Le moment d’agir

Le nouveau ministre des anciens combattants canadiens a appris quand il était très jeune à naviguer parmi les gens aux convictions politiques et religieuses diverses. En fait, la ferme Blackland du Nouveau-Brunswick où Greg Thomson a grandi ressemblait à une mini-Chambre des communes. Ses parents étaient des loyaux libéraux, ses grands-parents étaient conservateurs, sa mère était une pieuse catholique, son père, un protestant dévot.

“Il m’est arrivé de dire que c’était un peu comme grandir en Irlande du Nord, que d’équilibrer ces deux forces qui riva-lisaient”, dit en riant Thompson, un homme dégingandé de 59 ans aux yeux bleus et au sourire facile. Il ne perd pas de temps avant de préciser que sa fratrie et lui ont eu une enfance heureuse, mais “si j’ai un peu d’habileté en politique, c’est peut-être à la ferme que je l’ai apprise”.

Thompson avait tendance à avoir le point de vue politique de ses grands-parents, bien sûr. Il a été député conservateur au Parlement pendant 14 des 18 dernières années. Durant ce temps-là, il s’est fait une réputation au Nouveau-Brunswick de gars aimable sur qui l’on peut compter, et de politicien capable de coopérer avec les gens des autres partis. Il l’a démontré quand il était coprésident du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis et, il y a moins longtemps, lorsqu’il a engagé la députée du NPD Bev Desjarlais en tant qu’adjointe exécutive.

“Il est bien vu”, dit Don Desserud, un professeur de science politique de l’Université du Nouveau-Brunswick à Saint John. “Il y a des loyalistes de Greg Thompson qui risqueraient de voter pour les libéraux s’il n’était pas là la prochaine fois. Ce que, d’après moi, nous ne savons pas très bien, c’est quelle est la qualité de son travail au cabinet.” Ceci dit, Desserud remarque que la capacité qu’avait Thompson à écouter lui a été très utile, et “quand il parlait, les gens l’écoutaient bien”.

En tant qu’homme en charge du portefeuille des anciens combattants dans le cadre du gouvernement minoritaire de Stephen Harper, Thompson devra faire valoir toutes ses connaissances politiques, son affabilité et sa détermination. Là-dessus, il a deux défis d’importance. D’abord, il doit surveiller la mise en application de la nouvelle Charte des anciens combattants qui vient d’être déclenchée et que le gouvernement libéral avait votée. Ensuite, il doit livrer un système d’indemnité aux nombreuses personnes affectées par le produit Orange et les autres produits chimiques à la Base des Forces canadiennes Gagetown, dans sa province.

Quant à la charte, la Légion royale canadienne et d’autres groupes d’anciens combattants vont observer la manière dont Anciens combattants Canada va s’occuper des premiers cas. Pour l’ins-tant, Thompson a mérité du prestige quand il a fait un paiement ex gratia de 250 000 $ aux familles des quatre soldats tués en Afghanistan entre le jour où la charte a été votée, en mai 2005 et celui de sa mise en vigueur, le 1er avril 2006. Le paiement de 250 000 $, non imposable, est un des avantages de la nouvelle charte. “Quand on est appuyé par son Premier ministre et par son cabinet pour faire que cela se passe presque immédiatement, on se sent bien”, dit le ministre, “parce que cela démontre que nous désirons faire ce qu’il faut pour les hommes et les femmes qui portent l’uniforme.”

Thompson lui-même est le père d’un vétéran de la guerre du Golfe : son fils aîné, prénommé Greg aussi, a servi à l’opération Desert Storm avec la U.S. Army. (L’épouse de Thompson, Linda, est une citoyenne des États-Unis.) Et il déclare être engagé à faire de son mieux pour les anciens combattants canadiens. “Je suis vraiment fier d’être ici, sachant que les hommes et les femmes que vous servez sont ces mêmes hommes et femmes qui ont tout offert, leur vie comprise, pour la patrie.”

De dire la présidente nationale Mary Ann Burdett, Thompson est “très enthousiaste à propos de son portefeuille, et il semble désirer vraiment apprendre les tenants et les aboutissants d’Anciens combattants Canada”. Toutefois, il y a quelques parties de la charte sur lesquelles la plus grosse organisation d’anciens combattants voudrait se pencher, y compris les soins de longue durée et la déclaration des droits de l’ancien combattant. “Il va falloir suivre la charte pendant un bon bout de temps”, dit Burdett. “C’est ce qui nous intéresse tous le plus.”

