À la découverte des champs de bataille

Un simulacre de bataille dans le cadre du Camp Husky à Ottawa, en 2008. [PHOTO : DAN BLACK]

Un simulacre de bataille dans le cadre du Camp Husky à Ottawa, en 2008.
PHOTO : DAN BLACK

Chaque enseignant depuis Platon a probablement entendu la même plainte plusieurs fois : « L’histoire, ce n’est qu’une liste ennuyeuse de noms et de dates! »

Cependant, pour un certain nombre d’étudiants canadiens, l’histoire militaire de notre pays, c’est bien davantage, grâce aux efforts d’anciens combattants, d’enseignants du secondaire et d’autres adultes qui désirent que les actes posés par nos soldats ne soient pas oubliés.

En novembre 2008, par exemple, quelque 1 400 élèves et 200 enseignants d’écoles secondaires sont allés à Ortona, un port stratégique de la côte est de l’Italie où les Canadiens ont mené un combat brutal en 1943 (À Ortona, dans le temps et maintenant, mars/ avril). Ce voyage était l’aboutissement de mois de préparatifs. Quand ces élèves sont arrivés à Ortona, un grand nombre d’entre eux s’étaient déjà fait une image très nette de ce qui s’était passé là-bas.

À Woodstock (Ont.), les 30 élèves de l’école secondaire Huron Park qui parti-cipaient au voyage avaient fait des recherches sur certains soldats en particulier. Rachel McLean, âgée de 16 ans, avait été jumelée à un soldat de la ville avoisinante de Stratford. Le neveu de cet homme lui avait montré six albums de photos remplis. « Ça aurait pu être mon père », dit-elle.

McLean faisait aussi partie des 200 enseignants et élèves ontariens qui sont allés, avant le voyage, au Camp Husky du Polygone de Connaught, à Ottawa. Il a fallu un an à l’organisateur du camp Gene Michaud, un vétéran des Forces canadiennes qui enseigne l’histoire à l’école secondaire Notre Dame, à Ottawa, pour organiser la manifestation qui a couté 20 000 $.

Quand les jeunes étaient réveillés à 5 h 30, dans les logements pour cadets, ils se mettaient l’uniforme du grade qui leur avait été assigné. Ensuite, ils sortaient où les attendaient un char Sherman et des chenilles porte-Bren. L’effet sur les jeunes était instantané et remarquable, se souvient Michaud. « Personne ne riait ni ne faisait des farces  », dit-il.

« Le Camp Husky a été une expérience extraordinaire », dit l’élève Brent Holmes de Huron Park et il ajoute que l’information sur le combat au corps à corps, l’équipement, les tactiques et les autres détails de la bataille étaient consi-dérables. « Ce qu’on a appris là-bas a été très important à Ortona. »

Il est clair que le prélude qu’il faut pour préparer les élèves à un voyage comme celui-ci nécessite beaucoup de temps et d’énergie. Alors pourquoi les enseignants et les autres adultes le font-ils? « Vous pouvez vous brancher à l’histoire », dit Dan Kellerd, directeur général d’Explorica Canada Inc., une entreprise de voyage qui a organisé la participation de beaucoup d’écoles relativement au voyage à Ortona.

Au moyen de ce branchement, les enseignants ont l’occasion de donner une impression qui dure aux élèves et de vraiment leur donner un aperçu de l’histoire. « Les enseignants aiment tous savoir qu’ils ont eu une influence de quelque sorte », dit Dave Robinson de Port Perry (Ont.), qui a enseigné l’histoire à l’école secondaire et qui s’est fait le champion des tours d’histoire militaire depuis longtemps. Il a participé à quatre d’entre eux pour l’instant — des tours qui servaient à se pencher sur le jour J, Hong Kong, Vimy et Ortona — et il aide les enseignants à préparer leurs élèves au voyage à venir aux Pays-Bas en l’honneur du jour de la victoire en Europe. Il a fait des présentations dans 90 écoles du pays pour promouvoir les tours.

