Lancement du service

Les membres de l’équipage du NCSM Niobe prennent une pose pour une photographie prise avant la Grande Guerre. [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA139190]

Les membres de l’équipage du NCSM Niobe prennent une pose pour une photographie prise avant la Grande Guerre.
PHOTO: LIBRARY AND ARCHIVES CANADA—PA139190

Il y a 100 ans, le 12 janvier 1910, le gouvernement du premier ministre Wilfrid Laurier présentait le projet de loi du service naval. Après une troisième et dernière lecture, le 4 mai, le projet de loi recevait la sanction royale et Laurier, qui avait été premier ministre depuis 1896, réalisait un de ses rêves les plus précieux : l’institution d’une marine canadienne.

D’après le plan de Laurier, la flotte aurait cinq croiseurs et six destroyers torpilleurs. C’était une belle petite flottille capable de patrouiller au large des côtes canadiennes et assez grande aussi pour établir un service canadien, avec un chantier naval pour construire et maintenir la flotte, des bases d’opérations, des postes de recrutement, des écoles de formation et un collège naval. Un siècle après sa fondation, Laurier serait vraiment heureux de sa « belle petite flotte » grâce à laquelle le Canada est si bien servi.

Le vieux croiseur Niobe est en cale sèche à Halifax après le 6 septembre 1910, quand il a été mis en service dans la Marine canadienne. [PHOTO : NOTMAN STUDIO, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA — PA028497]

Le vieux croiseur Niobe est en cale sèche à Halifax après le 6 septembre 1910, quand il a été mis en service dans la Marine canadienne.
PHOTO: NOTMAN STUDIO, LIBRARY AND ARCHIVES CANADA—PA028497

Le chemin vers ce service naval national, toutefois, n’était certainement pas sûr, et le Canada a appris à la dure qu’il n’y a que la marine canadienne qui peut s’occuper de sa sécurité maritime. L’ambition de Laurier relativement à la construction d’un grand service national distinct a sombré lors de l’élection générale de 1911. Son projet était trop grandiose pour les isolationnistes du Québec, et trop chétif pour les Canadiens anglais impérialistes. Le nouveau gouvernement conservateur de sir Robert Borden essaya de canaliser les fonds vers la construction de cuirassés britanniques avant 1914; et la marine trainait. Il n’y avait que l’institution elle-même, le Royal Naval College of Canada (RNCC), et deux vieux croiseurs, le Niobe et le Rainbow, obtenus en 1910 pour servir à la formation, qui survivaient. Heureusement, les navires venaient avec des officiers et des équipages britanniques qui se languissaient de la patrie lointaine. Sans eux, la marine se serait effondrée, car le nombre de Canadiens qui désertaient la Marine royale canadienne était supérieur, avant 1914, à celui des marins qui y servaient. Au fur et à mesure que la MRC s’atrophiait, et que le Niobe pourrissait au quai d’Halifax, seul le Rainbow, assez petit pour qu’on l’utilise, avait une vie active, le maintien de l’ordre dans l’industrie du phoque au large de la côte ouest.

La Première Guerre mondiale prouva qu’on avait besoin d’une marine cana-dienne. En aout 1914, quand la puissante flottille asiatique de l’Allemagne — cinq croiseurs modernes — menaçait de tomber sur la Colombie-Britannique, seul le Rainbow était prêt à la combattre. Son capitaine, le commandant Walter Hose, reçut la consigne de l’intercepter et on lui conseilla de « se rappeler de Nelson et de la marine britannique ». Rainbow s’est peut-être approché d’un des croiseurs légers ennemis d’une cinquantaine de milles au large de San Francisco. Mais les Allemands « s’échappèrent » et le Rainbow fut sauvé d’une fin glorieuse et vaine. La flottille allemande avait mis cap au sud, où elle détruisit la force de l’amiral Kit Craddock, au large du Chili, en novembre; une bataille où moururent quatre aspirants : les premières pertes navales du Canada. Les Britanniques finirent par la détruire au large des Maldives.

Cependant, la côte de la Colombie-Britannique était gardée par les premiers sous-marins du Canada, achetés par le gouvernement provincial, en mer, à la noirceur de la nuit, à un chantier naval de Seattle, avec un chèque qui équivalait au budget naval entier, et par l’arrivée d’un navire de combat japonais.

