir, nommée en l’honneur de trois frères de Toronto morts au combat en juin 1944 : George, Tommy et Albert. L’association promeut le souvenir, particulièrement chez les jeunes. Ce printemps, Collet a découvert que des extrémistes ciblaient les jeunes sur Internet au moyen d’une propagande qui falsifie l’histoire, dénigre les forces alliées et nie l’Holocauste.

L’association a déposé une plainte contre un auteur pour le déni de crimes contre l’humanité (le négation-nisme est une infraction en vertu du droit français) et une autre plainte pour utilisation illégale de ses images. Six autres plaignants se sont joints à lui, y compris une municipalité où se sont battues des troupes canadiennes. S’ils gagnent leur affaire, l’auteur pourrait encourir une peine d’emprisonnement.

L’attaque pourrait être rejetée comme n’étant qu’un incident isolé causé par un cinglé, mais « c’est une question de principe », a expliqué Collet. « Nous pourrions continuer […] comme si de rien n’était. Mais alors notre combat pour le souvenir ne signifie rien. Nous disons à nos jeunes que la paix, la liberté et la démocratie ne sont jamais gratuites. Cette attaque nous rappelle qu’il faut accepter la lutte […] 70 ans après que nous avons pensé que le nazisme était vaincu, il y a une autre bataille. »

L’incident souligne pourquoi, même après 70 ans, il est toujours important d’entendre les paroles de ceux qui ont vécu l’histoire, dit Collet. « N’ayez pas peur d’enseigner aux enfants ce qui s’est passé, pourquoi nous sommes allés en guerre », renchérit Hannam, qui ajoute que l’histoire est la seule défense contre ceux qui travestissent la vérité.

Les Alliés ont libéré les peuples d’Europe après quatre ans de servitude, dit Côté. « Les gens […] savaient ce que c’était que d’être incarcéré. » Et ils manifestent toujours leur gratitude avec générosité. Les anciens combattants canadiens ont été célébrés dans les villages et les petites villes de Normandie. Et nombre d’entre eux ont été hébergés par des familles de l’endroit et traités aux petits ognons.

Une petite fille donne un coquelicot à Roy Eddy au cimetière militaire canadien de Bretteville-sur-Laize. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Une petite fille donne un coquelicot à Roy Eddy au cimetière militaire canadien de Bretteville-sur-Laize.
PHOTO : SHARON ADAMS

Hannam a été l’invité d’honneur lors d’une cérémonie à Basly, à environ huit kilomètres de la plage Juno. Infirmier de la 23e Ambulance de campagne, Hannam est arrivé, le jour J, lorsque le Régiment de la Chaudière libérait la ville. Il a travaillé au poste d’évacuation sanitaire alors que les troupes canadiennes s’avançaient vers l’intérieur des terres en combattant. À l’occasion, Hannam s’est retrouvé en train de soigner des civils; les civils n’ont jamais oublié cela.

Hannam a participé à des commémorations officielles lors de cette dernière tournée en Normandie et il s’est même entretenu avec le prince de Galles lors d’une cérémonie importante au Centre de la plage Juno. Mais au village de Basly, c’est devenu très personnel quand Hannam a été représenté à Alfred Leboucher et à Yvonne Bazin. Leboucher se souvient que Hannam l’a aidé lorsqu’il a perdu une jambe, et Bazin se rappelle que sa petite sœur, Emilienne, est morte dans les bras de Hannam après qu’elles eurent été mitraillées par un avion allemand.

Aujourd’hui, il y a une bibliothèque pour enfants au lieu où se trouvait le poste de secours, et elle porte le nom de Hannam : un honneur qu’il a accepté au nom de tous les soldats qui sont venus ici. « Je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit de plus que les autres. Il nous faut quelque chose de réel pour rappeler le prix de la liberté aux enfants. »

Du champagne est servi à une réception après la cérémonie, et Hannam n’est pas le seul ancien combattant à raconter des souvenirs sur la bataille de Normandie.