Elle remarque que l’accès prioritaire aux soins de longue durée à partir du mois de mai n’a pas été écrit dans la législation. À la Légion, on voudrait que les institutions de soins de longue durée mises sur pied pour les vétérans des guerres traditionnelles soient préservées pour que les anciens combattants mo-dernes, dont certains souffrent d’invali-dité complexe reliée à la santé mentale, puissent s’en servir.

Le directeur du Bureau national des services Pierre Allard dit que les premières versions de la déclaration des droits d’ACC ont été écrites surtout comme des rôles concernant la prestation des services plutôt que comme une liste d’articles spécifiques, tel que l’accès aux soins physiques et mentaux basé sur les besoins. “Ce n’est pas vraiment une déclaration des droits”, dit-il.

Quand on lui demande de faire un commentaire, Thompson dit que ni la charte ni la déclaration des droits “n’ont été gravées dans la pierre” et le ministre s’engage à les améliorer. “La Légion va avoir une très grande contribution quand il s’agira de construire la déclaration des droits. Nous voulons être sensibles à tous les groupes d’anciens combattants, parce que nous comptons (sur eux) pour nous guider à travers ceci. Il n’y a pas de groupe plus important, d’après moi et Anciens combattants, que la Légion.

Quant au produit Orange, quand Thompson était à l’opposition l’an dernier, il a été très bruyant en parlant de la manière dont le dossier était travaillé par le gouvernement de Martin. Maintenant, le dossier est entre ses mains et on s’attend à beaucoup. Les anciens combattants, les civils et les groupes comme l’Agent Orange Association of Canada aimeraient vraiment obtenir une indemnité pour leurs problèmes de santé, mais ils veulent aussi une divulgation entière de la part du mi-nistère de la Défense nationale à propos de ce qui s’est passé à la base.

Le ministère de la Défense nationale a mené une mission d’information à Gagetown qui devrait être terminée vers la fin de 2007. Mais cet effort a été plein de controverses, et à l’Agent Orange Association, entre autres, on pense qu’il s’agit simplement d’une manoeuvre de relations publiques. On demande une enquête publique complète.

ACC est en train de travailler avec le MDN dans la mission d’information et, d’après Thompson, les résultats vont servir à la mise sur pied d’un modèle d’indemnité. “On ne peut résoudre un problème qu’en se basant sur les faits tels qu’ils sont. Alors ces missions d’information sont très importantes.”

Beaucoup de gens comptent sur Thompson pour passer à travers la bureaucratie afin d’arriver à une résolution satisfaisante en ce qui concerne cette histoire qui dure depuis des décennies. Art Connolly, le vice-président de l’Agent Orange Association, dit qu’il préfère Thompson au poste de ministre des anciens combattants plutôt que quelqu’un d’autre. “Il vient du Nouveau-Brunswick, il a grandi là-bas, et il connaît la situation. Je crois qu’il a bon coeur. La seule chose qui m’inquiète c’est s’il va se plier aux diktats de son parti.”

Harper, bien sûr, a maintenu une discipline de fer parmi les ministres de son cabinet, et tenu les médias à distance. Thompson maintient qu’il a “le soutien absolu du Premier ministre” et il dit que résoudre la question est une des priorités que Harper lui ait données. “Nous nous sommes engagés là-dessus.”

Mais le ministre d’ACC, qui a souvent été cité comme ayant dit qu’un régime d’indemnisation allait être présenté au cabinet cette année, dit maintenant que cela va se faire au début de l’année prochaine, et il garde le silence à propos de quand les indemnités vont être distribuées. “C’est un dossier très compliqué, comme vous le savez très bien, car il faut retourner à il y a 50 ans pour ramasser des morceaux d’un casse-tête très compliqué et essayer de les rassembler, afin de trouver une bonne approche qui donne un ensemble d’indemnités.”

Lors d’une interview au mois de mai, le député libéral et critique des affaires des anciens combattants, Robert Thibault, dit que Thompson avait suscité de grands espoirs en tant que critique… “comme quoi il allait donner de l’argent immédiatement. Cent jours ont passé et ça n’a toujours pas paru au budget”. Il ajoute qu’ACC continue de tenir les gens res-ponsables quand il s’agit de démontrer qu’ils ont été rendus malades par le produit Orange ou quelque autre produit chimique à Gagetown. “Dans ce dossier, il n’a pas encore fait ses preuves.”

