Face-À-Face Sur Avro Arrow

Le gouvernement canadien a-t-il pris la bonne décision en février 1959 quand il a annulé le projet Avro Arrow? 

L’auteur et éditeur Marc-André Valiquette de Montréal dit que NON. Le chercheur et écrivain Russell Isinger de Saskatoon dit que OUI.

Valiquette a écrit et publié la série de quatre livres intitulée L’Anéantissement d’un rêve, La tragédie d’Avro Canada et du CF-105 Arrow. Isinger a préparé une thèse de maitrise intitulée The Avro Canada CF-105 Arrow Programme: Decisions And Determinants (le programme CF-105 Arrow d’Avro Canada : décisions et déterminants, NDT) en 1997. Les deux hommes poursuivent toujours leurs recherches et leurs écrits sur ce sujet à controverse.

 

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MARC-ANDRE VALIQUETTE

NON

Le 20 février 1959, le gouvernement de John Diefenbaker annulait le programme Avro Arrow. Il en est résulté non seulement la perte d’un avion et d’un turbo-réacteur prometteurs, mais la

quasi-désintégration de l’industrie de l’aviation canadienne lors du Black Friday (vendredi noir, NDT).

À mon avis, c’était, pour bien des raisons, une mauvaise décision. Je pense toujours que cette décision était politique et économique et qu’elle n’avait rien à voir avec la défense aérienne continentale telle que la comprenaient les autorités militaires d’alors. Et aucune des raisons invoquées pour l’annulation n’a résisté à l’épreuve du temps.

Premièrement, l’invocation des coûts comme motif d’annuler le programme n’était pas légitime. Les fonds dépensés (347 669 537 $, couts de terminaison compris) auraient dû être considérés comme un investissement de la production qu’on ne pouvait évaluer qu’en tenant compte de la production prévue. Ils n’auraient pas dû être appliqués au petit nombre d’avions d’essai sous contrat à ce moment-là (37). De plus, d’après l’article publié à la une du Financial Post le 20 septembre 1958 intitulé Your Business and the Arrow’s Fate (Vos affaires et le sort de l’Arrow, NDT), le gouvernement récupèrerait près de 65 p. 100 de ce qu’il avait dépensé au moyen d’impôts.

Deuxièmement, les licenciements qui ont suivi ont porté un rude coup à l’industrie de l’aviation canadienne qui comptait alors grandement sur Avro et sur Orenda. Ces entreprises avaient pris la peine de trouver des sources d’approvisionnement canadiennes pour leurs projets. En conséquence, des sociétés s’étaient procuré de nouvelles techniques et de nouveaux processus, et de grandes équipes de conception y avaient été formées. Leur contribution aux capacités du Canada disparut pratiquement du jour au lendemain quand le programme fut annulé. L’anéantissement d’Avro dans des circonstances créées en grande partie par le gouvernement était manifestement contraire aux intérêts industriels du Canada à long terme.

Troisièmement, l’annulation voulait non seulement dire que le grand potentiel du CF-105 ne pouvait pas être démontré (32 Arrow Mk.2 se trouvaient encore sur la chaine de montage), mais les dernières semaines d’essais du turboréacteur Iroquois étaient supprimées. La vente de ce dernier à la société française Dassault, qui devait en équiper le bombardier Mirage 4 (300 réacteurs), ne s’est donc pas faite. Cela aurait servi à réaliser des ventes à l’exportation s’élevant à 120 millions de dollars et à faire économiser 40 millions de dollars au programme d’Avro. En poursuivant la production du CF-105, l’Aviation royale du Canada aurait eu des avions qu’elle aurait pu utiliser de façon opérationnelle. Les renseignements obtenus lors des vols d’essai et du service opérationnel auraient eu une grande valeur pour convaincre les alliés du Canada de l’acheter.

Quatrièmement, l’acquisition du missile Bomarc ne réglait pas tous les problèmes de défense du pays. Les représentants supérieurs du gouvernement américain ont convaincu le gouvernement canadien que l’avènement des missiles signifiait l’obsolescence de l’avion de chasse. Bien que moins cher que l’Arrow et financé presque entièrement par les É.-U. (91 millions de dollars sur un total de 110,8 millions de dollars), le Bomarc s’est avéré infructueux quelques mois à peine après son acquisition. En outre, pour être efficace, le missile devait être armé d’une ogive nucléaire, ce que Diefenbaker refusait. Il est évident que la conclusion du gouvernement selon laquelle l’aéronautique pilotée par l’homme devenait désuète était erronée, elle manquait de vision et elle était fausse en tous points.

En fin de compte, la façon de penser des gens de l’aviation canadienne était fondée en grande partie sur la supposition que son budget allait être réduit et qu’elle ne pourrait pas acquérir l’Arrow. Cette restriction sous-tendait leurs recommandations à tort, puisque ce n’est pas l’aviation qui devait décider de l’enveloppe budgétaire. Ils auraient dû définir ce dont ils avaient besoin pour relever le défi militaire et laisser les politiciens décider quel montant de fonds leur serait attribué. Ce n’est qu’en définissant clairement ce qu’il faut pour anticiper les menaces potentielles qu’on peut débloquer adéquatement les fonds dont on a besoin pour les affronter.