Mervin Jones a sauté en parachute derrière les lignes ennemies le jour J. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Mervin Jones a sauté en parachute derrière les lignes ennemies le jour J.
PHOTO : SHARON ADAMS

Les anciens combattants John Ross de Lethbridge (Alb.) et Mervin Jones d’Ottawa étaient membres du 1er Bataillon canadien de parachutistes. Ils faisaient partie des 543 Canadiens envoyés, en parachute ou en planeur, derrière les lignes ennemies aux premières heures du jour J. « Nous étions très dispersés, dit Ross. La première tâche était de débarrasser tout ennemi de la zone de chute », un travail rendu difficile parce que leur présence avait été annoncée par le bombardement. « On s’est battus toute la nuit. » Après avoir nettoyé un point d’appui allemand à Varaville et fait marcher des prisonniers jusqu’au carrefour du Mesnil, Ross et d’autres parachutistes ont eu pour mission pendant environ deux mois et demi d’empêcher l’ennemi de reprendre la crête. « Si les Allemands l’avaient prise, ils auraient pu tirer d’en haut sur les troupes qui arrivaient. »

Jones a souvent confié les pensées qu’il avait à l’atterrissage. « Je me disais, “Mervin, je ne pense pas que tu vas vivre jusqu’à ton 22e anniversaire”. » Mais 70 ans après, Ross et lui ont regardé 50 paras de l’armée canadienne, partie d’un contingent international de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis, faire un saut en hommage au 1er Bataillon canadien de parachutistes qui, le jour J, a souffert d’un taux de pertes de plus de 20 %.

Bill Opitz de St. Albert (Alb.) a aussi raconté ses souvenirs à l’occasion de cet anniversaire. Il était à bord du Navire canadien de Sa Majesté Bayfield, un des dragueurs de mines dégageant les voies maritimes pour les forces d’invasion. Le navire se faisait silencieux et, au lieu de faire exploser les mines, il coupait leurs câbles. Ils ne se sont pas fait remarquer malgré le fait qu’ils s’approchaient à un kilomètre du rivage. Kenneth Bough, âgé de 18 ans, était à bord du NCSM Haida qui protégeait les transports de troupe contre les sous-marins.

Mais il y avait encore beaucoup de dangers pour les 14 500 Canadiens qui ont débarqué le jour J. Denis Hubber de Penticton (C.-B.) était dans la Royal Navy, à bord d’une péniche de débarquement chanceuse. « Quand la marée a baissé, il y avait des traverses de chemin de fer des deux côtés de notre grande péniche de débarquement, avec des mines dessus. On pouvait les toucher si on se penchait. » Il y en a qui l’ont fait, et qui ont déclenché des explosions.

Et puis il y avait les mitrailleuses. Roy Eddy, qui a servi à bord de la frégate NCSM Outremont, a été membre de l’équipage d’une péniche de débarquement au jour J, de laquelle neuf hommes seulement sur 35 ont atteint la terre ferme en vie. « Il y avait du sang jusqu’à 300 mètres au large des côtes, dit-il. Je ne m’en suis jamais remis. »

Jack Hadley était dans la vague d’assaut du Queen’s Own Rifles à Bernières-sur-Mer alors que les chars d’assaut qui devaient leur procurer un feu de protection n’étaient pas encore arrivés. « Un navire tirait des fusées au-dessus de nos têtes […]. Ce n’était pas très efficace. » Beaucoup d’entre eux ont été tués ou blessés pendant les premières minutes. « On n’était pas bien nombreux dans la compagnie Baker après la première heure. On n’était que 19 à l’appel suivant. »

Edgar Bedard de Sault Ste. Marie (Ont.) était dans le Cameron Highlanders d’Ottawa. « On a atterri après le Queen’s Own Rifles. Il y avait tant de corps par terre qu’on devait s’arrêter jusqu’à ce que certains d’entre eux soient ramassés. »

Elsley Foulds de Coquitlam (C.-B.) était dans la 22e Ambulance de campagne canadienne, sur les talons des troupes d’assaut. « On allait de l’un à l’autre et on leur mettait des pansements, on les mettait sur des civières. Ce sont de tristes souvenirs qui me reviennent. Maintenant, je regarde la plage, et je me demande : où sont tous ces jeunes garçons? Ils ne sont plus. » Son unité était un hôpital mobile. « On suivait le front, sept ou huit cent mètres derrière. On a fait ça pendant toute la guerre. »

Le lieutenant d’aviation Richard Rohmer, qui n’avait alors que 20 ans, a été témoin de l’assaut dans les airs. Il a parlé, lors des cérémonies officielles, du voile des combats et du tir d’artillerie incessant, d’une prodigieuse colonne de navires, large d’un kilomètre et demi, qui s’étendait jusqu’à l’horizon, et de la terrible image des soldats qui se faisaient faucher après avoir été déversés par les péniches de débarquement.