Robinson croit qu’il est crucial de faire en sorte que les élèves canadiens comprennent notre histoire, car le rôle des soldats canadiens est souvent négligé ou mal représenté dans les films étrangers et les jeux vidéos. « Ces altérations de la vérité seraient acceptées comme étant vraies si nous ne veillions pas à ce que les jeunes d’aujourd’hui en fassent l’expérience. »

Deb Wojtkiw, une enseignante d’études sociales de l’école secondaire Morinville Community de Morinville (Alb.), s’est intéressée au voyage à Ortona à la suite d’une des présentations de Robinson.

Si précieux ces voyages soient-ils pour les élèves, ce n’est pas toujours facile de les organiser. Entre autres, l’investissement en argent est gros : le cout pour le voyage à Ortona était d’entre 2 700 $ et 3 200 $ par élève (dépendamment de la longueur du vol et du forfait choisi). À bien des écoles, les élèves font une levée de fonds considérable pour compenser la différence d’avec le cout de l’excursion.

Des cadets officiers du Collège militaire royal du Canada examinent une tranchée restaurée à la crête de Vimy (France). [PHOTO : ADAM DAY]

Des cadets officiers du Collège militaire royal du Canada examinent une tranchée restaurée à la crête de Vimy (France).
PHOTO : ADAM DAY

Mais les jeunes ne sont pas les seuls qui travaillent fort. En plus de préparer les élèves en classe, beaucoup d’enseignants travaillent en coulisse pour ramasser des fonds et négocier avec les autorités. À Huron Park, par exemple, le chef du département d’histoire Stephen Hill a dû demander la permission plusieurs fois à son conseil scolaire avant d’obtenir son accord. Son directeur et la collectivité ont été d’un grand secours, dit-il, mais les surintendants s’inquiétaient du nombre de jours d’école que les élèves allaient manquer.

Malgré les obstacles, les enseignants étaient ravis des effets du voyage sur leurs élèves. « Question d’apprentissage, c’était une expérience que je ne pouvais pas leur donner en classe », dit Lindsay Hall, enseignante d’histoire.

Il y a aussi des efforts à l’extérieur des salles de classe servant à infuser l’histoire militaire canadienne aux élèves. À Summerside (Î.-P.-É.), par exemple, la filiale George Pearkes VC de la Légion organise une manifestation, chaque jour du Souvenir depuis neuf ans, en recréant une période particulière de l’histoire mi­litaire. Celle de l’an dernier se rapportait à Ortona car 20 élèves de la localité s’étaient inscrits au voyage dirigé par Robinson. Il y a d’autres filiales de la Légion qui ont reconnu l’importance d’aider les élèves d’école secondaire et les étudiants d’université à se préparer aux visites des lieux de batailles et qui organisent diverses activités.

Six des élèves avaient été affectés à un Prince-Édouardien vétéran de la bataille d’Ortona chacun. À la filiale, chaque élève a fait une présentation sur le soldat avec qui il avait été associé, laquelle était regardée par les familles dans une atmosphère comprenant de la musique d’époque, des uniformes et des larmes. Dans tous les coins du pays, les filiales de la Légion aident les élèves à assimiler le passé militaire canadien soit avant, soit après leur voyage outre-mer.

Après le voyage à Ortona, les élèves de Huron Park ont fait part de leurs expériences aux anciens combattants de la localité et Hills a remarqué un réel changement de la manière dont les jeu-nes agissaient envers les anciens combattants. Avant le voyage, ils étaient mal à l’aise quand ils parlaient à des gens d’une autre génération, mais après, « ils se sentaient vraiment confortables… ils s’entendaient immédiatement ».

Ils avaient aussi une meilleure compréhension de leur pays. « Je pense que les jeunes ressentaient une nouvelle fierté, à propos de qui ils sont, en retournant chez eux, dit Wojtkiw. Je pense que c’est très important, parce que nous sommes inondés par les médias américains […]. Je pense qu’il est important pour les jeunes d’être fiers de leur pays. »

Les effets ont été surprenants chez certains des élèves.

« Ça vous change vraiment, de manières qu’on s’attend pas », dit Holmes, qui remarquait que ses amis qui étaient du voyage et lui, ne peuvent plus jouer à des jeux vidéos violents, car ils ont très bien saisi que la guerre n’a rien d’amusant.