En 1959, lorsqu’il a annulé l’Arrow, le Canada n’a pas su reconnaitre l’avance qu’il avait en technologie aérospatiale militaire. Le pays a perdu cette avance à jamais lors de l’anéantissement d’Avro, ainsi que les revenus qu’il aurait pu obtenir grâce à l’exportation. C’était une mauvaise décision.

 

RUSSELL ISINGER

OUI

Bien qu’il puisse être accusé d’avoir fait de l’opportunisme, le premier ministre conservateur John Diefenbaker a eu raison d’annuler le programme du CF-105, l’Avro Arrow, en 1959 (et les libéraux en auraient fait de même s’ils avaient été réélus en 1957).

L’anéantissement de l’Arrow était une conséquence inévitable de la réalité financière et d’un processus d’acquisition d’armes défectueux entrainé par une ARC trop ambitieuse ainsi que par des réorientations stratégiques spectaculaires au niveau international.

Le facteur décisif menant à l’annulation était la hausse des couts, hausse grandement imputable à  l’expansion rapide du programme concernant quatre systèmes avancés développés simultanément : la cellule de l’Arrow, le réacteur Iroquois, le missile air-air Sparrow II et le système radar et électronique Astra.

L’entreprise Avro, essentiellement un organe de l’ARC, avait un contrat à prix coutant majoré et donc peu d’intérêt à contenir les couts, et son seul client exigeait le meilleur en tout. Les couts contrariaient les décideurs militaires et politiques car les budgets de la défense allaient en diminuant. Une rivalité interservices survint, l’armée et la marine s’en prenant à l’aviation, qui était elle-même déjà divisée par rapport à l’acquisition du matériel. L’armée n’avait pas vraiment d’autre possibilité que d’annuler le projet.

Ce n’est pas que l’Arrow était bien plus couteux que les avions occidentaux comparables; c’est simplement qu’il s’agissait d’un cas où une puissance moyenne comme le Canada ne pouvait pas se permettre de développer toute seule un système d’armes modernes « plaqué or ».

Les ventes à l’étranger auraient peut-être fini par lui faire réaliser des économies d’échelle par le biais d’une production en plus grande série, mais la conception de l’Arrow se rapportait trop aux besoins du Canada pour pouvoir intéresser d’autres pays; et bien que les États-Unis et le Royaume-Uni aient exprimé de l’admiration pour l’Arrow, ils avaient leurs propres industries aéronautiques à appuyer.

L’ARC réussissait à promouvoir ses intérêts organisationnels pendant son « âge d’or », quand elle absorbait 50 p. 100 du budget de la défense. Toutefois, l’ARC n’avait pas la main aussi heureuse quand il s’est agi de diriger le processus concernant ses acquisitions. Elle avait mal évalué l’horizon technologique et stratégique; elle exigeait une technologie au-delà de ce qui en était alors la fine pointe, et elle essayait de tout obtenir le plus vite possible. Elle allait de l’avant sans stratégie militaire-industrielle cohérente pour l’industrie aéronautique; elle n’avait même pas institué de bureau qui s’occuperait de tous les aspects du programme avant 1957.

Tout bien considéré, le service de l’approvisionnement dirigeait la politique de la défense, et il se précipitait dans un programme qu’il aurait fallu réaliser de manière plus réfléchie.

À part la flambée des couts et la direction dysfonctionnelle du programme, l’autre facteur de l’annulation de l’Arrow était la fluctuation de la stratégie causée par le développement rapide de missiles dont Sputnik était un signe (lancé le jour du dévoilement de l’Arrow) en 1957.

La notion de défense contre les armes nucléaires était rapidement remplacée dans l’Ouest par celle de prévention. L’importance continuellement accrue du missile, en tant qu’ICBM (missile balistique intercontinental) remplaçant les bombardiers et en tant que moyen de défense sous forme de SAM (missile sol-air) comme le Bomarc, minait les arguments en faveur d’un intercep-teur qui serait le plus fort du monde (effectivement, il y avait des politi-ciens et des généraux qui croyaient fermement que le missile rendrait obsolète l’avion piloté). Cela a mené inexorablement au besoin opérationnel, en 1959, d’intercepteurs dont le nombre serait une partie des 500 ou plus qu’on prévoyait en 1952, et qui ne justifiait pas l’institution d’une chaine de production au pays.

L’Arrow s’est donc envolé dans la légende, où il continuera probablement de voler bien plus longtemps que s’il avait vraiment pris du service. Comme l’écrivait l’analyste de politique James Eayrs : « Rien ne semblait impossible à une force qui avait le ciel pour environnement, plutôt que pour limite […]. L’annulation de ce programme sept ans plus tard, quand l’avion a atteint le stade de la construction de prototypes et que plus d’un milliard de dollars devaient y être dépensés a porté un coup au prestige et au moral de l’Aviation […]. La fierté avait mené à l’orgueil, l’orgueil, au CF-105. »

 

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