En toute justice, la flotte impériale a fourni une couverture de la côte est pendant les premiers mois de la guerre, quand les risques des croiseurs ennemis étaient les plus grands. Le Niobe a participé à ces croisières jusqu’en 1915, quand son équipage était nécessaire pour armer une flotte de navires plus petits développée pour affronter le danger grandissant des sous-marins. Quand les U-boots sont arrivés dans les eaux canadiennes, en 1917 et 1918, la flotte impé­riale n’a rien fait pour l’aider : elle ne communiquait même pas des renseignements opportuns. Les Américains ont envoyé une aide modeste. Le Canada, toutefois, était presque entièrement seul, et la patrouille de la côte est de la MRC — une flotte de chalutiers, de dériveurs et d’ex-yachts — ne pouvait rien pour stopper les croiseurs allemands quand ils fauchaient la flotte de pêcheurs. Ce faisant, ils ont convaincu sir Robert Borden de l’importance de la marine.

En 1918-1919, Borden planifiait une flotte considérable et il espérait que l’amiral et lord John Jellicoe, engagé en 1919 pour planifier la marine, lui en donnerait un bon modèle. Mais la marine de Borden ne s’est jamais réalisée. Après la Grande Guerre, personne ne voulait payer pour les armes, et la conférence sur le désarmement à Washington, en 1921-1922, semblait éliminer le besoin de grandes forces navales. La récession de l’après-guerre et un changement de gouvernement firent le reste.

En 1922, le premier ministre Mackenzie King a taillé dans le budget de la défense jusqu’à la moelle. La plus grande partie de la flotte, le collège et l’école des équipages étaient relégués aux oubliettes. Pendant les deux décennies suivantes, la MRC professionnelle n’était guère mieux qu’une appendice de la flotte britannique. Il était même presque impossible de convaincre les Canadiens de s’y engager. Dans les années 1920, 75 p. 100 des membres du personnel étaient des britanniques détachés. La formation, les exercices à bord des navires et le développement de carrière typique d’un officier dépendaient de ses relations impériales. Le Canada est peut-être devenu indépendant en 1931, mais la marine épousait toujours le concept britannique « un drapeau, une flotte ».

Heureusement que pendant l’entre-guerres, tout n’était pas que noirceur : il y a eu deux développements vraiment importants. Le premier concernant l’institution de la Réserve navale des volontaires de la MRC en 1923. La RNVMRC, une idée de Walter Hose qui était alors directeur du Service naval, amena la Marine à 15 villes canadiennes et eut beaucoup de succès. Sous Hose, la Marine a atténué ses ambitions et s’est concentrée sur la construction d’une flotte de destroyers : les bâtiments qu’il fallait en 1917-1918 pour combattre les U-boots. Il s’agissait d’une flotte que le gouvernement canadien appuierait, et les premiers navires de guerre construits pour la MRC, le Saguenay et le Skeena, ont été commandés en 1927. Quand Mackenzie King a repris le pouvoir en 1935, la Marine a prospéré. Cela commença par l’achat de cinq destroyers britanniques à la fin des années 1930, et aboutit à la politique navale de King de janvier 1939.

Le plan naval de 1939 était assez grand pour établir un service naval national. Il comprenait deux nouvelles bases (Sydney (N.-É.) et Prince Rupert (C.-B.)) et nombre de nouveaux navires: neuf des­troyers — dont huit de la puissante classe Tribal — huit navires anti-sous-marins, huit torpilleurs, 12 dragueurs de mines et deux navires d’entreposage. Cela allait faire augmenter la MRC de 1 600 marins à 6 000, et il allait falloir planifier leur entrainement, ainsi que des écoles et de nouveaux établissements au pays.

La guerre a vite dépassé les plans de Mackenzie King, mais la petite flotte batailleuse de destroyers à l’acquisition de laquelle il avait participé pendant l’entre-deux-guerres a bien servi le Canada au cours des journées funestes qui ont suivi.

La Seconde Guerre mondiale s’est faite l’expérience navale formative du Canada. Le gouvernement de King a appuyé l’élargissement naval du tout début, et développé l’industrie et les chantiers navals pour la soutenir.

Entre 1939 et 1945, la Marine a grandi énormément, d’une force d’avant la guerre d’à peine 1 800 marins professionnels et une douzaine de navires, à presque 100 000 personnes et plus de 400 bâtiments à son terme. Profitant principalement de vaisseaux construits au Canada, la Marine fit bâtir de nouvelles bases, écoles, chantiers navals et établissements permanents au pays et à l’étranger.

