La Poudrière de la Corée

Des soldats du 2e Bataillon de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry sur un pont en Corée, en février 1951. [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA115034]

Des soldats du 2e Bataillon de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry sur un pont en Corée, en février 1951.
PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA115034

Soixante ans après la signature, l’accord de l’armistice en Corée est à nouveau dans les nouvelles. En mars, l’armée de la Corée du Nord a déclaré l’accord nul et non avenu et s’est mise à proférer des menaces. Cela se passe à un moment où les vétérans de la guerre assistent aux commémorations du 60e anniversaire en l’honneur des camarades tombés au champ d’honneur à leurs côtés quand ils étaient eux-mêmes dans la péninsule.

La guerre de Corée a éclaté le 25 juin 1950, quand l’armée de la République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord), entrainée et équipée par les Soviétiques, a envahi la République de Corée (Corée du Sud) lors d’une tentative d’unir la péninsule par la force.

L’accord de l’armistice en Corée, signé par le commandement des Nations Unies, la République de Corée, la Chine et la Corée du Sud, le 27 juillet 1953, a mis un terme aux combats. La guerre avait fait des milliers de morts parmi les soldats qui s’y sont battus et encore plus parmi les civils coréens.

Quand on se penche sur l’histoire canadienne à l’occasion du 60e anniversaire de l’armistice, il est important de ne pas oublier que plus de Canadiens ont été tués ou blessés pendant la longue impasse qui a suivi les pourparlers épisodiques de 1951 concernant l’armistice que durant les neuf mois de combats au début de 1951.

Pendant que les pourparlers trainaient en longueur, il était interdit aux commandants de l’ONU au front de lancer des offensives majeures. Leurs ordres étaient de s’incruster et de tenir bon. Bien que des attaques menées par une compagnie à la fois avaient lieu pour améliorer les défenses ou pour maintenir l’ennemi dans l’incertitude, la guerre en était surtout une de patrouilles, de raids nocturnes et de barrages d’artillerie dans la zone interdite.

Pendant ce temps, les troupes de l’ONU périclitaient dans leurs positions défensives entourées de mines et de barbelés en haut des collines, et elles faisaient des patrouilles la nuit pour éprouver les défenses de l’ennemi. La puissance des Nations Unies dans les airs, son artillerie lourde et ses blindés étaient inutiles dans cette guerre stationnaire.

En même temps, les Chinois frappaient comme bon leur semblait, infligeant des pertes et minant le moral des Canadiens.

Ici, au pays, la guerre était extirpée de la première page des journaux canadiens à cause de l’impasse. Les raids et les embuscades de chaque nuit étaient trop insignifiants, routiniers, pour que l’intérêt des Canadiens ne s’épuise pas. Les peines de chaque nuit des soldats, une semaine après l’autre et dans le danger constant, endurées dans la chaleur de l’été coréen ou dans un froid de canard en hiver, sombraient dans l’oubli.

Le Canada a pris part à la guerre de Corée sous le commandement de l’ONU, et ses contributions aériennes, navales et terrestres se sont élevées à 26 791 personnes pendant la guerre elle-même, et à 7 000 de plus entre la signature de l’armistice et 1955. Il y a eu 1 543 victimes canadiennes au combat, dont 516 moururent en service commandé. Les noms des 516 sont inscrits dans le Livre du Souvenir de la Corée sur la colline du Parlement, à la Chapelle du Souvenir.

Pour bien comprendre ce qui a causé la guerre et les dizaines d’années de tensions qui l’ont suivie, il faut retourner à la reddition des Japonais devant les Alliés en 1945. La Corée, à ce moment-là, était une colonie japonaise et son sort n’était pas assuré. L’ONU voulait que le peuple coréen tienne des élections justes pour élire librement un gouvernement, mais ces élections n’ont jamais eu lieu. À la place, deux occupants alliés, les Soviétiques en Corée du Nord et les États-Unis en Corée du Sud, ont établi un régime ami chacun dans sa moitié de la péninsule.

Les Soviétiques ont choisi Kim Il Sung, communiste dévoué et ancien résistant, pour diriger le nord. Les Américains ont choisi Syngman Rhee, nationaliste anticommuniste, pour diriger le sud. Le 38e parallèle a servi de ligne de démarcation entre les deux zones.

