L’envoi par le fond du Bismarck

Bis 1

Le 21 mai 1941, le navire de guerre le plus puissant d’Europe disparut de sa zone de mouillage à Bergen, en Norvège. Les Britanniques, qui se tenaient anxieusement aux aguets, devinèrent que le Bismarck, tout nouveau cuirassé de 50 000 tonnes, se dirigeait vers les vastes étendues océaniques de l’Atlantique Nord, c’est-à-dire vers les voies d’approvisionnement dont dépendait la Grande-Bretagne. Pendant sept jours se déroula l’un des épisodes les plus marquants de la Deuxième Guerre mondiale, qui prit fin lorsque le Bismarck fut coulé, le 27 mai.

Aucun navire de guerre canadien ne joua de rôle dans cette opération. À ce stade-là de la guerre, la Marine royale canadienne n’avait pas les contretorpilleurs de la classe Fleet ni les croiseurs nécessaires à un travail si dangereux. En même temps que le Bismarck s’évanouissait dans l’Atlantique Nord, une flottille de nouvelles corvettes de la MRC arrivait à St. John’s pour établir la force d’escorte de Terre-Neuve et se lancer dans une mission fort différente. Des Canadiens prirent cependant part à presque toutes les facettes de la destruction du Bismarck : renseignement, frappes aériennes, canonnades… Plusieurs d’entre eux périrent au combat.

L’engloutissement: Le Bismarck qui sombre prend feu après avoir été attaqué par des avions et des navires le 27 mai 1941.
Mary Evans/Collection Malcolm Greensmith

Comme prévu, le Bismarck et le croiseur lourd Prinz Eugen étaient en route pour le détroit de Danemark, un passage entre l’Islande et le Groenland encombré par les glaces et envahi par le brouillard. La force d’arrêt de la flotte territoriale britannique (qui patrouillait dans les eaux territoriales de la Grande-Bretagne) basée à Scapa Flow, mouillée aux iles Orkney d’Écosse, comprenait des croiseurs équipés de radar, l’élégant, mais vieillissant croiseur de bataille HMS Hood et les nouveaux cuirassés Prince of Wales et King George V, à bord desquels se trouvaient des aspirants de la MRC.

Les aspirants de marine étaient des élèves officiers – habituellement à la fin de leur adolescence –, qui s’étaient enrôlés dans la MRC professionnelle et suivaient une formation initiale dans les armureries de la flotte. Ils étaient des « gentilshommes », mais pas encore des officiers, et ils apprenaient sur le tas. On leur confiait une multitude de tâches afin qu’ils se familiarisent avec les divers aspects du fonctionnement des navires et avec les sous-officiers et l’équipage.

Il y avait trois aspirants à bord du Hood : T.N.K. Beard, F.F.L. Jones et S.J.B. Norman. Le soir précédant leur départ en direction du détroit de Danemark, ils embarquèrent tous trois à bord d’une vedette à vapeur – la dernière en existence dans la Marine royale (MR), joliment peinte et aux garnitures relui-santes en laiton –, chercher le seul aspirant canadien dans la soute à poudre du Prince of Wales. Après le souper et une soirée de chahut amical, la vedette ramena Leir au Prince of Wales. « Je passerai vous chercher quand on sera de retour », cria Leir à ses camarades.

Le sous-lieutenant Stuart E. Paddon, officier de radar de la Réserve de volontaires de la Marine royale du Canada (RVMRC), était aussi à bord du Prince of Wales. À la fin de l’année 1940, 40 officiers de radar de la RVMRC étaient affectés à des croiseurs et à des cuirassés de la flotte britannique. En fait, les officiers de radar canadiens étaient si nombreux dans la MR qu’un capitaine, voyant qu’on lui avait affecté un officier de radar britannique, réclama à l’amirauté un « vrai » officier de radar : « un Canadien! » On ignore combien d’officiers de radar canadiens étaient dans la flotte territoriale ou dans la Force H (formation navale britannique basée à Gibraltar) au printemps 1941, mais ils y étaient probablement très nombreux. En 1941, il y avait aussi quelques pilotes canadiens à bord de porte-avions britanniques.

