Dommages Collatéraux : Les familles dans le sillage de la guerre

[ILLUSTRATION : OWEN FREEMAN]

ILLUSTRATION : OWEN FREEMAN

C’est la première fois de la fin de semaine que le sergent à la retraite Ted Peacock sourit, et c’est un sourire factice qui ne touche pas ses yeux.

Sa famille s’est rassemblée pour une photo, et il y a obligation de se composer un visage heureux. Son fils, Callum, a une expression comme la sienne : trop vieux chez un garçon de 10 ans. La mère, Angelle, a un sourire pâle. Il n’y a que le visage de Dominic, huit ans, qui s’épanouit. La famille Peacock illustre la permanence de l’amour, mais pas besoin de la connaitre depuis longtemps pour s’apercevoir que la joie ne dure qu’un instant, que l’espoir est une nécessité.

Quelques clichés plus tard, le vrai portrait de la famille apparait : Ted s’est détaché. Callum demande de partir, répétant sans cesse sa demande comme font les gamins. Mais cette tactique ne fonctionne pas avec Ted qui a un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et qui se retire quand il se sent dépassé, comme maintenant. Il erre dans les replis de son esprit. Ce ne sera pas long non plus avant qu’il se replie physiquement, à sa pièce au-dessus du garage. Ses doigts sont agités : signe infaillible qu’il en a assez. Callum se retire aussi quand il s’en aperçoit.

Les clichés montrent Angelle en train de rengager tout le monde. Elle fait bonne figure si souvent que c’en est devenu son expression habituelle. Dominic la regarde pour savoir comment réagir, ce qu’il a peut-être fait toute sa vie. Il a probablement adopté une démarche circonspecte avant même de faire ses premiers pas.

Le foyer des Peacock, une jolie maison entourée d’une véranda et d’une clôture blanche et au milieu d’un bosquet, est à une demi-heure de voiture au nord de Morinville, en Alberta. En cette fin d’après-midi hivernale, on n’entend que le meuglement du bétail. Dans ce cadre paisible, une famille ordinaire se bat au jour le jour avec un ennemi infatigable qui a blessé tous ses membres.

Les terres sont à parts égales un investissement dans l’avenir de la famille Peacock et la santé de Ted, sergent à la retraite du 1er Régiment du génie de combat, de son épouse Angelle, enseignante, et de leurs fils. Ted fonctionne le mieux dans un cadre paisible. La compensation d’invalidité qu’il a reçue pour son TSPT lui a permis d’acheter cet endroit paisible. Ted, ancien guerrier qui ne croit pas qu’il guérira suffisamment un jour pour gagner sa vie, a 42 ans. « Cette vie, c’est […] à peu près tout ce que je peux supporter. Rien qu’avec ma famille de quatre personnes, je me sens décontenancé pratiquement tous les jours. »

Ce n’était pas du tout comme ça autrefois. « On allait danser », dit Angelle, et elle nous montre une photographie de son mariage : beau soldat, jolie femme, prévoyant un avenir sans nuages. Ils se sont rencontrés avant sa deuxième affectation à l’étranger, en Croatie, en 1994. Ils se sont mariés le 20 juillet 1996. Angelle était enceinte de sept mois quand il est revenu de sa troisième affectation, en Bosnie en 2002. « Tout le monde me disait que Ted avait vraiment changé, dit Angelle. Il était devenu plus silencieux et réservé. Il buvait davantage. » Mais il a pris un congé parental après la naissance de Callum, et ils ont noué un lien très étroit. Dominic est né avant que Ted ne revienne de sa première affectation en Afghanistan, en 2005. Il était devenu distant, crispé. « J’en suis venue au point où je me disais que j’étais prête à le quitter. Alors nous sommes allés en thérapie, et ça a aidé. »

Tout a changé après l’affectation suivante.

Ted avait demandé un congé après sa deuxième affectation en Afghanistan en 2007, mais il a plutôt obtenu une promotion et son congé a été annulé. Il a alors subi son premier effondrement lié au TSPT. « J’ai dit […] que je sentais que j’allais faire mal à quelqu’un; qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas chez moi. » On lui a donné des pilules pour dormir et une journée de congé. « Je suis rentré chez moi, je me suis saoulé et je me suis effondré. » Enragé, il a détruit le garage qui lui tenait lieu de refuge.

Angelle a téléphoné à l’unité de Ted : « Que dois-je faire? Que dois-je faire? » Et la personne à l’autre bout du fil lui a demandé : « Pourquoi est-ce que vous m’appelez? » Le lendemain, Angelle est devenue guerrière elle aussi. « Je me suis battue parce que Teddy n’avait pas la parole. » Elle a accompagné  Ted à la base et les batailles ont commencé. « Je refusais de consulter un travailleur social. Je refusais de partir tant que je n’avais pas vu un psychologue. » Quelqu’un des services de santé mentale a été appelé, qui a dit que Ted ne pouvait pas encore souffrir de TSPT parce que c’était trop tôt. « J’ai dit, “Vraiment? Alors dites-moi ce que c’est.” » On a dit à Angelle que Ted avait reçu un diagnostic de trouble d’adaptation et de trouble dépressif majeur après sa première affectation en Afghanistan. « Vraiment? » Angelle se moque et fait remarquer que Ted a été envoyé là-bas de nouveau, sans traitement, peu après ce diagnostic. Angelle, qui respectait beaucoup les hauts gradés auparavant, est sortie de ses gonds quand cette même personne peu serviable s’est mise à lui faire la leçon. « Quand cet homme a ouvert sa gueule […] je me suis fâchée, j’ai attrapé Teddy et je l’ai emmené. »

Malgré les débuts conflictuels, Ted et Angelle chantent les louanges du soutien et de l’encouragement que Ted a reçus des Forces armées canadiennes, surtout de son sergent-major régimentaire. On a vite diagnostiqué un TSPT à Ted et il a obtenu une thérapie et des médicaments. Il a été libéré pour raison médicale après 20 ans de service, ce qui lui a donné droit à une pension militaire entière.

