L’instruction militaire élémentaire durant la Seconde Guerre mondiale

Les jeunes gens de la vie civile ne doivent pas craindre l’ennui, car s’il y a une place où la gaieté et l’enthousiasme règnent, c’est bien l’armée.

— Lieutenant-colonel DeBellefeuille
Officier commandant du centre d’instruction de Joliette
17 juillet 1941

Tout au long de la Seconde Guerre mondiale, l’organisation de l’instruction militaire au Canada et, plus généralement, la constitution des effectifs des trois armes se sont avérées être des problèmes administratifs difficiles à résoudre. L’armée de terre, l’aviation et la marine se livraient une chaude lutte pour recruter les effectifs nécessaires aux prévisions; il fallait ajuster la durée du service en fonction des ressources disponibles, et surtout, dans le respect des modalités d’engagement prévues par la Loi sur la mobilisation des ressources nationales; il fallait organiser le programme d’entraînement, former le personnel, et accueillir puis instruire adéquatement les recrues dans des installations appropriées. Afin d’obtenir un personnel capable d’accomplir les multiples tâches propres au service militaire, la formation devait comprendre différentes spécialités nécessitant chacune un entraînement, du matériel et des connaissances spécifiques. Pour tout le personnel des forces armées canadiennes, le service militaire avait un dénominateur commun : l’instruction élémentaire.

L’instruction militaire au Canada a évolué en quatre temps durant la guerre. D’abord, au tout début du conflit, on a ouvert 14 centres d’instruction pour compléter le travail réalisé par les trois centres de l’armée permanente en opération avant la guerre. Ces centres avaient une vocation spécialisée, pour les fusiliers, les mitrailleurs, ou les spécialités, telles que les transmissions. Par la suite, avec l’instauration du service militaire obligatoire établi par la Loi sur la mobilisation des ressources nationales, on ouvre 39 centres d’instruction de la milice non permanente afin de donner une formation adéquate aux civils nouvellement appelés sous les drapeaux. Lorsque la loi a été modifiée pour porter la période de service à quatre mois, on a procédé à une vaste réorganisation qui réduisit le nombre total de centres à 28, puis, au début de 1942, on le porta à nouveau à 40. Enfin, 13 ont été fermés à la fin de 1943 selon le nouveau programme d’instruction réunissant les centres élémentaires et supérieurs pour harmoniser l’entraînement. La formation complémentaire dite “opérationnelle”, c’est-à-dire l’adaptation aux conditions de guerre qui prévalaient en Europe et les exercices de grandes unités était, elle, le plus souvent réalisée en Angleterre. Le réseau d’instruction était supervisé par chacun des districts militaires qui avaient la responsabilité d’appuyer les centres de son territoire et d’encadrer leurs actions, tandis que la direction des centres était assurée par un petit groupe d’officiers. À l’ouverture du centre, ce groupe était habituellement constitué de cadres issus du régiment local de la réserve active non permanente. Pour Huntingdon, par exemple, le centre a commencé ses activités avec 30 officiers, 79 sous-officiers et 105 hommes du rang, la plupart issus du Huntingdon Regiment.

Avant de voir à l’instruction efficace des recrues, il fallait d’abord les accueillir, les loger, les nourrir, les vêtir, les entretenir et les divertir. Ce n’était pas une mince affaire, compte tenu du nombre d’individus dont il fallait s’occuper : les plus grands centres pouvant accueillir entre 500 et 1000 hommes. On commençait donc par l’organisation adéquate des lieux, lesquels étaient au départ constitués par une série de huttes pour la troupe, un quartier-maître, les mess des sergents et des officiers ainsi qu’une cantine pour les hommes du rang. Les centres procéderont tout au long de la guerre à de nombreux aménagements pour améliorer les conditions de vie de leurs résidents et le rendement de l’instruction. Piscines, cinémas, salles de lectures, manèges avec scène et équipement de sonorisation, on verra certains centres se prévaloir des plus récents développements techniques. Cela ne suppose cependant pas nécessairement des lieux sophistiqués. Le drainage des terrains laissait parfois beaucoup à désirer, et il arrivait que les constructions résistent mal aux intempéries, si bien que l’on était parfois forcé d’interrompre le programme de formation régulier en raison de dommages subis par les infrastructures.