Tôt le matin du 24 mai, le Hood et le Prince of Wales se trouvaient au sud du Détroit de Danemark lorsque trois points clignotants à 24 000 mètres apparurent sur le radar de veille principal du Prince of Wales. Il s’agissait du Bismarck et du Prinz Eugen, et d’un ravitailleur qui s’éclipsa bientôt. Le sous-lieutenant, enfermé dans une pièce blindée, suivit les activités sur son appareil. L’aspirant Leir était mieux placé, au périscope de la tourelle A du Prince of Wales, et il put apercevoir les bâtiments allemands : « les coupoles de leurs batteries d’abord, puis les belles coques élancées des navires allemands, et les éclairs successifs des canons » apparurent avant que les canons de sa propre coupole ne se mettent à tirer, écrivit Leir pas la suite.

Les Allemands ne trainèrent pas le 24 mai, envoyant le Hood par le fond à leur troisième salve. Le jeune homme comprit que ça tournait au vinaigre quand sa vue fut voilée par « un reflet orange », puis par « des débris enflammés qui dégringolaient et un grand tripode qui tombait ». Un obus de 15 pouces du Bismarck avait pénétré le magasin de poupe du Hood et provoqué une explosion énorme qui détruisit le navire.

« Faisant tourner le périscope un peu à gauche », écrit l’aspirant de marine, « [j’observai] le long et élégant pont avant se dresser au milieu d’un grand nuage de fumée. Le gros navire disparut dans un tourbillon », emportant ses amis Beard, Jones et Norman. Le sous-lieutenant canadien Harry Shorten, qui servait à bord d’un des contretorpilleurs d’escorte, s’est rappelé être passé peu après à l’endroit où le Hood avait sombré, et il ne restait que des morceaux de bois du pont principal. Trois membres seulement de l’équipage de 1 418 hommes survécurent.

Le HMS Hood et le
HMS
Prince of Wales avaient tous deux des
aspirants de marine de la MRC à leur bord.

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Poursuite: Le HMS Hood, photographié du HMS Prince of Wales, entre en action le 24 mai 1941.
IWM/HU50190; WW2talk.com/forums

Pendant ce temps, le sous-lieutenant Paddon observait d’autres obus allemands sur son radar Type 281. L’un d’eux frappa la passerelle du Prince of Wales. Il n’explosa pas, mais la secousse et les éclats causés par son passage y tuèrent tout le monde excepté le capitaine du navire, y compris des membres de l’équipe de radar. Une grande partie de l’équipement radar du cuirassé fut également détruite, et la tourelle arrière à quatre canons, coincée. Le Hood ayant disparu, le Bismarck aurait pu se tourner vers le Prince of Wales pour le détruire, mais il ne le fit pas.

Le sous-lieutenant passa au radar Type 284 servant à la conduite de tir et continua de surveiller le Bismarck alors que la canonnade prenait fin, et que l’équipage travaillait fébrilement pour remet-tre les canons en état, ce qu’il accomplit en fin d’après-midi.

La défaite – en particulier la perte du Hood, joyau de la MR –, fut un coup dur pour les Britanniques. Mais tout ne s’était pas bien passé pour le Bismarck. Trois obus de gros calibre du Prince of Wales avaient frappé le géant allemand, et l’un d’entre eux avait pénétré le gaillard avant, à la ligne de flottaison. Cela avait contaminé une partie de son carburant et inondé plusieurs compartiments, ce qui lui donnait du gîte sur bâbord, et sa proue s’affaissait un peu. En outre, cela augmentait la pression sur sa structure intérieure à grande vitesse.

