De jeunes écrivains et artistes s’inspirent d’histoires familiales

L’affiche en noir et blanc qui a décroché le premier prix aux concours littéraires et d’affiches de la Légion royale canadienne de 2011 comporte en gros plan l’œil larmoyant d’une personne âgée. Dans cet œil est profilé un soldat en tenue de combat sur un fond d’explosion. À cette image s’ajoute un poème : « Au champ de bataille autrefois piétiné coulent ces larmes commémoratives que nous devrions tous verser. »

Son créateur, Tim MacDonald de Malagash (N.-É.), élève de 12e année âgé de 18 ans dont l’œuvre est passée par la filiale Pugwash, dit qu’il a « délibérément omis d’indiquer une guerre ou un conflit en particulier ». Le sacrifice et le service, tout comme le chagrin, n’appartiennent pas qu’à une seule guerre ni à une seule génération. Mais, ajoute-t-il, « on pourrait dire que, d’une génération à l’autre, les souvenirs s’estompent; soit les histoires ne sont pas racontées, soit personne n’écoute ».

Plusieurs des gagnants des concours de 2011, dans le cadre desquels plus de 100 000 œuvres ont été présentées, ont raconté des histoires personnelles sur le service et le sacrifice d’un membre de leur propre famille, et d’autres ont rendu hommage à ceux qui ont payé, et ceux qui paient encore, le prix de notre liberté à tous.

MacDonald dit que « les jeunes d’aujourd’hui [captivés par la télévision, les ordinateurs et les messages textes] n’écoutent plus autant qu’avant les ainés qui ont été les témoins de tout cela, qui l’ont vécu. J’essaie d’encourager les gens à y réfléchir, et au moins à verser une larme avec ceux qui l’ont enduré ou en l’honneur de ces derniers. »

Deux grands-oncles de MacDonald ont fait l’ultime sacrifice à un jeune âge : les frères Beldon et Burton Treen. Beldon, sergent suppléant des First Canadian Mounted Rifles du Saskatchewan Regiment, tué à la bataille de la crête de Vimy, le 9 avril 1917, à l’âge de 28 ans, git au cimetière canadien no 2 de Neuville-Saint-Vasst, en France. Quatre mois plus tard, lors des féroces combats qui eurent lieu à la colline 70, près de Lens, Burton fut aveuglé et blessé par une bombe à gaz moutarde. Rapatrié en Nouvelle-Écosse, il mourut des séquelles du gaz deux ans plus tard, à l’âge de 21 ans et fut enseveli au cimetière de Malagash.

Laura Howells, élève âgée de 16 ans, en 11e année au St. Bonaventure’s College de St. John’s (T.-N.), qui a obtenu la première place de la catégorie poésie séniore, a aussi tiré parti des expériences d’un membre de sa famille : son grand-père, David Stinson, vétéran du Vietnam. La filiale Pleasantville de St. John’s avait soumis son œuvre.

Le meilleur ami de Stinson est mort le jour où naissait la mère de Laura. « Il ne parle jamais de ses expériences militaires, dit Howells. Il ne révèle que ceci : […] son meilleur ami, atteint d’une balle au visage, lui saignait dessus. Il refuse d’en dire plus. » Quoi qu’il en soit, Howells interprète les sentiments profonds dans son poème sur « l’hommage singulier à son passé sombre et tabou », dans une salle où « entouré de médailles et de fierté, le précieux drapeau est en berne ».

Elle a été heureusement surprise d’entendre un ami de son grand-père, un autre ancien combattant, lui dire qu’il a aussi trouvé son poème prenant. « J’ai été très touchée que ce poème puisse avoir de la signification pour d’autres anciens combattants, qu’il puisse les émouvoir. »

Ses propres idées sur l’importance du souvenir ont été façonnées par l’expérience de son grand-père. « Peu importe si vous croyez à la guerre ou pas, ou si vous êtes pour ou contre ce pour quoi les gens se battent, dit-elle. Le simple fait que des gens risquent leur vie et font de tels sacrifices de façon désintéressée […]. Si on l’oublie, on oublie une très grande partie de notre histoire et de notre culture. Toutes ces vies […], c’est vraiment inacceptable. »

Une élève de 12e année de St. Brieux (Sask.), Katelyn Major, gagnante du concours de composition sénior âgée de 17 ans, dont l’œuvre a été inscrite à la filiale Pathlow, écrit à propos de son grand-père qui a servi en tant qu’ingénieur. « Et comme c’est le cas pour beaucoup de soldats qui y ont survécu, il a été marqué par la guerre. » Bien qu’on lui ait parlé des épreuves et de la tristesse qu’il a endurées, elle n’a « pas vu les épreuves dans ses yeux. [Elle a] vu la fierté et elle pouvait entendre l’honneur » dans le cliquetis de ses médailles lorsqu’il participait aux services du jour du Souvenir.