Les États-Unis ont assumé une certaine ambivalence par rapport à l’avenir de la Corée du Sud. La plupart de leurs troupes ont quitté la Corée en 1948; ils n’y laissèrent que quelques milliers pour former l’armée de la République de Corée. La majeure partie du matériel américain a aussi été retiré. Lorsque le secrétaire d’État Dean Acheson fit un discours, en janvier 1950, où il donnait les grandes lignes des intérêts américains concernant la sécurité, il a omis de mentionner la défense de la Corée du Sud. Le manque de résolution de Washington en ce qui a trait à l’avenir de la République de Corée était un message pour Moscou et, à la capitale nord-coréenne de Pyongyang, pour Kim Il Sung : les États-Unis n’interviendraient pas si les communistes essayaient d’unir la péninsule par la force.

C’est là précisément ce que Kim Il Sung voulait faire.

L’Union soviétique a envoyé des armes lourdes en grand nombre, chars d’assaut, artillerie et avions, à la République populaire démocratique de Corée aussitôt qu’elle a été établie, ainsi que des militaires instructeurs provenant de l’Armée rouge et de son aviation. Kim Il Sung a demandé la permission à Moscou d’envahir la Corée du Sud au printemps de 1949, peu après que la plupart des Américains eurent quitté le sud.

Le brigadier-général John Rockingham (au c.) parle aux commandants de peloton et de compagnie du 1er Bon de la PPCLI en octobre 1951. [PHOTO : PAUL E. TOMELIN, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA128875]

Le brigadier-général John Rockingham (au c.) parle aux commandants de peloton et de compagnie du 1er Bon de la PPCLI en octobre 1951.
PHOTO : PAUL E. TOMELIN, BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA128875

Le dictateur soviétique, Joseph Staline, n’était pas très enthousiaste au début, peut-être parce qu’il avait peur d’une guerre générale, ou peut-être parce qu’un gouvernement communiste commençait à peine à s’établir à Beijing. Mais il s’est laissé convaincre en moins d’un an et il a donné la permission à Kim d’aller de l’avant. Les organismes de renseignements occidentaux n’ont pas remarqué la croissance de la militarisation et se sont mépris sur les intentions de Kim. Le tableau s’est précisé quand l’armée du Nord, munie d’un matériel superbe et fort bien commandée, a fracassé la défense inconséquente de la Corée du Sud et poussé sa conquête au-delà.

L’apathie de Washington envers la Corée avait été comprise par les communistes comme étant une permission d’attaquer, mais ce n’est pas du tout ainsi que l’entendait le président des États-Unis, Harry S. Truman. Aussitôt qu’il a appris la nouvelle de l’attaque, il a donné l’ordre aux forces américaines d’aider les troupes de Rhee. Des soldats américains qui occupaient le Japon en sont partis précipitamment, et les avions américains y ont décollé pour aller attaquer les Nord-Coréens, mais c’était une demi-mesure tardive. À la fin du mois d’aout 1950, les Nord-Coréens avaient envahi toute la Corée du Sud, à l’exception d’un périmètre autour du port méridional de Pusan (Busan).

En plus d’envoyer leurs propres troupes au combat, les Américains ont convaincu le Conseil de sécurité des Nations Unies de condamner l’attaque et d’inviter les membres qui en faisaient partie à envoyer des forces se battre sous les ordres du général américain Douglas MacArthur, commandant provisoire de l’ONU en Corée. Nombre de pays ont acquiescé à cette demande de troupes, la Grande-Bretagne et l’Australie faisant partie des premiers à envoyer des forces terrestres, aériennes et navales à MacArthur. Le Canada a envoyé trois contre-torpilleurs de la Marine royale canadienne, ainsi qu’un escadron de transport de l’Aviation royale canadienne, et le 7 aout 1950, le premier ministre du Canada, Louis Saint-Laurent, annonçait que l’armée canadienne commencerait immédiatement à recruter une « force spéciale de l’armée canadienne » qui serait envoyée au besoin en Corée.

Cependant, c’était plus facile à dire qu’à faire.

Les compressions de l’après-guerre qui avaient rogné le budget de la défense avaient été si importantes que la force régulière avait été réduite à environ une brigade, laquelle ne pouvait être envoyée en Asie parce qu’il ne resterait aucune armée régulière au pays.