Angelle élevait deux petits enfants pendant que son époux luttait avec ses démons. « C’est comme si j’avais trois gamins », dit-elle. Aux premiers jours, elle devait lui rappeler de manger, de se doucher, de prendre ses médicaments.

Elle devait vivre avec ses symptômes. Il passait à tra-vers les fenêtres pendant la nuit pour aller se battre avec des ennemis fantômes dans la cour. Il cherchait des fils de détente pendant qu’il tondait le gazon. Il donnait des coups pendant son sommeil. Il est parti de la chambre, d’abord en bas, finalement au garage. « Il me disait qu’il ne se faisait pas confiance dans la maison avec moi », dit Angelle. Il m’écrivait des notes disant qu’il allait se faire mal. « Je ne savais jamais à quoi m’attendre en rentrant à la maison. » Sa voix se serre. « J’obligeais les enfants à rester dans la fourgonnette pendant que je rentrais […]. » Des larmes noient ses yeux et elle déglutit. « Ça laisse un gout dans la gorge, dans la bouche. » Il n’y a pas que les soldats qui ont des flashbacks.

La mère d’Angelle et ses amis lui disaient de partir. « Je leur disais qu’il n’allait pas me faire mal. Je n’avais pas peur pour moi-même, parce qu’honnêtement, j’étais sa planche de salut. » Mais elle était certaine que si elle le quittait, Ted finirait par se faire du mal.

Cela n’a pas du tout été facile de trouver le bon mélange de médicaments pour maitriser ses symptômes. « Il y a des jours où Ted ne pouvait pas descendre du lit. Il s’enfonçait de plus en plus dans les ténèbres. Et j’allais m’enfermer pour pleurer parce que si Teddy m’avait vue, il l’aurait pris comme un affront. Je n’avais pas le droit d’être en colère, d’être triste; je devais être heureuse tout le temps. »

Les médicaments de Ted ont fini par être ajustés au Homewood Health Centre, à Guelph, en Ontario.

Sa famille présente des symptômes semblables aux siens. Ils sont hypervigilants, surtout conscients des humeurs les uns des autres et des situations qui pourraient déclencher les symptômes de Ted. Callum, parti-culièrement, a été affecté, accablé par le déménagement, le changement d’école, le TSPT de Ted, le décès d’une grand-mère. Ted et Callum étaient très proches, mais maintenant, Ted n’est plus aussi enjoué ou réceptif qu’avant. Il dort beaucoup, disparait dans son grenier. « Je vois quelqu’un qui se retire de tout, exactement ce que Ted a fait. Et il est déprimé », dit Angelle. Il s’isole, se livre à des jeux en ligne : sujet délicat pour ses parents.

[ILLUSTRATION : OWEN FREEMAN]

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Le TPST et les médicaments ont rendu Ted distant émotivement. Il est irascible et il s’éloigne tout simplement quand il est froissé. Lorsque Ted se retire, Callum pousse. Angelle est le joint d’étanchéité entre ces deux pièces qui fonctionnent à chaud. Elle prend des antidépresseurs depuis plus de trois ans. « Je ne peux pas me détendre. Je pense que c’est parce que je suis toujours inquiète des réactions de Ted. »

Ted conduit sa famille aux parties de hockey des enfants un samedi. Il est agité quand ils arrivent, alors Angelle lui suggère d’aller chercher du café. De gros cafés, avec plein de crème et de sucre, et un thé. Angelle envoie la commande par message texte, car elle sait que Ted ne s’en souviendra pas au bout de la marche de deux pâtés jusqu’au Tim Hortons. Elle lui sourit quand il revient, s’aperçoit qu’il est encore décontenancé, et l’envoie faire une autre emplette afin qu’il puisse éviter le bavardage des autres parents.

Angelle le surveille du coin de l’œil tout en frayant avec les autres, prête l’oreille quand il parle aux garçons. Elle prend note du moment où il sort fumer quand il se sent dépassé. Ted est un spot omniprésent sur le radar d’Angelle.

Quand le parcours du TSPT a commencé pour Angelle, elle faisait partie de la foule de conjoints militaires qui ne savent pas ce qui leur est offert pour s’occuper de quelqu’un qui a un TSPT, ou qui n’arrivent pas à trouver le bon type d’aide, ou suffisamment. Il a fallu beaucoup de temps pour mettre sur pied les services destinés aux gens qui ont un TSPT militaire, et l’aide aux familles a encore plus tardé. Ces services vont-ils continuer à prendre de l’ampleur maintenant que les Forces et Anciens Combattants Canada (ACC) sont en train de réduire les budgets? Survivront-ils même?

