Expo 67 nous apporte le monde

Dierdre McIlwraith avait 24 ans, elle était diplômée de l’Université Queen’s de Kingston (Ont.) et elle parlait français et espagnol couramment quand elle a obtenu du travail en tant que préposée au protocole à la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de 1967, l’organisation qui a planifié, construit et dirigé l’Expo 67 à Montréal.

McIlwraith travaillait au restaurant Hélène de Champlain, un endroit où les dignitaires en visite et les chefs d’État étaient reçus. Elle a exercé les fonctions protocolaires pour la princesse Grace de Monaco et la princesse Margaret, la soeur de la reine Elizabeth II. Elle se souvient des représentants de la Côte d’Ivoire, un pays d’Afrique équatoriale, qui étaient tous grands, parlaient français avec un accent parisien et portaient avec élégance des vêtements à la mode française du dernier cri. Elle se souvient très bien du vieil empereur Hailé Sélassié d’Éthiopie, très petit, frêle, qui arriva avec son chien et insista qu’on le laisse s’asseoir sous la table à côté de lui et qu’on lui serve du filet mignon haché. Elle raconte un dîner tendu à la fin du mois de juillet quand le maire de Montréal Jean Drapeau a fait des reproches au président français tristement célèbre, Charles de Gaulle, à la suite du discours donné à un balcon de la mairie où il a proféré les mots “Vive le Québec libre”.

McIlwraith était de service à des douzaines de dîners et ce dont elle se souvient le mieux, c’est l’exubérance et l’excitation presque essoufflée des gens ordinaires de tous les coins du Canada et d’autour du monde qui ont afflué à l’Expo 67 à partir du moment où les portes se sont ouvertes au le public, le vendredi 28 avril 1967. “La foire a eu un succès énorme à partir du tout début”, dit-elle. “C’était fantastique. C’était merveilleux de voir que le Canada réalisait son potentiel. On sentait vraiment que tout était possible : que nous pouvions avoir un Canada biculturel et bilingue, que nous pouvions avoir le meilleur de l’Europe et le meilleur de l’Amérique du Nord.”

L’Expo 67 était une célébration des premiers 100 ans du Canada et, lorsqu’ elle a eu lieu, les Canadiens étaient d’humeur à fêter. Après la Crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale, les années 1950 et 1960 étaient des années d’optimisme et de prospérité sans précédent. C’était une période de progrès saisissants en médecine, de grandes familles, d’urbanisation qui allait en augmentant et de la création de programmes sociaux généreux. L’immigration enrichissait aussi la société canadienne. Les nouveaux venus arrivant d’Europe du Sud et de l’Est, d’Asie, d’Afrique et des Antilles diversifiaient davantage le pays, le rendaient plus tolérant et plus excitant. Il y avait la guerre froide et le conflit au Vietnam, mais beaucoup de gens les considéraient surtout comme les problèmes des autres et rien qui aurait pu étouffer l’enthousiasme de la foire mondiale.

La foire a débuté “officiellement” le 27 avril, alors que des centaines de travailleurs s’efforçaient de mettre la touche finale aux installations. Le Gouverneur général Roland Michener, le Premier ministre Lester B. Pearson, le maire Drapeau, les 10 premiers ministres provinciaux et 53 chefs d’État ont fait le tour de la foire et puis ensuite quelque 7 000 invités ont jeté leur premier coup d’oeil. La construction de l’Expo, qui s’est élevée à 415 millions de dollars, a eu lieu sur deux Îles dans le Saint-Laurent : L’île Sainte-Hélène, une formation naturelle à laquelle des millions de tonnes de décharge ont été ajoutées pour l’agrandir; et l’île Notre-Dame, laquelle a été entièrement faite par l’homme. Le site comprend presque 1 000 acres, ce qui suffisait comme espace pour 39 restaurants, 62 casse-croûtes, un parc d’attractions appelé La Ronde, de l’espace de stationnement pour des milliers de véhicules et les pavillons pour les 62 pays et les centaines de sociétés qui participaient.