S’il y a une chose où il pourrait briller, c’est bien celle-là : Thompson se prépare depuis longtemps pour obtenir une place au soleil politique. Dans son bureau austère, à l’édifice de l’Est du Parlement, Thompson fait tournoyer un stylo de temps en temps sur la table basse devant lui pendant qu’il raconte qu’il s’intéresse à la politique depuis toujours. Les choix de carrière qu’il a faits quand il était jeune, de l’enseignement à la vente de voitures, lui ont tous été utiles quand il s’est lancé en politique au niveau national.

Ce pragmatisme était même visible avant quand, en tant qu’ado, il a fait face à la dure réalité qu’il ne serait pas “le prochain Jean Béliveau du hockey”. Toutefois, il était déjà en train d’apprendre à aimer la politique, suivant avec beaucoup d’intérêt les années de Pearson et de Diefenbaker.

Thompson se passionnait un peu moins pour les études. Ce n’est que durant sa dernière année à l’école qu’il s’est vraiment efforcé d’étudier. Lors du jour de la remise des diplômes, en 1966, Thompson a choisi de travailler dans l’industrie des pâtes et papiers en tant que travailleur de quart.

Le jeune homme n’aimait pas beaucoup son travail, mais il était amoureux. À l’école secondaire, il avait rencontré Linda, la femme qu’il allait épouser. Elle a grandi à Calais (Maine) qu’une rivière séparait de sa ville natale de St. Stephen. Ils se sont rencontrés aux danses d’école secondaire et aux épreuves sportives. À l’automne 1968, de grosses noces fami-liales étaient prévues, mais le couple décida qu’il n’avait pas besoin de tout ce stress. “Nous nous sommes enfuis à Vancouver pour nous marier”, dit Thompson. Les jeunes époux ont pris l’avion, ont choisi deux étrangers au hasard pour leur servir de témoins et se sont mariés à la mairie de Vancouver.

Même s’il s’intéresse à la politique depuis toujours, c’est la famille qu’il a surtout dans son coeur. Les allusions à Linda parsèment sa conversation, et il dit que c’est grâce à elle qu’il a réussi à quitter une industrie des pâtes et papiers précaire pour se lancer sur la voie d’une carrière politique. “Nous étions heureux, nous avions un petit enfant, et elle a toujours su que je désirais aller à l’université.”

Alors, pendant que Linda travaillait et s’occupait de Greg fils, Thompson a terminé son baccalauréat ès arts et son baccalauréat en éducation à l’Université St. Thomas à Fredericton, se concentrant sur l’histoire et la politique. C’est cette dernière qui le préoccupait. “Je me demandais toujours si j’allais faire carrière en politique ou pas. Je savais que la clé en était de connaître beaucoup de gens.”

La première étape était d’enseigner l’histoire et la politique au niveau de l’école secondaire. Durant quatre ou cinq ans, il a rencontré nombre de jeunes et leurs parents. “Quand je rencontre des élèves à qui j’ai enseigné, ils me disent : ‘Nous savions que vous alliez faire de la politique parce que c’est la seule chose dont vous vouliez toujours parler.'”

L’étape suivante était de travailler chez son ami Ralph Moffit, un concessionnaire d’automobiles. (Ralph) m’a beaucoup appris. Je dis souvent que j’ai acquis plus d’habileté de vendeur là que n’importe où ailleurs.” Thompson a passé une grande partie de son temps à voyager à travers le Sud du Nouveau-Brunswick, où il a rencontré “énormément de gens”. En même temps, il s’est engagé dans des organisations politiques locales.

Les Thompson ont été heureux d’annoncer l’arriver de leur deuxième fils en 1980, et ils l’ont prénommé Christian parce qu’il est né si près de la Noël. Deux ans plus tard, Thompson a fait sa première tentative en vue d’obtenir un poste politique, quand il s’est présenté à une élection provinciale. “J’imagine que c’est une décision que seul un novice aurait pu prendre. J’ai été parachuté dans un autre district, contre un député vraiment populaire. Le jeune nouveau a perdu, mais par moins de 100 votes.