Il est indéniable qu’au cours des dix dernières années, les Forces armées canadiennes ont amélioré les services aux familles. Mais les bonnes intentions ne peuvent pas affronter les problèmes inhérents, notamment le fait que plus de 80 p. 100 des familles militaires n’habitent pas dans une base militaire. « Une de nos principales difficultés, c’est de faire connaitre nos services actuels aux familles », dit le colonel Russell Mann, directeur des services aux familles des militaires. Le counselling en cas de crise ou à court terme est offert aux familles dans le cadre du Programme d’aide aux membres des Forces, et on peut aussi l’organiser au moyen de la ligne d’information pour les familles.

« J’imagine qu’il y a du soutien quelque part, dit Kathryn Linford de Victoria. « Je ne me suis simplement jamais […] renseignée. » Mariée en 1986, elle a déménagé une dizaine de fois à mesure que son mari, Chris, montait en grade. Il s’est battu deux fois avec le TSPT, d’abord dans les années 1990, et puis la reprise en 2012 a mis fin à sa carrière. « Je sais que l’armée n’arrête pas de dire que le soutien existe, mais je ne sais tout simplement pas où en trouver. » Chris, venant d’Edmonton, a été posté à Victoria en 2010. « La première année ici, c’était l’enfer », dit Kathryn. Chris suivait une thérapie et son enfant qui était resté à Edmonton pour aller à l’université lui manquait. Kathryn n’est pas allée au Centre de ressources pour les familles des militaires d’Esquimalt parce qu’elle croyait que ses programmes concernaient les jeunes enfants. Elle ne savait rien du Soutien social aux victimes de blessures de stress opérationnel (SSVBSO) qui est au service des conjoints des anciens combattants.

L’ombudsman militaire, Pierre Daigle, a mis en doute, dans un rapport de 2012, l’efficacité de ce soutien pour les familles affrontant les blessures de stress opérationnel. Il a réprimandé l’armée de ne pas avoir communiqué directement avec les familles, et de ne pas communiquer suffisamment de renseignements aux centres de ressources pour les familles des militaires, principale voie d’information pour les familles.

Les centres de ressources pour les familles des militaires, qui sont financés en partie par les Forces et situés dans les bases, sont le résultat de l’évolution du réseau de soutien social populaire d’autrefois, et ils offrent des services de counselling et d’orientation. Ils fournissent un appui spécialisé aux familles qui se battent avec le TSPT, notamment la vidéo pédagogique Le pouvoir de l’esprit et des programmes de groupe pour les jeunes. Mais leurs services ne sont pas encore solides, dit Greg Lubimiv, directeur administratif du Centre Phoenix pour les enfants et les familles de Pembroke, en Ontario, à 20 minutes de voiture de la BFC Petawawa. Les services ne sont pas normalisés d’un bout à l’autre du pays, et certains n’ont qu’un seul travailleur social sans appui médical. Il y a aussi des familles qui ont peur du stigmate et qui préfèrent les services de santé mentale civils.

Avant 2006, il n’y avait qu’une dizaine de familles militaires parmi les 1 000 cas dont s’occupait le Centre Phoenix. Mais il n’en est plus de même depuis que les soldats canadiens ont déménagé de Kaboul à Kandahar, en novembre 2005, où leur mission de moderniser les forces militaires et policières afghanes et de débusquer les talibans était bien plus dangereuse. À l’été 2006, huit soldats canadiens ont été tués, soit plus que pendant les quatre années précédentes. Le nombre de morts au combat s’est élevé à 32 à la fin de l’année et celui des blessés, à 180.

Le Centre Phoenix avait soudainement 100 familles militaires, et entre 15 et 20 inscrites sur une liste d’attente. « C’était un problème spécial, on avait besoin de fonds », dit Lubimiv. Mais la province a dit que c’était le problème du ministère de la Défense nationale, et ce dernier a dit que la province était responsable des soins de santé des familles militaires. L’ombudsman provincial a dû démêler la dispute d’attributions. En fin de compte, les gouvernements provincial et fédéral ont partagé le financement.

L’an dernier, l’armée a mis un terme à ce financement afin de pouvoir accroitre les services dans les bases, et la province a fait de même, croyant que les familles militaires s’y rendraient pour obtenir de l’aide. Le Centre Phoenix a donc perdu les fonds qu’il lui faut pour servir les familles militaires, mais il n’a pas perdu ses familles militaires. De nouveaux clients militaires se sont joints à la queue des services financés par les deniers publics, et ils doivent attendre jusqu’à six mois avant d’obtenir de l’aide.

Une grande partie des services de soutien aux familles militaires, notamment les soins médicaux et l’éducation, sont fournis par les provinces, et non par les ministères fédéraux. « En conséquence, les solutions […] sont rarement simples », disait l’ombudsman dans son rapport de 2012. Bien que l’armée mette au point ses programmes pour les familles, il y a des réductions de personnel et des réorganisations de l’administration du soutien aux familles à un moment où on a besoin de stabilité et de concentration pour s’occuper des retombées de la mission de combat en Afghanistan. On estime à 10 000 le nombre de personnes qui auront des problèmes mentaux et à 3 000 le nombre de cas de TSPT graves qui feront surface au cours des prochaines années.