Plusieurs autres jeunes artistes et écrivains ont été inspirés par leur grand-père.

Les gagnants de la première et de la deuxième place en composition intermédiaire ont écrit à propos de leur grand-père. La première, Katrina Laing d’Unity (Sask.), écrit : « Je ne pourrai jamais vraiment savoir ce que tu as enduré, grand-papa, mais je te serai toujours reconnaissante. » Il a été blessé et a perdu un bon ami en débarquant à la plage Juno. La lettre que Jayna Butler a écrite à son arrière-grand-père lui a valu la deuxième place au concours intermédiaire de composition. L’élève de Gilbert Plains (Man.) l’a remercié de ses histoires militaires « qui étaient peu nombreuses, mais qui [l’ont] aidée à comprendre [ses] expériences et comment était la guerre. Elle [sait qu’il aurait] voulu que les gens apprennent les leçons des deux premières guerres mondiales afin que […] les soldats canadiens ne soient pas obligés d’aller se battre en Afghanistan. »

« Ma famille m’a dressé le portrait d’un homme qui est allé à une guerre qu’il n’a jamais comprise », écrivait Céline Dubeau de Penetanguishene (Ont.) à propos de son grand-père, Marcel DeVillers, qui fut sous les drapeaux à partir de 1942. Il disait qu’au menu quotidien, il y avait « de l’agneau, du bélier ou du mouton » et que les soldats, ne le prisant guère, le donnaient aux enfants affamés qui « avaient si faim qu’ils mangeaient sans mâcher ni respirer ». Les histoires de guerre de son grand-père concernent surtout les enfants, « jamais les batailles ». Bien qu’il ait combattu en Italie, en Hollande et en Allemagne, DeVillers ne parlait pas de ses expériences dangereuses. La famille se pose donc toujours des questions à propos de l’histoire racontée par un ancien combattant comme quoi il est le seul de son régiment qui aurait survécu à une certaine bataille. « L’histoire ne sera jamais prouvée puisque Marcel n’en a jamais touché mot et, étant donné qu’il est décédé en 1990, il n’y a pas moyen d’aller au fond des choses », écrivait-elle dans la copie pour laquelle elle a obtenu la deuxième place du concours de composition sénior.

« Je n’ai jamais eu d’expérience guerrière », dit Atalanta Shi de Burnaby (C.-B.), lauréate de 15 ans qui a obtenu le premier prix du concours d’affiches couleurs sénior, « toutefois, les guerres nous ont tous affectés, que nous y ayons pris part ou pas. C’est grâce aux braves soldats qui ont offert leur vie pour nous que nous pouvons vivre en paix au Canada aujourd’hui, et je pense que, des fois, c’est facile de tenir ça pour acquis. » Au centre de son affiche intitulée Remember the Sacrifice, une femme et son enfant marchent main dans la main avec le mari et père représenté par un personnage au corps composé de coquelicots. En haut de la peinture se trouvent les yeux d’un vieil ancien combattant et, en bas, deux personnes qui se serrent la main « comme pour dire que nous faisons tous partie de cela et que nous sommes tous à l’unisson », dit Shi.

La talentueuse Shi s’inscrivait pour la quatrième fois au concours. En 2010, elle s’est classée deuxième de sa province dans la catégorie intermédiaire des affiches en couleurs, un des six prix qu’elle a obtenus pendant l’année, dont la première place dans sa catégorie aux Peace Pals International Art Awards and Exhibition et à la compétition Canadian Naval Centennial pour les enfants. Shi, qui est en 11e année à l’école secondaire Burnaby North, a l’intention de faire carrière dans les arts.

Le thème de l’affiche couleurs intermédiaire pour laquelle Mu Qing Kuang de Surrey (C.-B,) a remporté le premier prix est le sacrifice désintéressé. L’œuvre de l’élève de l’école se­condaire Elgin Park comprend un soldat portant un collègue, du sang dégoulinant au bout de ses doigts. Les gouttes rouges se transforment en coquelicots, ce qui correspond bien aux mots de l’affiche : « Du sang aux souvenirs, Nous nous sou­viendrons d’eux… ».