Peloton de mortier à l’entrainement, février 1951. [PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA179973]

Peloton de mortier à l’entrainement, février 1951.
PHOTO : BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES CANADA—PA179973

Le gouvernement prévoyait recruter un nouveau groupe-brigade comprenant infanterie, blindés, artillerie, sapeurs et troupes d’appui, et les hommes seraient choisis parmi les vétérans de la Seconde Guerre mon-diale et on leur donnerait, dans la mesure du possible, les armes et le reste du fourniment de cette guerre. Le chef d’état-major de l’armée, le lieutenant-général Charles G. Foulkes, croyait que le recrutement et la formation s’activeraient en choisissant parmi les vétérans de la Deuxième Guerre mondiale.

Foulkes a mis John Rockingham, brigadier décoré de la Seconde Guerre mondiale, à la tête du groupe-brigade. Chaque régiment de réguliers, qu’il s’agisse de l’infanterie, des blindés, ou d’autres, reçut l’ordre de former un autre régiment de volontaires pour la Corée parmi les milliers d’hommes qui se sont présentés presque immédiatement aux bureaux de recrutement d’un bout à l’autre du pays. La formation initiale devait avoir lieu aux bases des régiments de la force régulière, mais comme l’automne et l’hiver menaçaient, le gouvernement a fait le nécessaire pour que la formation finale de la brigade se passe à Fort Lewis, à la côte ouest des États-Unis, près de Seattle (Washington).

Le 15 septembre, MacArthur a effectué un débarquement derrière les lignes des communistes, à Inchon, à la côte occidentale de la Corée. Le débarquement menaçait les voies d’approvisionnement des Nord-Coréens, qui se mirent à reculer. Tout à coup, l’ONU semblait gagner puisque les troupes nord-coréennes se retiraient vers la frontière de la Chine. L’ONU a exhorté le Canada à envoyer tout de même un contingent en Corée, et le 2e Bataillon de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (2PPCLI), commandé par le lieutenant-colonel Jim Stone, ancien commandant du Loyal Edmonton Regiment en Italie, prit le départ à la côte ouest des États-Unis le 25 novembre.

Les hommes pensaient qu’ils allaient en Corée pour le nettoyage final, mais peu après, la Chine faisait traverser le fleuve Yalu, dont la surface était alors gelée (cours d’eau frontalier), à des centaines de milliers de « volontaires » pour attaquer les troupes de MacArthur. Les forces de l’ONU furent repoussées rondement.

Lorsque le 2PPCLI atterrit en Corée, le 18 décembre, les combats avaient retraversé le 38e parallèle. Les commandants américains voulaient envoyer le Patricia immédiatement au front, mais Stone a insisté pour que ses hommes aient quelques semaines d’entrainement et pour éliminer ceux qui parmi eux étaient inaptes ou incompétents. Les Américains ne pouvaient qu’accepter : le Patricia eut six semaines pour se préparer.

Le bataillon s’est joint à la 27e Brigade d’infanterie du Commonwealth britannique (27BICB) le 27 février, à temps pour un nouveau coup de collier vers le Nord.

Fin février et début mars 1951, l’ONU remontait la péninsule alors que les troupes chinoises menaient des combats d’arrière-garde. L’ennemi se retirait pour reprendre des forces avant de lancer une nouvelle attaque, laquelle allait avoir lieu le 21 avril. La brigade était alors en réserve dans la vallée d’une petite rivière près du village de Kapyong, à quelques kilomètres du front principal. Le commandant, le colonel britannique B.A. Burke, avait ordonné à ses troupes de se préparer à défendre leurs positions.

Le président des États-Unis, Harry Truman, signe une proclamation déclarant un état d’urgence, décembre 1950. [PHOTO : WIKIPEDIA]

Le président des États-Unis, Harry Truman, signe une proclamation déclarant un état d’urgence, décembre 1950.
PHOTO : WIKIPEDIA

Le Royal Australian Regiment, renforcé par des chars d’assaut américains, défendait les collines orientales de la vallée qui avait une forme d’Y, et le PPCLI se trouvait sur les hauteurs occidentales. Les artilleurs de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis assuraient leur soutien.