Nombre d’invités officiels ont été éblouis par ce qu’ils ont vu, surtout par le dôme géodésique de l’ère spatiale où le pavillon américain était logé, la construction domiciliaire futuriste de 10 étages appelée Habitat ’67 qui était formée d’unités d’habitation empilées ça et là, ainsi qu’un système de transport intérieur d’aéroglisseurs, de gondoles au style vénitien et de deux voies ferrées surélevées. Le premier ministre du Québec Daniel Johnson dit de l’Expo qu’elle était “plus merveilleuse, plus belle que ce que tout le monde prédisait.”

Après les politiciens, les dignitaires et les personnes de marque, les gens ordinaires de Montréal et d’ailleurs commencèrent à faire la queue pour l’ouverture publique à 9 h 30 le lendemain matin. La première personne à entrer était Al Carter, un batteur de jazz de 39 ans de Chicago qui avait payé 12 $ pour un passeport de l’Expo de sept jours portant le numéro 00001. À la fin de cette journée-là, quelque 335 000 personnes étaient allées à la foire, deux fois plus que prévu. Dimanche, le 30 avril, la fréquentation, étonnamment, s’éleva à 530 000, ce qui allait finir par être la journée la plus achalandée de l’Expo et ce qui fit dépasser la marque du million de visiteurs en trois jours.

Les comptes rendus commencèrent alors à paraître et ils étaient presque tous élogieux. La seigneuriale revue Time, à l’occasion posée, alloua sept pages à l’Expo dans son numéro du 5 mai, et les descriptions y étaient délirantes. Les foules, Time rapportait, étaient “stimulées, rendues heureuses, emballées et éblouies par un monde spectaculairement plus grand qu’elles”. L’article dans la revue se poursuivait en décrivant l’Expo comme “une aventure centenaire où un Canada nouvellement plein de confiance en soi reçoit le monde et, par-dessus le marché, il se trouve”.

En surenchère, le journal New York Times déclarait que : “la norme d’excellence sophistiquée […] est presque indescriptible”. La revue The Economist déclarait que : “l’acclamation que se sont méritée les îles faites par l’homme dans le Saint-Laurent ont peut-être fait davantage pour rendre les Canadiens confiants que tout autre événement ces temps-ci”. Parmi les observateurs domestiques, il n’y en avait guère qui eussent surclassé l’observation de Peter C. Newman comme quoi : “c’est la meilleure chose que nous ayons faite en tant que nation (y compris la construction du rail CP) […] ce pays des marches polaires, […] il peut faire à peu près n’importe quoi”.

Lorsque la foire a fermé ses portes pour la dernière fois, dimanche le 27 octobre, l’Expo 67 avait obtenu une renommée comme étant l’exposition mondiale la plus réussie depuis que la première de son genre avait eu lieu, à Londres (Angleterre), en 1851. Ses seules rivales sérieuses étaient celle de Paris, en 1900, à laquelle 58 pays ont participé et qui a reçu 50,8 millions de visiteurs, et celle de Bruxelles, en 1958, où sont allées quelque 41,4 millions de personnes. Expo 67 a attiré 50 306 648 personnes, plus de 2 ½ fois la population entière du Canada d’alors.

Pour les Montréalais, la fin de la foire a été un événement émouvant. “L’humeur principale durant le 185e et dernier jour de l’Expo était un curieux mélange doux-amer de joie, de fierté et de tristesse”, écrivait Nick Auf der Maur dans la Montréal Gazette. Le personnel de divers pavillons distribuait des cornes et des drapeaux où l’on voyait le logo de l’Expo et les mots “Au revoir Expo”, mais comme le remarquait Auf der Maur : “Ils n’ont pas réussi à créer une atmosphère de fête. Malgré les grosses foules partout, le jour a surtout servi à un adieu”.

Vu ses origines, l’impact qu’a eu l’Expo 67 n’en a été que plus remarquable.

À la fin des années 1950, le sénateur conservateur Mark Drouin avait commencé à avancer l’idée d’organiser une foire mondiale pour célébrer le centenaire du Canada.