En fait, deux marines canadiennes ont été bâties pendant la guerre, et elles se sont battues côte à côte pour des objectifs plutôt différents. La MRC professionnelle tira profit de la guerre pour faire progres­ser ses vieux plans d’acquérir une flotte convenable — avec des porte-avions en plus des croiseurs. En 1945, la MRC avait deux croiseurs (l’Ontario et l’Uganda), deux petits porte-avions, une couple d’escadrons aériens navals et une flottille de destroyers modernes, et le porte-avion Navire Canadien de Sa Majesté Warrior était en construction.

Entretemps, les réservistes navals — un personnel des « hostilités seulement » — armaient la flotte auxiliaire et prenaient part à la bataille de l’Atlantique. La « sheep dog navy » (marine chien berger) — qui se servait de petits navires construits principalement au Canada et basés au Canada — a contribué grandement à la victoire des Alliés.

Les officiers britanniques se lamentaient souvent des marins et des navires canadiens, mais les hommes de la Sheep Dog Navy avaient pour objectif de ga­gner la guerre, non pas de tracer un schéma de carrière. Au point culminant de sa puissance en temps de guerre, presque 92 000 des 96 000 membres de la Marine étaient ceux des « hostilités seulement ».

En été 1944, les capacités d’escorte et anti-sous-marines des Canadiens étaient si vastes que les Britanniques considéraient retirer pratiquement tous leurs navires anti-sous-marins et d’escorte de l’Atlantique et les envoyer en Extrême-Orient.

Le NCSM Iroquois lance un missile de défense aérienne Sea Sparrow en tournant rapidement au large de Porto Rico en 1976. [PHOTO : FORCES CANADIENNES]

Le NCSM Iroquois lance un missile de défense aérienne Sea Sparrow en tournant rapidement au large de Porto Rico en 1976.
PHOTO: CANADIAN FORCES

Cette expérience navale nationale et les ambitions de la MRC se sont affrontées pendant l’après-guerre et puis se sont assemblées pour produire la Marine canadienne moderne. En 1945, le gouvernement était prêt à laisser la MRC garder un porte-avion et plusieurs escadrons d’avions, deux croiseurs et quelques destroyers, mais Mackenzie King n’était pas d’accord. Et pour armer cette flotte plus grande, la Marine aurait dû garder son personnel des « hostilités seulement », qui n’étaient pas férus de la discipline et des manières de la Marine régulière. Brooke Claxton, ministre de la Défense nationale à la fin des années 1940 se souvient que « Les officiers supérieurs de la Marine étaient complètement aliénés non seulement du sentiment canadien, mais aussi du sentiment des officiers subalternes et des matelots à propos de notre nouvelle Marine ».

La confrontation a atteint un point critique en 1948 quand il y eut une série de mutineries. Elles étaient toutes des réactions aux tentatives d’imposer de vieilles traditions de gestion du personnel à la nouvelle Marine, et elles étaient toutes un arrêt de travail aux ponts inférieurs. La Commission d’enquête, sous la direction du contre-amiral Rollo Mainguy, prit la part de la « nouvelle » Marine. L’adversaire principal était le contre-amiral Harold T. Grant, qui était alors chef d’état-major de la marine. Grant avait ordonné d’enlever l’insigne d’épaule « Canada » des uniformes, les boutons où était inscrit « Canada » des manteaux des officiers généraux, et la grande feuille d’érable des cheminées des navires. Les insignes d’épaule « Canada », dit Grant à la Commission Mainguy, « ont l’air du diable sur n’importe quel officier […] ». Le Conseil de la Marine institua à nouveau les insignes d’épaule « Canada » pour les ponts inférieurs le 4 janvier 1950, mais Claxton dut intervenir pour élargir l’ordre aux officiers, y compris à Grant. « Il existe une opinion, parmi beaucoup de matelots et certains officiers, que la “tradition Nelson” est exagérée, a conclu la Commission, et qu’il y a encore une tentative qui passe la mesure sur le chapitre de faire de la Marine canadienne, une pâle imitation de la Marine royale. »

En conséquence de la commission Mainguy, la Marine a embrassé l’expé­rience du temps de la guerre de la Sheep Dog Navy comme étant formatrice. En octobre 1950, le jour de Trafalgar a été remplacé par le dimanche de la bataille de l’Atlantique comme jour férié officiel de la MRC, et la date de sa célébration a changé, en 1951, au premier dimanche du mois de mai en l’honneur de la victoire de 1943 contre les U-boats.

