Une guerre de plus

L’agression commise par la Corée du Nord en 1950 précipita des alliés de la guerre mondiale, le Canada y compris, dans une autre mêlée.

Le NCSM Sioux se fraye un chemin dans la glace en février 1952.
MDN/BAC/PA-138217

Deux jours après l’invasion surprise de la Corée du Sud par les troupes nord-coréennes le 25 juin 1950, l’ONU appela ses membres à mettre un terme à l’agression et à rétablir la paix. La première réponse militaire du Canada fut d’envoyer la marine.

Le pays n’étant pas alors sur le pied de guerre, ni l’armée ni l’aviation ne pouvaient être déployées rapidement à 11 000 kilomètres de là. En revanche, des contretorpilleurs de la Marine royale canadienne se préparaient à participer à des manœuvres de l’OTAN, et trois d’entre eux étaient ancrés à Esquimalt, en Colombie-Britannique. 

Les NCSM Cayuga, Athabaskan et Sioux prirent la mer le 5 juillet. Ce furent là les premiers des huit contretorpilleurs canadiens et 3 621 membres du personnel naval qui servirent lors de la guerre de Corée.

« Ils avaient recruté 90 matelots de 3e classe de notre formation […] pour les trois contretorpilleurs », raconte Ken Kelbough dans l’une des nombreuses entrevues du Projet Mémoire citées dans le présent article. « Je me suis retrouvé […] à bord du Sioux, et ça m’allait très bien parce qu’il y avait des couchettes au lieu de hamacs. »

Les servants de canon antiaérien d’un contretorpilleur canadien font le guet. Le capitaine JV Brock parle avec des responsables coréens après l’invasion amphibie de la ville portuaire d’Inchon en septembre 1950.
Donald M. Stitt/MDN/BAC/PA-126625

Quatre autres contretorpilleurs de classe Tribal — les navires canadiens Nootka, Huron, Iroquois et Haida — et le contretorpilleur de classe Crescent NCSM Crusader servirent là-bas et y restèrent après l’armistice de 1953.

Lorsque le 31 juillet les trois premiers navires sous le commandement du capitaine Jeffry Brock rejoignirent la force navale de l’ONU à Sasebo, au Japon, les envahisseurs nord-coréens s’étaient emparés de Séoul, capitale de la Corée du Sud, et ils n’étaient pas loin d’avoir jeté son armée à la mer.

 

L’ONU établit un périmètre défensif de 230 kilomètres autour du port de Pusan (aujourd’hui Busan) et les combats firent rage pour maintenir, puis agrandir cette tête de pont. Les navires canadiens furent immédiatement mis à contribution. 

« Nous n’étions même pas là depuis une journée qu’il fallait déjà parer à une urgence », se souvient Reginald Vose de l’Athabaskan. Il fallait des soldats tout de suite. L’Athabaskan et le Cayuga furent chargés de protéger des porte-avions et des convois tandis que le Sioux se vit confier des tâches de sauvetage, dont la récupération des équipages en mer après une chute ou un abandon d’avion.

Les navires canadiens furent réaffectés peu après à des missions de blocus et de patrouille, à roder le long des côtes et autour des iles, à fouiller jonques et sampans susceptibles d’être armés ou d’acheminer clandestinement du ravitaillement vers la Corée du Nord. À la mi-aout, les forces terrestres de l’ONU se battaient à l’intérieur des terres, loin de Busan et de l’aide des canons navals. Les forces ennemies avaient saisi la ville portuaire de Yeosu sur la côte sud, et il fut décidé que la marine les priverait de son usage.

Un navire canadien engagea le combat pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Le Cayuga se joignit au NSM Mounts Bay le 15 aout pour bombarder les entrepôts et les installations portuaires : « Le Cayuga plaça lui-même 94 projectiles de 4 pouces de haut », écrivirent Thor Thorgrimsson et E.C. Russell dans Canadian Naval Operations in Korean Waters 1950-1955 (CNOps) (Opérations navales canadiennes dans les eaux coréennes, 1950 à 1955, NDT).

Les trois navires canadiens servirent à protéger le flanc de la force des Nations Unies lors de l’attaque-surprise en septembre d’Inchon, sur la côte ouest. Les soldats de l’ONU s’emparèrent du port, s’avancèrent dans les terres et libérèrent Séoul le 26 septembre, puis ils forcèrent les forces nord-coréennes à reculer jusqu’au 38e parallèle. Ce faisant, ils firent 125 000 prisonniers. 