Mais en 1960, le Bureau international des expositions (BIE) basé à Paris décerna l’exposition universelle de 1967 à Moscou parce que, cette année-là, l’Union soviétique allait célébrer le 50e anniversaire de la révolution russe. Les Soviétiques travaillèrent au projet pendant deux ans et puis ils le laissèrent tomber parce qu’il était trop coûteux.

Le maire Drapeau et un petit groupe de Montréalais saisirent l’occasion. Ils allaient essayer de convaincre le BIE de décerner la foire à leur ville. Le bureau prit la décision le 13 novembre 1962.

Cela ne donnait à Montréal que 4 ½ ans pour préparer un événement pour lequel il en aurait normalement fallu sept.

Le plus grand miracle à propos de l’Expo 67 a peut-être été que ses portes se sont ouvertes à temps et, depuis lors, les gens qui l’ont construit en chérissent le souvenir. “Mon épouse pensait que j’étais fou d’accepter un poste”, se souvient le directeur des opérations Philippe de Gaspé Beaubien qui, par la suite, à fondé la société de radiodiffusion Télémédia Inc. “Nous avons dû travailler jour et nuit. J’avais une chambre au-dessus du restaurant Hélène de Champlain […]. Heureusement que mon épouse m’est d’un très grand soutien.”

“La partie que j’ai trouvé vraiment excitante, c’était de voir l’émergence des pavillons”, dit le courtier montréalais Danièle Touchette qui, en tant qu’hôtesse, menait des délégations étrangères en visite autour du site de construction. “Au début, il n’y avait rien là-bas. On voyait des maquettes et puis on voyait un pavillon qui s’élevait […]. C’était si excitant.”

Diana Nicholson, une Américaine bilingue, à 22 ans est une des 100 premières personnes embauchées par la compagnie de l’Expo. Elle fut engagée comme liaison dans le service des relations publiques et elle devait s’occuper des communications avec l’Afrique de l’Ouest francophone et l’Amérique latine. Cela a vite changé. “J’ai passé à peu près un an à voyager à travers le Canada, pour faire des exposés publics sur le projet”, dit-elle. “Je me souviens que je voyageais avec une énorme maquette qui, en fin de compte, était complètement erronée.”

Un des premiers défis était de développer un thème pour la foire, une tâche affectée à un groupe sélect d’intellectuels, d’artistes, de scientifiques et d’administrateurs, y compris les romanciers Hugh MacLennan et Gabrielle Roy. Ils se sont rencontrés pendant trois jours en mai 1963, à Montebello (Qc), et ils ont choisi Terre des Hommes, s’inspirant de l’histoire du même nom écrite par Antoine de Saint-Exupéry (Man and His World en anglais) et de l’idée “Être homme […]. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde.”

La compagnie de l’Expo et la municipalité de Montréal ont passé neuf mois environ à choisir un endroit. Des promoteurs immobiliers, des propriétaires fonciers et des spéculateurs avaient fait pression pour des douzaines de propriétés ou plus dans la région de Montréal, mais le maire avait son propre plan exceptionnel. La foire serait construite sur deux îles dans le fleuve Saint-Laurent, une qui serait très agrandie et une autre qui serait construite de toutes pièces grâce à 25 millions de tonnes de décharge provenant du nouveau métro de 34 kilomètres de long.

Nombreux étaient ceux qui pensaient que l’idée était ridicule, y compris le Premier ministre. Dans une lettre à Drapeau, Pearson rejetait le plan comme étant “une des choses les plus absurdes que j’ai jamais entendues”, et il ajoutait : “Avec quatre millions de milles carrés de terre, nous devrions pouvoir trouver un endroit quelque part.” Mais il n’y avait pas moyen de faire changer le maire d’idée. Le 12 août 1963, Pearson lui-même à tiré sur un levier et un chouleur à chargement antérieur a déversé les 25 premières verges de terre sur l’île Sainte-Hélène. Pendant les sept mois suivants, la décharge d’un camion était déposée toutes les quatre minutes, nuit et jour et, le 26 juin 1964, la municipalité remettait les îles aux organisateurs de l’Expo.