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Le pilote: Le sergent Gaynor Williams de l’ARC était navigateur dans un Catalina de la RAF à la recherche du Bismarck.
WW2talk.com/forums

Les Allemands passèrent le reste du 24 mai à esquiver les attaques. Le Bismarck se tourna à quelques reprises pour faire feu sur ses poursuivants et vers 16 heures, il échangea des coups de canon à nouveau avec le Prince of Wales. Des avions-torpilleurs du HMS Victorious l’attaquèrent aussi.
Rien de tout cela ne l’endommagea, mais la grande vitesse à laquelle il était obligé de manœuvrer endommagea les réparations de la brèche dans le gaillard avant et l’eau pénétrait à grande force dans la salle des chaudières numéro 2, laquelle dut être abandonnée. Sa vitesse diminua alors à 20 nœuds.

Les dommages étaient suffisants pour obliger le commandant du Bismarck, l’amiral Günther Lütjens, à abandonner son voyage vers l’Atlantique Nord et mettre cap sur le port de Saint-Nazaire, en France, où se trouvait une grande cale sèche. Le 25 mai, avant le lever du soleil, les réparations terminées, du carburant transféré aux autres réservoirs et sous couvert de la nuit, le Bismarck et le Prinz Eugen se séparèrent et faussèrent compa-gnie aux Britanniques. À l’aube, les Allemands étaient hors de vue.

Le Bismarck s’étant échappé, l’ARC, qui avait ses bases dans les Maritimes et à Terre-Neuve fut mise en état d’alerte rouge. L’escadrille no 10, formée de bombardiers bimoteurs Douglas Digby, était prête à passer à l’attaque avec des bombes perforantes, tandis que des avions canadiens (et améri-cains, bien que toujours neutres) décollaient de Terre-Neuve et poussaient des reconnaissances loin en Atlantique Nord à la recherche des bâtiments allemands, mais en vain.

Pendant ce temps, les bâtiments de la flotte territoriale et de la Force H, rappelée de Gibraltar, qui brûlaient d’engager le combat, étaient au bord de la panne sèche. Il ne resterait bientôt que le HMS Ark Royal et le nouveau cuirassé HMS King George V, frère du Prince of Wales. Pour empêcher le Bismarck de retourner en Allemagne, l’amirauté dérouta un vieux petit cuirassé d’escorte, le HMS Ramillies, vers l’entrée sud du Détroit de Danemark.

En mai 1941, le Ramillies transportait 30 mécaniciens de la RVMRC en formation. E. Phipps-Walker, mécanicien qui se trouvait alors à bord, comprit à quel point la situa-tion était grave quand son bâtiment tira soudainement une bordée, ce qu’il n’avait pas fait depuis des dizaines d’années. Le vieux cuirassé s’en trouva propulsé sur le côté, et la peinture accumulée sur l’amiante isolant ses tuyaux vola en éclats. « Des gens ont été blessés par les éclats de peinture », a déclaré Phipps-Walker par la suite. Plus inquiétant pour le Bismarck, l’amirauté avait aussi dérouté le cuirassé moderne HMS Rodney, armé de neuf canons de 16 pouces, qui devait se rendre aux États-Unis y être remis en état.

Ce n’était pas beaucoup. L’Atlantique est vaste, et pendant un certain temps, tout indiquait que le Bismarck atteindrait la France. En effet, il aurait bien pu s’échapper, sauf qu’il transmit un long message, le 25 mai, dans lequel il expliquait les dommages qu’il avait subis et les changements à ses projets. Les stations radiogoniométriques autour de l’Atlantique transmettaient les azimuts des transmissions du Bismarck pendant que les casseurs de code s’efforçaient de les décrypter. Ils suivaient aussi les traces des U-boots qui se rassemblaient pour le protéger.