Il semblait alors que la fin du conflit était proche. Puis, sans tenir compte des avertissements de la Chine, les forces de l’ONU pénétrèrent en Corée du Nord et capturèrent Pyongyang, la capitale, avant d’avancer jusqu’au fleuve Yalu qui marque la frontière avec la Chine.

Comme elle avait menacé de le faire, la Chine envoya des troupes aux côtés des Nord-Coréens. Leurs forces combinées étaient alors assez puissantes pour repousser les forces de l’ONU de l’autre côté du 38e parallèle et reprendre Pyongyang.

 

Le 4 décembre, le capitaine Brock, alors à la tête de six contretorpilleurs maintenant le blocus le long de la côte ouest, fut chargé de couvrir l’évacuation de Nampo, le port sur le fleuve Taedong par où passait le ravitaillement des forces de combat de l’ONU à Pyongyang.

« Entre les navires de guerre et la ville, il y avait 40 milles (64 kilomètres) de navigation tortueuse dans un chenal peu profond bordé de champs de mines et de berges boueuses mouvantes et parsemé de hauts-fonds perfides […] déjà difficiles en plein jour ». Les chances n’étaient franchement pas en leur faveur « les nuits sans lune quand les vents et les fortes marées augmentaient les risques », explique un article de janvier 1951 du Crowsnest.

Les observateurs sur le pont scrutaient la surface à la recherche de mines et autres dangers.

À la tombée de la nuit, sous une pluie d’hiver et à marée basse, les six contretorpilleurs se glissèrent prudemment vers l’amont du fleuve. « Il faisait noir comme dans le cul d’un ours », lit-on dans le journal du capitaine Brock. Parfois, il n’y avait que 20 pouces (50 centimètres) d’eau sous les quilles, a rapporté Ted Barris dans un article que nous avons publié en 2003.

« Ce chenal ne fait que 600 verges (548 mètres) de large, et deux navires s’étaient échoués, se souvient M. Vose. Nous y sommes allés en utilisant l’échosondeur et le radar, et en faisant beaucoup de traçage. » Énormément de traçage, même.

Une lourde responsabilité pesait sur le lieutenant Andy Collier du Cayuga qui dirigeait l’armada. Il fit 132 « correctifs » (c’est-à-dire des rapports pour réorienter le navire) en quatre heures, tandis que les observateurs sur le pont scrutaient la surface à la recherche de mines et autres dangers, données cruciales pour que le capitaine guide les quatre contretorpilleurs restants sans danger. Le lieutenant Collier reçut la Croix du service distingué.

« La précision de sa navigation a indubitablement joué un rôle important dans le succès de l’ensemble de l’opération », lit-on sur la citation.

Le NCSM Nootka fait le plein de munitions grâce à un ravitailleur de la marine des États-Unis.
BAC/E011066934

Plus de 8 500 militaires et civils s’enfuirent du port, les derniers au moment où les tireurs d’élite ennemis se mirent à chercher leurs cibles en ville. Alors que l’Athabaskan était envoyé en aval couvrir la retraite, les trois autres navires lancèrent environ 800 obus pour ralentir l’ennemi s’approchant du port.

Les bâtiments canadiens furent pris sous le feu de l’ennemi pour la première fois en janvier 1951. Les Chinois repoussèrent les forces de l’ONU et de la Corée du Sud. Ils reprirent Séoul le 4, puis Inchon, le port qui l’approvisionnait. Les contretorpilleurs canadiens participèrent au bombardement ultérieur d’Inchon par l’ONU et, le 25 janvier, le Cayuga et le Nootka, récemment arrivé, furent pris pour cible par les batteries côtières.

Alors que la guerre faisait rage sur la terre ferme, les contretorpilleurs canadiens se relayaient régulièrement en Corée, affectés soit au commandement de la côte est, soit à celui de la côte ouest. Il n’y eut pas de féroce combat naval, car la Corée du Nord n’avait pas de gros navire et sa marine de canonnières avait été détruite en juillet 1950. Mais, cela ne se traduisit pas par le silence des canons des navires canadiens.

Quand la guerre prit fin, les navires canadiens avaient « tiré plus de 130 000 obus sur toutes sortes de cibles », écrivit Fred Fowlow de l’Athabaskan dans un article publié dans Starshell en 2011.

