Le Musée canadien de la guerre: comparaison entre hier et aujourd’hui

Depuis le 8 mai 2005, les Canadiens, et plus particulièrement les anciens combattants du Canada, ont un musée national qui commémore ce qu’ils ont vécu. Il aura fallu plus de huit décennies pour que le gouvernement canadien daigne investir les fonds nécessaires à la construction du nouveau Musée canadien de la guerre (MCG) et faire ainsi en sorte que la population du Canada n’oublie pas les sacrifices des hommes et des femmes qui ont participé aux guerres auxquelles le Canada a pris part. Bien entendu, le Musée canadien de la guerre existait bien avant le mois de mai dernier. En fait, il a été officiellement ouvert le 19 janvier 1942 sur la promenade Sussex à Ottawa et son aire d’exposition a augmenté et diminué au fil des ans jusqu’à ce qu’il déménage à l’emplacement actuel sur la plaine LeBreton, près de la Colline parlementaire, à Ottawa. Maintenant que le MCG a son propre édifice, qu’est-ce qui a changé entre hier et aujourd’hui?

Pourquoi traiter de ce sujet à présent? Ayant travaillé sur l’histoire du MCG pendant près de deux ans pour rédiger un mémoire de maîtrise, j’étais impatient de visiter le nouveau MCG et admirer les améliorations apportées à l’exposition dans cet édifice construit expressément à son intention. L’ancienne exposition avait de terribles lacunes engendrées par l’espace inadéquat de l’édifice de la promenade Sussex et le musée était décrié par plusieurs comme étant “honteux”, “miteux et à éviter”. J’avais de plus été témoin de l’incapacité de certains membres du personnel de répondre à de simples questions de base sur l’histoire militaire canadienne par rapport aux artefacts exposés. Je suis donc allé visiter le nouveau MCG dans l’espoir d’y voir une amélioration substantielle de la qualité.

Comparons d’abord les expositions présentées dans le nouveau MCG à celles qu’il y avait dans l’ancien. D’abord, il faut se rappeler que les expositions de l’ancien MCG étaient réparties dans plusieurs édifices, tous vétustes. L’exposition permanente était située dans l’édifice de la promenade Sussex alors que l’exposition des gros véhicules se trouvait à la maison Vimy, un vieux garage poussiéreux où il y avait aussi les bureaux et les archives du MCG. L’exposition permanente touchait les périodes allant de la préhistoire du Canada jusqu’à la participation du pays aux missions de maintien de la paix et mettait l’accent sur les deux guerres mondiales. Cette exposition, quoique possédant de jolies maquettes, n’avait pas vraiment de contenu pédagogique et les possibilités d’interaction étaient réduites au minimum. Rien n’était vraiment mis en contexte et surtout, rien ne permettait de bien se représenter ce qu’était la guerre dans toute son horreur. À cet effet, le plus déplorable était la reproduction d’une tranchée de la Première Guerre mondiale qui était beaucoup trop “propre”. Cette reproduction déformait les réalités atroces auxquelles les soldats avaient été confrontés. Ce faisant, le visiteur ne pouvait pas bien réfléchir aux impacts d’un conflit armé en général. Il se faisait présenter un contenu “épuré” de la réalité. De plus, lorsqu’un artefact ou un texte particulier faisaient surgir un questionnement, le personnel n’était pas en mesure de fournir une explication appropriée. Le visiteur était alors invité à poser sa question par écrit, question qui était acheminée à un échelon plus élevé du MCG. Malgré cela, les réponses n’étaient pas satisfaisantes, ce qui démontre que le MCG ne formait pas son personnel adéquatement; peut-être par manque de fonds ou de volonté? En ce qui concerne l’exposition de véhicules militaires qui était logée dans la maison Vimy, elle relevait plus de la visite à un marché aux puces que d’une exposition de musée. Elle donnait toutefois accès à des artefacts chargés d’histoire qui avaient été cachés au public durant de nombreuses années.

