Où poussent les coquelicots

John McCrae s’est fait l’ami d’une victime du nom de Bonneau pendant la guerre. [PHOTO : LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA—C46284]

John McCrae s’est fait l’ami d’une victime du nom de Bonneau pendant la guerre.
PHOTO : LIBRAIRIE ET ARCHIVES CANADA—C46284

Épuisé et désespéré du carnage incessant qu’on apportait dans sa salle opératoire de fortune, le major John McCrae, du Service de santé de l’armée canadienne, faisait de son mieux pour garder les blessés en vie pendant les violents combats de la deuxième bataille d’Ypres.

McCrae connaissait bien la guerre. Vrai patriote de l’Empire britannique, il avait servi en Afrique du Sud pendant la guerre des Boers en tant qu’officier d’artillerie. Il aimait encore l’artillerie, mais, étant devenu médecin, il avait été appelé à servir où son expertise serait le plus utile. Le 2 mai 1915 lui parvint la nouvelle qu’un de ses amis, le lieutenant Alexis Helmer, qui dirigeait un feu d’artillerie, avait été tué.

Helmer était méthodiste mais il n’y avait pas d’aumônier, alors McCrae assista à son enterrement et récita de mémoire un passage de l’ordre d’enterrement des morts de l’Église anglicane.

Il existe plusieurs récits à savoir si c’est ce même soir-là ou le lendemain matin que McCrae, en 15 minutes, a écrit le poème pour lequel son nom serait toujours associé.

Au Champ d’honneur

Au champ d’honneur, les coquelicots
Sont parsemés de lot en lot
Auprès des croix; et dans l’espace
Les alouettes devenues lasses
Mêlent leurs chants au sifflement
Des obusiers.

Nous sommes morts
Nous qui songions la veille encor’
À nos parents, à nos amis,
C’est nous qui reposons ici
Au Champ d’honneur.

À vous jeunes désabusés
À vous de porter l’oriflamme et de garder au fond de l’âme le goût de vivre en liberté.
Acceptez le défi, sinon les coquelicots se faneront Au Champ d’honneur.

Publié anonymement dans la revue Punch le 8 décembre 1915, le poème a circulé grandement, en Angleterre et en Amérique du Nord.

Moina Michael, enseignante de Géorgie (États-Unis) détachée du siège des Secrétaires militaires d’outre-mer du YMCA de New York pendant la guerre, allait jouer un rôle dans le lancement de la campagne du coquelicot en Amérique du Nord. Elle écrirait par la suite une réponse au défi que lançait le poème qu’elle lut dans la revue états-unienne Ladies Home Journal en 1918.

Nous garderons la foi

Vous qui reposez au champ d’honneur
— pour vous redresser
Nous avons accepté votre flambeau
Et le tenant bien haut
Nous donnons notre foi aux disparus
Nous aussi vénérons le rouge coquelicot
Qui croît au champ où la valeur a conduit

Il semble signifier aux cieux
Que le sang des héros est immortel
Et qu’il donne de l’éclat au rouge
De la fleur qui s’épanouit au-dessus des défunts
Au Champ d’honneur

Et maintenant, le flambeau et le rouge coquelicot
Portez-les en l’honneur de nos morts
N’ayez pas peur d’avoir péri pour rien
Nous avons appris la leçon que vous avez enseignée
Au Champ d’honneur

Après la Grande Guerre, pendant des années, Michael s’est faite la cham­-pionne de la campagne du coquelicot. Son poème et bien d’autres qu’on considérait comme des réponses au poème originaire de McCrae, ont été publiés. Cependant, il est bon de remarquer que beaucoup d’entre eux varient quant à la ponctuation, l’orthographe et le style, y compris la réponse suivante composée par R.W. Lilliard.

La réponse de l’Amérique

Gisez en paix, héros des Flandres
Le combat que vous avez si courageusement mené
Nous l’avons repris
Et nous vous donnerons
Vraiment foi, à vous qui reposez là
À chacun une croix assignée
Et les coquelicots au-dessus de lui
Quand son propre sang était rouge
Alors que votre repos soit doux et  profond
Au Champ d’honneur

N’ayez crainte d’être mort pour rien
Nous avons saisi le flambeau que vous nous avez lancé
Dix millions de mains le lèveront haut
Et la liberté jamais ne s’estompera
Nous avons appris la leçon que vous avez enseignée
Au Champ d’honneur

La New York Times Book Review (Critique littéraire du New York Times) rapportait plusieurs des réponses faites au poème de McCrae, suite à la question qu’un lecteur posait en novembre 1918, et on y remarquait que celui qu’on connaissait le mieux était celui de C.B. Galbreath, et il y fut alors imprimé.

