La liste des participants à la Conférence des associations de la Défense (CAD) de cette année, qui a eu lieu au Château Laurier, au centre d’Ottawa, les 3 et 4 mars, a été aussi prestigieuse que d’habitude.
Bien que la vedette était sans nul doute le général David Petraeus, commandant du Central Command des États-Unis, le général et chef d’état-major de la défense Walter Natynczyk et les chefs de l’armée, de la marine et de la force aérienne étaient aussi de la partie.
Le discours d’ouverture du séminaire de l’Institut de la CAD, dont le thème était « La protection des intérêts nationaux du Canada dans un monde instable », a été prononcé par Eliot Cohen qui a mis la table, pour ainsi dire, grâce à son discours sur la guerre et la sécurité dans un monde instable.
Il vaut la peine de remarquer, pour des raisons de fierté canadienne, qu’il a commencé son alloctuion en parlant d’un entretien qu’il avait eu avec l’ancien chef d’état-major de la défense, Rick Hillier.
Cohen se souvenait que Hillier lui avait dit de ne pas « nous remercier d’être en Afghanistan. Ce n’est pas une faveur, et ce genre de remarque a quelque chose de condescendant. »
« En tant que diplomate, poursuivit Cohen, je me suis senti chagriné, mais j’ai compris le message. »
Cohen a ensuite enchainé avec son argument, décrivant en termes élémentaires les différences entre les conflits du 20e siècle et ceux d’aujourd’hui, disant principalement qu’il « s’inquiète que les États ont perdu le monopole de l’utilisation efficace de la force ».
Il dit que (l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), les Nations Unies, Al-Qaeda et Hezbollah sont toutes des entités qui font la guerre. Peut-être qu’à l’avenir l’Union européenne la fera aussi. Peut-être même que Google la fera.
Son point est que l’âge des guerres faites par les États a été remplacé par celui des guerres faites par de nombreux combattants qui se battent tous pour leurs propres intérêts. « Nous vivons dans un monde où il est difficile d’évaluer la puissance militaire : pas seulement les capacités de l’ennemi, mais les nôtres aussi », dit-il.
La nouvelle réalité du conflit entraine, d’après Cohen, la nécessité de redéfinir la guerre. Les termes comme « contrinsurrection », « maintien de la paix », « guerre conventionnelle » ne suffisent plus. Le nouveau terme est « conflit hybride ».
« Ces guerres peuvent durer très, très longtemps, dit-il. Rappelez-vous la guerre de Cent Ans. »
Pour finir, Cohen a fait quelques remarques pessimistes, mais intéressantes. « Si l’Iran obtient des armes nucléaires, il y aura une course aux armements nucléaires au Moyen-Orient et ce sera terrible. »
Cohen a aussi mentionné la crise démographique à venir en Asie, notamment en Chine, où il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes. « La testostérone est probablement la substance la plus dangereuse que l’humanité connaisse. »
La discussion la plus intéressante de la journée a peut-être été celle sur les leçons apprises en Afghanistan : toute la gamme des capacités, à laquelle a participé un groupe des plus grands
experts. Il s’agissait de Chris Alexander, ancien ambassadeur du Canada en Afghanistan et ancien représentant spécial adjoint aux Nations Unies; David Kilcullen, un des plus proches colla-borateurs de David Petreaus et auteur de The Accidental Guerrilla: Fighting Small Wars In The Midst Of A Big One (Le guérilléro accidentel : faire de petites guerres au milieu d’une grande); et le brigadier-général Jonathan Vance, commandant de la force opérationnelle afghane du Canada il y a peu.
Alexander a pris la parole en premier : « Il y a eu une période de quatre ou cinq ans où les États-Unis et leurs alliés n’ont pas assez essayé de comprendre les talibans, les [autres militants], les Pakistanais, etc. C’est en partie à cause de l’Irak, mais il y avait aussi un désir de fermer les yeux », dit-il.
Alexander poursuit en disant qu’il y a plus de Pathans (le peuple d’où viennent la plupart des talibans et dont les terres tribales enjambent la frontière) au Pakistan qu’en Afghanistan. « Ça ressemble plus à une invasion […] qu’à une insurrection », dit-il en conclusion.