Plusieurs changements s’opèrent avec l’ouverture du nouveau MCG. Dans un premier temps, tout est rassemblé sous un même toit. L’édifice lui-même vaut le détour. Son architecture originale se marie bien avec le thème de la guerre. Il faut prendre la peine d’étudier les éléments spécifiques de la construction pour bien comprendre les raisons de ce design (la partie supérieure du bâtiment est pointée vers la Tour de la Paix du Parlement, pour ne mentionner que cette particularité). Il est aussi possible de marcher sur le toit du musée qui a été aménagé à cet effet. À l’intérieur du bâtiment, on peut observer de nombreux tableaux de la collection d’art militaire du musée et ce, avant même de pénétrer à l’intérieur des salles d’expositions. La première de ces salles qui s’offrent aux yeux du visiteur est celle de l’exposition temporaire. Lors de mon passage, des peintures provenant des collections d’art militaire canadienne, britannique et australienne étaient en montre. Par la suite, on arrive à l’exposition permanente qui est divisée en cinq galeries racontant l’histoire militaire du Canada. La première porte sur les guerres au pays des débuts de la colonisation à 1885. Cette partie de notre histoire est d’un très grand intérêt à mes yeux. Toutefois, c’en est aussi une qui a tendance à diviser les peuples fondateurs du Canada et l’exposition est donc traitée, malheureusement, de façon à essayer de sauver la chèvre et le chou, et certains textes explicatifs laissent perplexe quant aux visées éducatives des concepteurs. Un exemple intéressant à propos des premiers contacts avec les Autochtones : le texte explique que ce sont les Français qui ont introduit les maladies infectieuses (rougeole, variole) qui ont décimé les tribus amérindiennes et c’est en effet une réalité que les Autochtones n’étaient pas immunisés contre ces maladies qui ont eu un effet dévastateur sur leur population. Par contre, le même texte fait abstraction du fait qu’en 1763 les Britanniques ont utilisé des couvertures exposées à la variole comme armes bactériologiques dans le but de contrer le soulèvement amérindien dirigé par Pontiac. Le document audiovisuel expliquant les relations entre les peuples fondateurs est lui aussi révélateur de l’intérêt que les Canadiens portent à leur histoire. Trois représentants des peuples fondateurs : un autochtone, un anglophone et un francophone discutent de l’évolution des relations après la conquête. Ils sont tous affublés d’un chandail aux couleurs d’une équipe de hockey canadienne et discutent en attendant que la partie débute. Ce document dévoile certains préjugés qui sont inscrits dans la mémoire collective de chaque peuple et qui génèrent des tensions entre eux. Ce qui est amusant c’est que la discussion se termine dès que la partie commence, et le document aussi. Cela démontre bien que tant que l’humain aura du pain et des jeux…

Le visiteur passe ensuite à la période des guerres impériales et de la Première Guerre mondiale. Cette galerie est une amélioration radicale par rapport à l’ancien musée. Premièrement, le document audiovisuel expliquant la marche à la guerre et le jeu des alliances est remarquable. Il est très facile par la suite de comprendre comment un simple assassinat politique a dégénéré en conflit mondial. Il y a encore la fameuse reproduction d’une tranchée trop “propre” mais elle est accompagnée d’une maquette interactive expliquant le fonctionnement d’un réseau de tranchées qui, elle, est très éducative. Les modèles expliquant les effets des shrapnels révèlent aussi très bien l’horreur du champ de bataille, et le décor représentant la bataille de Passchendaele est saisissant. On a aussi pris la peine d’expliquer brièvement la vie au front intérieur, c’est-à-dire à la maison, au Canada. L’exposition couvre aussi les grands événements au Canada comme la crise de la Marine pendant le gouvernement de sir Wilfrid Laurier, l’explosion au port d’Halifax en 1917, l’instauration de l’impôt sur le revenu, l’heure avancée, le vote des femmes et, bien entendu, la crise de la conscription de 1917. Cette galerie se termine par le traité de Westminster de 1931, à l’issue duquel le Canada entre en pleine possession de son autonomie politique.

La troisième galerie est réservée exclusivement à la Deuxième Guerre mondiale. Elle couvre, entre autres, la montée du nazisme et du fascisme en Europe. Sur plusieurs écrans sont projetées des images de discours des dictateurs. Viennent ensuite le déclenchement de la guerre et l’entrée du Canada dans le conflit. La participation du Canada au Programme d’entraînement aérien du Commonwealth, à la bataille de l’Atlantique et à la production industrielle pour l’effort de guerre est bien représentée et prend une grande place au sein de la galerie. Ce sont ensuite les opérations aériennes et terrestres aux nombreux théâtres d’opération en Europe et en Asie qui sont exposées : participation au sein du Bomber Command, Hong Kong, Dieppe, la Sicile et la libération de l’Europe. Plusieurs films d’archives concernant les événements sont projetés en boucle et de nombreux écrans tactiles permettent d’en apprendre plus sur des sujets tels que les convois de ravitaillement qui traversaient l’Atlantique et la machine allemande “Enigma”. Ajoutons à cela les nombreuses maquettes, bruits de batailles et décors grandeur nature qui aident le visiteur à se plonger dans l’atmosphère. Cette galerie se termine par une projection vidéo présentant les témoignages d’acteurs de l’époque expliquant les nombreux impacts que la Deuxième Guerre mondiale a eus sur la société canadienne.