Les centres purent commencer à recevoir de jeunes gens aptes au service, appelés ou volontaires, quelques mois après leur activation officielle. La réception des candidats se réglait sur quelques jours, au fur et à mesure que ceux-ci arrivaient au centre. À leur arrivée, on les recevait formellement au Drill Hall du centre, si celui-ci disposait d’une telle installation. Les nouveaux arrivants étaient alors soumis à un examen médical, puis, après une brève séance d’information servant à les mettre au fait des usages du centre, on les dirigeait au quartier-maître afin d’y percevoir uniforme et équipement. Il ne restait plus qu’à les répartir par compagnies et par pelotons, puis leur assigner un dortoir. Par mesure d’hygiène, il arrivait que des hommes soient expédiés aux bains et leurs vêtements à la désinfection. Ils étaient ensuite pris en charge par le sous-officier responsable de leur hutte. Ce dernier devait organiser la distribution de literie et de couvertures, indiquer aux recrues où se trouvaient les lieux de parades et leur expliquer la routine du centre, en plus de leur faire la lecture des ordres courants et leur expliquer les usages du mess et le fonctionnement des repas.

L’horaire du centre suivait une routine bien précise ayant peu changé durant la guerre, et similaire d’un centre à l’autre. Hormis lors des jours fériés et le dimanche, l’horaire était sensiblement le même tout au long de l’année, marqué par l’appel caractéristique du clairon. Réveil à six heures, déjeuner trois quarts d’heure plus tard, d’une durée d’une heure. Le rassemblement suivait le déjeuner, et on commençait ensuite la journée de formation par une parade avant de se diriger vers les salles de cours, parade square, champ de tir, etc. Le dîner était tenu à midi, pour trois quarts d’heure, avant que ne commence la seconde partie de la journée. Le souper, pour sa part, se tenait à 17 h 45, puis on sonnait la retraite trois quarts d’heure plus tard. La journée se terminait par l’extinction des feux, prévue peu après 22 h.

L’instruction proprement dite se répartissait sur des semaines de cinq jours et demi (du lundi au samedi matin), entrecoupées de quelques permissions–généralement accordées en fonction du calendrier des fêtes ou du rendement des troupes. L’entraînement était constitué de marches, d’exercices physiques, de maniement d’armes, de cartographie, de formations sur la protection contre les attaques chimiques et sur l’hygiène, ainsi que de divers cours propres au déploiement en campagne. On consacrait en outre six heures à “l’éducation militaire”, qui comprenait notamment des notions de discipline, d’histoire régimentaire, des caractéristiques géné-rales des armes et de l’organisation de l’infanterie.

On suggérait aux instructeurs se trouvant à la tête d’un groupe possédant à fond la matière enseignée de réviser les leçons ultérieures ou y aller de discussions sur des sujets militaires ou civils. On proposait des sujets : les méthodes de gouvernement provinciales et fédérales, les droits, privilèges et responsabilités des citoyens de l’Empire britannique, l’histoire régimentaire ou l’organisation militaire. Il était également stipulé que les officiers commandants devaient préparer une liste de tels sujets, les remettre à tous les instructeurs et s’assurer que ceux-ci soient en mesure d’en parler. On pouvait également encourager les discussions et les présentations hors des périodes réglementaires comme moyen additionnel d’inculquer des connaissances aux recrues, tandis que la projection de films était favorisée, tous les sujets étant jugés convenables. Des compétitions étaient aussi organisées entre les compagnies afin d’augmenter la motivation des troupes à bien performer, par exemple les permissions du vendredi décernées au peloton jugé le plus efficace. Tout au long de la guerre, certains centres se sont également mis à offrir certains cours d’appoint ou des formations spécialisées, comme Huntingdon, avec un cours de mitrailleur, ou Joliette et son centre de formation des chefs juniors.