Les familles aux prises avec le TSPT, exténuées à cause des crises de tous les jours, n’ont pas l’énergie qu’il faut pour chercher des services, ni la patience pour la pape-rasse. « Ils vous donnent une chance », dit la travailleuse sociale Helena Gillespie, coordonnatrice de la liaison avec les familles à l’Unité interarmées de soutien au personnel, à la base d’Edmonton. S’ils sont envoyés à quelqu’un qui ne comprend pas la culture militaire, s’ils sont mal avisés ou si on leur donne le mauvais numéro de téléphone, ou bien s’ils appellent et qu’il n’y a pas de réponse, ils disparaissent.

Les familles seraient mieux servies, dit Gillespie, si elles prenaient part au programme de soins du militaire dès le début, et si l’on reconnaissait que les familles affectées par les TSO ont besoin de plus que les services de base. « Il leur faut leur propre soutien médical. » Et il faudrait les soigner en même temps que le militaire.

Bien que les Canadiens aient tous accès aux soins de santé de leur province, le système de soins des Forces a été créé pour les militaires. On s’est lentement aperçu que les familles militaires ont des besoins particuliers elles aussi qui sont reliées au service militaire, des besoins que le système civil ne peut pas satisfaire. Comme la manière de s’occuper du TSPT dans la culture militaire, où l’autonomie et l’endurance malgré la douleur et les difficultés sont des vertus, même dans la famille.

Pendant que Ted s’effondrait, Angelle endurait, elle assumait malgré tout son comportement bizarre et effrayant, coordonnait ses besoins médicaux et ses rendez-vous, jonglait avec son emploi et l’éducation de leurs deux garçons. Elle devait remplir une montagne de formulaires, chacun comportant des acronymes qu’elle ne comprenait pas, et tous ayant une date butoir. Ted ne pouvait pas s’en occuper. Elle ne pouvait pas compter sur les services à la base parce qu’ils n’étaient offerts que pendant les heures où elle était au travail, et il y avait une heure d’autoroute à parcourir pour se rendre à la base. Les uniformes militaires aussi étaient des déclencheurs pour Ted.

Les choses n’allaient pas beaucoup mieux après que Ted a prit sa retraite, quand les Peacock ont commencé à traiter avec Anciens Combattants Canada.

La nouvelle Charte des anciens combattants, qui est entrée en vigueur en 2006, donne à ACC une plus grande marge de manœuvre en ce qui a trait à la prestation des services aux membres des familles, dit Anne-Marie Pellerin, directrice de la gestion des cas, de la réadaptation et des services de santé mentale. Les conjoints peuvent tirer parti de la nouvelle formation si l’ancien combattant ne le peut pas, et le counselling leur est offert par l’entremise du Service d’aide d’ACC. Les services des cliniques pour blessures de stress opérationnel sont aussi à la disposition des familles quand les problèmes mentaux sont liés aux maladies des anciens combattants ou font partie des plans de traitement. Si l’ancien combattant a choisi le Régime de soins de santé de la fonction publique quand il a quitté l’uniforme, des programmes d’avantages exhaustifs couvrent une partie du cout des traitements de la famille. Les familles des anciens combattants peuvent aussi tirer parti du réseau de soutien par les pairs du programme de SSVBSO.

Mais les familles des anciens combattants ignorent souvent l’aide qui leur est offerte, surtout si l’ancien combattant n’a pas fait de demande d’avantages auprès d’ACC.

En 2011, l’ombudsman des vétérans, Guy Parent, a reçu 600 appels concernant les problèmes des familles. « Les familles appellent souvent en situation de crise : elles ont un besoin d’aide urgent et elles ne savent pas vers qui se tourner, disait-on dans un rapport en 2013. Durant la pé-riode de transition de la vie militaire à la vie civile, c’est-à-dire au moment où les services de soutien sont les plus nécessaires, la famille de membres des Forces canadiennes blessés ou malades ne devrait pas avoir à subir la réduction ou l’élimination de services. » ACC est en train de fermer huit bureaux de district, dans le cadre des compressions budgétaires du gouvernement fédéral, et de supprimer 800 postes, presque 20 p. 100 des 4 153 fonctionnaires qu’il avait en mars 2009. À ce moment-là, il comptait 219 150 clients. Il en avait 211 675 à la fin de 2012. Le ministère dit que les réductions n’affecteront pas le service, car sa clientèle diminue à mesure que les vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée s’éteignent. Mais les critiques argumentent que la complexité des cas des anciens combattants modernes supplée à cette perte, et les réductions contribuent à la détérioration du service.

« Anciens Combattants Canada manque beaucoup de puissance, dit Angelle. Il y a trois ou quatre travailleurs sociaux qui ont été chargés de notre cas. » Chaque fois qu’il y a un changement, Ted doit réexpliquer son dossier, et il en est troublé, alors Angelle doit dire au nouveau chargé de cas de l’appeler, elle, plutôt que Ted. « Il faudrait peut-être lire le dossier avant d’appeler », dit Angelle.