Au Champ d’honneur (une réponse)
Au champ d’honneur les canons tonnent
Et les éclairs irréguliers éclairent la noirceur
Alors qu’au-dessus; comme l’aigle, volent
Les féroces destroyers des cieux
Tachée, la terre où vous gisez
Est plus rouge que la fleur du coquelicot
Au Champ d’honneur

Reposez, héros, l’obus criard
La tranchée tremblante, le cri de surprise
La fureur infernale du combat
Ne vous toucheront, car tout va bien
Dormez en paix, car tout va bien

Nous portons votre flambeau bien haut
Le cœur battant, nous jurons
Notre foi de combattre jusqu’au bout
Pour pulvériser l’ennemi, ou dormir avec vous
Au Champ d’honneur

Il y a une autre réponse au poème de McCrae qui s’est faite partie de la tradition littéraire. Il a été écrit par John Mitchell, un poète resté par ailleurs dans l’ombre, mais qui a été immorta­lisé quand Hazel Felleman l’a choisi pour son anthologie de 1936 intitulée The Best Loved Poems Of The American People (Les poèmes préférés du peuple américain).  Felleman avait longtemps été éditrice de la New York Times Book Review (Critique littéraire du New York Times). L’anthologie de 670 pages contient 575 poèmes, dont In Flanders Fields. Le livre a été indispensable dans la bibliothèque d’une génération états-unienne et canadienne pendant quelques décennies suivant sa parution. Les distributeurs évaluent à 1,5 million le nombre de copies imprimées.

Le poème de Mitchell a pour titre Reply to In Flanders Fields (Réponse à In Flanders Fields)

Reply to In Flanders Field
Oh! dormez en paix où pousse le coquelicot
Le flambeau que votre main a lâché en tombant
Saisi par nous, tenu bien haut à nouveau
Signal lumineux dans le ciel des Flandres
Qui atténue la lumière des étoiles

Vous, nos morts, avez retenu l’ennemi
Et avant que le coquelicot cesse de fléchir
Nous vous aurons prouvé notre foi
À vous qui gisez
Au Champ d’honneur

Dormez en paix, nous allons vite
Vers vous qui avez péri courageusement et savez
Que dans d’autres champs a été entendu le cri
De la liberté, de vous qui gisez
Immobile où pousse le coquelicot
Au Champ d’honneur

Car en grondant, ci et là
L’éclair clignote, le ciel s’éclaire
Les puissantes armées poignent et,
Au-dessus du bruit des combats hurlent

Silencieux parmi les canons ici-bas
Les cœurs intrépides qui combattent l’ennemi
Et gardent l’endroit où pousse le coquelicot
Oh! Dormez en paix, vous tous qui gisez
Au Champ d’honneur

Et le coquelicot continue de fléchir
Entre les croix et les rangées dressé
Les alouettes continuent leur vol
Et chantent maintenant leur berceuse
Pour vous qui dormez où pousse le coquelicot
Au Champ d’honneur

La réponse au poème de McCrae la plus touchante est peut-être celle qu’a écrite, après la mort de ce dernier, sa connaissance de guerre, Frederick George Scott. Scott, poète célèbre avant la guerre, est un pasteur anglican que McCrae avait connu au Canada. Scott a servi comme aumônier dans la 1re Division cana­-dienne à la Première Guerre mondiale. Il a survécu à la guerre et ses mémoires, The Great War As I Saw It (la Grande Guerre telle que je l’ai vue), sont souvent cités comme mémoires personnels de la guerre du point de vue canadien.

Scott faisait partie de la délégation qui est allée en France en 1936 assister au dévoilement du Mémorial de Vimy. À ce moment-là, il était vénérable archi­-diacre Scott. Son poème, qu’il a curieusement intitulé Rememberance (souvenir [sauf que le troisième e est un ajout erroné]) — et il refusait de le corriger — lui a été inspiré par le pèlerinage et le mémorial superbe.

Rememberance
Les roses du souvenir poussent
maintenant
Où autrefois poussaient les coquelicots
Au Champ d’honneur

Le parfum des doux myosotis
Plane maintenant autour de chaque lot
Et ceux qui dorment ne sont pas oubliés
Au Champ d’honneur

Nos héros ont payé le prix de la paix
Priez que Dieu nous sauve de la guerre
Que d’autres héros ne soient emportés
Au Champ d’honneur

Le flambeau qu’ils ont lancé en mourant
Que Dieu en éclaire une meilleure Terre
Et que tout le monde s’unisse
Aux champs flamands

Lorsque Scott a écrit sa réponse, le coquelicot était déjà devenu le symbole du souvenir. À tel point que des coquelicots avaient été sculptés sur le monument qu’il était allé voir dévoiler en France. D’une certaine manière, le monument est une réponse aussi.

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