Les divertissements étaient un autre domaine où il fallait une organisation serrée. Ce sera le rôle confié en partie aux “cantines” ouvertes dans la plupart des centres par des organisations caritatives comme les Chevaliers de Colomb ou l’Armée du Salut. La cantine deviendra dans certains centres le point de convergence de la plus grande partie de la vie sociale, du moins au niveau de la troupe. Tout au long du service actif du centre, les “comités de la cantine” poursuivront leur action, tantôt en payant des entrées au cinéma pour quelques militaires, tantôt en achetant des équipements de sport. D’autres activités sont également mises à contribution. Ici, un quiz pour les membres du rang, au cours duquel les questions posées donnent la chance à tous de gagner cinq dollars ou des permissions du vendredi soir. Là, un “concert-boucane” mettant en vedette les talents du personnel et des recrues du centre. Les jours fériés, les promotions, l’arrivée de nouvelles cohortes, les succès ou plus simplement le divertissement et le goût de la fête donnent autant d’occasions d’organiser un événement. Le plus souvent, il s’agit de danses où l’on prend soin d’inviter la population civile des environs. On organise un programme, on convoque un ou plusieurs ensembles musicaux et on planifie des activités tout au long d’une soirée se terminant aux petites heures du matin.

Une autre occupation importante–voire capitale–des centres d’instruction était l’effort qu’on exigeait d’eux pour le recrutement. Ils constituaient en effet de précieux points de convergence entre les militaires et les civils en permettant notamment de coordonner diverses activités de promotion au recrutement. Si l’on en juge par les entrées des journaux de guerre, il semble que ces activités étaient prises très au sérieux par le personnel du centre, même si les résultats n’étaient pas toujours encourageants.

Le recrutement à partir des centres pouvait prendre plusieurs formes. La technique la plus simple consistait à ce qu’un officier d’un régiment à la recherche d’effectifs se présente au centre pour tenter d’obtenir des demandes parmi les conscrits. On pouvait aussi faire appel à la quincaillerie militaire pour tenter d’arriver au même résultat. En juin 1941, un détachement du Royal Montreal Regiment se présente au centre de Huntingdon pour effectuer une démonstration. On présente un camion, deux chenillettes et un tracteur d’artillerie en plus de faire l’étalage d’armes légères et des mortiers utilisés par l’infanterie. Une autre façon de procéder consistait à s’adresser directement à la population locale des environs du centre. Les centres organisaient des parades dans les localités de leur région pour faire la démonstration de leur équipement et de leur savoir-faire dans le but de persuader les civils de s’enrôler.

Les visites de civils aux centres constituent une autre occasion de recrutement. Ces visites se font spécialement nombreuses lors des “journées de l’armée” ou des “semaines de l’armée” qui ont lieu le plus souvent durant la période estivale. Les centres semblaient jouir d’une certaine liberté quant aux initiatives à prendre pour améliorer le rendement des activités de recrutement. Les militaires ne lésinaient pas sur les moyens à employer lorsqu’il s’agissait de ces expéditions de recrutement. Tellement, en fait, qu’il arrivait que ces démarches entravent le bon fonctionnement de l’instruction elle-même.

Tout cela entrait dans les fonctions des centres d’instruction. Ils étaient plus que de simples camps d’entraînement. Ils étaient pour plusieurs la porte d’entrée de l’armée canadienne, un lien important entre le monde civil et le monde militaire, et un outil de recrutement, voire de relations publiques. Bien sûr, un survol aussi bref ne peut qu’effleurer ce vaste sujet, mais souhaitons qu’il puisse au moins souligner l’importance de cette institution. On a tendance à oublier que les militaires canadiens, avant de se rendre au front pour se mesurer à l’ennemi, ont commencé par subir un entraînement au pays. Cette phase cruciale, même si elle ne menait pas de facto à une carrière militaire active, a eu un impact non seulement sur le personnel militaire qui en était issu, mais également sur la société canadienne qui réintégra par la suite ceux qui y séjournèrent.

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