« Je savais que nos tubes étaient vraiment usés parce que [les obus] faisaient un bruit, comme un frémissement, quand ils étaient envoyés, se souvient Philip George Bissell, officier d’artillerie du Sioux. Et quand nous sommes rentrés au Canada, nos beaux barils [autrefois] neufs de 4,7 pouces faisaient alors 4,9 pouces et ne tiraient pas toujours dans le bon sens. » 

Les navires canadiens appuyaient les opérations terrestres au besoin, surveillaient les porte-avions, assuraient le sauvetage en mer, réduisaient les déplacements de l’ennemi en mer, escortaient les vaisseaux de transport de troupes et de matériel, bombardaient les installations côtières et les chemins de fer, donnaient un coup de main pendant les évacuations et fournissaient des secours humanitaires. Pendant tout ce temps, ils étaient en état d’alerte à cause des mines qui coulèrent ou endommagèrent 11 navires de l’ONU, bien qu’heureusement aucun navire canadien ne fut touché.

Dans ce contexte, il y avait les corvées quotidiennes qu’étaient les patrouilles en mer Jaune sur la côte ouest, en la mer du Japon sur la côte est et dans le détroit de Corée qui sépare la Corée du Sud du Japon. Et les patrouilles étaient accompagnées de dangers provenant de la terre, de la mer et des intempéries.

 

« Nos patrouilles duraient entre trois et six semaines d’affilée, explique Kenneth Snider de l’Iroquois. Nos armes étaient prêtes en tout temps. La nuit, lorsque nous jetions l’ancre, des gardes armés faisaient les cent pas sur le pont supérieur, et un canon Bofors de 40 mm était armé. Nous devions rester assis près de cette arme […] pendant notre quart de quatre heures et nous tenir prêts en cas de problème. »

Ces « problèmes » étaient notamment les actions secrètes de l’ennemi. Des navires chinois ou nord-coréens descendaient les côtes pour déposer des agents ou des espions. Ou pour poser des mines.

« Vu qu’ils venaient à côté de nous et se faisaient exploser, note Earl Page du Huron, nous devions être très prudents. » Ou bien, ils lançaient une grenade.

À la mi-mai 1951, un contretorpilleur en patrouille tomba sur une flotte de pêche chinoise dans des eaux interdites au large de la côte ouest. Il n’y avait pas que des pêcheurs à bord.

Nous avons attrapé un train entre deux tunnels et détruit tous les wagons. 

L’opérateur radar Don Jatiouk du Nootka repéra un mouilleur de mines. Le capitaine contourna le champ de mines et captura l’équipage ennemi. Le lendemain, un dragueur de mines de l’ONU neutralisa le champ. Il y eut « une énorme explosion […] d’au moins 250 pieds [60 mètres] de diamètre qui est montée tout droit dans les airs à au moins 150 pieds [45 mètres], écrivit M. Jatiouk. Je suis certain que si nous avions percuté la mine, le navire aurait été perdu […] et il y aurait probablement eu un grand nombre de victimes ».

Les vents violents, les vagues et les intempéries en firent, des victimes. Le premier fut Vince Liska du Cayuga, 29 ans, le 4 décembre 1950. En novembre 1950, R.E. Elvidge de l’Athabaskan passa 15 minutes dans l’eau lors du typhon Clara avant d’être secouru. Un an après, son camarade de bord Robin Skavberg, 20 ans, disparut du navire au large de la côte ouest, et il ne put être retrouvé à cause des flots déchainés et des puissants courants.

 

Sur la côte est, les patrouilles ciblaient fréquemment les chemins de fer. Les forces nord-coréennes étaient approvisionnées en partie par un chemin de fer forcé de longer la côte à cause des montagnes escarpées de Taeback. Il était parfois à portée des canons navals. Il y avait un secteur où la voie ferrée traversait une série de cinq tunnels. On appelait chaque segment avec une partie de voie et un tunnel « package » (paquet, NDT). « Nous avons attrapé un train entre deux tunnels et détruit tous les wagons », déclare Norman Heide du Sioux.

« La nuit, dans l’obscurité, ils éteignaient tout à bord du navire et se glissaient près de la côte […] à l’écoute des trains et des sifflets. » S’ils les entendaient, ils lançaient un obus éclairant qui illuminait le ciel afin que les artilleurs puissent viser et « le frapper avant qu’il ne rentre dans un tunnel », explique Daniel Kendrick du Huron.