La Marine décida de changer d’une marine fondée sur les forces de frappe basées sur des porte-avions, à une marine d’escorte de convois et anti-sous-marine moderne. La guerre froide et la naissance de l’OTAN participèrent à la fusion de ces deux traditions. À la fin des années 1940, le Canada était rentré dans une alliance pratiquement identique à celle qui s’était battue à la Seconde Guerre mondiale, et le gouvernement accepta de se baser là-dessus pour bâtir une nouvelle flotte. Le porte-avion, chargé du nouveau rôle défensif aérien dans une flotte anti-sous-marine, fut gardé, et seuls les croiseurs furent perdus au milieu du brassage. La nouvelle flotte serait composée de 24 frégates anti-sous-marines : la classe Saint-Laurent.

La polyvalence et la portée d’une marine capable ont été fort bien illustrées en été 1950 quand les communistes ont envahi la Corée du Sud. La Marine est la première qui a réagi, envoyant trois destroyers. Après quelques combats à la côte ouest, les destroyers de la Marine en Corée se sont faits une réputation de « pourfendeurs de trains », détruisant les trains nord-coréens quand ils passaient par les voies de la côte est.

Entretemps, la flotte de la guerre froide croissait rapidement, la MRC acquérant des navires treize à la douzaine. En plus des Tribal de la Deuxième Guerre mon­diale et des nouveaux Saint-Laurent en construction, les frégates de classe River étaient récupérées aux biens de la Couronne et modernisées pour devenir des escortes de « Classe Prestonian », on construisait de nouveaux dragueurs de mines et on acquérait des chasseurs à réaction pour le nouveau porte-avion, le Bonaventure. Lors des célébrations du 50e anniversaire de la Marine, en 1960, la MRC disposait de 100 navires de divers types et de 10 000 personnes.

L’avènement des armes nucléaires, des missiles balistiques et de la propulsion nucléaire ont changé la situation en mer du tout au tout. En particulier, les sous-marins porte-engins à propulsion nucléaire constituaient un danger d’anéantissement et il fallait suivre leurs traces, mais même les nouveaux Saint-Laurent n’en étaient pas capables.

Une dizaine d’années après les mutineries de 1948, William Pugsley remarquait que « La “distance artificielle” [entre les officiers et les hommes] que le rapport Mainguy mentionnait existe encore aujourd’hui ». Cette barrière était heureusement perméable, la moitié des officiers de la MRC ayant été puisés dans les ponts inférieurs. Toutefois, le service est resté le plus « britannique » des trois. Charles Westropp, un des nombreux officiers recrutés en Angleterre pendant les années 1950, a été surpris à quel point la MRC était « britannique ».

Rien de tout cela n’aurait probablement été important si le gouvernement n’avait pas mis en cause la loyauté de la Marine. En 1952, les diplomates canadiens en Turquie n’ont presque pas réussi à empêcher le porte-avion Magnificent de prendre le large immédiatement quand « tous les navires britanniques » ont reçu la consigne de mettre le cap sur Malte, lorsque l’Égypte a renversé le roi Farouk. Son capitaine attendit un jour et puis il partit quand même. La guerre pour le canal de Suez entre la Grande-Bretagne et l’Égypte fut évitée en cette occasion-là, heureusement. Un cas d’action navale « indépendante » plus familière eut lieu lors de la crise des missiles de Cuba, en novembre 1962, quand la Marine est allée en renfort des États-Unis. Pendant que le gouvernement Diefenbaker hésitait, l’officier général de la côte atlantique donna l’ordre à la flotte de renforcer la United States Navy. Pendant des années après, la MRC s’est dite fière « d’être allée en guerre » pendant que le gouvernement hésitait, mais c’était un jeu dangereux. Diefenbaker ne fit rien contre la MRC. Les libéraux de Lester Pearson, eux, agirent peu de temps après leur élection.

En avril 1963, les libéraux prirent le pouvoir en promettant « 60 jours de décisions » sur les problèmes de l’intérieur, de l’économie et de la défense. Pearson poursuivit une politique distinctement Le Canada d’abord pendant que la population faisait de plus en plus de pression pour l’augmentation des dépenses sociales et qu’il y avait une révolution tranquille au Québec. Les changements sociaux, la pleine intégration du Canada français dans la fédération et un nouveau drapeau étaient parmi les premières en lisse. Le resserrement du crédit de la défense et le besoin de différencier les Forces cana-diennes des britanniques, l’ancienne puissance coloniale, l’étaient aussi.