Burke s’était montré prudent et sa décision d’établir des positions défensives avait certainement été la bonne, car les Chinois ont fait une brèche dans une division coréenne et brisé les lignes de l’ONU plus au nord. Ils se sont ensuite dirigés vers sa brigade. Les Australiens d’abord, puis le Patricia, ont opposé une défense héroïque. Les Australiens ont supporté le premier coup, et ils ont été obligés de se replier après de durs combats. Les Chinois se sont ensuite concentrés sur le Patricia qui s’est retranché sur sa position au faîte de la colline 677. C’était une confrontation brutale, mais les Canadiens ont repoussé l’ennemi jusqu’à l’arrivée des renforts expédiés par l’ONU, et l’attaque des Chinois a été repoussée.

L’United States Presidential Unit Citation a été décernée aux membres du Patricia et aux autres troupes qui avaient défendu Kapyong.

Peu après la bataille, le reste de la force spéciale de l’armée canadienne, qu’on appelait alors le 25e Groupe-brigade d’infanterie canadienne, s’est joint au Patricia aux côtés des forces de l’ONU du front. Au début, le groupe-brigade se composait, entre autres formations, des 2es bataillons de la PPCLI, du Royal Canadian Regt., du Royal 22e Rég., et de l’artillerie blindée. Toutes les unités ont été renvoyées au Canada au bout d’un an, et les premiers bataillons ou des régiments les ont remplacées. À la fin de la guerre, eux aussi avaient été remplacés par les 3es bataillons et d’autres régiments. À la fin du mois de juillet 1951, la brigade canadienne était partie intégrante de la 1re Division du Commonwealth.

La poussée de l’ONU vers le nord a continué après Kapyong, mais l’ONU et les États-Unis avaient conclu qu’ils n’avaient ni la main-d’œuvre ni les ressources pour « gagner » une guerre en Corée. En conséquence, la nature de la guerre a été modifiée. Le nouvel objectif des États-Unis et de l’ONU était de repousser les Chinois vers le nord jusqu’au 38e parallèle pour restaurer la division politique qu’il y avait en Corée avant la guerre, et puis de mettre fin aux combats par un accord d’armistice.

Des dirigeants des Nations Unies rencontrent des représentants de la Corée du Nord et de la Chine lors d’une conférence en prévision de l’armistice,  juillet 1951. [PHOTO : ONU/UNITED STATES ARMY]

Des dirigeants des Nations Unies rencontrent des représentants de la Corée du Nord et de la Chine lors d’une conférence en prévision de l’armistice, juillet 1951.
PHOTO : ONU/UNITED STATES ARMY

Les pourparlers ont commencé à Kaesong le 10 juillet 1951, mais ils n’aboutissaient pas, et ils ont été rompus le 23 aout. L’offensive de l’ONU a repris jusqu’à ce que les forces des Nations Unies atteignent une nouvelle ligne de résistance à peu près au 38e parallèle. Les pourparlers pour l’armistice ont repris à Panmunjom le 27 novembre 1951, mais ils ne se sont pas conclu par un accord avant un an et demi, et pendant cette impasse, beaucoup d’autres vies ont été perdues.

La mort de Staline, le 4 mars 1953, a considérablement modéré les efforts que les communistes faisaient pour la guerre. Les pourparlers de l’armistice ont bien plus avancé et le 7 juin, des ententes ont été conclues sur tous les points principaux.

La Corée du Sud a évolué en une société libre où les niveaux de vie sont parmi les plus élevés du monde. La Corée du Nord est un État complètement totalitaire d’une extrême pauvreté, qui voue un culte au clan de Kim comme s’ils étaient des dieux, mais qui possède des missiles et des armes nucléaires. D’une certaine façon, la guerre de 1950-1953 a échoué en ce qui concerne le dilemme politique qu’est la division de la Corée. Mais au moins les gens de la Corée du Sud ont sauvegardé leur liberté et réussi à bâtir une société qui est une des démocraties les plus robustes et prospères du monde.

Ils l’ont fait en grande partie grâce à la résolution des soldats, des marins et des aviateurs de pays comme le Canada qui les ont aidés à défendre leur pays lors des jours éprouvants de la guerre de Corée.

Search
Connect
Listen to the Podcast

Comments are closed.