Le Trainbusters Club (club des pourfendeurs de trains, NDT), concours d’artillerie servant à remonter le moral, fut formé en juillet 1952. De nombreux navires de l’ONU pouvaient revendiquer des coups sur un wagon ou une voie ferrée, mais l’adhésion au club n’était accordée qu’aux navires qui détruisaient la locomotive. C’était un club plutôt exclusif, car les cibles que visaient les canons étaient rapides, au maximum de leur portée, il faisait parfois mauvais temps ou la côte était obscurcie par la fumée, et on agissait souvent sous le feu ennemi ou sur des mers agitées.

« C’était vraiment une prouesse, car le navire monte et descend, on doit pointer les canons […] exactement où se trouve le train, ou un peu en dessous, pour détruire la voie et le faire dérailler. Et c’est devenu tout un exploit », souligne Jim Wilson, artilleur du Haida.

« Les navires canadiens se prêtèrent au jeu avec le plus grand enthousiasme, et avant la fin des hostilités, proportionnellement, ils en avaient détruit bien plus que les navires de n’importe quel autre pays », est-il écrit dans CNOps.

Sur les 28 destructions enregistrées par le club, huit furent attribuées aux navires canadiens. Le Haida et l’Athabaskan furent tous deux des « navires à deux trains » élites dans le concours; le record appartenait aux artilleurs du Crusader : quatre trains frappés, dont trois détruits, en 24 heures. « Nous avions certains des meilleurs artilleurs de la marine canadienne », note Irving Larson du Crusader.

Une barque repérait les trains, puis avertissait le navire par radio et « nos canons étaient déjà chargés, prêts à tirer, lorsqu’ils entraient dans un “paquet”, dit M. Kelbough. Les canons se stabilisaient et puis boum, boum, ils les faisaient sauter ». Ensuite, « nous devions partir de là parce qu’ils amorçaient des batteries côtières, et un navire est une cible facile.»

L’Iroquois s’en rendit compte le 2 octobre 1952, quand il fut frappé de flanc par les batteries côtières : trois morts et 10 blessés. L’Iroquois est le seul navire canadien à bord duquel il y eut des décès causés par l’ennemi.

M. Bissell du Sioux se souvient d’une attaque sur les dépôts de rails dans le port de Wonsan en 1951, la première fois que le navire disposait d’un avion-guetteur. 

« J’ai dit : “c’est notre seule chance d’épater la galerie”. » Le premier obus « a frappé en plein milieu de cette usine […] où leurs trains étaient tous constitués. » Le guetteur, fort impressionné, a confirmé que le coup avait touché la cible, et il a été suivi rapidement par dix autres, anéantissant le bâtiment et les trains voisins, avec ensuite des bombardements « qui leur ont causé de gros dégâts parce que tout leur armement militaire passait par là. »

Sur la côte ouest, les patrouilles surveillaient constamment les innombrables iles qui avaient une valeur stratégique pour les deux camps.

La Corée du Nord voulait augmenter le nombre d’iles dont elle avait le contrôle, à partir desquelles elle pourrait lancer des attaques et des opérations d’espionnage. L’ONU voulait protéger les iles occupées par la Corée du Sud, dont certaines servaient de base, de centre de renseignement ou de poste radar, d’autres abritaient des réfugiés, et quelques-unes étaient détenues par des guérilleros amis qui attaquaient continuellement le continent et apportaient des renseignements précieux.

La défense des iles « est devenue la plus importante et certainement la plus dangereuse et la plus excitante des nombreuses tâches des contretorpilleurs canadiens de la côte ouest après le début des pourparlers de trêve », selon CNOps. L’action s’intensifiait chaque fois que les pourparlers de trêve s’interrompaient.

Ce n’était pas une tâche facile que de longer les étroits chenaux jonchés de rochers et de hauts-fonds, de surcroit en proie à de forts courants.

« Partout où il y avait une voie à proximité de la côte utilisée par les navires de l’ONU, l’ennemi utilisait des batteries de canons de campagne », est-il écrit dans CNOps. Si un navire s’échouait pendant la nuit, « il risquait de se retrouver le matin sous les bouches d’une puissante batterie. »

« Nous étions toujours très près du 38e parallèle […] sous les canons [ennemis] », se souvient Ron Kirk, signaleur de l’Iroquois. « Notre travail consistait à garantir la sécurité des iles. »

Ils s’en acquittaient en « naviguant autour d’elles lentement pour s’assurer que [l’ennemi ne] venait pas […] sur l’étroit chenal », explique M. Orrick. Une grosse partie du travail se déroulait la nuit.