Un des azimuts les plus importants fut celui de la station de la MRC à Hartlen Point, aux confins du port d’Halifax. Cette station était renommée pour son efficacité : l’amirauté envoya un télégramme à la MRC après coup disant que les coordonnées qu’elle avait transmises, ainsi que celles qu’avait communiquées la Guyane britannique, avaient « aidé considérablement à repérer le Bismarck ».

Les coordonnées transmises par la station de Halifax ont indéniablement servi à guider les recherches aériennes. Le 26 mai avant l’aube, deux Catalina de l’AR décollèrent de Lough Erne, en Irlande du Nord, pour inspecter une zone où passerait probablement le Bismarck. Le sergent Gaynor Williams, âgé de 19 ans et navigateur de l’ARC (qui par la suite a publié à compte d’auteur un livre sur ses expériences intitulé The Wartime Journals of a Prairie Kid [Les journaux de guerre d’un gars des Prairies, NDT]), était à bord de l’un d’eux.

Le 26 mai à 10 h 30, l’un des Catalina aperçut le Bismarck à 1 280 kilomètres à l’ouest de Brest (France). Le croiseur HMS Sheffield trouva le cuirassé peu après et la filature reprit. La route et la vitesse du Bismarck lui auraient permis de se mettre sous le bouclier des U-boots et de la Luftwaffe en à peu près 24 heures.

Trois escadrilles de la Fleet Air Arm portées par l’Ark Royal étaient alors les seules forces britanniques à distance de frappe, ce qui était peu. L’avion-lance-torpille de la Grande-Bretagne était le biplan lourd Fairey Swordfish, dont la vitesse maximale était de 224 kilomètres à l’heure. Les 15 premiers Swordfish décollèrent à 14 h 50 malgré le pont d’envol glissant et les violentes bourrasques du Nord-Ouest.

La première attaque d’un Swordfish de l’Ark Royal, au moyen d’une torpille munie du nouveau détonateur magnétique, prit le Sheffield pour cible accidentellement, qui s’en tira heureusement indemne. Ce n’était pas un bon présage. À 20 h 30, la deuxième attaque réussit – au moyen de torpilles à détonateur ayant fait ses preuves –, mais d’une manière purement fortuite. Deux torpilles frappèrent le Bismarck. L’une l’atteignit au milieu, causant des dégâts mineurs et lui faisant prendre l’eau. L’autre explosa près du gouvernail du côté bâbord pendant que le Bismarck manœuvrait, et toutes les tentatives pour libérer le gouvernail coincé à 12 degrés échouèrent.

Bis 6
Survivants: Des survivants du Bismarck pris à bord du HMS Dorsetshire. Plus de 2 100 membres de son équipage avaient trouvé la mort.
IWM/ZZZ3130C

Moins d’une demi-heure après le départ du Swordfish, le Bismarck annonça par radio qu’il ne pouvait plus manœuvrer. Il avait été blessé au talon, comme Achille, et son sort en était jeté. D’aucuns ont pensé que la torpille fatidique avait été lancée par un pilote canadien, mais nous savons aujourd’hui que l’honneur en revient au lieutenant de la MR John Moffat.

Pendant que le Bismarck faisait de grands cercles dans les eaux agitées de l’Atlantique Nord, les Britanniques envoyèrent la grosse artillerie : le Rodney et le King George V. Le 27 mai à 8 h 47, le Rodney fit tonner ses canons de 16 pouces à une distance de 23 kilomètres à peu près, suivis quelques minutes après par les canons de 14 pouces du King George V. La riposte du Bismarck était affectée défavorablement par son incapacité à manœuvrer, mais cela n’eut bientôt plus d’importance. Peu après 9 h, un obus du Rodney frappa la superstructure de poupe du Bismarck, causant la mort de centaines hommes, dont le personnel de commandement, détruisant la passerelle et mettant ses canons de poupe hors de combat.