« D’un côté, j’aimerais dire qu’ils font un travail excellent, dit Angelle, et d’un autre, je dirais que c’est comme une compagnie d’assurance qui va vous ponctionner tant qu’elle peut. »

[ILLUSTRATION : OWEN FREEMAN]

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Anciens Combattants Canada décide des allocations selon la gravité de l’invalidité et de la mesure dans laquelle elle a été causée par le service militaire. L’invalidité de Ted a été évaluée à 36 p. 100. « D’après moi, quand on est blessé à 36 p. 100, on peut encore fonctionner dans la société. » Il ne s’agirait pas de quelqu’un qui ne peut pas occuper un emploi ni prendre part au ménage. Angelle a fait appel de l’évaluation et a fini devant le Tribunal des Anciens combattants (révision et appel). « C’était horrible. Trois étrangers s’assoient devant vous pour vous juger. Et ils vous donnent ce qui, d’après eux, est une compensation raisonnable selon la perception qu’ils ont de votre vie après une heure ou deux passées avec vous. »

L’invalidité de Ted a été réévaluée à 73 p. 100. Les avantages d’ACC auxquels il a eu droit comprennent le paiement forfaitaire pour invalidité et l’entretien du ménage et du terrain du Programme d’autonomie des anciens combattants. Il n’a pas profité des services de transition de carrière, ne croyant pas qu’il puisse un jour occuper un autre emploi. Les revenus de la famille sont moins élevés, mais Ted dit qu’Angelle mène une carrière de professionnelle et qu’il a droit à une pleine pension.

L’argent risque d’être plus problématique pour le caporal-chef Jake Wilkinson de l’escadron des transmissions du quartier général du 1er Groupe-brigade mécanisé du Canada. Jake pourrait être libéré pour raison médicale avant d’avoir droit, dans quatre ans, à une pleine pension militaire, et son épouse, Sherrie, n’a pas un emploi bien rémunéré. S’il est libéré, il veut profiter de la formation de carrière en vertu de la nouvelle Charte des anciens combattants.

Les Wilkinson habitent à quelque 15 minutes de la BFC Edmonton, une maison pleine de fouillis, de rires et de bonne humeur. Et d’amour. Beaucoup d’amour. C’est évident de par les plaisanteries, les contacts, la manière dont ils terminent les phrases de l’autre, les rires. Jake, Sherrie et leur famille, Connor, 20 ans, Lucas, 14 ans et Ethan, 11 ans, supportent les expériences en TSPT dans l’humour et l’honnêteté. Mais ils ne rient pas du manque d’appui. « Il me déplait de dire que les services en santé mentale militaires nous ont fait défaut. Comme immensément », dit Jake.

Jake a perdu un œil en Afghanistan, en 2008. Après la gamme  de tests et de traitements du début, sa mémoire a flanché, il ne pouvait plus supporter de se trouver dans une foule, il se fâchait rapidement. Les Forces ont envoyé les Wilkinson chez un conseiller matrimonial à l’extérieur de la base. Mais les symptômes n’ont fait que s’aggraver. Jake est devenu suicidaire. Quand, en 2010, il est allé passer des tests, il a été étonné d’apprendre qu’on lui avait diagnostiqué un TSPT et un trouble dépressif majeur en 2008. « On m’a dit qu’il est passé entre les mailles du filet », dit Sherrie.

Leur expérience pour obtenir de l’aide pour Jake n’en est pas une qui inspire la confiance.

« Je suis allé à la clinique de la détresse quatre ou cinq fois », dit Jake. On lui promit des appels de suivi. « Une semaine après, j’y allais demander pourquoi personne ne m’avait appelé, et j’apprenais qu’on m’avait oublié. Comment peut-on oublier? » Il a fallu des mois pour que Jake obtienne de l’aide des Forces. En attendant, leur conseiller matrimonial a envoyé Jake chez une thérapeute à l’extérieur de la base. « Si je n’étais pas allé la voir, je n’aurais pas pu endurer ces mois supplémentaires. »

Jake a fini par obtenir une thérapie et des médicaments par l’entremise des Forces. « Quand je suis retourné travailler, ils ont été très obligeants. » Jake est encore dans les Forces, travaillant à temps partiel selon une ordonnance médicale.

Leur fils aîné a aussi obtenu des services de thérapie à court terme dans le cadre du programme d’aide aux militaires. Lorsque Jake s’en allait à vau-l’eau, à son retour d’Afghanistan, Connor a éprouvé de l’anxiété, et il est devenu protecteur à l’excès. « Je restais toujours à la maison, je ne sortais jamais. Je ne faisais rien du tout. Il fallait que je m’assure que tout allait bien pour Jake. » Par la suite, Connor pensait encore à Jake, mais il ne se sentait plus obligé de rester à la maison.

Sherrie aussi avait besoin d’aide. « Mais vu le temps d’attente, mes occupations, et d’être obligée de tout recommencer avec quelqu’un de nouveau; rien que d’y penser, c’était beaucoup trop. »  Un programme pour enfants dont les parents ont été victimes d’un traumatisme a aidé les garçons plus jeunes.

Plus de 50 jeunes ont pris part à ce programme créé au Centre de ressources pour les familles des militaires d’Edmonton par Helena Gillespie et sa sœur jumelle Jerris Popik, travailleuse sociale spécialiste du soutien aux familles, en collaboration avec la Légion royale canadienne et la direction des Services de santé de l’Alberta. Le programme, qui s’appelle maintenant iSTEP (Individual Success Through Empowered Peers (succès individuel grâce à des pairs qui se prennent en charge, NDT)), est offert dans des centres d’un bout à l’autre du pays. Il s’agit d’un  endroit où les enfants se sentent à l’aise pour parler. Un blogue permet aux enfants plus âgés de poser des questions de manière anonyme.

