Face-À-Face sur est-ce que la bataille de la Somme valait la peine?

La bataille de la Somme a été l’une des batailles les plus horribles de la Première Guerre mondiale. Des centaines de milliers de vies ont été perdues entre juillet et novembre 1916. En valait-elle la peine?

L’auteur Jonathan Vance dit que NON. L’auteur Andrew Iarocci dit que OUI.

Vance est professeur d’histoire à l’Université Western de London, en Ontario. Il est l’auteur de plusieurs articles et livres, y compris Death So Noble: Memory, Meaning and the First World War et Maple Leaf Empire: Canada, Britain and Two World Wars. Iarocci est professeur adjoint d’histoire à l’Université Western et auteur de Shoestring Soldiers: The First Canadian Division, 1914-15, ainsi que coéditeur de Vimy Ridge: A Canadian Reassessment. Il s’intéresse actuellement à la recherche sur le transport militaire et l’approvisionnement.

 

Le soldat Donald Johnston McKinnon du Royal Highlanders of Canada revenant du front de la Somme, 1916. [PHOTO : ARCHIVES DE LA REVUE LÉGION]

Le soldat Donald Johnston McKinnon du Royal Highlanders of Canada revenant du front de la Somme, 1916.
PHOTO : ARCHIVES DE LA REVUE LÉGION

 

JONATHAN VANCE

NON

Le dernier acte de l’offensive de la Somme se jouait pendant que le maréchal Sir Douglas Haig assistait à la conférence de Chantilly, en novembre 1916. Le 18, les bataillons canadiens ont capturé une partie de la tranchée Desire, et mis une autre section de la crête d’Ancre entre les mains des Alliés pour l’hiver. Il a fallu près de cinq mois et plus de 600 000 victimes pour prendre ce terrain élevé, un objectif qui avait été désigné au début de l’offensive, le 1er juillet.

Est-ce que cela valait le coup?

Haig en était certes convaincu. Dans son rapport final sur l’offensive, il a conclu que ses trois objectifs importants avaient été atteints : Verdun avait été relevée; les principales forces allemandes avaient été retenues au front occidental; et la force de l’ennemi avait été « très fortement usée ».

Impressionnant, mais vide de sens.

Comment quantifier le mot « fortement » et dans quelle mesure « très » l’augmente-t-il?

En fait, l’évaluation de Haig n’a que très peu d’importance, comme l’offensive elle-même, laquelle n’a presque rien donné aux Alliés à part quelques milles de terrain dont la valeur tactique était incertaine. La pression sur Verdun avait-elle été allégée? La forteresse n’était pas tombée, mais ce n’est que supposition que si elle a survécu, c’est grâce à l’offensive de la Somme. En effet, parfois on aurait dit que Verdun était une opération servant à détourner l’attention des Allemands de la Somme. Le gros des forces de l’Allemagne avait-il été posté dans l’Ouest? Des divisions allemandes étaient allées à l’est, la Roumanie est tombée aux Puissances centrales, et les Bulgares (avec l’aide des Allemands) s’opposaient à une offensive alliée au front macédonien. Sans la Somme où l’attention des Allemands était attirée à l’ouest, les choses auraient pu être encore pires pour les Alliés, à l’est, mais c’est peu dire.

Il reste la déclaration selon laquelle « la force de l’ennemi avait été très fortement usée ». Les Alliés avaient perdu quelque 600 000 hommes, mais l’armée allemande aussi, un fait dont on s’est servi pour défendre la campagne de la Somme dans le cadre de la longue guerre d’usure. Et rares sont les gens qui peuvent nier la valeur des batailles d’usure. Les grandes puissances étaient tout simplement trop grandes et trop puissantes pour être vaincues d’un seul coup. Il fallait les user, effriter leur nombre et leur volonté de résister jusqu’à ce qu’apparaisse le point de rupture. Les opérations servant à « mordre et tenir bon » étaient particulièrement efficaces à cette fin, où l’on capturait des objectifs limités afin que l’ennemi y investisse ensuite un nombre immense d’hommes pour les reprendre.

Mais ce n’était pas le cas à la Somme. Comme l’a observé l’historien William Philpotts, « ce ne devait pas être un cas de mordre et tenir bon, mais de se précipiter et espérer ». La planification de l’offensive s’est faite sans entente sur l’objectif : des commandants croyaient qu’il s’agissait de s’emparer de terres, d’autres pensaient qu’il s’agissait de tuer des Allemands. Haig embrassait l’argument de l’usure; jusqu’au milieu de juin 1916, quand il a décidé qu’il y avait eu assez d’usure et qu’il était temps de donner un coup décisif. Mais ce délayage est absent de son rapport final, où il faisait de la nécessité une vertu et déclarait qu’il s’était toujours agi d’usure à la Somme.

La campagne de la Somme a-t-elle affaibli fatalement les armées allemandes? Si donc, il a fallu très longtemps pour que la faiblesse apparaisse : près de deux ans, période pendant laquelle l’ennemi qui avait été mortellement affaibli en 1916, a repoussé l’offensive de Nivelle, infligé des pertes énormes aux Alliés à Passchendaele en 1917 et mis sur pied la Kaiserschlacht dévastatrice en 1918. Selon cette manière de voir les choses, Loos et Festubert faisaient partie du plan d’usure, et la première bataille d’Ypres, en octobre 1914 en faisait partie aussi, ainsi que, d’ailleurs, celles d’aout et de septembre.

