Le monde tombe dans l’abime

Le mois d’aout 2014 marque le centenaire du déclenchement du conflit terrible qui nous affecte encore aujourd’hui. Il est ironique que le siècle qui a précédé le déclenchement de la guerre de 1914 fût l’un des plus paisibles dans l’histoire du monde et, cette année-là, un grand nombre de personnes, en particulier les Canadiens, croyaient que le 20e siècle serait un temps de paix, d’abondance et de progrès.

Il a plutôt été l’une des périodes les plus violentes de l’histoire : celle où le monde est tombé dans l’abime.

Avancée des Canadiens à la bataille de la crête de Vimy. [PHOTO : MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – PA001086]

Avancée des Canadiens à la bataille de la crête de Vimy.
PHOTO : MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – PA001086

 

« Quelque chose de bête dans les Balkans »

COMMENT CELA A COMMENCÉ

Les origines de la Première Guerre mondiale remontent à la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Ce conflit n’avait pas seulement conduit à la création d’un nouveau Reich allemand, union des nombreux États allemands indépendants en une nation puissante, il avait aussi donné une France qui avait soif de vengeance et qui voulait reprendre l’Alsace et la Lorraine qu’elle avait été forcée de céder.

À la recherche d’appui, la France avait conclu une alliance défensive avec la Russie. L’Allemagne avait riposté en concluant une alliance similaire avec l’empire austro-hongrois et, par la suite, avec l’Italie. À la fin des années 1890, l’Allemagne a commencé à cons-
truire une puissante flotte pour la haute mer. Cela a été considéré comme une menace par la Grande-Bretagne, qui en 1904 a conclu une Entente cordiale (une alliance sous un autre nom) avec la France, laquelle a ensuite été étendue à la Russie.

En 1914, l’Europe était donc divisée en deux camps rivaux et tout incident impliquant un membre de ces camps risquait d’entrainer ses alliés dans un conflit armé.

Les Balkans sont un des endroits où pouvait avoir lieu un tel incident. Le chancelier allemand du 19e siècle Otto von Bismarck croyait que « quelque chose de bête » dans les Balkans donnerait lieu à une grande guerre européenne. La plupart des peuples balkaniques, autrefois parties de l’empire turc, avaient obtenu leur liberté par les armes au début du 20e siècle, et ces petits pays
farouchement nationalistes étaient divisés selon des lignes ethniques, religieuses et linguistiques. La nation des Balkans la plus puissante et agressive était la Serbie, pays slave qui jouissait de la protection de la Russie, qui avait elle-même des aspirations dans la région.

Le soutien de la Serbie par la Russie a inévitablement amené le gouvernement du tsar en conflit avec l’empire austro-hongrois, qui avait lui aussi des ambitions territoriales dans les Balkans. En 1908, les tensions ont augmenté lorsque l’empire austro-hongrois a annexé les deux principautés de Bosnie et d’Herzégovine, s’attirant la hargne de la Serbie qui considérait ces territoires comme faisant partie d’une « grande Serbie ». La guerre a cependant été évitée grâce aux diplomates qui ont travaillé fort, comme elle l’a été lors d’un certain nombre de crises dans cette région instable.

Pendant la deuxième décennie du XXe siècle, toutefois, les dirigeants de certaines grandes puissances ont commencé à croire qu’une guerre pourrait résoudre leurs problèmes tant internes qu’externes. Cette croyance était particulièrement forte en Allemagne, qui possédait l’armée la plus puissante d’Europe et la deuxième marine par ordre de grandeur au monde. Le Kaiser Guillaume II, souverain allemand combatif, a été l’instigateur de plu-sieurs crises. Il croyait, comme beaucoup d’autres dirigeants européens, que si une grande guerre éclatait, elle suivrait le modèle des récents conflits en Europe : de courte durée et concluants.