« Le programme les aide à créer leur propre système d’appui et à acquérir des aptitudes pratiques pour composer avec leurs sentiments et leur stress », nous explique Gillespie.

Sherrie Wilkinson dit que c’était un endroit où ses garçons pouvaient parler librement de leurs sentiments. Mais les Wilkinson n’ont toujours pas entièrement confiance à l’engagement de la Défense envers les militaires pour ce qui est des problèmes de santé mentale, et encore moins envers les familles. Maintenant que le rôle de combat du Canada a pris fin, Sherrie a peur que les réductions de service affectent les militaires blessés à venir. Jake ajoute : « Et si c’est pas là pour les militaires, c’est pas là non plus pour les conjoints ni pour les enfants. »

Plusieurs termes ont été inventés pour décrire l’assaut contre la santé mentale des familles : TSPT par personne interposée ou secondaire, épuisement des soignants ou usure de compassion, syndrome de stress traumatique secondaire. Les membres des familles manifestent les mêmes catégories de symptômes – remémoration de l’expérience, évitement, éveil – que les personnes souffrant d’un TSPT. Ces dernières revivent le traumatisme au moyen de flashbacks et de cauchemars. Pour éviter les déclencheurs, elles deviennent distantes émotivement, et elles sont irascibles et nerveuses. Conscientes des déclencheurs, les familles protègent ou assistent la personne souffrante, elles se désaffectionnent ou dépriment, et elles sont facilement poussées à la colère, au ressentiment et à la culpabilité.

« On peut dire sans avoir peur de se tromper qu’entre 30 et 50 p. 100 des membres des familles expérimen-tent des retombées quand ils habitent avec quelqu’un qui a une maladie mentale grave », dit le psychologue clinicien Norman Shields, directeur de la recherche du réseau national des traumatismes liés au stress opérationnel.

La dépression est la plus commune des retombées, dit Shields. Les conjoints ont l’impression de ne pas avoir de contrôle sur les symptômes, et les enfants ont l’impression que le monde échappe à tout contrôle. Les thérapies et les programmes qui aident les familles à se concentrer sur ce qu’elles peuvent contrôler sont utiles.

Et puis il y a la colère.

La fourgonnette de la famille est au bord de l’autoroute. Ted a les mains sur les oreilles; ses yeux sont fermés. Il ne peut plus supporter de conduire, ni d’entendre les enfants qui s’agitent et Angelle qui veut discuter d’un achat qui, d’après elle, était malavisé.

« Arrêtez donc de vous disputer », dit Callum.

« On ne se dispute pas, répond Angelle. Tout va bien. »

« Est-ce que papa va battre quelqu’un? »

« Non. As-tu déjà vu papa battre quelqu’un? Pourquoi demandes-tu ça? »

« Je ne sais pas, répond Callum. Parce qu’il est fâché. »

Les enfants savent que la colère peut mener à la violence : ils l’ont vu assez souvent dans les bandes dessinées et les émissions policières à la télé, ainsi qu’aux nouvelles et dans la cour d’école. Il y en a qui la voient à la maison.

Comment les excès de colère de Jake affectent-ils sa famille? Ethan dit d’une voix flutée : « C’est grâce à ça que je sais comment réparer les panneaux de revêtement. » La famille manie l’humour même ici. La visiteuse voudrait-elle voir les trous que Jake a faits à coups de poing? Ils rient à propos de la manière dont Jake a « réparé » la porte de la salle de bain qui était coincée; il l’a ouverte d’un coup de pied. La porte doit être réparée à nouveau : maintenant, on ne peut pas la fermer. Les réactions précipitées de Jake affectent la manière dont les enfants jouent. Connor et Jake s’approchaient autrefois doucement l’un de l’autre pour se surprendre. La première fois que Connor a essayé après le retour de Jake d’Afghanistan, il a « presque reçu un coup de poing ». Bien que Jake n’ait jamais été violent chez lui, les garçons sont sur leurs gardes à cause de ce qui pourrait arriver si Jake avait une réaction de TSPT pendant qu’ils se bagarrent.

Mais les gamins ne sont pas les seuls que la colère dérange. Caitlyn, épouse d’un major à la retraite qui se fait encore soigner pour le TSPT, hésite en choisissant ses mots. « La colère de Philip est très… facile… à attiser. J’en avais vraiment peur avant… et des fois je m’en inquiète encore. »

Son époux s’alarme quand il entend cela. « Ma colère est-elle dirigée contre toi? »

« Non, dit-elle. Mais des fois ça en a tout l’air. […] C’est juste que je suis dans la zone des retombées. »

Les Forces armées canadiennes ont une politique contre la violence familiale. La police militaire a remarqué des hausses de la violence lorsque des unités sont revenues d’Afghanistan. En 2005 et 2006, 39 militaires ont été accusés de voies de fait sur le conjoint ou une personne à charge. Ce chiffre a grimpé à 132 au cours des deux années qui ont suivi. La violence familiale des militaires est probablement sous-rapportée, dit-on au ministère fédéral de la Justice, parce que les victimes sont réticentes ou incapables de divulguer les mauvais traitements; les conjoints militaires demandent d’abord de l’aide à la famille et aux amis. Des recherches aux États-Unis indiquent une violence et des agressions accrues dans les familles militaires qui supportent le TSPT, et que la violence augmente en même temps que la gravité des symptômes. Dans un groupe d’anciens combattants ayant un TPST, 42 p. 100 ont dit avoir été violents physiquement contre leurs partenaires et 92 p. 100 ont admis une agressivité verbale.

