La Médaille du sacrifice mêle la fierté au malheur

C’est une journée où les émotions sont mêlées pour le capitaine Simon Mailloux. Le matin, il est une des 46 personnes à qui la gouverneure générale Michaëlle Jean décerne la Médaille du sacrifice et, le soir, on l’envoie à nouveau servir en Afghanistan.

Il est philosophe lorsqu’il parle aux reporteurs après la cérémonie du 9 novembre, à la Résidence de la gouverneure générale, à Ottawa, maintenant qu’il a besoin d’une prothèse pour marcher. « Aller à la guerre, c’est pas quelque chose qu’on aime faire : c’est quelque chose qu’on doit faire », dit-il.

Il faut savoir qu’il était lieutenant dans le 3e Bataillon du Royal 22e Régiment, quand le VAL III qu’il commandait a roulé sur un dispositif explosif de circonstance près de Ma’sum Ghar, en Afghanistan. Deux autres militaires ont été tués lors de l’incident : le caporal Nicolas Beauchamp et le soldat Michel Lévesque.

Il a fallu amputer Mailloux en bas du genou gauche. Il marche avec assurance et dit que « c’est difficile, en tant qu’amputé, de prouver aux Forces canadiennes qu’on peut encore servir ».

Lors de sa mutation en Afghanistan, il servira derrière le front, à planifier les stratégies « Je ferai ce qu’il faudra que je fasse, dit-il. Je peux être têtu. »

Le souvenir de la blessure et de la perte se mêlent à la fierté pendant la cérémonie, quand la gouverneure générale parle aux militaires et aux familles qui recevaient les premières Médailles du sacrifice.

« Il y a quelques semaines, je suis retournée en Afghanistan pour la seconde fois depuis le début de mon mandat. Je vous ai vus à l’œuvre, vous qui vous efforcez d’assurer la sécurité et la stabilité dans cette région du monde aux prises avec la violence, l’oppression et la misère. Je connais les conditions périlleuses dans lesquelles vous travaillez et les risques énormes auxquels vous êtes exposés, dit Jean. Je sais aussi la profondeur de votre engagement et la solidité des liens qui vous unissent, à la vie, à la mort. Pour vous, abandonner votre mission ou votre peloton n’est pas une option. »

Vingt-et-une des médailles décernées l’ont été à titre posthume. « D’ailleurs, je reconnais ici bien des visages, dit Jean. J’ai rencontré plusieurs d’entre vous sur le tarmac, à la base militaire de Trenton. Vous avez accepté que je vous accompagne dans le deuil que vous traversiez, et je vous en remercie. »

À la gouverneure générale se sont joints, pendant la cérémonie, le premier ministre Stephen Harper et le général et chef d’état-major de la défense Walter Natynczyk, qui, tous deux, ont serré la main de chaque médaillé et bavardé un instant avec lui. On pouvait entendre, partout dans la salle silencieuse les tapes d’encouragement de Natynczyk sur l’épaule de ceux qui ne s’enlèveraient pas l’uniforme.

Le caporal-chef Paul Franklin, qui a perdu les deux jambes lors d’un attentat suicide à la bombe pendant sa deuxième affectation dans l’équipe provinciale de reconstruction et qui aide les autres militaires blessés, est l’une des personnes à qui la médaille est décernée. Le bombardier-chef Bounyarattanaphon Makthepharak, qui a subi de graves blessures internes quand il a été frappé par des éclats lors d’une attaque à la roquette, à la base de l’aviation de Kandahar, en 2006, s’est joint à lui. Ils ont tous deux fait l’objet d’un de nos articles sur les soldats qui récupèrent (The Quiet Fight [non traduit], novembre/décembre 2007).

Le caporal-chef Jody Mitic, qui a perdu les deux jambes en dessous du genou quand il a marché sur une mine terrestre, en 2007, était aussi présent pour recevoir sa décoration. Il avait été acclamé par Natynczyk lors de la course de cinq kilomètres à laquelle il participait pour ramasser des fonds pour le St. John’s Rehabilitation Hospital de Toronto (En déplacement avec le chef d’état-major de la défense, juillet/aout).

De nombreuses histoires tristes nous viennent à l’esprit quand les parents s’avancent pour accepter les décorations posthumes, dont l’une est décernée à la capitaine Nichola Goddard, la première combattante à mourir lors d’un échange de coups de feu et au diplomate Glyn Berry, dont l’automobile a été attaquée par une bombe humaine.

Le lieutenant (Marine) Christopher Saunders, mort dans l’incendie à bord du Navire canadien de Sa Majesté Chicoutimi quand le sous-marin qu’on venait d’acheter en Angleterre traversait l’Atlantique, en 2004, est également reconnu.