Mais cela prive de sens toute la notion d’une phase d’usure. Compte tenu de l’impasse au Front de l’ouest et de la force des adversaires, l’effritement était une stratégie légitime. Mais intégrer la notion à la bataille de la Somme, rien que pour dire que l’offensive valait la peine, c’est récompenser le raisonnement confus qui a produit cette longue et sanglante campagne.

 

ANDREW IAROCCI

OUI

Dans notre souvenir populaire sur la Première Guerre mondiale, « la Somme » est égale à l’absurdité du conflit.

Le 1er juillet 1916, premier jour de la bataille, les forces de l’Empire britannique ont subi 57 000 victimes en échange de gains limités. Cela s’est mieux passé pour les Français qui, bien qu’en ayant perdu 7 000, ont atteint leurs objectifs de la journée. Si la bataille s’était terminée le jour où elle a commencé, elle n’aurait servi à rien. Mais les combats se sont poursuivis pendant cinq mois. La campagne a contribué sensiblement à la victoire des Alliés deux ans plus tard. Si la Première Guerre mondiale a valu la peine, la bataille de la Somme a valu le cout.

La Somme était une offensive des Alliés. Les ministres du gouvernement britannique s’attendaient à de lourdes pertes, mais ils craignaient que l’effort de guerre des Français ne s’effondre si la Grande-Bretagne ne participait pas à la campagne commune de 1916. L’offensive allemande à Verdun, qui a débuté en février, mettait en évidence l’importance de la Somme en tant qu’entreprise des Alliés. Alors que les soldats français s’efforçaient de mettre fin à l’offensive allemande à Verdun, ils avaient plus que jamais besoin de l’appui des Britanniques à la Somme. L’alliance et donc l’issue de la guerre dépendaient des efforts conjugués.

Le grand état-major français considérait la Somme non pas comme une course immédiate pour gagner la guerre, mais comme campagne méthodique pour effriter les Allemands. Cela devait se faire en s’emparant de petites parcelles de terrain pour attirer les contrat-taques couteuses des Allemands. Le plan a réussi, car le grand état-major allemand insistait pour que chaque mètre soit défendu à tout prix, ou récupéré quand il avait été perdu. Les historiens estiment que les Allemands ont lancé 330 contrattaques tout au long de la campagne, une politique qui leur a couté très cher.

Le rapport entre les pertes allemandes et celles des Alliés à la Somme est sujet à débat. Mais même si les pertes des Allemands ont été moins nombreuses que celles des Alliés, l’Allemagne pouvait moins se les permettre. En effet, les combats de 1916 ont mis tant de pression sur les réserves allemandes qu’au début de 1917, le grand état-major a raccourci le front à la Somme en effectuant un retrait stratégique sans précédent d’une profondeur de 40 km. La guerre était loin d’être terminée, mais des fissures apparaissaient dans les bastions de l’Allemagne.

Les forces de l’Empire britannique ont commis des erreurs fatales sur le terrain à la bataille de la Somme. Pendant les premiers stades, les Britanniques ont mobilisé une artillerie insuffisante et tiré principalement la mauvaise sorte de munitions (obus à balles plutôt qu’à grande puissance explosive), laissant un grand nombre de défenses allemandes intactes. L’infanterie britannique a initialement utilisé des tactiques mal adaptées, comme les avancées vers l’objectif au pas de marche, au lieu de faire foncer en avant de petites unités.

Ces erreurs menaient toujours à des pertes inutiles, mais elles donnaient également des leçons importantes. Pendant le déroulement de la bataille, l’artillerie britannique a appris à employer des barrages « rampants ». Ces barrages roulants tapissaient le champ de bataille tout juste devant l’infanterie qui s’avançait, immobilisant les troupes ennemies dans leurs abris et leurs tranchées. Le feu de contrebatterie des artilleurs britanniques contre l’artillerie allemande s’est également amélioré. L’infanterie a appris à lutter plus efficacement en petites unités qui se soutenaient mutuellement lors de leur avancée, arrivant à une meilleure utilisation des mitrailleuses légères, des grenades et des mortiers de tranchée. La tactique de 1917 à laquelle toute une génération s’est identifiée et qui a contribué à des prouesses comme la capture de la crête de Vimy est née à la Somme, à Thiepval, Delville, Pozières, Courcelette, ainsi que dans d’autres villages d’agriculteurs français.

Les simples soldats de l’Empire britannique qui ont combattu et sont morts à la Somme ne pouvaient pas connaitre, à l’époque, les conséquences précises de leurs actions telles que nous les connaissons aujourd’hui. Ces soldats aimaient la vie comme nous l’aimons aujourd’hui. Et pourtant, alors même que le nombre de victimes s’élevait, il n’y avait ni mutinerie, ni refus de servir en masse. Personne ne voulait être le prochain à tomber, mais la plupart des hommes croyaient en la justesse de leur cause. Ils poussaient à travers les champs défoncés et les bois déchiquetés de la vallée de la Somme pour accomplir leur destinée. Et ils ont contribué à la victoire.

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