Il y a une brève période de lune de miel après un retour d’affectation. « Dieu merci, maman est revenue, papa est revenu, nous voulons la paix », dit Lubimiv. Et puis la réalité s’impose. « C’est difficile pour n’importe quelle famille, mais pour une famille où il y a le TSPT, il peut y avoir des explosions. »

Jessica, dont nous ne révélerons pas le nom véritable, n’a pas eu la lune de miel, mais elle a certainement enduré l’explosion. Elle a déménagé plusieurs fois depuis. L’homme qui est revenu de son affectation n’est pas l’époux qui était allé en guerre. Il avait un TSPT et une blessure à la partie du cerveau liée au comportement sexuel, au discernement, à la sympathie et à l’empathie. On lui avait dit de s’attendre à des changements, mais personne ne lui avait indiqué où trouver de l’aide lorsque son conjoint deviendrait violent, refuserait de suivre une thérapie, ne prendrait pas ses médicaments et se saoûlerait. « Je me suis demandé : dans quel monde je vis? »

C’était un monde cauchemardesque.

« De me trouver dans le même lit que lui, j’en avais froid dans le dos, parce que je ne savais jamais quand il allait avoir un épisode de TSPT », dit Jessica, c’est-à-dire qu’il risquerait de l’étrangler. Quand il la tenaillait, elle devait se débattre. « C’est comme si je me battais pour vivre. »

Et les choses se sont aggravées. Il partait pendant des journées entières, et il réagissait violemment si elle lui demandait où il était allé. Il revenait à la maison, au milieu de la nuit, ivre et nu, et Jessica était convaincue qu’il n’était pas allé nager. Elle subissait des tests pour détecter des infections transmises sexuellement et les résultats étaient négatifs. Jessica ne nageait pas en eau trouble, elle marchait dans un champ de mines.

Jessica a fini par répudier son mariage. « Au début, c’est la dénégation. Ensuite, c’est le mode “Bon! ça peut s’arranger”. Et puis c’est le mode “O! mon Dieu. Il faut que je nous protège, mes enfants et moi”. »

Après la séparation, Jessica a trouvé un emploi, puis elle a eu des prêts aux étudiants pour obtenir une formation. Ses enfants et elle ont reçu des dizaines de séances de thérapie au cours des cinq dernières années payées par le régime de santé provincial. Jessica prend des antidépresseurs et l’un de ses enfants prend des médicaments. Elle s’inquiète de leur avenir. « Quand on grandit près du TSPT, on n’a pas d’enfance. »

Jessica est en colère contre les Forces. « Quand c’est quelque chose dont vous êtes responsable, vous devriez nous aider. » Et elle trouve fâcheux de ne pas avoir droit à l’aide d’Anciens Combattants Canada parce qu’elle est séparée, bien que ses enfants aient droit à certains avanta-ges par l’entremise de son mari. Dans les cas comme celui-là, où la violence liée au TSPT est la cause de la séparation, les services aux familles ne devraient pas être offerts par l’entremise de l’ancien combattant ou du militaire, dit-elle.

Maintenant, ce que Jessica veut, ce sont des excuses, ou à tout le moins un aveu de responsabilité. « Je veux que quelqu’un de la Défense, un homme, pas une femme, mais un homme, me dise “nous savons ce que vous êtes en train d’endurer et nous sommes navrés. Nous sommes désolés qu’il n’y a pas eu d’aide pour vous”. »

Il existe une théorie selon laquelle il y a trois composantes à l’amour, trois côtés d’un triangle qu’on appelle la passion, l’intimité et l’engagement. Le juste équilibre en plein milieu, l’endroit où se créent les mariages qui durent, est un mélange parfait d’intimité émotionnelle, d’attirance sexuelle et de résolution de maintenir l’union. Il est pratiquement impossible pour le mariage d’un militaire de garder cet équilibre à cause des longues séparations lors des affectations et de l’entrainement, des déménagements fréquents, des longues heures où l’on a le devoir avant tout à l’esprit.

Le TSPT accroit les difficultés. Le sentiment d’engourdissement et le recul émotif causent des ravages pour ce qui est de l’intimité. Les symptômes déplaisants et les médicaments sont souvent la cause de dysfonction érectile et de la baisse de libido, ce qui écrase la passion. La colère, le ressentiment et la culpabilité sapent l’engagement. Depuis le début de la guerre en Afghanistan, le taux de divorce des militaires aux États-Unis a augmenté de 68 p. 100. Un ancien combattant souffrant de TSPT risque deux fois plus de divorcer, selon le U.S. National Center for PTSD, et trois fois plus de divorcer deux fois ou plus.