Le visiteur entre ensuite dans la galerie sur l’après-1945 et il est tout de suite plongé dans les innovations technologiques qui ont composé l’après- guerre. Cette galerie porte sur la période de la guerre froide et sur la participation du Canada à la guerre de Corée, à la formation de l’OTAN, au NORAD et aux nombreuses missions de maintien de la paix de l’ONU. Un panneau porte sur la crise d’octobre 1970 et une petite place est faite aux vétérans canadiens de la guerre du Viêt-Nam. Le point marquant de cette galerie est la projection de deux documents audiovisuels. Le premier relate l’histoire de la participation canadienne aux missions commandées par l’ONU. Le second est une projection d’environ un quart d’heure servant à rappeler que la violence et la guerre font toujours partie de notre quotidien. Ces deux projections sont très émouvantes et d’actualité, et le visiteur est invité à réfléchir à l’avenir de l’humanité quand il aura quitté la galerie.

Le tour de cette partie de l’exposition se termine par la visite du salon d’honneur de la Légion royale canadienne. Cette salle expose les articles commémoratifs produits pour souligner la participation des Canadiennes et Canadiens aux nombreux conflits auxquels le Canada a participé.

Le visiteur descend ensuite dans la salle de la Régénération où il peut admirer les modèles ayant servi à la confection du monument commémoratif érigé sur la crête de Vimy en France. Cette salle communique directement avec la galerie LeBreton où sont exposés de nombreux véhicules militaires et pièces d’artillerie de toutes sortes qui, avant, logeaient à la maison Vimy. En faisant le tour de la salle, le visiteur a un accès visuel à la voûte de conservation du musée. Le corridor ramenant le visiteur au hall d’entrée est tapissé de nombreux tableaux de la collection Beaverbrook et de parties avant de carlingues de bombardiers canadiens ayant été agrémentées de dessins par les équipages.

La visite se termine par une période de recueillement dans la salle du Souvenir où est exposée la pierre tombale qui identifiait la tombe du soldat inconnu et d’autres monuments gravés à la mémoire de soldats canadiens qui sont tombés lors de missions de l’ONU. La pierre du soldat inconnu est positionnée de manière à ce que la lumière du soleil l’éclaire à 11 heures précises, chaque 11 novembre.

On peut enfin vraiment dire, plus de 80 ans après que l’idée ait germé, que le Canada a un musée national d’histoire militaire. Toutefois, et comme rien n’est parfait, voici quelques critiques qui pourraient servir à améliorer le contenu de l’exposition. D’abord les points positifs : l’exposition s’est beaucoup améliorée en comparaison de ce qui était présenté auparavant. Pédagogiquement parlant, l’interactivité proposée avec l’usage du multimédia rend l’expérience plus enrichissante et permet d’intéresser un plus large public. Les guides, malgré qu’ils soient trop rapidement formés, sont meilleurs qu’avant et ils ont de meilleures ressources pour répondre aux questions des visiteurs. Le simple fait de pouvoir obtenir immédiatement par radio l’avis d’un historien améliore le service à la clientèle. Les maquettes jouent maintenant un rôle plus éducatif que décoratif. Les décors créent une atmosphère qui sert à mieux s’absorber dans le contexte.

Maintenant, ce qu’on pourrait améliorer : les textes des panneaux contiennent beaucoup trop de fautes d’orthographe et/ou de traduction. Les francophones sont pratiquement relégués au statut de minorité visible malgré leur appartenance à un des peuples fondateurs et seuls les actes individuels de membres des différents peuples permettent de les distinguer des autres Canadiens. En fait, l’exposition transpire d’une volonté de faire disparaître les distinctions entre les nombreux peuples qui forment la population canadienne. Il en émane une volonté politique d’unité nationale et il est remarquable de voir que la description des événements tente de masquer ces tensions qui ont si souvent divisé le Canada de par le passé. Il ne faut toutefois pas se leurrer, chaque musée a une visée politique et un musée national plus que tout autre. Bien que le MCG soit ouvert depuis le mois de mai 2005, j’ai constaté lors de mes deux visites (la première en juin et la deuxième en septembre) qu’il restait beaucoup à faire pour que l’exposition soit complète. Certaines maquettes n’étaient pas encore terminées et certains écrans tactiles ne fonctionnaient toujours pas. De plus, certains des artefacts et tableaux exposés n’avaient pas encore leur fiche descriptive.

En terminant, on peut affirmer que le Canada possède maintenant un musée d’histoire militaire national digne de ce nom, même s’il reste encore beaucoup à faire pour que les expositions atteignent leur plein potentiel. Le nouveau Musée canadien de la guerre offre enfin aux Canadiens un intermédiaire nécessaire à la commémoration des sacrifices consentis par des générations d’hommes et de femmes qui, aujourd’hui encore, travaillent à construire un monde meilleur malgré toutes les embûches rencontrées le long du parcours. Il a fallu attendre plus de 80 ans avant que ce projet se réalise. On peut maintenant dire avec soulagement : mieux vaut tard que jamais.

Search
Connect
Listen to the Podcast

Leave a Reply