En deux mots, la Médaille du sacrifice est décernée aux membres des Forces canadiennes qui ont été blessés ou tués au combat après le 7 octobre 2001. Elle peut aussi être décernée de manière posthume à n’importe quel membre des Forces canadiennes mort dans des circonstances hono­rables des suites d’une blessure ou d’une maladie liée au service militaire.

Elle sert aussi à reconnaitre les blessures qui nécessitent au moins sept jours à l’hôpital ou une série de traitements équivalente causée par l’exposition aux éléments par suite de la destruction ou de la mise hors d’état, en raison d’un acte d’hostilité, d’un aéronef, d’un véhicule ou d’un navire, un traitement sévère ou la négligence lors de la détention de la personne par des forces ennemies, ou l’emploi d’agents nucléaires, biologiques ou chimiques par des forces ennemies.

Une effigie contemporaine de Sa Majesté la reine du Canada portant un diadème canadien composé de feuilles d’érable et de flocons de neige est à l’avers de la médaille. Les mots « Elizabeth II Dei Gratia Regina » et « Canada » y sont inscrits.

Au revers de la médaille se trouve la figure maternelle du Monument commémoratif du Canada à Vimy (France) qui pleure pour ses fils perdus. L’inscription « Sacrifice » se trouve en bas à droite de la médaille.

Le ruban est un ruban moiré de 32 millimètres de largeur comportant une bande centrale noire de 10 millimètres, bordée de chaque côté d’une bande rouge de 11 millimètres qui porte en son centre une bande blanche d’un millimètre. Le noir représente le deuil pour les morts et le choc des blessures, le rouge représente le sang versé et le blanc, l’espoir pour un avenir meilleur. Le rouge et le blanc sont aussi les couleurs officielles du Canada tel que décrété par le roi George V en 1921.

La Médaille du sacrifice est assujettie à la Directive canadienne sur les ordres, décorations et médailles, entre la Médaille royale de Victoria et la Médaille du Golfe et du Koweït. Une agrafe peut être décernée pour les occasions supplémentaires qui mériteraient qu’on décerne la médaille.

La médaille est fabriquée par la Monnaie royale du Canada en argent sterling et laquée pour qu’elle ne ternisse pas. On grave sur les médailles le numéro matricule, le grade, les initiales et le nom de famille du détenteur militaire ou les prénoms et nom du détenteur civil.

Ben Walsh de Regina était à la cérémonie pour accepter la médaille décernée à titre posthume à son fils, le caporal-chef Jeff Walsh, qui a été tué par balle, tirée accidentellement par un compagnon de patrouille à Kandahar, en 2006. Selon les critères annoncés le 29 aout 2008, Jeff Walsh n’aurait pas eu droit à la médaille puisque son décès n’était pas le résultat d’un geste hostile (Admissibilité à la Croix du Souvenir élargie, mars/avril).

C’est pourquoi Ben Walsh, un ancien membre de la Gendarmerie royale du Canada, a organisé la campagne pour la révision des critères. Peu après, le ministre de la Défense, Peter MacKay, demandait au chef d’état-major de procéder à une révision des critères existants et de faire les recommandations qui s’imposeraient. La cérémonie qui devait avoir lieu à la résidence de la gouverneure générale en 2008 pour présenter les premières médailles fut retardée.

La révision a donné lieu à un élargissement des critères de décoration posthume afin que la médaille couvre toutes les morts liées au service, pas seulement celles résultant d’une action hostile directe. Comme il est remarqué dans le communiqué du ministère de la Défense nationale, la modification a conformé l’aspect posthume de la médaille aux nouveaux critères de la Croix du Souvenir et de l’inscription au Septième Livre du Souvenir. Les autres aspects sont restés les mêmes.

Walsh nous disait par la suite qu’il a « commencé ce voyage la première fois que la Médaille du sacrifice a été annoncée, non seulement pour mon fils, mais aussi pour tous les membres des Forces canadiennes […]. Aujourd’hui, je sens que mon voyage tire à sa fin. »

Bien qu’il a dit qu’il était en colère lors de la première annonce de la médaille, il nous dit que “quelle que soit la décision d’Ottawa, ça irait. Mais je suis heureux du résultat ». Il ajoute que la médaille serait remise à la veuve de Jeff, Julie, qui habite à Shilo (Man.).

Harper met fin à la cérémonie en di­-sant : « Une fois encore, des Canadiennes et des Canadiens ont prouvé qu’ils étaient les soldats, marins et aviateurs parmi les plus braves, les plus compétents et les plus brillants du monde. Je tiens à remercier aujourd’hui chacune et chacun des lauréats, ainsi que leur famille et les êtres qui leur sont chers, d’avoir maintenu noblement et en toutes circons­tances la fière tradition de courage et de sacrifice du Canada. »

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