GUERRE FRANCO-PRUSSIENNE Les forces françaises passent à l’assaut près de Bapaume, en France, en janvier 1871. [ILLUSTRATION : WIKIPÉDIA]

GUERRE FRANCO-PRUSSIENNE Les forces françaises passent à l’assaut près de Bapaume, en France, en janvier 1871.
ILLUSTRATION : WIKIPÉDIA

 

« La guerre signifie le suicide »

 LA NATURE DES CONFLITS ARMÉS MODERNES

Bien qu’ils pensaient qu’une guerre à venir serait courte, la plupart des soldats professionnels croyaient qu’elle serait différente des conflits précédents. Les armées seraient plus nombreuses, car la plupart des principaux pays avaient une certaine forme de conscription en vigueur, et avec l’avènement des chemins de fer et des télégraphes, ces grandes armées pourraient être déplacées, ravitaillées et commandées de loin. La levée, la formation, l’armement, l’équipement, le déploiement et le ravitaillement de ces grandes armées nécessiteraient non seulement un personnel militaire professionnel, mais une plus grande proportion de la production économique d’une nation. Ainsi, la nation ayant la productivité la plus grande et la plus efficace était la plus susceptible d’être victorieuse.

Les militaires professionnels auraient fait preuve de sagesse en écoutant les avertissements de l’industriel polonais Ivan Bloch, qui avait mené une étude de grande envergure sur la façon dont les conflits futurs risquaient d’être menés. Bloch estimait qu’une tentative, même par une grande puissance, de mener une guerre majeure entrainerait « la destruction de ses ressources » et « la dévastation » de sa structure sociale. La guerre, insistait Bloch, « est devenue impossible » parce qu’« il est clair que la guerre signifie le suicide ».

Malheureusement, très peu de gens écoutaient cet homme prescient.

Bloch insistait énormément sur les avancées récentes dans l’armement, qui avaient abouti à un bond prodigieux de sa létalité. L’infanterie des principales armées était alors munie de fusils à chargeur se chargeant par la culasse qui manifestaient une certaine précision jusqu’à 1 000 mètres et dont la cadence de tir allait jusqu’à 12 coups par minute. Elle possédait aussi des mitrailleuses capables de tirer 400 à 450 balles par minute et avaient environ la même portée.

L’artillerie des grandes puissances se composait de canons  « à tir rapide » se chargeant par la culasse avec des systèmes de recul qui leur permettaient de maintenir le tir sur leur cible après chaque coup de feu et pouvaient tirer 15 fois par minute. Ces nouvelles armes avaient été utilisées à la guerre russo-japonaise de 1904-1905

et les observateurs militaires avaient noté l’utilisation croissante des tranchées et les pertes énormes subies quand l’infanterie essayait d’attaquer ces mêmes tranchées, particulièrement si elles étaient défendues par des mitrailleuses.

Pourtant, malgré toutes les indications qu’un conflit nécessiterait un énorme effort économique et entrai-nerait de lourdes pertes, les soldats professionnels persistaient à penser qu’une guerre à venir serait mobile, brève et remportée par l’esprit offensif.

Arborant une attitude typique de la plupart des armées européennes, le grand état-major français croyait que la prochaine grande guerre « serait courte et à mouvement rapide, et que les manœuvres y joueraient un rôle primordial ».

GUERRE RUSSO-JAPONAISE Des soldats japonais dans leurs tranchées, en Mandchourie, en avril 1905. [PHOTO : LIBRARY OF CONGRESS]

GUERRE RUSSO-JAPONAISE Des soldats japonais dans leurs tranchées, en Mandchourie, en avril 1905.
PHOTO : LIBRARY OF CONGRESS

 

« Connaissez-vous Sam Hughes? »

LES FORCES ARMÉES DU CANADA

Bien que loin de la tension croissante en Europe, le Canada a été touché. La Grande-Bretagne a demandé à ses dominions, tout en ramenant sa marine dans ses eaux territoriales pour faire face à la menace navale allemande, de renforcer leurs propres forces militaires et navales et de contribuer davantage à la défense de l’empire.