Les anciens combattants Pierre Bruneau (à g.) et Benoît Gauthier (troisième à g.) assistent à la cérémonie au cimetière militaire canadien de Bretteville-sur-Laize. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Les anciens combattants Pierre Bruneau (à g.) et Benoît Gauthier (troisième à g.) assistent à la cérémonie au cimetière militaire canadien de Bretteville-sur-Laize.
PHOTO : SHARON ADAMS

Finalement, les casemates et les canons ont été réduits au silence. « J’ai eu de la chance », nous a expliqué Jack Hadley. Les rescapés du peloton ont traversé la plage et sont passés par une brèche dans la digue. « J’ai installé une mitrailleuse Bren et fourni un tir de couverture. » À un moment donné, « j’ai vu une tranchée à environ 100 mètres de moi, d’où des Allemands sortaient la tête. J’ai tiré dedans quelques fois et l’équipe […] au grand complet est sortie les mains en l’air. »

Les renforts et les approvisionnements sont arrivés après que la tête de pont a été mise en place. Parmi eux se trouvait Alan Canavan, maintenant âgé de 93 ans. Il était dans le 17th Duke of York’s Royal Canadian Hussars (7e régiment de reconnaissance). « Ils pensaient que 85 pour cent d’entre nous seraient supprimés. Heureusement qu’ils ont eu tort. » Son unité dévoilait les activités de l’ennemi, et leurs renseignements ont servi pendant que les alliés combattaient en Normandie et au-delà. Canavan et Eddy sont deux des huit Canadiens à qui la Légion d’honneur a été décernée par la France, cette année, lors d’une cérémonie qui s’est tenue à Caen.

Les pertes du Queen’s Own Rifles, le jour J, se sont éle-vées à 143 morts et blessés. « J’ai perdu beaucoup d’amis ce jour-là », a déclaré Hadley. Il en a perdu d’autres par la suite, au Mesnil-Patry, où de fanatiques soldats SS ont opposé une résistance au Rifles, et encore d’autres à l’aéroport de Carpiquet, où Hadley lui-même a été blessé par des éclats d’obus. Il a dû se rendre, en courant d’une tranchée à l’autre, à un poste de secours. « J’avais l’impression que ces bougres tiraient [uniquement] sur moi. »

Bedard aussi l’a échappé belle lorsqu’il s’abritait dans une tranchée au cours des bombardements nocturnes à Carpiquet. Le lendemain matin, il y avait une mine antipersonnel au bord de sa tranchée. « Si je l’avais touchée par accident pendant la nuit, elle aurait sauté. Je n’avais même pas 20 ans […]. J’avais peur. Je n’étais pas brave. Qu’est-ce que j’ai ressenti! » Un ingénieur a été appelé pour s’occuper de l’engin mortel.

Avant d’être blessé, Hadley avait regardé les bombardements de Caen. « Des centaines d’avions. Ça faisait tout un vacarme. Caen brulait. »

Le Conseil régional de Basse-Normandie et Normandie Mémoire remettent des médailles aux anciens combattants en commémoration du 70e anniversaire du débarquement. [PHOTO : SHARON ADAMS]

Le Conseil régional de Basse-Normandie et Normandie Mémoire remettent des médailles aux anciens combattants en commémoration du 70e anniversaire du débarquement.
PHOTO : SHARON ADAMS

Il s’agissait de la première mission pour le mitrailleur Fraser Muir de Wasaga Beach (Ont.), membre d’un équipage de jeunes recrues chargé de larguer des petits morceaux de papier d’aluminium pour confondre le radar ennemi pendant le bombardement de Caen. Il a effectué 35 missions de bombardement avant la fin de la guerre.