Le recul émotionnel est particulièrement difficile à endurer. « On donne, on donne, on donne et on donne, dit Angelle, et on ne reçoit rien en échange. C’est vraiment dur. »

L’engourdissement et l’isolement peuvent servir à maitriser la colère et l’anxiété, mais ils empêchent aussi les émotions positives comme la joie. « On ne peut pas bien rire avec quelqu’un à qui on ne parle pas », dit Shields. Les gens qui ont un TSPT évitent les fréquentations, ce qui signifie que le plaisir et l’amitié manquent aussi à leurs conjoints. La thérapie centrée sur les émotions peut aider les couples, dit Shields. Elle concerne surtout les liens entre les conjoints et sert à rebâtir l’intimité.

Demandez à Angelle ce qui l’aide à endurer, et elle vous répondra « l’espoir ». L’espoir, et le compromis et l’accommodation, des outils utilisés fréquemment dans les mariages affectés par le TSPT.

Ted Peacock accompagne Angelle aux fêtes, mais à un moment donné il s’excuse et cherche un endroit tranquille. « Nos amis savent qu’il ne s’agit pas d’impolitesse. » Ted reste plus longtemps qu’il voudrait; Angelle part avant qu’elle ne le souhaiterait. Et ils jonglent avec les parties de sport et les jeux des garçons.

Les Wilkinson ont décidé que l’aversion de Jake à l’égard des foules ne nuirait pas au plaisir des garçons de prendre part chaque année aux K-Days (exposition estivale d’Edmonton). Ils choisissent simplement les journées et les heures les moins achalandées. Jake a été obligé d’arrêter d’entrainer les équipes des garçons, et chez eux, Sherrie veille à ce qu’il n’ait pas besoin de s’occuper de plus d’un enfant à la fois.

Composer avec le manque de passion n’est pas si faci-le que ça. C’est difficile de ne pas prendre le manque de réponse sexuelle comme autre chose que du rejet. « Je pourrais porter quelque chose d’aguichant et je n’aurais pas de réaction », dit une épouse qui veut que son nom, et le nom de son mari, ne soient pas divulgués.

D’après une étude américaine, 85 p. 100 des vétérans de combats se faisant soigner pour le TSPT ont une dysfonction érectile, alors que ce n’est le cas que pour 22 p. 100 de ceux sans TSPT. Les couples qui éprouvent des problèmes de passion devraient en parler à leur médecin, dit Shields. Une modification de médicaments pourrait aider. Le problème, c’est que le système qui régit la réaction d’évasion ou de lutte régit aussi le désir sexuel, alors les médicaments qui réduisent l’anxiété et l’hypervigilance diminuent aussi la réponse sexuelle.

Pour la plupart des familles, les tempêtes passent. Une nouvelle normalité s’établit.

Caitlyn et Philip ont une relation romantique autour des symptômes de TSPT, d’une variété de fleurs et poésie. Leurs yeux s’adoucissent quand leurs regards se rencontrent, ils se touchent souvent : des attouchements doux qui s’attardent. Le parler de Philip est jonché de quolibets et de citations, et Caitlyn est souvent ravie de ses plaisanteries.

Ils sont tranquilles et décontractés quand ils discutent des difficultés liées au TSPT. Ils se sont rencontrés avant qu’il commence ses traitements et ils ont cohabité pendant quelques années avant de se marier, il y a deux ans. Philip dit que le mariage l’a beaucoup aidé à se rétablir. « Elle est mon refuge. Sans elle, je serais anéanti.

Les cauchemars et les flashbacks de Philip ont pratiquement arrêté, mais il suit encore une thérapie, il lutte encore avec ses démons. Il doit souvent quitter les activités sociales en plein milieu, il a toujours des problèmes de mémoire et il se met facilement en colère. « La vie est une série de compromis, dit Caitlyn. C’est rien que des affaires qu’il faut endurer. »

Le mariage de Ted et d’Angelle dure toujours. La question à savoir si Angelle s’en irait a été réglée il y a des années, après la première affectation de Ted en Afghanistan. « C’est une des choses quand on épouse un militaire : on sait pouvoir vivre sans l’autre, dit Angelle. Une fois, j’ai dit à Ted : “Je t’aime et je veux faire partie de ta vie. Je choisis de te garder dans ma vie.” »

Le ressentiment s’est estompé quand elle s’est aperçue que la normalité manque aussi à Ted, qu’il a grandement envie d’équilibre. « Mon mari ne boit pas, ne prend pas de drogues, ne s’intéresse pas à la pornographie dans Internet, il  ne joue pas, il ne se bat pas. Nous n’avons pas de disputes à grands cris. Il ne prend pas de congé de médicaments; il écoute les médecins. Il se rend à la thérapie et il veut guérir. Alors je sais que, chaque jour, Ted fait tout ce qu’il peut, et on ne peut pas en demander davantage. »

Ted Peacock sait pourquoi son mariage survit. « Le plus important, c’est la communication et le respect. On parle. »

Il ne mentionne pas l’amour, mais on le voit sur son corps. Les tatouages de Ted les plus visibles se trouvent à l’intérieur des bras : les noms et dates de naissance de ses fils. Il arbore une feuille d’érable avec un A majuscule entre les épaules : ses arrières sont toujours protégés par Angelle, dit-il.

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