À 10 h, le Bismarck n’était plus qu’une épave flottante, son armement principal était inutilisable et il était la proie des flammes de la poupe à la proue. Son armement secondaire continuait pourtant de faire feu, alors le Rodney s’en rapprocha à 2 700 mètres, assez près pour pouvoir lui lancer des torpilles.

À 10 h 20, le Rodney reçut l’ordre de suspendre son attaque et le croiseur HMS Dorsetshire s’approcha du Bismarck pour l’achever à coups de torpille. À ce moment-là, sabordé par son propre équipage, il était déjà en train de couler. Plus de 2 100 membres de son équipage périrent; seuls 114 d’entre eux survécurent. Les survivants déclarèrent par la suite que le Bismarck s’était sabordé, mais quelle importance? À 10 h 40, la carrière spectaculaire, mais courte du Bismarck avait pris fin, et une poignée de Canadiens avaient joué un rôle modeste dans sa défaite.

Un obus du Rodney frappa la superstructure de poupe
du
Bismarck
causant la mort de centaines hommes,
dont le personnel de commandement, détruisant
la passerelle et mettant ses canons
de poupe hors de combat.

Bis 5
Marques de bataille: Des membres de l’équipage du HMS Sheffield montrent des trous d’éclat subis pendant son affrontement avec le Bismarck.
Lieut. (M) S.J. Beadell/IWM/Admiralty Official Collection/A4091;

La destruction du Bismarck était un signe annonciateur de victoire pour les Britanniques. Au cours de l’hiver précédent, les cuirassés rapides Gniesenau et Scharnhorst, le croiseur lourd Hipper et le cuirassé de poche Scheer avaient parcouru l’océan impunément. Dissimulés dans l’obscurité de l’hiver et les intempéries, ils avaient déjoué toute tentative de les acculer au combat : ils avaient tiré la queue du lion et s’en étaient bien tirés. Le Bismarck n’avait pas eu autant de chance. Les cuirassés rapides et le Hipper se trouvaient encore dans les ports de France, mais la perte du Bismarck fit hésiter les Allemands à faire risquer le même sort au Tirpitz. Les historiens désignent sa destruction comme étant un tournant décisif de la guerre dans l’Atlantique.

À l’assaut du Tirpitz

Il y avait plusieurs marines indépendantes dans le Commonwealth britannique en 1939, mais elles fonctionnaient un peu comme s’il s’agissait d’une flotte impériale. Les officiers obtenaient une partie de leur formation dans la MR, ils étaient tous inscrits sur la liste navale de l’amirauté britannique, l’ancienneté était reconnue d’une marine à l’autre, et même les noms de navire étaient coordonnés pour éviter toute confusion.

Il n’y avait donc rien de surprenant à ce que des aspirants de marine membres de la Marine royale canadienne se trouvent à bord des gros navires de guerre britanniques, surtout au début de la guerre. La MRC envoyait aussi des réservistes volontaires servir dans la MR, et des Canadiens étaient membres d’équipage de gros navires britanniques vers la fin de la guerre, lorsque la MRC se préparait à armer des croiseurs et des porte-avions.

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Navire frère: Le Tirpitz menaçant à Altafjord, en Norvège.
World War Photo; Lieut. (N) F.A. Hudson


« [J’observai] le long et élégant pont avant se
dresser au milieu d’un grand 
nuage de fumée.
Le gros navire 
disparut dans un tourbillon. »

Au début de 1940, la MR avait besoin d’officiers inférieurs pour sa flotte grandissante. Avant que la MRC planifie sa propre expansion massive, il lui semblait bon d’envoyer les navigateurs qui réclamaient des postes dans la marine outremer pour satisfaire aux besoins de la Grande-Bretagne. Un premier contingent de ces « marins du dimanche » fut envoyé au début de 1940 au centre de formation de la Royal Naval Reserve, au HMS King Alfred, établissement terrestre à Hove, dans le Sussex. C’était juste à temps pour l’évacuation de Dunkerque. Les Britanniques avaient aussi besoin pour ses radars d’officiers ayant une formation en électronique. Les universités canadiennes aidaient la MRC à répondre à ce besoin. D’abord, la MRC recruta des hommes ayant suivi des cours de troisième cycle en génie pendant quelques années, puis quelques universités créèrent des cours spéciaux en génie électrique pour les officiers de radar destinés à la MR. La MRC envoyait aussi du personnel à plusieurs contretorpilleurs loués aux Britanniques et qui patrouillaient dans les eaux canadiennes.  