Les libéraux du premier ministre fédéral Wilfrid Laurier, au pouvoir de 1896 à 1911, tentaient de faire en sorte que les engagements du Canada soient aussi petits que possible, mais Laurier a finalement été contraint d’augmenter les dépenses de la défense et de créer une Marine canadienne. La participation du Canada à la guerre de 1899-1902 en Afrique du Sud, où plus de 7 000 Canadiens s’étaient battus aux côtés des Britanniques, avait augmenté la sensibilisation nationale concernant la défense. Le budget de cette dernière est passé de 1,6 million de dollars en 1900 à 7 millions de dollars en 1911. Les effectifs de la force permanente, appelée aussi régulière, ont été augmentés et de nouveaux éléments ont été créés : ingénierie, renseignement, logistique, santé et état-major. Pendant ces mêmes années, la force de la milice a presque doublé, passant de 35 000 à 66 000 et, le principal, des fonds plus importants ont été alloués à la formation, ce qui signifiait un nombre de plus en plus grand d’hommes efficaces en service.

Les dépenses pour la défense ont été augmentées lorsque les conservateurs de Robert Borden ont pris le pouvoir en 1911 : en 1914, elles s’élevaient à 11 millions de dollars. Cette augmentation a été le travail de Sam Hughes, ministre de la milice sous Borden et une des personnalités les plus tristement célèbres de la vie publique canadienne. Ancien promoteur de voies ferrées et rédacteur en chef, ainsi que vétéran d’Afrique du Sud, Hughes était énergique, chauvin, égotiste et suprêmement sûr de lui; il était aussi très critique à l’égard des fautes des autres et complètement aveugle par rapport aux siennes.

Le premier ministre Borden a dit une fois qu’à peu près la moitié des jugements de Hughes étaient bons et produisaient d’excellents résultats. En d’autres occasions, cependant, il était « extrêmement nerveux, il s’impatientait à vouloir contrôler » et « il était presque impossible de travailler avec lui » tandis que parfois son comportement était excentrique au point où il était « justifié de conclure qu’il avait l’esprit dérangé ». Il y avait des gens qui louaient Hughes pour sa grande énergie et sa capacité à faire avancer les choses, à les faire avancer rapidement. La milice l’aimait parce qu’il avait augmenté son financement, mais elle déplorait la décision de ce ministre d’interdire l’alcool dans les camps d’été, ce pour quoi les militaires se lamentaient dans la chanson :

Connaissez-vous Sam Hughes, il est l’ennemi de
la picole;
C’est le vrai champion du bidon sec;
Car le camp est mort et on nous envoie nous coucher,
Pour qu’on n’ait pas la gueule de bois au matin.

Tout le monde avait une opinion tenace, bonne ou mauvaise, à propos de Sam Hughes, et Hughes lui-même avait une opinion tenace sur l’avenir immédiat : il croyait que l’Allemagne allait déclencher une guerre en Europe. En 1912, il a défini sa croyance dans un discours au cours duquel il a fait remarquer à son auditoire que « la guerre est plus proche que dans vos rêves; le grand péril vient de l’Allemagne. Pourquoi ? Parce que l’Allemagne doit avoir des colonies dans une génération ou elle va se mettre à décliner ».

Hughes était résolu que, si un tel conflit commençait, le Canada serait en mesure d’envoyer outre-mer une division d’infanterie et une brigade montée équipée « pour répondre aux exigences de service actif dans un pays civilisé au climat tempéré », bref, pour servir en Europe.

À l’été de 1914, les forces armées du Canada, bien que loin d’être aussi puissantes que celles des pays européens, n’étaient pas insignifiantes. La force permanente était composée de 3 110 personnes et la milice, de 74 213, dont 55 000 ont suivi une formation dans les camps d’été cette année-là. L’armée était équipée de 200 pièces d’artillerie mo-dernes et du fusil Ross de calibre .303, une arme à chargeur d’une grande précision fabriquée au Canada. Bien que la toute nouvelle Marine royale du Canada ne disposait que de deux vieux croiseurs, les navires canadiens de Sa Majesté Niobe et Rainbow qui mouillaient à Halifax et à Esquimalt, en Colombie-Britannique, respectivement, elle avait un personnel administratif dans chaque port important d’où elle pouvait contrôler la navigation. Les Forces armées canadiennes étaient petites, mais elles pourraient servir d’armature pour l’expansion en cas de guerre.