Ensuite, ce fut le tour de Kilcullen, par vidéoconférence, de Fort Bragg, en Caroline du Nord. « Nous avons commencé en disant qu’il fallait un commandement uni, mais en y réfléchissant bien, nous nous sommes aperçus que ce pouvait être contreproductif. Alors nous sommes passés à l’idée d’efforts unis, en vue d’un impact intégré. Ça aussi, ça s’est avéré une chimère. Alors nous en sommes venus à penser qu’il faut établir un diagnostic commun. […] Je pense que notre stratégie actuelle est la bonne, poursuivit-il, finalement. […]
« Aussi, dit-il pour conclure, il y a une certaine frayeur parmi les Afghans à la pensée que nous allons tous les quitter. »
Vance a parlé franchement de l’histoire récente des Forces canadiennes en Afghanistan. « L’insurrection a éclos plus vite qu’on pensait. Entre 2006 et 2009, nous savions tous que c’était une insurrection et nous savions qu’il fallait appliquer des principes de contrinsurrection, mais c’était une période où les ressources étaient insuffisantes. »
Toutefois, Vance soutient que les ressources actuelles sont meilleures. « Nous nous sommes concentrés sur l’Afghanistan et encore plus sur le Kandahar. La coalition fait feu de tout bois et elle va remettre les commandes au gouvernement afghan. »
Vance a quand même remarqué que le retrait des Forces canadiennes du Kandahar, qui doit avoir lieu en 2011, est considéré comme une sorte d’échec militaire, tout au moins par lui.
La conférence a changé de titre jeudi matin, bien que sa fonction soit restée la même, et le séminaire s’est transformé en assemblée générale annuelle dont le thème était « Ressources et capacités des Forces canadiennes lors de l’exercice de leur puissance ».
Le discours de Natynczyk a commencé par un aperçu des opérations des Forces à Haïti et aux Jeux olympiques, ces derniers ayant été une réussite grâce au fait que les Forces ont fait profil bas.
À propos de l’Afghanistan, il dit qu’il a « des raisons de se sentir un peu optimiste. L’année 2010 va être difficile, mais c’est aussi l’année où on va y tourner une page.
« Il y a un an, il n’y avait que deux bataillons au Kandahar, maintenant, il y en a quatre et un autre se prépare à y aller. L’OTAN, pour la première fois, a les forces qu’il lui faut au Kandahar. »
Après la réunion d’un groupe d’experts sur les médias et l’armée et une présentation de James Soligan sur l’OTAN, il y a eu la réunion d’experts sur les intérêts nationaux et la projection de force du Canada et les capacités requises.
Le vice-amiral Dean McFadden, chef maritime, dit que nous sommes au bord d’un « siècle de la marine […] Tout ce qui défie […] les lois de la mer menace les intérêts du Canada ».
Ensuite, ce fut le tour du lieutenant-général Andrew Leslie de l’armée de terre, puis celui du lieutenant-général André Deschamps de la force aérienne, qui ont tous deux donné des aperçus de leur service.
Le général David Petraeus dit avec sérieux : « Le Canada fait toujours partie des quelques rares pays que nous, militaires américains, voulons le plus à nos côtés quand les choses se compliquent », dit-il, et puis il a exhibé un drapeau canadien qui a flotté au-dessus d’un bastion au Kandahar et qui, ces temps-ci, flotte dans son bureau.
Effectivement, c’est surtout de l’Afghanistan qu’il a parlé.
« Les attaques ont atteint un nombre record (l’an dernier), dit-il et l’augmentation de la violence a miné le gouvernement afghan. »
Les propos de Petraeus auraient pu être compris comme établissant subtilement le bien-fondé d’une présence militaire en Afghanistan au-delà de 2011. « Pour empêcher les extrémistes transnationaux de prendre refuge en Afghanistan, il faut plus que des forces antiterroristes. Nous devons bâtir les forces nationales de sécurité afghanes, stabiliser le gouvernement, remplacer les narcotiques comme sources de revenus et rétablir les parties réconciliables de l’insurrection. »
Il est à noter que cette dernière expression est un bon euphémisme pour l’idée, qui prend de plus en plus de force, comme quoi les négociations avec les éléments talibans modérés sont la prochaine étape cruciale vers la stabilisation de l’Afghanistan.
Lorsque les discussions sont passées aux questions liées au retrait des Américains et des Canadiens, Petraeus a clairement dit que la position du gouvernement de Barack Obama n’était pas d’abandonner en 2011, « mais plutôt de commencer le transfert de l’autorité de la campagne […] Le processus de transition sera fondé sur l’évaluation des circonstances de chaque localité, et il s’agira alors de réduire les forces, pas d’abandonner ».