Le 2 juin dernier, l’étudiant en histoire de l’Université d’Ottawa Zack Cavasin se tenait au cimetière Nine Elms (neuf ormes), en France, à côté de la tombe du soldat canadien Howard Ford. Ford avait été tué à la crête de Vimy et Cavasin avait passé des mois en recherches sur le soldat et sa famille pour se préparer à un tour des champs de bataille dans le cadre d’un voyage de la Fondation canadienne des champs de bataille (FCCB) en France et en Belgique. Il était nerveux lors de la présentation sur le jeune soldat qu’il fit aux autres étudiants. « C’est une des présentations les plus difficiles que j’ai dû entreprendre », écrivait-il dans le journal que chaque participant du tour doit tenir pendant le voyage.

Le frère de Ford, qui avait aussi combattu à Vimy, écrivit une lettre à leurs parents à propos de la mort du soldat, que Cavasin lut aux autres étudiants. « Je n’arrive pas à (m’imaginer) d’avoir à écrire à mes parents pour leur dire qu’un de mes frères ou sœurs est mort », écrivait-il par la suite.

En France, des étudiants examinent les plage de Dieppe. [PHOTO : SHARON ADAMS]

En France, des étudiants examinent les plage de Dieppe.
PHOTO : SHARON ADAMS

Ce genre de connexion viscérale, émotionnelle est un des objets des voyages de la FCCB. Depuis 1995, la FCCB — une organisation fondée en 1992 pour préser-ver la mémoire de l’histoire militaire des Canadiens — a emmené des groupes d’étudiants universitaires de partout au Canada aux champs de bataille européens. Chaque année, elle choisit 12 participants parmi des dizaines de demandes. « Dans nos voyages, on essaie de provoquer des jeunes gens motivés, dit Serge Durflinger, professeur agrégé de l’Université d’Ottawa qui, avec le colonel David Patterson, a animé le voyage de la FCCB, en France et en Belgique, en juin 2009. Ils avaient déjà guidé des tours de la FCCB tous les deux. Durflinger se spécialise en enseignement de l’histoire politique et sociale de la guerre et Patterson se concentre sur l’aspect militaire.

Les voyages ont pour objet d’encou-rager les élèves à penser à une carrière reliée à l’histoire. Il semble que cela fonctionne; Durflinger fait remarquer que beaucoup de vétérans des voyages sont devenus professeurs, journalistes, conservateurs de musée et autres professionnels de l’histoire.

Le voyage de 16 jours de cette année est passé par des sites des deux guerres mondiales, notamment à Ypres, à la crête de Vimy et à Dieppe. Chaque étudiant a déboursé 1 500 $ pour en être, à peu près un tiers du cout et la FCCB leur a donné une bourse pour le reste. L’itinéraire change un peu chaque année — celui de l’an dernier se concentrait sur la libération des Pays-Bas — mais il y a toujours une composante sur la Normandie.

Tyler Turek, étudiant en maitrise en histoire, à l’Université d’Ottawa, qui a participé au voyage de cette année, a été frappé par l’intensité des souvenirs de beaucoup d’Européens à propos des deux guerres mondiales. Même dans les villes les plus petites, dit-il, il a trouvé des magasins où l’on vendait des obus déterrés dans les champs. Et à une cérémonie à la porte de Menin, à Ypres, en Belgique, le groupe a rencontré une femme dans les 90 ans qui était là pour honorer les soldats canadiens de leurs sacrifices. « C’est tout à fait réel pour elle, pourquoi ne le serait-ce pas pour nous », demandait Turek.

Une autre étudiante du voyage, Louise Janisse, a été émue par l’empathie des résidants normands de Beny-sur-Mer. « Le moment qui m’a le plus touché a été quand j’ai entendu des Normands chanter notre hymne national. Quand je me suis mise à chanter le O Canada en français, j’entendais les Normandes qui chantaient en français avec moi », écrivait-elle dans son journal. « Le jour du Souvenir n’est peut-être pas le jour le plus cher ou le plus respecté au Canada, mais, après avoir assisté à la cérémonie à Beny-sur-Mer, je suis sûre que les Normands ne vont jamais oublier les sacrifices du Canada. »