Au milieu de la guerre, la MRC commença à fournir du personnel aux plus gros bâtiments de la MR en prévision de sa propre acquisition de croiseurs et de porte-avions. Cela comprenait les 80 membres de la MRC à bord du HMS Belfast à la bataille de North Cape, en décembre 1943 – lorsque le cuirassé allemand Scharnhorst fut coulé par le cuirassé HMS Duke of York et plusieurs croiseurs et contretorpilleurs.

Le porte-avions auxiliaire HMS Nabob fut l’un des premiers gros navires britanniques à avoir un équipage entièrement pourvu par la MRC. Construit aux États-Unis, il transportait des bombardiers-torpilleurs Grumman Avenger et des chasseurs Wildcat de l’escadron 825 de l’aéronavale de la Fleet Air Arm de la MR, que pilotaient des Néozélandais.

Bis 9
Succès: Ces aviateurs ont le sourire aux lèvres après l’attaque couronnée de succès qu’ils ont menée contre le Tirpitz.
IWM/Admiralty Official Collection/A22666

La carrière opérationnelle du Nabob ne fit pas long feu. Le 1er aout 1944, il rejoignit la flotte territoriale et fut envoyé en patrouille au nord de la Norvège, escorté entre autres par les nouveaux contretorpilleurs NCSM Algonquin et NCSM Sioux. Sa première tâche était de miner les eaux côtières afin d’obliger les convois allemands à voguer en haute mer, où ils seraient des proies plus faciles.

Sa deuxième tâche, après avoir quitté Scapa Flow le 18 aout, était d’appuyer une attaque contre le bâtiment frère du Bismarck, le Tirpitz, qui mouillait à Altafjord, en Norvège. Pendant que les avions d’assaut des trois porte-avions britanniques attaquaient le Tirpitz, les Avenger du Nabob et d’autres du HMS Trumpeter minaient Altafjord pour le coincer.

Les opérations durent cesser le 21 aout à cause du mauvais temps, et elles furent presque entièrement interrompues de nouveau le lendemain. Les avions du Nabob ne pouvaient pas décoller et sa force opérationnelle se replia pendant quelques jours avant de reprendre l’assaut. À ce moment-là, une torpille à tête chercheuse acoustique du U-354 frappa le Nabob à la poupe. Les dommages furent graves, et le navire semblait perdu. La réparation des dégâts et le professionna-lisme de l’équipage suffirent heureusement à ramener le Nabob à Scapa Flow, où l’on décida que la réparation n’en valait pas la peine.

Un autre porte-avions à équipage canadien, le HMS Puncher, se joignit à la flotte territoriale au début de 1945, transportant les seules escadrilles de torpilleurs restantes. Il passa les dernières semaines de la guerre à surveiller l’Atlantique, au cas où les gros navires qui restaient à l’Allemagne s’y aventureraient.

La bataille de North Cape

Bis 8
Poursuite: La superstructure du HMS Belfast est recouverte de glace. Il y avait 80 Canadiens à son bord à Noël 1943.
Cmdr. Welby Everard/IWM/HU8795


Il finit par succomber aux torpilles
lancées par les contretorpilleurs et
les croiseurs, dont le
Belfast.