L’armée canadienne suivait la doctrine britannique et, tirant parti de son expérience à la guerre d’Afrique du Sud, la Grande-Bretagne avait mis l’accent sur le tir de précision. En 1914, un milicien canadien devait obtenir au moins 42 des 70 points qu’il était possible d’avoir dans les champs de tir pour obtenir les quelques cents supplémentaires du « salaire d’efficience » qu’on ajoutait aux 50 cents de rémunération quotidienne dans les camps, et un homme de troupe ne pouvait être promu tant qu’il n’avait pas obtenu ce salaire.

Selon la doctrine qui prévalait alors, l’Armée canadienne s’entrainait en vue d’une « guerre ouverte où les soldats circuleraient librement sur le terrain ». On ne négligeait, toutefois, pas l’innovation : par exemple, le 19e Régiment, l’Alberta Dragoons, s’exerçait à des mesures « de dissimulation et d’évitement contre les avions ». Le major William Griesbach de cette unité s’est rappelé que les dragons avaient été formés à tirer aussi vite que possible, car il y avait des « possibilités distinctes » que si plusieurs centaines d’hommes tiraient en même temps, il y aurait probablement « une concentration menaçante de balles en l’air dans le secteur de l’avion ennemi ».

Griesbach, officier intelligent qui allait finir sa car-rière militaire en tant que major-général, pouvait interpréter ce qu’il lisait dans les journaux en 1914. Ce qu’il lisait l’a convaincu, comme Sam Hughes l’était, que les tensions couvaient en Europe et que ses camarades et lui devaient certainement se préparer « à la guerre qui allait venir ».

Le général canadien sir Sam Hughes (au c.) avait des opinions arrêtées sur les autres et sur la manière dont le Canada devrait réagir au déclenchement des hostilités. [MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – PA022661]

Le général canadien sir Sam Hughes (au c.) avait des opinions arrêtées sur les autres et sur la manière dont le Canada devrait réagir au déclenchement des hostilités.
MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – PA022661

 

« Formez les rangs! »

LE MONDE TOMBE DANS L’ABIME

La prédiction désastreuse d’Otto von Bismarck relative à la situation dans les Balkans s’est malheureusement réalisée.

Le 28 juin 1914 à Sarajevo, capitale de la Bosnie, le mili-tant serbe Gavrilo Princip assassina l’archiduc François Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois, et son épouse. Toutefois, au cours des semaines qui ont suivi, la presse canadienne n’a accordé que peu d’importance à ce qui est devenu une crise croissante en Europe.

Le 23 juillet, s’étant assuré du soutien de l’Allemagne, l’empire austro-hongrois lançait un ultimatum en 10 points à la Serbie. Les Serbes ont accepté tous les points sauf un, et en conséquence, l’empire austro-hongrois a déclaré la guerre à la Serbie. C’était alors une question de plans et d’horaires de trains soigneusement orchestrés car le processus de mobilisation, une fois lancé, était
presque impossible à arrêter.

Ensuite, lorsque la Russie s’est mobilisée pour soutenir les Serbes, l’Allemagne qui avait déjà commencé sa propre mobilisation a demandé à Saint-Pétersbourg d’interrompre le processus. Les Russes ont refusé et l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie le 1er aout. Conformément à son alliance avec la Russie, la France s’est mobilisée le même jour et, deux jours plus tard, l’Allemagne déclarait la guerre à la France.

Le Canada semblait tout à fait inconscient, pendant une grande partie de l’escalade de la crise, de l’orage qui s’annonçait. Lorsque les Ontariens sont allés aux urnes le lendemain de l’assassinat de Sarajevo, les libéraux se mesuraient aux conservateurs au pouvoir sur une plateforme de tempérance en vue d’interdire la vente d’alcool. Personne n’a été surpris quand les conservateurs ont remporté une majorité écrasante, leur quatrième d’affilée. En juillet, les grandes nouvelles concernaient l’enquête sur le naufrage dans le fleuve Saint-Laurent du paquebot Empress of Ireland, au mois de mai précédent, où avaient été perdues plus de 1000 âmes; les troubles en Irlande du Nord; et les déprédations de Pancho Villa dans les villes frontalières du Texas. Il y avait aussi la déclaration d’un avocat de New York comme quoi l’introduction du nouveau tango, on ne sait comment il le justifiait, avait entrainé une augmentation de 50 p. 100 du taux de divorce.