Le NCSM Uganda a été rebaptisé NCSM Québec le 14 janvier 1952. [PHOTO : ARCHIVES DE LA REVUE LÉGION]

Le NCSM Uganda a été rebaptisé NCSM Québec le 14 janvier 1952.
PHOTO : ARCHIVES DE LA REVUE LÉGION

Nous ignorons ce que le ministre de la défense Paul Hellyer pensait exactement de la Marine avant d’accepter son portefeuille, mais, en été 1963, quand le commodore James Plomer décrivait publiquement la MRC comme un « parti démocrate américain en uniforme » dirigé par des officiers qui voyaient la Marine comme « leur propre domaine particulier », Hellyer jugea que c’était son devoir de « chercher à savoir si la situation était aussi mauvaise qu’on le disait ».

Malheureusement, il alla visiter le contre-amiral Jeffry Brock, qui prenait plaisir à la grande pompe du commandement d’un amiral. « L’hospitalité du vieux monde n’était possible qu’en traitant les matelots ordinaires comme des laquais », racontait Hellyer dans ses mémoires.

La bataille à propos de l’unification qui s’est ensuivie entre la MRC et Hellyer a été amère. Hellyer commença par faire prendre sa retraite « prématurément » au chef d’état-major de la marine, l’amiral Herbert S. Rayner, à la fin juillet 1964 et par renvoyer Brock le 5 aout. D’autres officiers, comme le commodore Fraser Harris natif de Grande-Bretagne, le chef adjoint de l’état-major de la marine (guerre aérien­ne), prirent simplement une retraite anticipée. En contrepartie, la Marine nomma Bill Landymore pour remplacer Brock. Cela allait être la punition de Hellyer.

Le 15 février 1965, la MRC remplaçait ses pavillons blancs par le nouveau drapeau canadien à feuille d’érable. La plus grande partie du personnel naval accepta ce changement de bonne grâce, mais la perspective d’unification — la fusion des trois services en un — amena la Marine à se quereller ouvertement avec le gouvernement. L’annonce faite par Hellyer en juin 1965 comme quoi un nouvel uniforme et une nouvelle structure de grades uniques seraient en place le 1er juillet 1967 — le centenaire du Canada — éclata dans la Marine comme une bombe. Landymore conseilla à son personnel de soulever leurs préoccupations auprès du public, par le truchement d’une vieille clique qui martela le gouvernement sans cesse au Parlement et dans les médias.

La position de Hellyer sembla se radoucir au début de l’été 1966, quand on annonça que les régiments de Highlanders de l’armée garderaient leur uniforme officiel distinctif. Landymore se rendit à Ottawa en juillet pour soulever la question en personne auprès de Hellyer. Rien n’y fit. En fait, Hellyer ordonna à Landymore de prendre sa retraite. Landymore se fit dire, quand il refusa, qu’il serait limogé dans quatre jours. En quittant le bureau de Hellyer, Landymore rencontra le commandant de la côte ouest, le contre-amiral Mickey Stirling, qui attendait pour offrir sa démission. Le 16 juillet 1966, Landymore recevait des adieux de héro à Halifax.

Hellyer dévoila le nouvel uniforme en aout : une imitation vert bouteille de l’uniforme de la United States Air Force. Personne ne savait pourquoi les Highlanders pouvaient garder leur kilt mais la Marine devait se débarrasser de ses uniformes distinctifs. La question des uniformes éclata à Halifax en septembre, quand Hellyer essaya de défendre ce qu’il avait fait dans un carré plein d’officiers en service. Il y eut presque une émeute quand il dit à la Marine qu’elle devait croire que leur uniforme était décrété par Dieu.

L’amertume et l’acrimonie du débat grandirent alors que le projet de loi C243 était adopté à la Chambre, en mai 1967 et mis en vigueur, le 1er février 1968. Ce jour-là, la Marine royale canadienne (ainsi que l’ARC et l’Armée) cessèrent d’exister. Elles furent remplacées par un service unifié et une série de commandements fonctionnels, et la flotte se trouvait dans ce qu’on appelait le Commandement maritime. Les uniformes navals disparurent officiellement le 1er juillet 1970. La Marine ne sauva que de rares vestiges de son ancienne identité. Le prénom « NCSM » fut maintenu pour les navires et les branches qui allaient en mer furent épargnées l’embarras de la structure de grades de l’armée (selon laquelle les navires auraient été commandés par des lieutenants-colonels).