« Notre travail pendant la journée était de protéger [un porte-avions] avec nos armes. Il y avait toujours la menace des sous-marins », dit M. Bissell du Sioux. Mais après la tombée de la nuit, « la plupart du temps, nous essayions d’empêcher les Nord-Coréens et les Chinois de sauter d’une ile à l’autre ». À l’aube, le navire retournait escorter le porte-avions.

Les conditions si défavorables pour les navires de l’ONU étaient une couverture parfaite pour les petits navires ennemis. Les patrouilles de l’ONU interceptèrent de nombreuses jonques.

« Certaines étaient armées, d’autres non. On les abordait pour les inspecter et pour poser des questions », dit Eldon Davidge du Crusader.

Les navires canadiens étaient parfois appelés à servir dans le labyrinthe d’iles de la baie de Haeju, au nord du 38e parallèle, à portée des canons ennemis. Le Cayuga « était responsable de l’organisation initiale de l’unité de défense navale de Haeju, » selon CNOps, ce qui comprenait « la défense des iles amies, l’aide aux guérillas pour déloger les envahisseurs des iles récemment capturées et la gestion d’un grand nombre de réfugiés. »

Les navires canadiens bombardaient les ports, les casemates et les postes d’observation, prenaient part à des raids et recueillaient des renseignements. Le Cayuga déposa deux membres d’équipage pour observer les navires ennemis, mais leur principale préoccupation était de ne pas devenir prisonniers de guerre.

« Nous avions une peur bleue, avoue le signaleur Scotty Wells. Nous montions aussi haut que possible. Nous ne marchions pas autour de l’ile, et nous nous cachions autant que possible. C’est probablement le jour le plus stressant que nous ayons eu. »

Des marins du NCSM Sioux brisent la glace du pont.
MDN

La navigation était difficile dans les hauts-fonds, sur les rivages des iles et près de la côte du continent quand la météo n’était pas de la partie. Le Huron patrouillait dans le brouillard la nuit du 13 au 14 juillet 1953, « traçant un huit sans fin » près de l’ile de Yang-do qui était utilisée par les Américains et les Sud-Coréens pour la recherche du renseignement. Il y eut un soubresaut.

« La poupe du navire reposait sur de gros rochers. Le Huron s’était échoué! » se souvient George Schober. Le navire fut dégagé des rochers et remorqué, poupe en avant, pour se faire remettre à neuf.

La glace était un problème en hiver. « La glace n’était pas comme celle de l’Arctique », explique Robert Orrick de l’Athabaskan. Elle était assez mince pour être cassée en petits morceaux par le navire, et elle risquait de se coincer dans une prise d’aspiration en dessous de la ligne de flottaison. « Si la glace bouchait une prise, ça allait mal : on n’aurait pas été en mesure de se déplacer […] et si on était coincé dans la glace, on était […] une cible facile » pour les canons ennemis.

Les patrouilles croisaient souvent des réfugiés démunis et affamés.

« Les hommes […] faisaient ce qu’ils pouvaient pour soulager les souffrances de ces malheureux », est-il écrit dans CNOps. Le capitaine de frégate Robert Welland de l’Athabaskan rapporta que « par temps froid, chaque fois qu’une jonque nous abordait, les passagers, dans un état lamentable, étaient inondés de cigarettes et de broutilles jetées du pont supérieur. »

« Quand nous savions que nous pouvions faire quelque chose, en général, nous faisions une collecte, dit M. Kirk de l’Iroquois. Une fois, j’ai écrit à ma mère pour lui demander de m’envoyer des vêtements pour bébés. »

« Ils n’avaient pas beaucoup à manger, souligne Donald Raven du Crusader. Ils passaient la journée sur les rochers à ramasser la chair de pouce-pied pour se nourrir. » Ses camarades de bord et lui se remplissaient les poches de petites boites de céréales pour les donner aux enfants. Ils organisèrent une fête pour quelques orphelins à bord du navire, puis ils recueillirent des fonds afin d’acheter du tissu et de leur fabriquer des vêtements.

« Une fois ou deux, nous […] sommes tombés sur des civils en assez piteux état, alors Jeffry Brock, notre capitaine, a lancé un mouvement pour apporter de la nourriture aux diverses iles », se souvient Jim Dockstader du Cayuga.