Une affiche de l’armée allemande au peuple de Belgique en 1914 déclarant qu’elle doit traverser le territoire belge pour attaquer la France. Elle promettait aux Belges amitié et indemnité monétaire en échange. Cepen-dant, ces promesses ont été rompues aussitôt que les Allemands ont envahi le pays. [MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE – CWM19750441-003]

Une affiche de l’armée allemande au peuple de Belgique en 1914 déclarant qu’elle doit traverser le territoire belge pour attaquer la France. Elle promettait aux Belges amitié et indemnité monétaire en échange. Cepen-dant, ces promesses ont été rompues aussitôt que les Allemands ont envahi le pays.
MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE – CWM19750441-003

Tout au long de juillet 1914, la Grande-Bretagne a travaillé dur en tant qu’« intermédiaire honnête » pour mettre fin à la crise européenne. Son travail a été entrepris en vain. À la fin du mois, les Canadiens ont commencé à faire davantage attention à l’actualité internationale. Le dimanche 2 août 1914, l’Allemagne a demandé à la Belgique de permettre à ses troupes de traverser cette petite nation pour attaquer la France. La Belgique a refusé, et étant donné que l’Allemagne, comme la Grande-Bretagne, avait signé en 1839 un traité préservant la neutralité belge, Londres a adressé un ultimatum à l’Allemagne dans la matinée du mardi 4 août 1914, selon lequel, si elle n’avait pas retiré ses troupes de la Belgique avant minuit, la Grande-Bretagne et l’Allemagne seraient en guerre.

Peu après la présentation de cet ultimatum, l’ambassadeur britannique en Allemagne a été fustigé par le chancelier allemand Theobald von Bethmann-Hollweg, qui dit que, « juste pour un bout de papier, la Grande-Bretagne allait faire la guerre à une nation sœur qui ne voulait rien de mieux que d’entretenir une amitié avec elle ».

Mais l’Angleterre était résolue et son empire l’appuyait fermement.

En 1914, si l’Angleterre allait en guerre, le Canada y allait aussi et, comme les minutes et puis les heures s’égrenaient tout au long de ce mardi-là d’été, les foules se sont pressées devant les bureaux des journaux partout au Canada, dont le personnel affichait des bulletins provenant des services de dépêches, communication la plus rapide de l’époque.

De nombreux miliciens se sont rapportés à leurs manèges militaires et certaines unités se sont même livrées au recrutement. À Halifax, les employés du journal Chronicle projetaient les derniers bulletins sur les murs des bâtiments adjacents. À Toronto, où, ironie du sort, le thème de l’exposition nationale canadienne à venir devait être « 1914 : L’année de la paix », les gens se rassemblaient
anxieusement devant les six journaux de la ville. À Ottawa, en fin d’après-midi, Sam Hughes a perdu patience et, convaincu que la Grande-Bretagne allait « torcher l’affaire », ordonna d’amener l’Union Jack qui flottait sur les bureaux du ministère de la Milice.

« Sam le combattant » n’avait pas à s’inquiéter.

À 19 h, les services de dépêches ont signalé que les troupes allemandes n’avaient pas quitté la Belgique et que la guerre était imminente.

Un train plein de soldats canadiens prend le départ à Hamilton, en 1914. [ANDREW MERRILEES, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – E011084104]

Un train plein de soldats canadiens prend le départ à Hamilton, en 1914.
ANDREW MERRILEES, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – E011084104

À 20 h 45, Ottawa reçut le télégramme officiel de Londres l’avertissant qu’il existait alors un état de guerre entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne. À Halifax, des centaines de personnes dans les rues du centre-ville chantaient Rule Britannia et God Save the King. À Toronto, la grande foule devant l’immeuble du journal Globe « est restée silencieuse » quand la déclaration de guerre a été confirmée et puis des acclamations ont été poussées, « pas pour la guerre, mais pour le roi, la Grande-Bretagne et la victoire ».