Le désir de vraiment comprendre les efforts qu’ont faits les soldats canadiens à la guerre inspire un autre groupe d’étudiants, tous les ans, à aller en Europe. Pendant le congé du mois de février, entre 25 et 30 étudiants de troisième ou quatrième année du Collège militaire royal de Kingston vont six jours à la Somme, à Vimy, à Passchendaele, à Amiens, à Dieppe, et en Normandie. « Nous voulons rendre ces voyages aussi techniques que possible », dit le major Michael Boire, professeur adjoint d’histoire au CMR qui a guidé plusieurs de ces voyages. Chaque étudiant prend six classes en soirée pour se préparer au voyage et Boire fait aussi des recher-ches approfondies pour pouvoir répondre aux questions les plus précises. Quand il s’agit de diriger un tel voyage, insiste-t-il, « il faut que la personne ait vraiment beaucoup lu ».

Boire fait très attention pour présenter les expériences des soldats canadiens dans un contexte d’époque. Il faut rendre à César ce qui est à César, bien sûr, mais il évite fermement d’exagérer le rôle des Canadiens quand il présente une bataille, une tentation à laquelle, d’après lui, beaucoup de gens sont incapables de résister. « Une grande partie de l’histoire canadienne est tellement biaisée que s’en est embarrassant », dit-il franchement.

L’enseignant Dave Robinson au cimetière militaire polonais de Monte Cassino (Italie) avec des élèves, en 2008. [PHOTO : DAN BLACK]

L’enseignant Dave Robinson au cimetière militaire polonais de Monte Cassino (Italie) avec des élèves, en 2008.
PHOTO : DAN BLACK

Il encourage les enseignants et les élèves, ceux qui participent à ces voya­ges autant que les autres, à lire un grand nombre de sources primaires et secondaires et à communiquer avec lui s’ils désirent des recommandations sur les documents à étudier.

Pour faire partie d’un des tours de Boire, les étudiants doivent le convaincre qu’ils sont suffisamment mûrs et intéressés à tirer profit du voyage. « Je ne veux pas gaspiller cette occasion sur un niais », dit-il, franchement, comme à son habitude. Chaque étudiant doit débour­ser 500 $ et un fonds des anciens couvre les 1 500 $ par participant qui manquent.

Pour à peu près la moitié des étudiants qui y vont chaque année, dit-il, « c’est une expérience très émouvante ». S’il y a des parents enterrés à un des lieux visités, Boire fait en sorte qu’ils aillent voir les tombes, pourvu qu’ils aient trouvé assez de renseignements. D’autres étudiants sont jumelés avec des anciens combattants avec lesquels ils n’ont aucun lien personnel. Le professeur du CMR exhorte les étudiants à penser aux circonstances de chaque soldat : par exemple, les gens des divers endroits du pays pourraient avoir fait l’expérience de la guerre de diverses manières. Il dit que de telles recherches font souvent découvrir des détails fascinants aux étudiants. « Nous avons tous une vie excitante », dit-il simplement.

En France, des étudiants examinent les tranchées de Beaumont Hamel. [PHOTO : SHARON ADAMS]

En France, des étudiants examinent les tranchées de Beaumont Hamel.
PHOTO : SHARON ADAMS

Les détails fascinants sur les vies perdues à la guerre sont aussi découverts par les jeunes représentants qui participent aux pèlerinages d’Anciens combattants Canada et par ceux qui participent au Pèlerinage du souvenir des leaders de la jeunesse de la Légion, qui a lieu tous les deux ans. Les expériences acquises lors de ces voyages servent à éduquer les participants qui, à leur tour, servent à éduquer et à encourager les autres.

Bien que beaucoup a été fait dans nos écoles, les enseignants et les élèves nous chantent toujours le même refrain : il est important de fournir assez de fonds et d’appui pour que les étudiants à venir puissent profiter d’expériences semblables. Étant donné que les guerres mondiales reculent de plus en plus dans le passé, il existe un danger qu’elles soient toutes deux oubliées par les générations à venir. Les étudiants qui ont pris part à un de ces tours disent que ce serait tragique. « Comment pourrait-on ne pas se souvenir de ceci? » demande l’élève du secondaire Brent Holmes.

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