C’est le colonel Edward Churchill, un officier de l’armée à la retraite recruté à Ottawa où il avait un emploi pépère au gouvernement, qui a construit la foire. Il avait 878 jours pour faire le travail et il a failli en mourir. Après des mois de longues journées qui se terminaient fréquemment à minuit, il s’est écroulé de fatigue lors d’une conférence et il a dû faire un séjour à l’hôpital. Pour faire avancer plusieurs tâches simultanément, Churchill a copié la technique des voies cruciales du programme spatial des États-Unis. Chacun des projets sur les îles fut divisé en étapes, à partir de la planification et jusqu’à l’achèvement.

Convaincre le monde de participer était un autre grand défi et la responsabilité en fut donnée au commissaire général d’Expo Pierre Dupuy, un diplomate de carrière recruté au ministère des Affaires étrangères. Il visita 125 pays, rencontra 90 chefs d’État, se déplaça sur plus de 250 000 milles, mit tous les diplomates canadiens à l’étranger à contribution et eut un succès énorme.

Dupuy, surnommé M. Énergie par son personnel, convainquit 62 nations de participer, un nouveau record pour une foire mondiale, et ils vinrent de tous les coins de la planète.

De tous les pavillons et expositions, deux sont des jalons qui ont saisi l’esprit futuriste de toute l’entreprise. Le premier était le dôme géodésique américain, dessiné par l’architecte, inventeur et visionnaire Buckminster Fuller. qui a été surnommé Bucky’s Bubble (la Bulle de Bucky). Bien que certains aient trouvé les expositions banales, la structure elle-même était saisissante : une sphère de 250 pieds de diamètre et de 200 pieds de hauteur, grandiose comme une cathédrale. L’extérieur était construit en panneaux d’acrylique fixés à une charpente de tubes d’acier ressemblant à un nid d’abeilles, et c’était transparent. Cela donnait au dôme “un air léger suggérant un conte de fée”, d’après l’auteur Pierre Berton, qui dit aussi : “la nuit, illuminé de l’intérieur, le dôme était vraiment une fantaisie”.

L’autre structure qui est devenue un symbole de la foire qui perdure, c’est Habitat ’67 de Moshe Safdie. Safdie, un architecte de 28 ans, né en Israël, qui avait grandi à Montréal, en avait conçu l’idée dans sa thèse de maîtrise à l’Université McGill. Il s’agissait de 354 boîtes en béton préfabriquées qui étaient soulevées avec des grues et déposées ça et là, ce qui donnait en tout 158 appartements. “Pratiquement tous les précédents, règles, coutumes, normes et usages sont enfreints par Habitat”, écrivait Ada Louise Huxtable dans le New York Times. Mais elle poursuivait en le décrivant comme étant “un exercice conséquent et stupéfiant en logement expérimental”.

Habitat ’67 sert encore de domicile aujourd’hui et la plupart des unités sont la propriété de particuliers. En 1976, un incendie a détruit l’extérieur en acrylique du dôme de Fuller, mais il a été remplacé et la structure abrite actuellement un musée appelé Biosphère. Le parc d’attractions La Ronde continue à fonctionner, mais rares sont les autres souvenirs physiques de l’Expo 67 qui restent.

Le temps a aussi effacé une bonne partie de la bienveillance et de l’idéalisme qui ont rendu l’Expo possible. La crise d’octobre 1970, l’élection des gouvernements séparatistes au Québec, l’exode des Montréalais anglophones et la chute de l’économie de Montréal ont servi à saper l’optimisme et la camaraderie qui avaient permis aux Canadiens d’éblouir le monde. “C’était une époque très intéressante”, dit Beaubien qui aujourd’hui est âgé de 80 ans. “Nos esprits se développaient.” Ainsi que notre sentiment de ce que cela voulait dire d’être Canadien.

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