Toronto était en délire. Les foules ont envahi les rues du centre-ville jusqu’à l’aube. À Calgary, l’orchestre de l’hôtel Palliser et les musiciens des cinémas ont interrompu leurs représentations et joué l’hymne national, God Save the King, sous des applaudissements tumultueux. À Edmonton, environ 10 000 personnes ont assisté à un défilé improvisé dans les rues et bloqué toute la circulation. Dirigé par un ancien combattant sur un cheval gris et accompagné de groupes jouant des marches patriotiques, cette procession se caractérisait par un camion drapé d’une grande bannière où l’on avait écrit « Appel aux armes loyales. Anciens combattants, anciens des services et volontaires, formez les rangs! » et c’est ce qu’ont fait des centaines d’entre eux.

Alors le Canada est allé en guerre en 1914. Personne, cependant, n’était particulièrement inquiet, car Lloyds de Londres pariait à un contre un que tout cela serait terminé à Noël. Tragiquement, elle allait durer beaucoup plus longtemps et couter la vie à près de 67 000 Canadiens et à au moins 10 millions de combattants des autres pays. La violence allait également couter la vie à des millions de civils.

Le déclenchement de la guerre en 1914 a plongé le monde dans un abime sombre et sanglant qui nous choque encore un siècle après. Cela nous rappelle à quel point les désaccords entre les peuples et les nations peuvent rapidement échapper à tout contrôle, écourtant les vies et détruisant les sociétés. L’humanité tire apparemment des leçons de ces affreux épisodes, mais elle les
ignore bien trop souvent.

PRÊTS À MENER Les officiers et membres du 26e Bataillon à Saint John (N.-B.), en 1915. [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – C-026127]

PRÊTS À MENER Les officiers et membres du 26e Bataillon à Saint John (N.-B.), en 1915.
PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – C-026127

 

CHRONOLOGIE VERS LA GUERRE

Quand la guerre éclate en aout 1914, beaucoup de gens sont surpris de la rapidité à laquelle cela se passe. Toutefois, les évènements qui ont mené à la Grande Guerre se sont déroulés des dizaines d’années avant, quand les relations entre les pays et les empires se sont aggravées.

Le roi Guillaume I [PHOTO : WIKIPÉDIA]

Le roi Guillaume I
PHOTO : WIKIPÉDIA

18 JANVIER 1871 :
L’unification de la Prusse et des royaumes allemands est accomplie. Le roi Guillaume I (1797-1888) est nommé premier empereur allemand.

La guerre franco-prussienne [WILLIAM CONSTANT BEAUQUESNE, WIKIPÉDIA]

La guerre franco-prussienne
WILLIAM CONSTANT BEAUQUESNE, WIKIPÉDIA

10 MAI 1871 :
La guerre franco-prussienne est finie. Les provinces d’Alsace et de Lorraine sont annexées par l’Allemagne.
FAIT : La défaite de la France et la perte de ces provinces est un mal qui la ronge pendant des dizaines d’années.

9 MARS 1888 :
Le roi Guillaume meurt. Son fils Guillaume II (1859-1941), âgé de 29 ans, devient Kaiser d’Allemagne.
FAIT : Le Kaiser Guillaume est un cousin du roi George V.

Nicholas II [PHOTO : WIKIPÉDIA]

Nicholas II
PHOTO : WIKIPÉDIA

1894 :
Le fils ainé du tsar Alexandre III, Nicholas II (1868-1918), est couronné tsar de Russie. Les relations entre l’Allemagne et la Russie commencent à se dégrader.