Thompson a changé de carrière à nouveau, allant travailler en tant que planificateur financier. Mais il ne s’était pas laissé détourner de son ambition longtemps. Il a eu l’occasion de se présenter à l’élection fédérale en 1988, quand le député progressiste conservateur local, Fred McCain, a pris sa retraite. Thompson a remporté la nomination, et il s’est mérité une place dans le gouvernement de Brian Mulroney. “C’était le début.”

À part de la fois où le parti progres-siste-conservateur s’est fait battre à plate couture lors de l’élection de 1993, dont Thompson a été une des victimes comme nombre de ses collègues, le député du Sud-Ouest du Nouveau-Brunswick a remporté son siège en 1997, 2000, 2004 et 2006, et il est sorti vainqueur de la fusion de la droite politique qui a donné naissance au nouveau parti conservateur.

Il n’a toujours pas digéré la défaite de 1993. “Ce n’est pas le meilleur des sentiments, parce qu’on laisse une carrière réussie derrière soi et on ne peut pas retourner facilement à son ancienne vie. En ce temps-là, le parti conservateur a été presque entièrement rejeté.”

Linda n’a pas perdu le sens des proportions. “Elle me disait souvent ‘Au bout du compte, quand tout sera fini, la seule chose qu’il va te rester, ce sera ta famille’. Nous nous sommes efforcés de reprendre une vie normale. Et nous avons réussi.”

Mais un autre défi, un défi vital, s’approchait. Thompson souffrait des premiers stades du lymphome non hodgkinien, une sorte de cancer lymphatique. “Ça s’est ajouté à la complexité de la défaite”, dit-il en riant doucement.

Il s’agissait-là d’un combat qu’il n’allait pas perdre. En 1996, ayant été l’objet d’une greffe de moelle osseuse et ayant passé une bonne partie de l’année à l’hôpital, Thompson profitait d’une rémission.

Il attribue le mérite d’avoir pu passer à travers à sa famille, aux médecins et aux infirmières. À ce moment-là, Linda dirigeait une maison de chambres d’hôtes appelée Along The Shore, au bord de la rivière St. Croix. Des gens de partout au pays lui envoyaient des messages disant qu’ils priaient pour lui. “On dit que la prière marche”, dit Thompson, un Chrétien dévot. “J’imagine que c’en est un bon exemple.”

En 1997, Thompson a retrouvé son siège au Parlement. En plus de représenter sa circonscription, le député a servi de plusieurs façons, y compris comme critique de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, de la santé, du développement régional, du Conseil du trésor et du Développement des ressources humaines. Il a aussi été membre de comités et sous-comités, notamment les suivants : les pêcheries et océans, les comptes publics et la consommation non médicale de drogues ou médicaments.

D’observer Kent Caldwell, un de ses électeurs et ancien président de la filiale St. Croix de St. Stephen, “Tout le monde connaît Greg assez bien, on le tutoie tous. Je dirais qu’il tient parole, chaque fois que j’ai eu affaire à lui. En tant que politicien, il est exceptionnel.”

Le ministre des affaires intergouvernementales du Nouveau-Brunswick, Percy Mockler, connaît la famille Thompson depuis les années 1980 et il a son propre surnom pour le député : Greg le conquérant. “Quand il s’attaque à une question, on voit que le gars est résolu. Je n’ai aucun doute qu’il va être énergique lors de la défense des questions touchant les anciens combattants au cabinet, au caucus et aussi auprès du Premier ministre.”

En janvier dernier, quand le Premier ministre nouvellement élu a invité Thompson à Ottawa, Linda a dit à son mari, “Tu vas être ministre des Anciens combattants”. L’engagement du député dans le dossier du produit Orange, et le fait qu’il était le député néo-brunswickois senior, lui ont valu cet important poste.

Bien que Thibault et Gilles Perron du Bloc québécois disent que le député néo-brunswickois est relativement inconnu, ils reconnaissent sa cordialité. Peter Stoffer du NPD, le député néo-écossais de Sackville-Eastern Shore, dit qu’il “ne sait pas si c’est parce que c’est un Canadien atlantique, mais on peut lui parler facilement et il accepte de nous rencontrer”. Une chose est sûre : les autres députés ont l’intention de lui donner nombre d’occasions de travailler avec eux.

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