La Marine royale canadienne s’était toujours imaginée affrontant ses ennemis dans de grandes batailles. Cette vision motivait son projet d’acquérir une flotte de puissants contretorpilleurs de la classe Tribal en 1939 et, en 1942, de croiseurs. Les Tribal étaient pratiquement des croiseurs légers : presque 2 000 tonnes, six canons de 4,7 pouces, quatre lance-torpilles de 21 pouces et une vitesse atteignant les 36 nœuds.

À la veille de Noël 1943, quatre Tribal de la MRC escortaient les convois au nord de la Norvège avec la flotte territoriale britannique. L’Athabaskan faisait partie de l’escorte de combat (par opposition à l’escorte anti-sous-marins) du convoi RA 55A, cap à l’Ouest près de l’ile Bear. Ils étaient couverts par la Force 1 : trois croiseurs britanniques, dont le HMS Belfast à bord duquel se trouvaient 80 Canadiens en formation pour les nouveaux croiseurs de la MRC. Plus à l’Ouest se trouvaient le croiseur et les quatre contretorpilleurs de la Force 2, couverts par le cuirassé HMS Duke of York, qui escortaient le convoi JW 55B en direction de Murmansk, et les NCSM Huron, Haida et Iroquois en escorte de combat. Entre les deux convois se trouvait Altafjord, où mouillaient le cuirassé rapide Scharnhorst et cinq contretorpilleurs de la classe Narvik.

Le Scharnhorst et les Narvik prirent la mer à la fin du jour de Noël, ce qu’apprit le renseignement britannique. Le RA 55A était la cible la plus proche, alors la Force 1 rassembla les contretorpilleurs de l’escorte de combat et s’en alla intercepter l’escadrille allemande. L’Athabaskan, renommé pour son endurance limitée, resta avec le convoi.

Le Scharnhorst était en réalité plus près du JW 55B lorsque le Belfast le détecta au radar. Les obus éclairants et le feu des canons de l’action qui suivit étaient clairement visibles par les Tribal canadiens qui gardaient le convoi. Lorsque le Belfast, dont les neuf canons de 6 pouces avaient une portée inférieure à celle des neuf canons de 11 pouces du Scharnhorst, essaya d’engager le combat, ce dernier fonça à 30 nœuds dans les eaux trop agitées pour le Belfast à cette vitesse-là.

Ce repli mit les Allemands en contact avec le croiseur HMS Norfolk de la Force 2, dont les obus de 8 pouces détruisirent le radar de conduite de tir du Scharnhorst. Pendant que le combat se déroulait au nord du JW 55B, une grande partie de l’escorte de combat fut appelée à appuyer les bâtiments lourds, de sorte qu’il ne restait plus que le Huron, le Haida, l’Iroquois et un contretorpilleur britannique pour lui offrir une couverture rapprochée. Ils se préparèrent au combat en surface alors que les éclairs des canons des croiseurs britanniques et du Scharnhorst illuminaient le ciel nocturne, mais il ne se concrétisa pas. En plus de la menace du cuirassé rapide, il y avait danger que les cinq Narvik essa-yant désespérément de retrouver le Scharnhorst tombent sur le JW 55B.

Les combats se terminèrent le 26 décembre, quand le Scharnhorst fut coincé entre la Force 1 et la Force 2, et que les Britanniques firent venir le Duke of York pour lui donner le coup de grâce. Le Belfast éclairait la scène, et les canons de 14 pouces du cuirassé – dirigés superbement par leur radar –, s’avérèrent trop puissants pour le Scharnhorst, qui ne fut bientôt plus qu’une épave en flammes. Il finit par succomber aux torpilles lancées par les contretorpilleurs et les croiseurs, dont le Belfast. Les Narviks réussirent à fuir pour poursuivre ailleurs le combat.

L’honneur de bataille de North Cape a été décerné à tous les Tribal canadiens. Le Haida est exposé à Hamilton, en Ontario, alors que le Belfast – à bord duquel 80 Canadiens avaient pris part au combat – est exposé à Londres, en Angleterre.

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