1900 :
Une grande partie du monde étant sous l’autorité de la Grande-Bretagne et de la France, l’Allemagne décide de bâtir une flotte assez puissante pour se mesurer à la Royal Navy.
FAIT : En ce temps-là, la flotte marchande de l’Allemagne était la deuxième au monde par ordre d’importance. La Grande-Bretagne considère la décision de l’Allemagne comme étant une menace pour sa suprématie maritime.

La reine Victoria [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA]

La reine Victoria
PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA

22 JANVIER 1901 :
La reine Victoria de Grande-Bretagne (1819-1901) qui a régné plus de 63 ans meurt à 81 ans. Son fils Édouard VII lui succède.
FAIT : La reine Victoria était surnommée la grand-mère d’Europe parce que ses neuf enfants s’étaient mariés avec des membres de la royauté partout en Europe.

5 SEPTEMBRE 1905 :
La guerre russo-japonaise qui a commencé le 8 février 1904 se termine par la défaite de la Russie. De graves troubles civils éclatent en Russie.

6 OCTOBRE 1908 :
L’Autriche-Hongrie annexe la Bosnie qui avait été sous l’autorité de l’empire ottoman.

29 SEPTEMBRE 1911 :
L’Italie déclare la guerre à la Turquie pour obtenir des colonies en Afrique du Nord, ce qui augmente la tension sur le continent européen. Selon les conditions d’un traité signé en 1912, la Turquie cède ses droits sur Tripoli et Cyrénaïque (la Lybie) à l’Italie.

NOVEMBRE 1912 :
Le Royaume-Uni et la France signent une entente navale promettant la protection de la Marine royale pour les côtes de France, la France accepte de prendre part à la protection du canal de Suez.

François Ferdinand [PHOTO : LIBRARY OF CONGRESS]

François Ferdinand
PHOTO : LIBRARY OF CONGRESS

1912-1913 :
Les première et seconde guerres des Balkans dépouillent la Turquie de ses derniers territoires en Europe.

28 JUIN 1914 :
Le nationaliste serbe de 19 ans Gavrilo Princip (1894-1918) assassine l’archiduc François Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois, et son épouse, Sophie, à Sarajevo, capitale de Bosnie.
FAIT : Étant donné que Gavrilo Princip avait moins de 20 ans, il ne pouvait pas être condamné à mort en vertu de la loi austro-hongroise. Il mourut de la tuberculose le 28 avril 1918.

28 JUILLET 1914 :
L’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie.

30-31 JUILLET 1914 :
La Russie, alliée de la Serbie, mobilise ses forces armées.

1er AOUT 1914 :
L’Allemagne déclare la guerre à la Russie et mobilise ses forces armées.

3 AOUT 1914 :
L’Allemagne déclare la guerre à la France.
FAIT : Le chancelier allemand, Theobald von Bethmann-Hollweg désavoue le traité assurant la neutralité de la Belgique comme n’étant qu’« un bout de papier ».

Theobald von Bethmann-Hollweg [PHOTO : LIBRARY OF CONGRESS]

Theobald von Bethmann-Hollweg
PHOTO : LIBRARY OF CONGRESS

4 AOUT 1914 :
La Grande-Bretagne lance un ultimatum à l’Allemagne exigeant qu’elle retire ses forces de Belgique et respecte la neutralité du pays; la Belgique rompt les liens diplomatiques avec l’Allemagne; l’Allemagne déclare la guerre à la Belgique; les troupes allemandes entrent en Belgique; la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne.

6 AOUT 1914 :
L’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Russie; la Serbie déclare la guerre à l’Allemagne.

13 AOUT 1914 :
La France reçoit les premiers escadrons du Royal Flying Corps.

14-17 AOUT 1914 :
Les premiers membres de la British Expeditionary Force arrivent en France.

OCTOBRE 1914 :
Les Canadiens arrivent à Plymouth (Angleterre) où ils sont acclamés par les foules.

Les Canadiens arrivent à Plymouth (Angleterre) où ils sont acclamés par les foules. [PHOTO : MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – PA022708]

Les Canadiens arrivent à Plymouth (Angleterre) où ils sont acclamés par les foules.
PHOTO : MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA – PA022708
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