Lin Han, de la Gordon A. Brown Middle School de Toronto et Bruce Gifford David Marpole, de Banff (Alb.), se sont concentrés sur les deux minutes de silence lors des services du jour du Souvenir. « Ils ont donné toute leur vie, tandis que nous ne donnons que deux minutes », écrivait Han dans le poème qui lui a mérité la deuxième place dans la catégorie intermédiaire. « Prendre le temps de rendre hommage aux soldats qui ont combattu et qui sont morts au combat, c’est quelque chose que nous pouvons faire pour nous assurer que leurs sacrifices ne soient jamais oubliés », écrivait Marpole dans la composition junior pour laquelle il a obtenu la première place et qui reflète les 11 années où il a assisté aux cérémonies et observé le silence pendant deux minutes. « Ce jour du Souvenir, j’ai pensé aux nombreuses personnes affectées par la guerre, dont les civils, les prisonniers militaires et les enfants comme moi […]. J’espère que la paix aura lieu dans tous les pays avant la fin de ma vie, et prendre le temps de respecter nos anciens combattants, ce n’est qu’un petit pas dans cette direction. »

La Légion royale canadienne organise son concours de composition depuis les années 1950. Le programme a pris peu à peu de l’ampleur en intégrant les compétitions annuelles pour les meilleurs poèmes, compositions et affiches en couleurs et en noir et blanc. Les concours ont trois catégories : juniors (4e à 6e année), intermédiaires (7e à 9e année) et séniors (10e à 12e année). Il y a aussi une catégorie primaire (de la maternelle à la 3e année) qui ne s’applique qu’aux affiches.

Les œuvres sont jugées au niveau de la collectivité par des bénévoles, aux filiales de la Légion, et les gagnantes font leur chemin jusqu’au niveau divisionnaire. Les créations qui gagnent à ce niveau sont envoyées à Ottawa où l’on choisit les gagnants nationaux. Deux élèves de l’école secondaire De Mortagne de Boucherville (Qc) ont obtenu une mention hono­rable pour des œuvres soumises à la dure compétition séniors : Philippe Desjardins pour une composition et Laurie Desmarais pour une affiche en noir et blanc. Les deux inscriptions étaient passées par la filiale Pierre Boucher de Boucherville.

Les œuvres des grands gagnants à l’échelle nationale des concours d’affiches, de composition et de poésie sont exposées au Musée canadien de la guerre du mois de juin au mois de mai de l’année suivante. Celles qui se sont mérité la deu­xième place ou une mention honorable sont exposées au foyer des édifices du Parlement pendant la semaine du Souvenir, au mois de novembre.

La Légion offre un voyage à Ottawa aux gagnants séniors des quatre compétitions. Ils assistent aux cérémonies natio­nales du jour du Souvenir, où ils déposent une couronne de la part de la jeunesse canadienne, et visitent le Musée canadien de la guerre et la Colline du Parlement.

Résultats nationaux de 2011

Séniors

Affiches en couleurs—première : Atalanta Shi de Burnaby (C.-B.); deuxième : Hermina Paull de Summerberry (Sask.); mention honorable : Brett Halland de Ponoka (Alb.).

Affiches en noir et blanc—premier : Tim MacDonald de Malagash (N.-É.); deuxième : Sienna Cho de Surrey (C.-B.); mention honorable : Laurie Desmarais de Varennes (Qc).

Composition—première : Katelyn Major de St. Brieux (Sask.); deuxième : Céline Dubeau de Penetanguishene (Ont.); mention honorable : Philippe Desmarais de Varennes (Qc).

Poésie—première : Laura Rhiannon Howells de St. John’s (T.-N.); deuxième : Kelsey Lee Adler de Lacombe (Alb.); mention honorable : Serena Ambler de Clinton (C.-B.).

Intermédiaires

Affiches en couleurs—première : Mu Qing Kuang de Surrey (C.-B.); deuxième : Lauren McCracken de Kingsville (Ont.); mention honorable : Aadyn Oleksyn de Prince Albert (Sask.).

Affiches en noir et blanc—première : Iris Shen de Markham (Ont.); deuxième : Joy Penpenia de Surrey (C.-B.); mention honorable : Erika Stonehouse de Baddeck (N.-É.).

Composition—première : Katrina Laing d’Unity (Sask.); deuxième : Jayna Butler de Gilbert Plains (Man.); mention honorable : Shanna Réhel de Saint-Georges-de-Malbaie (Qc).

Poésie—première : Madison Boon de Maryfield (Sask.); deuxième : Lin Han de Toronto; mention honorable : Ryan Michael O’Connor de Gaspé (Qc).

Juniors

Affiches en couleurs—première : Kelaiah Quinn Guiel de Bailieboro (Ont.); deuxième : Torri Jamel Person de Marwayne (Alb.); mention honora­ble : Katya Winters d’Oak Lake (Man.).

Affiches en noir et blanc—première : Colleen Hallett de Boissevain (Man.); deuxième : Melody Chen de Richmond (C.-B.); mention honorable : Cassandra Stubbington de Nine Mile River (N.-É.).

Composition—premier : Bruce Gifford David Marpole de Banff (Alb.); deuxième : David « Bailey » Clark d’Indian River (Î.-P.-É.); mention honora­ble : Chloe Mailloux de Sturgeon Falls (Ont.).