L’humiliation de l’unification eut lieu en parallèle avec une diminution du budget pendant les années 1960. La modernisation demandée à la fin des années 1950 pour affronter les nouvelles menaces fut en partie réalisée en transformant quelques Saint-Laurent en porte-hélicoptères (les classes DDH) et en adoptant le Sea King avec son sonar immergé pour répondre aux sous-marins plus rapides. Les vieux navires de la Seconde Guerre mondiale, y compris les destroyers, furent remplacés par quatre nouveaux bâtiments de classe DDH 280 : les Tribal. Trois sous-marins de classe O furent acquis pour l’entrainement et trois navires ravitailleurs furent terminés dans les années 1970. Pour sauver la flotte, la Marine fut obligée de se débarrasser de ses porte-avions. En règle générale, le nouveau gouvernement de Pierre Trudeau voyait les forces armées comme des engagements symboliques envers l’OTAN et les laissa dépérir.

Les années 1970 furent donc des années d’hémorragie pour la Marine canadienne. Ses membres déprimés à cause des réductions et de l’unification, et de l’uniforme vert, la flotte vit ses capacités opérationnelles s’engouffrer rapidement. À la fin de la décennie, le seul potentiel de première ligne qu’il lui restait était celui de la guerre anti-sous-marine. Cependant, l’avènement des missiles à trajectoire rasante signifiait qu’à la fin des années 1970, même le golfe du Saint-Laurent n’était pas sûr pour les navires de guerre canadiens. Pour utiliser leur capacité anti-sous-marine résiduelle en sécurité, les forces navales cana­diennes devaient être escortées par des navires des autres marines de l’OTAN.

Heureusement que dans les années 1970 a aussi eu lieu le début de la renaissance navale qui a résulté en la construction de la deuxième flotte de la guerre froide et les évènements qui ont mené la Marine au 21e siècle. Au milieu de la décennie, le mauvais état des forces classiques de l’OTAN empirait le danger d’une attaque préventive des Soviétiques. En mer, cela voulait dire la modernisation de la Marine et, en décembre 1977, le gouvernement annonçait qu’il allait acquérir une flotte opérationnelle de 24 grands navires de surface. Il faudrait du temps pour mettre ces bâtiments à l’eau et en 1978 fut mis en marche le Programme de prolongation de la vie des destroyers (DELEX). Un projet de remplacement de l’hélicoptère Sea King fut aussi annoncé en 1977. D’autres annonces eurent lieu dans les années 1980, y compris celle d’un programme pour actualiser les sous-marins de classe O, de sous-marins pour la formation, à des sous-marins opérationnels, et un plan de réarmer les quatre DDH 280.

La renaissance navale se poursuivit jusqu’à la fin de la guerre froide. Parmi les plans les plus ambitieux, il y avait ceux d’une flotte de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire. Apparemment, ils devaient servir de réponse aux activités soviétiques en Arctique canadien. Un deuxième lot de FCP fut aussi commandé dans le cadre de cette expansion.

Bien entendu, les éléments de l’explosion de la construction navale de la guerre froide n’ont pas tous été réalisés. Le contrat des FCP a été attribué en 1983, le programme DELEX a été exécuté, et l’actualisation des sous-marins et des Tribal aussi. Mais le projet de sous-marins nucléaires s’est effondré à la fin de la guerre froide et les nouveaux hélicoptères sont demeurés un rêve insaisissable pendant les 30 années qui ont suivi. La bonne nouvelle, en 1990, c’était que la Marine avait une grande quantité d’équipement mo­derne et qu’une grande partie de la formation se faisait grâce aux nouveaux systèmes, de sorte que la flotte existante pouvait être modernisée, avant qu’une force opérationnelle démarre à la première guerre du Golfe, en automne 1990.

En plus de reconstruire la flotte, les gouvernements des années 1980 recons­truisirent le moral du service. En 1983, le Quartier général de la Réserve navale déménageait à Québec pour mettre en valeur la présence de la Marine dans la province et pour y encourager un milieu accueillant pour les francophones. La manœuvre eut un succès remarquable : la Marine devint fonctionnellement bilingue et les francophones se mirent à monter en grade. La Marine retrouva aussi ses uniformes bleus — et blancs en été — en 1985, en tant que cadeau à l’occasion de son 75e anniversaire.

Quand le mur de Berlin s’est écroulé, en 1989, la renaissance de la Marine cana­dienne était bien en train. La deuxième flotte de la guerre froide était au pilori, la flotte existante se faisait moderniser, le moral avait été remonté, et la collectivité francophone du Canada se sentait chez elle dans le service. Les jours noirs de l’uniforme vert l’avaient purgée de toute notion qu’elle était autre que canadienne. Dans une mesure considérable, le rêve de Laurier s’était réalisé.

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