« Nous avons dû passer par Caen le lendemain matin, et ce n’était pas agréable, a déclaré Art Boon de Stratford (Ont.) qui était dans le 19e Régiment de campagne de l’armée. Il y avait plein de débris dans les rues; des bâtiments s’étaient écroulés. L’ennemi aurait pu se cacher n’importe où. » L’artilleur John Commerford d’Ottawa ajoute : « On pouvait à peine avancer à travers les décombres ».

Les forces allemandes ont commencé à fuir vers l’est le 10 aout 1944, mais les Alliés avaient l’intention de les arrêter. « On leur lançait tout ce qu’on pouvait dans la poche de Falaise, alors on était constamment en train d’en transporter », s’est rappelé Jim Warford de Burlington (Ont.), qui livrait des munitions, du carburant et des provisions au front. « À un moment donné on n’a pas dormi pendant bien plus de 24 heures. » Chaque fois que le convoi de ravitaillement s’arrêtait, « on frappait sur les portes des camions parce que les hommes s’endormaient au volant ».

Boon se souvient de son épuisement qui n’en finissait plus. « Je n’avais que 18 ans et j’étais en forme […] mais j’étais vraiment fatigué. On a eu deux jours de repos sur 56 avant de s’arrêter. On manquait de personnel tout
le temps. »

Falaise, « c’était un dur combat » sur le terrain et dans les airs, dit Boon. « On appuyait les Polonais qui ont pris une raclée terrible. On se trouvait en haut d’une colline près de Trun. Dans la vallée, les Allemands étaient des cibles faciles. On les anéantissait. » Ses souvenirs sont pleins de « cadavres, d’animaux morts; l’odeur était horrible ». Falaise était à la fin de la bataille de Normandie, une campagne de 10 semaines qui a fait plus de 18 000 victimes canadiennes, dont plus de 5 000 morts.

Hannam était à Falaise à la mi-aout, coincé sous des tirs nourris. « J’étais à quatre pattes et j’ai dit : « Mon Dieu, faites que je m’en sorte, et je serai un homme meilleur. » Il s’est fait assommer et n’a repris connaissance qu’environ quatre jours après : il avait perdu une grande partie de son ouïe et il avait une blessure au bras. « Mais Il m’a sorti de là. »

Raconter ses souvenirs lui sert à remplir sa part du contrat. « J’ai appris à raconter la vérité, même quand ça fait mal. Les gens doivent savoir ce qui se passe à la guerre. On voit ce qu’il reste du corps humain quand des explosifs à grande puissance sautent. Les hommes se font désintégrer, ni plus ni moins, et ils sont dans la liste des disparus, ou bien ils perdent leurs bras ou leurs jambes […] ou leur esprit. C’est terrible. »

Leur dernière nuit en France, Hannam, Eddy, Muir et Alex Polowin d’Ottawa, qui a servi à bord du NCSM Huron, sont invités à un barbecue chez François Fremout. C’est une soirée avec de la bonne nourriture, du vin, de la musique et des histoires racontées par une trentaine de personnes.

Collet prend la parole au nom du groupe. « Nous remercions les Libérateurs », dit-il, de ce qu’ils ont fait en 1944 et d’être revenus 70 ans après. « On souhaite se rencontrer et se connaitre. Le message, c’est : on est une famille. »

RELIÉS PAR LA GRATITUDE

Vu les grandes commémorations des deux guerres mondiales en cours, les lieux reliés à l’histoire militaire du Nord-Ouest de l’Europe, en particulier les plages de Normandie, sont des attraits touristiques. À la Revue Légion, nous sommes reconnaissants de l’aide d’Atout France www.rendezvousenfrance.com, du Comité Régional de Tourisme de Normandie www.normandie-tourisme.fr, de Rail Europe www.raileurope.ca et d’Air France www.airfrance.ca.

Nous encourageons nos lecteurs à consulter ces autres liens importants pour en savoir plus sur la contribution militaire du Canada durant les deux guerres mondiales : www.cwgc.org pour la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth; www.junobeach.org pour le Centre de la plage Juno; www.veterans.gc.ca pour Anciens Combattants Canada.

 

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