­Poésie—première : Madeleine Crawford de Cornwall (Î.-P.-É.); deuxième : Cole Stephenson de Wakefield (N.B.); mention honorable : Marissa Hope Mueller de Petrolia (Ont.).

Primaires

Affiches en couleurs—première : Madison Bolyea de Shanty Bay (Ont.); deuxième : Ruby Kinash de Wishart (Sask.); mention honorable : Lillie Lax de Keewatin (Ont.).

Affiches en noir et blanc—premier : Terrence Chase G. Hill de Clairmont (Alb.); deuxième : Daniel Rust de Petrolia (Ont.); mention honorable : Dylan Anderson de Surrey (C.-B.).

Composition—première : Katelyn Major

Le prix de la liberté

Oui, une voix nous demande d’écouter
Et voilà! Le texte est simple.
« Nous avons payé pour la liberté,
Que ce ne soit pas en vain! »
-Un extrait du poème de Don Crawford L’homme que nous n’avons jamais connu

Quel est le prix de la liberté? De quoi pourrait-on se défaire pour avoir le droit de vivre? Le 11 novembre, chaque année, nous rendons hommage à ceux qui ont payé le prix de notre liberté. Ces gens sont les braves hommes et femmes qui se sont battus dans les tranchées, dans les hôpitaux et dans les champs de bataille ensanglantés. Ce sont des gens qui ont quitté leur foyer, leur famille et tout ce qui leur était familier pour aller dans des endroits effrayants ravagés par la guerre en Europe, en Asie et en Afrique. Ils ont donné leur vie et leur innocence afin que nous puissions vivre dans un monde en paix.

Beaucoup de ces hommes et femmes héroïques sont en train de s’éteindre au bout d’une longue vie de service à la patrie. Ce sont leurs souvenirs qui maintiennent la flamme du souvenir. Or, sans ces souvenirs, la flamme commence à vaciller. Comment pourrait-on le laisser mourir, ce feu qui a recollé un monde si brisé et fatigué au bout de plusieurs années de guerre? Comment pourrait-on le laisser se consumer et permettre à la guerre de recommencer? Il ne le faut pas.

Il ne faut pas oublier. Il faut que ces souvenirs restent gravés dans toutes nos mémoires. Il faut se souvenir du son des balles rompant l’air silencieux, et la plainte des sirènes annonçant les bombardements nocturnes. Il faut se souvenir de ce qu’on ressent face à l’ennemi froidement haineux et plein de préjugés, et de ce qu’on ressent en voyant son meilleur ami tomber. Même si on n’était pas là soi-même, il ne faut pas laisser les souvenirs de ceux qui y étaient se perdre comme les murmures dans le vent.

Il faut aussi se souvenir des cris de joie quand la reddition a été déclarée, et des millions de remerciements, de larmes et d’éloges offerts aux soldats quand ils sont finalement rentrés. Il faut se souvenir de l’air qu’avaient les prisonniers de guerre quand ils ont été relâchés, et des cris d’exultation quand des pays entiers ont été libérés.

C’est le jour du Souvenir que je pense à mon grand-père. Il était ingénieur durant la Seconde Guerre mondiale. Et comme c’est le cas pour beaucoup de soldats qui y ont survécu, il a été marqué par la guerre. Je ne me souviens pas de la tristesse ni des épreuves qu’il a supportées après la guerre. Même quand on m’en a parlé, même quand je le voyais aux services du jour du Souvenir, je ne voyais pas les épreuves dans ses yeux. Je voyais la fierté quand, en costume bleu marine, il marchait dans l’allée centrale de l’église. J’entendais l’honneur à chaque pas accompagnant le cliquetis de ses médailles, et à chaque note de la dernière sonnerie. Je n’ai pas vu de cicatrices.

Il faut honorer ces hommes et ces femmes, et la meilleure manière de le faire, c’est de ne jamais oublier ce qu’ils ont fait pour nous. Souvenez-vous de leur sacrifice, sinon vous risquez de perdre une importante partie de notre histoire et la fierté nationale. Se souvenir, ce n’est pas seulement lire les batailles dans les livres d’histoire. C’est porter le coquelicot sur le cœur, et baisser la tête pendant un moment de silence. Se souvenir, c’est visiter les monuments militaires disséminés autour du monde. Se souvenir, c’est ne plus jamais permettre aux jeunes hommes et femmes de donner leur vie pour une telle cause.

Le jour du Souvenir ne concerne pas seulement la commémoration de ceux qui ont fait le sacrifice suprême; il s’agit de lutter pour leur cause, ce pour quoi ils ont donné leur vie. Oublier cela, oublier la raison, mais se souvenir du combat, oublier les victimes, mais se souvenir de la gloire, c’est les oublier. Nous nous souviendrons de ceux qui ont payé le prix de notre liberté.

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