« Je n’ai jamais vu une telle pauvreté, ajoute Karl Ryckman du Huron. Parfois, ils n’avaient pas de vêtement. » Le navire faisait des dons de « denrées alimentaires ou de vêtements […] beaucoup d’affaires usagées des gars à bord. »

Le travail humanitaire a continué après l’armistice du 27 juillet 1953, alors que des centaines de milliers de réfugiés déplacés par la guerre fuyaient la Corée du Nord pour chercher un nouvel endroit où vivre et que beaucoup perdaient la vie lors de leur tentative.

Les contretorpilleurs canadiens maintinrent l’ordre pendant le cessez-le-feu et prirent part à l’évacuation des iles qui devaient être rendues à la Corée du Nord. L’inquiétude régnait partout. Le Haida était en service d’observation dans l’estuaire de la rivière Han, près de Séoul, où il s’assurait qu’il n’y avait pas d’accumulation d’armes ni d’action agressive.

« Sous les canons communistes […], on se prend vraiment à espérer qu’ils savent qu’un cessez-le-feu est en vigueur », avoue Andy Barber du Haida.

« Il n’y avait rien d’inhabituel à ce qu’on doive aller près des postes de combat. Ils ont tiré près de nous une fois ou deux […] juste pour nous dire qu’ils estimaient qu’on était en train d’empiéter sur leur territoire […] nous devions lever l’ancre et décamper à toute vitesse. »

Un officier du matériel d’artillerie du NCSM Nootka distribue des bonbons à des enfants coréens.
Archives de la revue Légion

En septembre 1955, le NCSM Sioux rentra au pays. C’était le dernier contretorpilleur canadien qui avait servi dans le théâtre coréen.

Sur les 30 000 Canadiens qui servirent dans les forces terrestres, navales ou aériennes au cours de la guerre de Corée, il y eut 516 morts et 1 557 blessés, sans compter les problèmes de santé mentale. La Marine royale du Canada perdit neuf membres : quatre morts au combat, trois perdus en mer et deux victimes d’un accident d’avion en mer.

Rentrer dans la marine, dit M. Kirk, « est probablement la meilleure décision que j’ai jamais prise. Je n’ai compris pourquoi que 57 ans plus tard, lorsque je suis retourné en Corée. » Il fut alors frappé par le contraste entre la société moderne prospère et ses souvenirs des gens démunis pendant la guerre.

« C’était incroyable. C’est un pays dynamique. L’infrastructure, ouah! Je n’arrivais pas à y croire. Toute leur vie, en particulier aux Canadiens, est un grand “Merci”. » 


La vie à bord des navires

Pendant l’évacuation  d’Inchon, en Corée, les Américains offrirent aux navires canadiens de la nourriture récupérée dans le port.

« Il y avait du saumon en boite des conserveries Todd’s Canneries à Victoria, des boites de pêches et de poires : tout cela descendait au mess du chauffeur. Nous avions de bons produits, dit David Campbell du Sioux. Mais quand ils montèrent des boites de viande congelée portant la mention “mouton” à bâbord, elles furent jetées à tribord tout aussi vite. »

« Il fallut un certain temps pour s’habituer à dormir dans les hamacs suspendus au plafond que chaque vague faisait se balancer toute la nuit, se rappelle Jack Thomson du Haida. Dix à 12 hommes
dormaient dans un espace restreint, et leurs hamacs se heurtaient parfois. »

Les hamacs étaient attachés ou détachés et rangés afin que l’équipage puisse utiliser les tables en dessous pour les repas, qui consistaient souvent d’œufs et de lait en poudre, car « il était impossible de faire des œufs au plat sur un navire qui tangue. Mais nous avions des moments de plaisir, aussi. »

À l’époque, explique Eldon Davidge du Crusader, « la question du rhum se posait tous les jours ».  Et il y avait les permissions à terre dans certains ports assez exotiques. « Je trouvais ironique que jusqu’à mes 19 ans, j’avais un couvre-feu de minuit », note Jack Thomson du Haida.

La vie quotidienne à bord faisait pâle figure à côté. « Quand on n’est pas de quart, dit Kenneth Snider de l’Iroquois, on est quand même marin. On écaille la peinture, on lave les ponts, et on repeint tout ce qui ne bouge pas. »

Ces soldats du Royal 22 Régiment sont à l’étroit à bord d’un transport de troupes faisant cap sur la Corée en mars 1952.
Paul E. Tomelin/MDN/BAC/PA-128858
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